Mes mamans ont une dizaine de voitures. Elles ont toujours aimé conduire, et elles dépensent une grosse partie de leur retraite pour leurs petits bijous. C'est comme ça qu'elles les appellent. Je le sais parce qu'une fois, le téléphone de la maison et la télévision ont arrêté de fonctionner pendant deux mois, et mes mamans se sont disputées parce que maman n'avait pas payé la facture, au lieu de ça elle avait changé les gentes et les rétroviseurs d'un de leurs bijous, et ça lui avait coûté vraiment cher. Ce weekend-là, notre aventure familiale hebdomadaire était un peu spéciale : on n'allait ni au zoo ni faire un pic-nique dans les ruines d'un château avec une histoire très intéressante. On allait en ville, pour aider des gens. Ça n'avait pas l'air amusant, mais mes mamans m'ont dit que c'était important de s'occuper des autres.
Je sais qu'il y a eu un incendie à White Oak Station, et on a tous raté une journée de cours à l'université, ce qui était embêtant car je voulait rendre plusieurs devoirs facultatifs à Mme. Najar, qui est l'une de mes professeurs de dessin, et qu'après elle n'avait plus le temps pour tous les corriger et elle a refusé de ramasser les devoirs facultatifs alors que j'avais passé du temps dessus et que j'étais fière de moi. Alors je suis sortie de cours, et j'ai crié dans le couloir, puis Mme. Najar m'a rejoins et elle a pris mes devoirs, en me faisant promettre de ne pas en parler à mes camarades. J'ai promis, parce que ce n'était pas difficile : je parle très peu à mes camarades, et surtout de mes devoirs. On allait en ville pour aider les victimes de l'incendie. Mes mamans m'ont dit que nous ramènerions peut-être des gens à la maison, pour héberger ceux qui ont perdu la leur dans les flammes. Alors le véhicule que j'ai choisi pour cette expédition-là c'était le van Volkswagen avec des dessins (c'est mes mamans qui ont peint ce van, quand elles allaient à des festivals quand elles étaient jeunes.)

Elle voyait défiler le paysage au travers des vitres, et imaginait les flammes courir après le van. Elle était contente de ne pas avoir été touchée par l'incendie, et rassurée que ses mamans aillent bien également. S'inquiéter pour les autres la mettait très mal à l'aise, alors elle préférait penser à autre chose, et elle détaillait l'extérieur, flou, s'attardant sur chaque arbre que le van dépassait. Des arbres. Des champs. Des rochers. Des arbres. Des voitures. Une personne. Elle avait ouvert sa fenêtre en grand et ses cheveux volaient dans le vent violent qui léchait le véhicule. Elle ne craignait pas les nœuds.
Le van ralentit, et Mme. King qui conduisait se rangea sur le côté de la chaussée alors que Mme. Jühler se tournait dans son siège pour faire face à Sølveig qui était derrière. Elle lui expliqua que quelqu'un allait certainement monter avec elles jusqu'en ville. Sølveig n'était pas rassurée, car elle n'aimait pas beaucoup être à proximité d'inconnus, mais elle resta calme parce que ses mamans étaient là et qu'elle leur faisait confiance. Mme. Jühler descendit un instant et revint avec quelqu'un. Elle ouvrit la grande porte coulissante de l’arrière du van pour laisser l'inconnu déposer ses affaires avant de monter avec Sølveig, qui s'était décalée d'un siège (elle ne voulait pas rester au milieu pour parler à ses mamans, elle voulait s'éloigner le plus possible de l'étranger.)