La même routine, chaque jour. Danny avait passé la matinée à courir, pour se détendre, pour affronter une nouvelle journée. Chaque matin commençait habituellement par ce petit rituel qui lui permettait de souffler, mais qui tournait rapidement en une session destinée à ressasser sa vie. La durée était plus ou moins longue, conditionnée par Déb et ses horaires de travail à la supérette. Lorsqu’elle bossait, Danny s’occupait de Shaun. Il l’emmenait avec lui, quelque fois, pour lui permettre de se dépenser également et voir autre chose que leur maison. Il adorait ce petit bonhomme, qui s’adaptait à chaque situation avec une facilité qu’on pouvait juger d’infantile. Danny gardait son petit neveu, jusqu’au retour de Déb, moment où lui partait pour le travail. Un boulot qui lui permettait de payer une partie du loyer de la maison et de finir le mois sans trop de difficultés. Il n’avait pas beaucoup de loisirs, ce qui lui permettait d’économiser un maximum pour avoir son propre appartement. Son indépendance, même s’il savait que ce moment serait difficile à passer. L’opposition de sa sœur serait l’obstacle le plus compliqué. Danny savait pourquoi elle ne voulait pas qu’il parte. De toute sa vie, il était le seul homme qui ne l’avait jamais quitté. Danny était toujours là. Il se devait d’être toujours là. Les soirs, Danny bosse, et lorsqu’il a une soirée, ou un week-end pour lui, il sait que les chances sont grandes pour qu’il ait à se sacrifier afin de permettre à sa sœur de sortir et de faire la fête. Lui, il serait avec Shaun, son petit mec. Ça avait toujours été comme ça depuis ces cinq dernières années. Damian le lui avait toujours reproché, mais Danny coupait court à ce genre de conversation. C’est la famille. C’est son devoir. Damian, lui, pensait simplement qu’il avait peur de saisir sa chance et de suivre ses rêves, mais il ne l’avait jamais dit à son meilleur ami. La seule échappatoire de D, au final, était sa peinture, ses dessins, ce rêve qu’il avait mis de côté, comme tous les autres.

« Je pense qu'il est bien sec, là ». Danny se tourna vers son patron. Derrière le bar, il était en train d’essuyer un verre depuis cinq bonnes minutes, sans ciller, plongé dans ses pensées. Il détestait cela. Penser. « Désolé ». Danny posa le verre, et allait s’attaquer aux autres lorsque le patron lui enleva son torchon des mains. « En train de penser à ton prochain tableau ? Bref, regarde l’heure, t’aurais dû partir depuis une dizaine de minutes, je ne paie pas les heures sup » dit-il avec un sourire en posant sa main sur l’épaule de D. « Vas-t-en, je te dis à ce soir ». Danny se contenta de sourire pour lui répondre. Il alla chercher ses affaires, et vérifia ses messages. < Je dois voir Scott ce soir. Tu peux prendre Shaun avec toi ? >. Danny soupira. Il n’aimait pas amener Shaun avec lui au travail, le soir. Son travail finissait rarement avant une heure du matin, et il retrouvait le petit, endormi, sur la table de la salle réservée au personnel. < Tu ne peux pas l’amener avec toi ? Grosse soirée au pub >. Il tapota les touches du clavier de son portable et envoya sa réponse à Déb. Un groupe venait chanter, ce soir-là, et il était quasiment persuadé que le bar serait plein à craquer. Plongé dans son portable, regardant les photos que Damian venait de lui envoyer de Toronto – principalement des photos volées d’étudiantes de son campus -, Danny poussa la porte de l’établissement et arriva sur la rue. Son attention attiré ailleurs, Danny bouscula une personne qui s’apprêtait à entrer à l’Old Pub. Il en fit tomber son portable. « Désolé ! ». Danny se recula d’un pas et posa furtivement une main sur le bras de l’homme devant lui. « Désolé, j’étais ailleurs, je ne vous – Hey ! ».

Il recula à nouveau d’un pas. Danny venait de reconnaître le garçon devant lui. Il ne pouvait pas oublier ce regard. « On s’est déjà vu ici ». Ce n’était pas une question, plus une affirmation. Il sentit  ses lèvres former un sourire, nerveusement. « Si t'étais venu pour me voir, je suis désolé, je viens de finir le boulot » dit-il,  avant de lâcher un petit rire. « Je blague ». Il blaguait... Il resta planté là, quelques secondes. Quelques secondes pendant lesquelles il se disait qu'il avait tout le reste de l'après-midi devant lui, et qu'il n'avait pas spécialement envie de rentrer. « Sérieusement ... Si ça te tentes, on peut aller boire un café, ailleurs ? ».