LES PETITS CAILLOUX

j'connais eliott depuis quelque chose comme.. toujours. on était voisins, on se voyait tous les jours. j'passais mes journées chez lui. j'ai fait toutes mes premières fois avec, t'imagine bien. en d'autres mots, j'suis mariée avec lui depuis ma naissance. c'était le seul moyen que j'avais de sortir de chez mon père. putain, je me suis jamais entendu avec mon père. il disait noir, je disais blanc. il disait viens, je disais part. j'étais hantée par une question existentielle : avais-je été adoptée ? malheureusement, j'en doute fortement. sa gueule est accrochée à ma figure, il me ressemble tellement. c'est pitoyable, c'est injuste. je me regarde dans un miroir, puis parfois je me dégoute. je déteste ce type. il pue la défaite, agrémentée à l'effluve du jack d. j'ai pas besoin de te plaindre le tableau, tu peux tout à fait le faire pour moi..

alors avec eliott, on est parti. on s'est cassé, main dans la main. il était mon héros. et je lui ai dit oui dans la simple intention de ne plus jamais remettre les pieds là-bas. je me sens seule, tellement seule. eliott est toujours malade, on fait rien. on fait même plus l'amour. la femme de sa vie, c'est sa mère. va savoir pourquoi, elle vit avec nous. son fils lui manquait probablement un peu trop. c'est la misère, pas vrai ?

moi j'attends, j'attends que ça passe dans l'espoir de pouvoir un jour me tirer encore une fois. mais en vain, j'suis attachée à eliott, je suis séquestrée par ses sentiments. s'il savait à quel point je me fiche de lui, il en crèverait.

j'ai ouvert ma galerie d'art, lui son cabinet de médecin. et j'attends que l'ennuie viennent m'égorger une bonne fois pour toute. je me fais chier, partout, tout le temps. c'est donc ça la vie ? attendre la mort ? c'est drôle, dans mes oeuvres, il n'est jamais question de ça. les gens combattent contre quelque chose, un désir, une envie, un fantasme et moi dans tout ça, j'suis juste rien. je rêve d'un amour passionné, empli d'interdit. non pas que l'amour me fasse vivre, non, mais ça me ferait pas de mal pour une fois d'être aimée, véritablement. eliott m'a épousé car il fallait bien le faire un jour. pas pour ce que j'suis. le schéma est simple, je devrais pas tarder à tomber enceinte. du moins, s'il décide de me baiser un jour. je m'enterre, toujours, encore. je m'enterre, je vois plus le bout. j'aimerais crier à l'aide mais je n'en ai même pas le courage. à quoi bon ? je peux faire quoi ? vivre seule ? je le fais déjà. j'ai tout ce que je veux, c'est déjà très bien. j'suis pas à plaindre, tu ne penses pas ? dans le fond, j'suis peut-être qu'une gamine pourrie gâtée qui ne se rend pas compte de la chance qu'elle a.

si tu t'attendais à quelque chose d'intéressant, je m'en excuse, mais c'est pas vraiment le cas. j'suis juste jude fitzgerald, l'épouse d'eliott fitzgerald. appelle moi madame fitzgerald.