La journée avait été plutôt tranquille, il faut l'avouer. En temps normal, le patron d'Ezra commençait de travailler aux aurores, pour préparer toutes les commandes, vérifier celles qui étaient remplies, appeler la compagnie de transport pour livrer les meubles, organiser la semaine à venir. C'était énormément de boulot, et le bouclé l'admirait pour ça ; il le faisait toujours sans broncher, alors que ce n'était définitivement pas la partie la plus amusante d'un ébéniste. Aujourd'hui, pourtant, Steve était arrivé en début de matinée, presque en même temps que Siskind, en fait. Le regard interloqué du jeune homme avait fait rire le plus vieux, qui s'était contenté de lui décocher un grand sourire, en même temps qu'une bonne poignée de main. Ce n'est que plus tard que la raison de ce relâchement se fit comprendre. Une dizaine de minutes à peine après l'ouverture de la boutique, une jeune femme déboula, essoufflée. Exc... excuse-moi, il y avait des bouchons incroyables ! Sans gêne, elle baisa les deux joues du patron, et fit de même avec Ezra, qui en resta pantois. Il n'avait pas l'habitude que l'on soit si proche, direct et amical avec lui. Le blond était cependant rapidement passé au-dessus de la surprise, pour capter le bref échange de paroles entre la nouvelle arrivante et le brun, qu'elle semblait plutôt bien connaître. Je fais quoi, je me mets où ? Tu veux que je t'aide en caisse ? Non non, dans le bureau, s'il-te-plaît. Steve s'était enfin tourné vers son employé, pour lui expliquer la présence de la jeune femme. T'inquiète pas, commença-t-il en remarquant son air étonné, c'est ma nièce. Elle s'est gentiment dévouée pour m'aider le reste de la semaine. Il s'approcha un peu plus de lui, et la main sur le côté de la bouche, sur le ton de la confidence, il ajouta : En réalité, elle a fait le mur l'autre jour et ses parents l'ont retrouvé ivre morte sur un trottoir. Sa punition, s'est de s'occuper de toute ma paperasse, bénévolement. D'où le sourire affiché quelques minutes plus tôt. Ezra s'esclaffa et secoua la tête ; il retrouvait bien là son patron, qui avait toujours le mot pour rire et mettre à l'aise tout ceux avec qui il parlait.

La brune s'était donc occupé des papiers administratifs, et après une petite heure à lui expliquer comment tout fonctionnait afin qu'elle se débrouille seule, Steve avait rejoint Ezra dans les ateliers, et s'était joint à lui pour la réalisation d'une commande. Ils avaient donc rapidement pu la finir, et même en commencer une autre. Le temps passait d'autant plus vite à deux, puisqu'ils pouvaient discuter, rire, et même s'autoriser quelques pauses de temps à autres. Le bouclé avait décidé de rester travailler l'après-midi sans demander le doublement du salaire en raison des heures supplémentaires, et le patron avait levé les bras en l'air, aux anges. Tu es le meilleur ! Ils avaient donc passé une journée des plus productives, Ashley, la nièce, faisant par ailleurs du très bon boulot, pour une fille qui n'était pas payée.

Ezra s'était passé une dernière fois les mains sous l'eau, après avoir ôté son bleu de travail et renfilé ses habits. Il attrapa son sac en bandoulière, serra la main de Steve et se rendit même dans le bureau pour faire la bise à la pseudo-bénévole. À demain ! lança-t-il, particulièrement joyeux. Il y avait des fois, comme ça, où le blond ne s'expliquait pas ses accès de bonheur. Il ne s'enquiquinait pourtant pas à en chercher la raison, il se contentait de profiter. Un taxi se gara devant l'ébénisterie au moment où le jeune en sortait, et il s'empressa de monter à l'arrière. Bonjour ! Je rentre directement à la maison, s'il-vous-plaît. D'ordinaire, Ezra était toujours un peu froid avec le conducteur ; il était toujours énervé de devoir se faire conduire, de ne pas pouvoir le faire lui-même - son psychiatre ne l'avait pas encore autorisé. Mais aujourd'hui, il n'y pensa pas, et son ton fut même plutôt enjoué.

Merci, au revoir ! Il claqua la porte et se dirigea doucement vers sa maison, quand il aperçut un garçon farfouiller autour de sa porte d'entrée. Il s'immobilisa aussitôt, son sourire se transformant en une grimace déformée, son ton pâlissant étrangement, les poings serrés. Ezra chercha mécaniquement de quoi se faire une arme, et il attrapa au hasard une branche de bois au sol. Sa respiration s'accéléra, et il dû se faire violence pour mettre un pied devant l'autre. L'intrus ne s'était toujours pas retourné, et continuait d'inspecter la façade de la grande demeure. Le bâton levé, se voulant menaçant, le blond lança haut et fort, restant pourtant à quelques mètres de l'inconnu : Qu, qu'est-ce que tu fais là ? Malgré tout le courage et la bonne volonté qu'il y mit, sa voix se fit hésitante, chancelante. Il avait soudainement affreusement peur, et était prêt à courir dans la direction opposée s'il se sentait davantage en danger.