Il avait horreur de ne pas savoir. C'était vraiment quelque chose d'horrible. Et le fait que mademoiselle Elsa Beth Vicious lui donne un rendez vous aujourd'hui, dans un endroit pareil, à cette heure là ne laissait rien présager de bon. Il avait toujours eut un chic pour se fourrer dans des situations pas permises. Aurait-il encore fauté quelque part ? Avait-elle quelque chose à lui reprocher ? Peut-être. Ou peut-être pas. Peut-être qu'il se faisait du mouron pour rien. Peut-être qu'elle souhaitait juste boire un café en sa compagnie. Quoi que, en y réfléchissant bien, il n'y croyait pas lui même. Il se doutait assez fortement que la discussion qu'ils allaient avoir aujourd'hui était lié à leur dernière soirée passé ensemble, dans l'appartement de la jeune femme. Peut-être (ça faisait beaucoup de « peut-être ») que la jeune femme se souvenait enfin de ce qu'il avait trafiqué ? Pfft, il pouvait toujours rêver. Il avait comme l'impression que les souvenirs de cette soirée resteraient à tout jamais égarer dans leur esprit respectifs. Il entra dans la café et sa posa à une table, bien à l’égare des groupes de gens déjà présents. La foule, le contact humain avec les gens qu'il ne connaissait pas... Ce n'était pas son fort. Il pianota sur son portable quelques minutes, termina une partie de jeux vidéo et guetta un message de sa meilleure amie. Elle devait être en chemin.

Quand il la vit pousser la porte, il eut un soupire de soulagement. Il était stressé sans vraiment savoir pourquoi, comme si on allait lui annoncer la plus grande nouvelle de toute sa vie. C'était épuisant d'être comme ça. « Calme toi, c'est juste Elsa Beth, pas Angelina Jolie » Il secoua la tête. Pourquoi cette référence ? Sans doute parce que autrefois son jumeau en était totalement fan... Voilà qu'il commençait à avoir les mêmes réflexion que lui maintenant, super. Bon, il n'allait pas rester planté là comme un débile. Il n'avait tout de même pas oublié les rares notions de politesse que lui avait inculqué ses parents (le reste il avait appris seul). Il se leva et la salua, avec son habituel grand sourire. Il lui déposa un baiser sur la joue.

« Comment ça va depuis la dernière fois ? »

Il se rassit directement après. Il était un peu plus raide que d'habitude. Elle allait bien le voir. Au pire, elle se dirait juste qu'il avait passé une mauvaise nuit. Bon, mise à part ça, il n'avait pas de cernes géantes sous les yeux, ses cheveux ne jouaient plus aux rebelles depuis hier soir et il avait pris des couleurs.

« Pourquoi tu voulais qu'on se voit alors ? »

Foncer direct dans le vif du sujet. C'était tout lui ça. Il fallait toujours qu'il mette les pieds dans le plat dès le début. Mais il n'aimait pas attendre, et il aimait encore moins ne pas savoir ce qui allait lui tomber dessus. Et puis avec elle, on pouvait toujours s'attendre à tout. Ça pouvait aller de la super bonne nouvelle, ou à la chose terrible qui était arrivé à X personne qu'elle connaissait ou... Ce n'était pas le moment de spéculer.

Trois semaines. Trois semaines s'étaient écoulées depuis cette soirée avec James, et un réveil plutôt chaotique, sans aucun souvenir. Une situation délicate, une embrouille qui s'est soldée en un câlin. Néanmoins, le problème n'était pas réglé. Loin de là. En effet, trois semaines, dont deux semaines où la vie suit son cours. Le train de vie quotidien, métro-boulot-dodo. On se dit que finalement, il ne s'est rien passé - on préfère se persuader - ou alors qu'on a été "adulte" et qu'on s'est "sans doute" protégé.

On se persuade, on cherche à se rassurer. Après tout, on était même pas totalement nu. Et puis, vraiment, on était pas bourré à ce point là... Ouais, mais on se souvenait de rien quand même. La grande classe. Mais bon, on se dit que ça va passer. Que le sort ne va pas s'acharner. Après tout, une fois dans une vie, qu'est-ce que c'est ? Un peu de répit, est-ce trop demandé ? Alors, on laisse couler.

Puis, au bout des deux premières semaines, Dame Nature était censée porter son "cadeau". Mais, elle a eu du retard ce mois-ci. C'est le stress, on se dit. Plus on y pense, plus elles auront du retard. On essaie de se détendre, de penser à autre chose, on se plonge dans le travail. On attend. Un jour. Deux jours. On s'inquiète, mais on se dit que finalement, plus on s'inquiète et plus il y aura du retard, alors on se force de nouveau à penser à autre chose - même si c'est inutile. Quatre jours. Une semaine.

Une semaine de retard.

Une claque en pleine gueule. Je la voyais arriver, certes. Mais ça fait toujours mal lorsqu'elle te frappe le visage de plein fouet. Une semaine de retard, merde. J'ai presque pas dormi depuis quatre jours, ne cessant de ressasser encore, et encore. Essayant de me rappeler du moindre détails qui aurait pu faire que non, c'est pas ce que je crois, il ne s'est strictement rien passé cette nuit là. Mais non, ma mémoire refusait de donner un quelconque indice. De l'auto-censure peut-être ? Ou alors simplement du refoulement. Après tout, ce n'est pas la première fois que ça arrive, hein ? Et ça fait peur. C'est vraiment très angoissant.

Alors, malgré de gros cernes sous les yeux, et l'angoisse qui m'habite, j'ai décidé d'aller à la pharmacie, ce matin. Après tout, plus tôt on le sait, mieux c'est pour prendre la meilleure des décisions - bien qu'il n'y en est qu'une selon moi, et ce peut importe le délai qu'on me donne pour réfléchir. Je suis donc allée à la pharmacie acheter un test de grossesse. Ce fut bref, je déteste tellement cet endroit - et le regard lourd de reproches de la préparatrice - et je suis donc retournée l'appartement rapidement.

Je pose mes affaires dans l'entrée, en bordel, et garde seulement avec moi la petite boite en carton. Direction, la salle de bains. Pas besoin de lire le mode d'emploi, je ne sais que trop bien comment ça fonctionne. Et donc, me revoilà, quelques minutes plus tard, au fond de mon fauteuil tout fatigué, dans mon salon, les yeux rivés sur le test. Le résultat est censé s'afficher en deux ou trois minutes. J'en profite pour me griller une cigarette, l'estomac noué, l'angoisse me compressant la poitrine. Je prends mon temps, et profite des quelques derniers instants de quiétude - si j'en ressens encore - qu'il me reste.

À trois. Un. Deux. Trois.

Positif.

Putain de merde.

Sur le coup, j'ai envie de pleurer, forcément. Mais je me reprends, oh. Ça suffit, maintenant. Il faut assumer ses conneries. Elsa, t'as plus seize ans. T'es majeure et vaccinée, maintenant, alors prends tes responsabilités. Je passe ma main dans mes cheveux, et soupire. C'est un putain de cauchemar.

Je suis restée presque toute la journée assise sur ce foutu fauteuil. Je me suis grillée une dizaine de clopes, et j'ai réfléchi. Je n'étais pas seule cette fois. Et la question de s'il fallait ou non mettre James au courant était importante. J'ai dans un premier temps voulu prendre rendez-vous de suite, sans rien lui dire et faire disparaître ce... truc, sans que personne ne sache quoique ce soit. Et puis, je me suis dit qu'il aurait voulu savoir. Puis, je me suis ravisée en me disant qu'il était peut-être fou, au point de vouloir garder ce machin alors qu'on a à peine vingt balais et la vie devant nous. Moi, j'en suis sûre, j'en veux pas. Et puis, merde, il avait le droit de savoir, après tout.

Il est dix-sept heures. Je prends mon téléphone, et envoie un court texto à James : "rdv dans une heure au haven. c'est important." Je décide de passer par la salle de bains prendre une douche. Je suis terriblement angoissée. J'y reste facilement une demie heure. Je me regarde dans le miroir, quelques instants. On a fait beaucoup mieux. Les cernes, surtout. Je sors de la salle de bain, habillée d'un tee shirt en lin, et d'un jean boyfriend. J'enfile une veste, prends clope, portable, clefs, papiers et claque la porte.

Un quart d'heure plus tard, je pousse la porte du Haven Coffee. Il y a un peu de monde, je cherche James du regard. L'angoisse m'oppresse la poitrine. Puis, je le vois assis à une table un peu à l'écart. Je l'y rejoins, il s'est levé et me dépose un bisou sur la joue. J'ai l'impression d'être là... et pas là en même temps. Comme un espèce de robot. Je suis ailleurs. Je ne réponds pas à sa question. Je m'assieds en face de lui, alors qu'il s'enquiert de la raison de ce rendez-vous. J'allais lui répondre lorsqu'un serveur nous interrompt pour prendre notre commande. Je choisis un chocolat chaud.

Le serveur s'en va.

« James. On est dans la merde. »

Je vois son visage se tendre. J'ai l'impression que mon coeur va exploser. J'ai peur de dire quoique ce soit, les mots restent coincés dans ma gorge, puis viennent mourir au bord de mes lèvres de façon quasi inaudible.

« Je suis... enfin, tu sais... il y a trois semaines... bah voilà... »

Je passe une main dans mes cheveux, et soupire nerveusement. Mes yeux sont rivés sur la table qui nous séparent. Je l'entends balbutier quelques syllabes. Il est sous le choc.

« Et oui, je suis sûre. J'ai fait le test ce matin. On est dans la merde, putain... »

Le fait d'en parler à quelqu'un rend tout ça plus réel encore. Ça m'angoisse terriblement, mon estomac me fait tellement mal. J'essaie d'imaginer quelle sera la réaction de James. En tout cas, je m'attends à tout, même au pire.

Bon. La discussion commençait bien. Il allait poser un tas de question quand Elsa Beth lâcha la bombe. Et pour une bombe, ça, c'était un grosse, grosse bombe. Il bredouilla quelques mots qui ne voulaient rien dire et ouvrit la bouche en grand. On aurait dit un poisson lune. Il resta là, figé une bonne minute pendant laquelle son monde semblait s'écrouler lentement. Son univers entier s'écroulait en fait. Non. Ce n'était pas possible. Pas lui. Pas l'enfant modèle. Il ne lui répondit toujours pas, passa une main moite sur son front et tenta de garder son calme. Il avait l'impression d'être son raté de frangin. De suivre le même chemin que lui. Il ne voulait pas devenir une tâche comme lui. Il ne voulait surtout pas ça. Non, mais pourquoi ? Pourquoi lui ? Il fallait toujours que les trucs dans le genre lui tombent dessus comme ça, sans qu'il s'y attende ! Il avait eu tord de penser qu'il pourrait un jour oublier ce réveil catastrophique chez elle. Vraiment. Elle était sûre ne plus. Elle avait fait un test en plus. Il était dans la merde. Ils étaient dans la merde, comme elle disait. Il avait pas envie d'avoir un môme sur les bras. C'était cruel, mais c'était la vérité. Il se trouvait trop jeune. Pour lui sa vie d'adulte venait de commencer, il n'allait pas tout bousiller dès le début. Et surtout pas avec elle ! Il l'adorait, certes, mais elle était sa meilleure amie et il la respectait trop pour la traiter comme ça.

« Bon. »

Premier mot concret qui sortait de sa bouche depuis la terrible nouvelle. Bon, et maintenant ? Il avait pas vraiment envie de boire ce que le serveur terriblement souriant venait de lui apporter. Il fixa sa tasse de café l'air complètement perdu. Oh, mais pourquoi s'était-il levé ce matin, pourquoi était-il venu ici ? De toute façon, il n'aurait fait que retarder l'échéance.

« Ben. »

Il fallait qu'il dise quelque chose de plus concret. Il ne voulait pas la blesser et c'était sans doute pour ça qu'il ne se mettait pas à hurler et à sautiller dans tout les sens en lui disant sincèrement ce qu'il pensait en ce moment même. Il se tordit les doigts (c'était un des signe qui montrait de l'anxiété chez lui) et lâcha un long soupire avant de se résigner finalement, et de boire son café d'une traite. Aïe. Il venait de se brûler la gorge, et tout l’œsophage sans doute. Il osa enfin lever les yeux et croiser son regard. Ok, elle avait l'air tout aussi emballé que lui.

« On fait quoi du coup ? »

Il n'allait pas se fondre en excuses – après tout il fallait être deux pour faire un bébé – ni se mettre à se lamenter sur sa banquette. Ils allaient parler comme des grands du bordel qu'ils venaient de mettre dans leur vie, quitte à se prendre le bec une énième fois. Mais il fallait qu'ils en parlent. Il n'allait pas la laisser partir comme ça, il n'allait pas non plus se lever sans un mot et se barrer comme un lâche.

« Bon. »

Comment ça "bon" ? Il se fout de ma gueule ? J'ai envie de l'étrangler. Voilà exactement ce qui m'agace le plus chez lui. Sa non-réaction. Ça a le don de m'exaspérer d'une force. Je comprends qu'il soit pas très expressif, moi la première, j'ai horreur de dire ce que je ressens. Mais merde, quand c'est une situation grave comme celle-là, il faut parler ! Parce que là, c'est vraiment la merde. Et voilà qu'il rajoute un "ben". Je vais le tuer, je crois.

L'angoisse grandit dans ma poitrine, elle menace d'exploser à tout moment. J'ai envie d'hurler face à son stoïcisme, face à notre connerie, face à nos responsabilités, face à toute cette merde qui nous arrive en plein dans la gueule. J'ai l'impression de revivre un cauchemar de mon passé, de faire dix-huit pas en arrière, comme si, finalement, rien n'avait changé, rien n'avait évolué chez moi. Comme si j'étais toujours la même, alors qu'il s'était passé tellement choses dans ma vie qui m'ont fait grandir. J'ai l'impression d'avoir seize ans à nouveau.

James décide de réagir - enfin, réagir c'est un grand mot - et de poser la fameuse question qui est de savoir ce qu'on fait. Pour moi, il n'y a même pas de question à se poser.

« De quoi, qu'est-ce qu'on fait ? La question ne se pose même pas ! »

Jamais de la vie je garde ce truc. J'en veux pas, j'en voudrais jamais, et surtout pas comme ça. J'ai vingt ans, je veux refaire ma vie à zéro, c'est pas pour recommencer de la même façon qu'il y a quatre ans, non. Je veux plus galérer, je veux plus être enfermée dans mes souvenirs, dans mon ancienne vie, je veux avancer, et j'ai pas besoin d'un boulet au pied. Tout ceci m'angoisse terriblement, l'idée que je vais devoir avorter à nouveau me tord le ventre.

Toutefois, le fait qu'il ait posé la question me fait douter quant à sa position sur la question. Pour moi, c'est évident, la question ne se posait pas. Mais s'il la pose, c'est que peut-être il est prêt à assumer tout ça, que finalement, il s'est dit pourquoi pas se lancer dans cette aventure. Un grand malade, quoi !

« Attends, me dis pas que tu veux garder ce truc ? »

Le ton monte petit à petit. L'angoisse, la colère, la peur, tout se mélange. Mon ventre se noue, tout comme ma gorge. Tout forme un tourbillon. Je sens que cette soirée n'est pas prête de se terminer...

« Oh non non non, il en est hors de question ! »

Il avait l'impression de passer pour un monstre en disant cela mais c'était vrai, il ne voyait pas du tout ce qu'il ferait avec un enfant à charge, qu'il aurait eu en plus, avec sa meilleure amie. Et jamais au grand jamais, il ferait subir ça à la jeune femme. Non, il la respectait bien trop pour savoir qu'une grossesse maintenant aller sans nul doute lui pourrir la vie. Il s'était un peu emporté, il avait haussé le ton et la serveuse lui avait jeté un coup d’œil courroucé, comme s'il venait d’engueuler Elsa Beth. Oh, pour le coup, sa solidarité féminine, il le la lui mettait où il pensait. Il attrapa la main de son amie et la couva d'un regard doux.

« On va affronter ça ensemble, je vais pas te laisser tomber, d'accord ? »

Il avait fait une (grosse) boulette, à lui d'assumer. C'était peut-être toute la différence entre lui et son frère. Il assumait, l'autre pas. D'ailleurs en partant de ça, Jamie n'avait jamais compris pourquoi ses parents avaient toujours eu eu préférence pour l'autre, la vie était injuste. Il secoua la tête, se passa un main dans ses cheveux en bataille et soupira. Bon, et maintenant ? Il allait entrer dans le vif du sujet ou esquiver en parlant de licornes ? La serveuse qui avait l'air de le porter dans son cœur se pointa, ramassa sa tasse vide et lui jeta un regard plus froid que jamais. Bon sang, c'était quoi son problème à elle ? Il avait l'impression d'agacer tout le monde et c'était un sentiment insupportable. Peut-être avait-elle entendu (ou épié, au choix) leur conversation ? Peut importe, il s'en foutait et il croisait les doigts pour qu'elle arrête de le regarder comme ça, avant que Elsa Beth s'en mêle. Il connaissait bien la jeune femme, quand on mettait le nez dans ses affaires... Afin d'éviter une crise nerfs, il commanda une nouvelle tasse de café, en espérant aussi que cela allait le mettre d'une humeur plus joyeuse. Bon sang mais où allait-il ? Un jour peut-être sa vie e serait calme et pleine de joie. Remarque, il l'avait bien espéré en arrivant ici, tout était géniale jusqu'à aujourd'hui. Peut-être n'était-il pas fait pour vivre en paix après tout ?

« Tu veux pas qu'on aille prendre l'air ? La serveuse me met mal à l'aise... »

Et puis tant pis pour sa commande. Il avait besoin d'aller prendre une bonne bouffé d'air frais. Il sentait que tout lui montait au cerveau là, étrangement, pour une fois, il se retrouvait dans la situation de Elsa Beth quand elle faisait une de ses crises. Il entendait déjà la voix de ses parents « Tu vois, tu es incapable de vivre seul correctement » et il n'avait pas envie de leur donner raison.

Alors que je fronce les sourcils et serre fort la tasse de chocolat chaud entre mes mains que le serveur vient de m'apporter, James s'empresse de répondre, dissipant ainsi mes craintes sur un éventuel conflit concernant de garder ou non le fruit d'une nuit où on était complètement pleins. Enfin, répondre, c'est peut-être un peu faible, puisqu'il a haussé un peu la voix aussi. Des gens autour nous regardent, je n'aime pas ça. Mon nœud à l'estomac se serre un peu plus.

James prend doucement ma main dans la sienne. Ses paroles et son regard veulent me réconforter, mais n'y parviennent point. J’acquiesce lorsque je les entends, mais je suis ailleurs. J'ai mal au ventre, j'ai chaud, je ne suis pas à l'aise. Il y a trop de gens, trop de bruit. James lâche ma main pour la passer dans ses cheveux, après avoir secouer la tête. À quoi peut-il bien penser ? J'essaie de déceler quelque chose dans son regard, mais rien. Impénétrable, comme d'habitude. Une serveuse arrive pour ramasser la tasse de café vide de mon ami sur la table. Elle lui jette un regard noir.

C'est quoi son problème à elle ?! J'ai les nerfs à vifs, mon ventre se serre un peu plus. Les gens ne peuvent décidément pas faire leur boulot sans broncher, ni écouter ce que disent leurs clients ? Je bois une gorgée de mon chocolat chaud, sans en avoir vraiment envie. Je déglutis avec difficulté. Je passe une main dans mes cheveux, nerveusement. James commande un autre café. Si ça n'avait tenu qu'à moi, on serait sorti vite fait de cet endroit étouffant - mais bon, après tout, qui est-ce qui avait convenu d'un rendez-vous dans ce café ? C'était bien moi.

Ni lui ni moi n'avons échangé une parole depuis quelques minutes déjà, chacun se murant dans un parfait silence. J'avais chaud, mal au ventre, la gorge serrée. Je devais certainement être un peu pâle aussi, ou du moins, plus que d'habitude. Ce silence, cette barrière entre nous, me mettait tellement mal à l'aise. J'avais l'impression qu'on était tous les deux au pied du mur, sans avoir aucune solution, ni l'un, ni l'autre. Soudain, James a - la oh très brillante - idée de me proposer de sortir d'ici, prétextant que la serveuse le met mal à l'aise. Dieu merci.

« Oui, je veux bien. Je ne me sens pas super bien non plus. », souffle-je.

J'ai carrément envie de vomir, tu veux dire. On se lève, sans un mot, et on se précipite à l'extérieur. Un léger vent frais s'est levé. Il doit être dix-huit heures trente, peut-être dix-neuf heures. Je sors mon paquet de cigarettes de ma poche, et en porte une à mes lèvres avant de l'allumer. J'espère que ça va faire passer ma nausée. James commence à faire quelques pas, dans une direction que j'ignore, mais je le suis. Les gens commencent à s'affoler, tout le monde sort du boulot, les rues grouillent de monde. Nous marchons lentement, sans dire un mot.

Ma cigarette se consume petit à petit. Lorsque j'en tire la dernière latte, ni lui, ni moi n'avons prononcé un mot. Je balance mon mégot dans une bouche d'égout. J'ai toujours envie de vomir, et je ne suis pas moins angoissée non plus. Nos pas nous ont menés dans un coin de la ville plus tranquille. Le silence entre nous m'angoisse plus qu'il ne le devrait. Je dois le briser.

« Tu ne dis rien, je murmure. Je reprends avec une fois plus forte, Pourquoi tu ne dis rien ? »

J'ai l'impression d'être une bombe à retardement. Prête à exploser. Tout un tas de sentiment bouillonne à l'intérieur de moi. Je suis énervée, triste, angoissée, épuisée. Et quoique James pourra me dire pour me réconforter n'aura d'effet sur moi, ce soir. Je n'écoute qu'à moitié ce que James me répond. La bile me monte à la gorge, j'ai chaud, j'ai froid, je transpire.

« Je crois que... je crois que je vais vomir. », balbutie-je.

Je titube vers une ruelle sombre, déserte. J'appuie une de mes mains sur le mur, et me penche en avant. Tout, le stress, la tristesse, l'angoisse, la colère, absolument tout, finit par sortir. Je tousse, je m'étouffe, je me sens tellement mal, minable. Même vide, hormis les quelques gorgées de chocolat chaud bues au café quelques minutes auparavant, mon estomac trouve quelque chose à rejeter. Je tremble de peur, d'angoisse. Je n'ai qu'une envie : revenir quelques semaines en arrière, et changer le cours des choses.

« Pourquoi je dis rien ? Mais... Aaarf »

Il leva les yeux au ciel. Elle voulait qu'il lui dise quoi encore ? Elle avait pris sa décision concernant le … Non, ne pas penser à ce mot maudit, et lui aussi, avait pris sa décision. Au moins, ils étaient d'accord sur un point. Il la regarda tituber vers une rue déserte et soupira. Il ne savait pas vraiment pourquoi, mais il n'était vraiment, vraiment pas d'humeur là. Il n'avait pas envie de l'entendre se plaindre, ni de gémir dans son coin. C'était peut-être dur pour elle, mais avait-elle pensé à lui aussi ? A ce qu'il ressentait de son côté ? Non, elle n'en avait rien à faire. Vomir ? Allons bon. Voilà qu'elle se sentait nauséeuse. Il n'était pas stupide, il savait très bien que sa grossesse y était pour quelque chose. Il fit quelque part vers elle, mais recula quand elle... dégueula.

«  Ah, super... »

Il s’avança vers elle, fouilla dans ses poches et son sac à la recherche d'un éventuel mouchoir qu’il fini par trouver. Il le lui tendit, un sourire mitigé sur le visage. Il ne voulait pas la presser ou quoi, mais il aurait bien aimé savoir quoi faire. Fallait-il qu'il la raccompagne chez elle, pour qu'elle s'allonge et se sente mieux ? Ou devait-il la laisser en plan ? Elle voulait prendre rendez vous maintenant chez il ne savait trop qui pour régler ce... Soucis ?

« Esla Beth... »

Oui non en fait rien. Il ne voyait pas trop quoi dire. Il avait cette colère inexpliqué qui grondait en lui, il ne savait même pas pourquoi. Pourtant, es sautes d'humeur n'était pas trop son truc, il pouvait le jurer. C'était cette position dans laquelle elle le mettait qui le rendait comme ça. La faute à qui d'abord ? Bon, d'accord, comme il l'avait si justement dis il y a quelque minutes, il fallait être deux pour faire un gosse mais ce qui le rendait encore plus nerveux, c'était que ni lui, ni elle, ne serait jamais dans quelles conditions tout cela sera arrivé, exactement.

«  Tu veux que je te raccompagne chez toi ? » soupira t-il « Ou que... Je sais pas, que t'aille voir un médecin ? »

Dire qu'il ne savait ni quoi faire ni quoi dire était une euphémisme. S'il mère nature l'avait un jour d^poté du don de téléportation, il s’en serait servis sur le champ pour disparaître, bien loin de l’autre côté du globe. Au lieu de ça, non, il restait planté là comme un gland à regarder sa meilleure amie le dévisager.

J'ai le souffle court, des tremblements parcourent mon corps, et de fines gouttes de sueurs naissent sur mes tempes. Je me sens néanmoins soulagée, un peu. Du moins, pour ce qui est de mes maux de ventres. Pour le reste... Ça ne s'arrangera pas en un claquement de doigts, ça, c'est certain. Je me redresse un peu, et colle mon dos contre le mur derrière moi. Je soupire un grand coup, avant de passer une main fébrile dans mes cheveux. J'ai un goût amer dans la bouche.

James, qui s'est approché, me tend un mouchoir. Quelque chose qui ressemble de près ou de loin à un sourire s'affiche sur son visage. Je le remercie, avant de m'essuyer la bouche. Je vois bien qu'il essaie de me sourire, mais le coeur n'y est pas. Il a l'air... nerveux, énervé. Un mur de quinze mètres de haut s'est érigé entre nous, coupant la communication. On a l'air de deux étrangers, de deux personnes qui se sont rencontrées en boite, qui ont couché ensemble, et qui se retrouvent dans la merde trois semaines plus tard. Après tout, c'est bien ce qu'on était. Sauf pour ce qui est de la partie "boite de nuit".

« Ca va, je suis pas handicapée, ni suicidaire, hein. Juste enceinte. Je te force pas à veiller sur moi de la sorte. », lance-je, pour "détendre l'atmosphère". Pour toute réponse, James souffle mon prénom. Quoi ? Il comprend pas l'humour british ou quoi ? Ces américains, alors... Faut leur montrer une vidéo d'un gonz qui allume ses pets pour les faire marrer ou quoi ? Enfin, ce n'est pas le sujet. On a quelque chose d'autrement plus grave à régler.

Mon ami me demande donc si je souhaite qu'il me raccompagne chez moi, ou s'il faut que j'aille voir un médecin. Son ton montre que c'est plus par politesse, que par envie de réellement faire quelque chose. Il a envie de partir, jambes à son cou. Je le sens. Moi aussi, d'ailleurs. Toutefois, je réfléchis quand même à sa proposition. Aller, chez le médecin, à cette heure, sans rendez-vous, c'est peine perdue. D'autant plus que moi et les hôpitaux, les centres médicaux, les cabinets, les pharmacies... ça fait bien plus que deux. Je déteste ça. Définitivement, aller chez moi semble être la meilleure solution.

« On a qu'à aller chez moi. On y sera plus au calme, je suppose... », propose-je.

Et nous nous mettons en route, sans un mot. Heureusement, mon appartement ne se trouve qu'à quelques rues de l'endroit où nous nous trouvons. Nous marchons tranquillement, chacun se murant dans le silence. Et toujours ce foutu mur entre nous. Ni lui, ni moi, ne semble disposer à coopérer ce soir. Aujourd'hui, un monde nous sépare. Mais demain ? Y en aura-t-il un ? L'air s'est rafraîchi, et le ciel se teinte de couleurs plus douces, signe que le soir s'installe à White Oak Station.

Nous arrivons devant la cage d'escalier de l'immeuble, toujours muets. Nous nous défions du regard, incapables de faire un pas vers l'autre. Néanmoins, j'invite James à monter - dernière chance d'avoir une discussion, d'essayer de régler le problème, en adulte. Même si adultes, nous ne l'avons pas été une seule fois la dernière fois qu'il est venu chez moi. Nous grimpons le premier étage avant d'entrer dans mon appartement. Nous posons nos affaires dans l'entrée. Je propose à James d'aller dans la cuisine, pour lui préparer un café.

« Je vais te servir un café. Par contre, je vais me doucher vite fait. Je dois puer le vomi, et puis... ça nous permettra peut-être d'y voir plus clair. », dis-je. Toujours le mot qu'il faut.

James s'installe à la table de la cuisine. Je prépare son café, silencieusement. Quelques minutes plus tard, un mug fumant trône sur la table. Je laisse mon ami seul dans la cuisine, et me dirige vers la salle de bains. Je me glisse directement sous la douche, brûlante. Je ne sais pas combien de temps j'y reste. Mes pensées divaguent. Je vais avorter, encore. Mais, ma relation avec James, que va-t-il en rester ? Pourquoi, si nous sommes d'accords sur l'issue de ce problème, y a-t-il ce fossé entre nous ? Comme si l'un essayait de rejeter la faute sur l'autre. Je suis terrifiée à l'idée d'avorter à nouveau. Cela m'angoisse terriblement.

Je sors de la douche, quelques minutes plus tard, les cheveux trempés. Je les essore rapidement avec une serviette. Ils sont encore mouillés, mais tant pis. J'enfile un short en coton, et un vieux sweat avant de rejoindre mon ami dans la cuisine. Je me prépare un chocolat chaud, avant de m'asseoir en face de lui. Je prends une cigarette dans le paquet qui traîne sur la table, et l'allume. Le silence règne toujours entre nous deux.

« Qu'est-ce qu'il se passe ? », demande-je pour le briser. « Qu'est-ce qu'il se passe entre nous, James ? »

Il acquiesça et la suivit jusqu'à chez elle. Pas un mot pendant le trajet, il était perdu dans son monde, dans ses pensées. Bon, une chose était sûr, il ne dirait pas un mot de toute cette affaire à ses parents. Déjà qu'il ne leur disait plus grand chose, mais une chose pareille les feraient sortir de leur gond. Déjà qu'ils ne l'avaient pas en très haute estime... si leur fils leur racontait une chose pareil, il était fini. Fini pour de bon. Ils étaient du genre lourd et envahissant donc bon... Il n'aurait que lui même pour se plaindre. Il se lamenterait seul sur son sort, dans son lit roulé en boule ou sur son canapé, avec un énorme pot de glace sur les genoux. De toute façon, il pouvait en manger beaucoup, il était mince de chez mince. Quelques fois, il rêvait de prendre quelques formes mais bon, ce n'était qu'un rêve. Sans même s'en rendre compte, Jamie est déjà dans son salon, une tasse de café à la main. Il bu alors, silencieusement tandis que sa meilleure amie se douchait. Lui aussi, cela ne lui ferait pas de mal, au moins pour lui remettre les idées en place. Mais bon, ce n'était pas le moment de quémander une douche chez elle, il attendrait d'être de retour dans son appartement. La jeune femme sortit alors de sa douche, les cheveux ruisselant et Jamie soupira discrètement. Il la regarda allumer sa cigarette, se retint de faire une remarque vis-à-vis de son état actuel. De toute façon, elle n'en voulait pas de ce bébé. Alors une ou deux cigarette de plus...

« Qu'est-ce qu'il se passe ? », demande-je pour le briser. « Qu'est-ce qu'il se passe entre nous, James ? »

Elle était une des seule à le nommer par son prénom. En temps normal, il adorait ça. Parce que c'était elle, et qu’il aimait la manière dont elle le disait mais là... Il était aveuglé par un il ne savait trop quoi de colère. Et son prénom sonnait différemment.

« Il se passe rien du tout El'... On a juste fait une grosse connerie, on a du mal à passer outre, voilà tout, » répondit-il sèchement.

En fait il avait juste envie de pleurer. C'était pas juste. En temps normal, c'était elle qui faisait ce genre de crise et qui se sentait pas bien. Pas lui. Lui c'était le garçon qui savait comment remonter le moral, pas le plomber. Il frotta ses yeux baignés de larme et détourna la tête. Il avait toujours eut horreur qu'on le voit ému, ou les larmes aux yeux. Un peu de concentration, et elle n'allait pas rouler sur ses joues. Trop tard. Il les sécha rapidement et replia ses genoux sur son torse, et posa sa tête dessus. Il ne s'aimait pas comme ça. Il se trouvait pitoyable. Il regarda ses pieds un instant avant de fermer les yeux. Il se laissa tomber et se roula en boule.

« Désolé, je devrais pas te parler comme ça... 'scuse moi. »

Ma cigarette qui se consume dégage une légère fumée qui traîne dans les airs. Je glisse une mèche de cheveux derrière mon oreille avant de tirer une nouvelle bouffée de nicotine, fixant toujours mon ami, les sourcils froncés. J'essaie de déceler une information dans son visage sans succès, attendant simplement qu'il me réponde. Sèchement. Aïe. Je ne sais pas pourquoi, ça me fait mal au coeur. J'ai l'habitude de me disputer avec James, mais les raisons en sont généralement moins dures, moins importantes. C'est généralement une histoire de différends, nos deux caractères qui se confrontent.

« Oui, jusque là, tu m'apprends rien. », dis-je, cynique, avant de recracher la fumée de ma cigarette dans l'air.

Voilà que moi aussi, je m'y mets. Je tapote le bout de ma cigarette sur le bord du cendrier non loin pour en faire tomber la cendre. Je regrette aussi ma réplique. Enfin, je ne sais pas trop. Merde, quoi. Je déteste discuter dans le vent comme ça, à tourner autour du pot pendant mille ans ! Je relève les yeux vers James, et ce que je vois me brise le coeur et m'agace à la fois.

Un James tout fragile, dans son corps menu, les yeux pleins de larmes. Je tique, ouvrant légèrement la bouche. Je veux dire quelque chose mais rien ne sort. A la place, je le regarde frotter ses yeux, une larme coule sur sa joue. Il détourne la tête mais trop tard, je l'ai vue. Un silence pesant règne de nouveau, lorsque je le vois se rouler en position fœtale dans le vieux fauteuil fatigué de mon salon. Il s'excuse alors, par deux fois.

J'ai envie de m'énerver. C'est quoi ce comportement ? C'est quoi cette manière de réagir face aux difficultés ? Ma cigarette, qui se consume tranquillement entre mes doigts me brûle. Je la dépose sur le bord du cendrier, et j'éclate :

« Attends, tu me fais quoi, là ? C'est quoi ton problème, Nova ? ,le provoque-je, tu m'expliques pourquoi tu chiales ? Putain, mais merde ! Reprends-toi ! C'est moi qui devrait chialer ! Moi, qui retombe enceinte pour la deuxième fois, moi qui vais devoir avorter à nouveau ! Tout ça à cause de nos conneries, là ! Mais tu sais pas ce que c'est, toi ! Après tout qu'est-ce qui peut bien t'importer ? Je veux dire, t'as peur de quoi ? Qu'est-ce qui t'angoisse ? Rien du tout ! Tu n'auras rien à subir, rien à signer ! Peut-être juste à m'accompagner à la rigueur - et encore, c'est peut-être trop à supporter pour toi, non ? Hein Nova ? »

J'ai le souffle court et les mains qui tremblent, d'énervement. Je sais que je vais regretter mes paroles, mon attitude, mais après tout, peu importe. Peut-être que tout ça est égoïste, que je ne pense qu'à moi. J'en veux à la terre entière, à moi-même, à James, à mon père. Je regarde mon ami - même si je ne sais pas s'il voudra toujours de moi comme telle après avoir passé mes nerfs sur lui -, le regard dur. J'attends. J'attends qu'il réagisse. Qu'il explose, lui aussi.

« Attends, tu me fais quoi, là ? C'est quoi ton problème, Nova ?  Tu m'expliques pourquoi tu chiales ? Putain, mais merde ! Reprends-toi ! C'est moi qui devrait chialer ! Moi, qui retombe enceinte pour la deuxième fois, moi qui vais devoir avorter à nouveau ! Tout ça à cause de nos conneries, là ! Mais tu sais pas ce que c'est, toi ! Après tout qu'est-ce qui peut bien t'importer ? Je veux dire, t'as peur de quoi ? Qu'est-ce qui t'angoisse ? Rien du tout ! Tu n'auras rien à subir, rien à signer ! Peut-être juste à m'accompagner à la rigueur - et encore, c'est peut-être trop à supporter pour toi, non ? Hein Nova ? »

Il arrêta tout de suite de se lamenter. Il redressa lentement la tête vers son interlocutrice. Nova. Elle ne le nommait jamais pas son premier prénom. Elle avait toujours l'amabilité d'éviter. Parce qu'elle savait que ce prénom, il l'aimait, mais qu'il signifiait trop de choses trop lourdes à porter pour lui. Son ancienne vie qu'il voulait zapper le plus longtemps. Son frère insupportable. Ses stupides parents qui l'avait rejeté comme un malpropre. Il se leva, serrant les poings. Il fallait qu'il reste calme. Que rien de méchant ne franchisse ses lèvres. Et en ce moment même, le travail qu'il faisait sur lui pour en pas s'emporter envers elle était énorme.

« Tu veux que je te dise quoi, hein ? J'ai pas le droit d'être agacé, de chialer quand j'en ai envie ? Tu veux que je sois un de ces mecs macho, qui se prennent pour des dieux et qui ne s'autorisent aucun moment de faiblesse ? Et bien je suis désolé de te décevoir Elsa Beth. Oh, mais que je suis nul ! Que je suis faible ! Tu ne me mérite pas en tant qu'ami. C'est vrai après tout. Tu te débrouille tellement bien toute seule. C'est pas de ma faute si tu te retrouve encore enceinte ! On est deux dans cette histoire bordel ! DEUX !»

Il avait cette envie de l'attraper par les épaules, et de la secouer comme un pommier. Une envie qu'il retenait de toute ses forces, mais ses poings, sa mâchoire crispé trahissait ses intentions.

« De quoi j'ai peur ? Mais de rien, de rien du tout. J'irais signer ton foutu papier. Avec joie d'ailleurs. Et tu sais pourquoi ? Parce que j'en ai rien à faire de ton môme. Tu en fais c'que tu veux. Je veux plus rien avoir à faire avec toi, et ce machin. Je signerais, et après, rideau. Et ne m'appelle plus jamais Nova. »

Il avait conscient d'avoir été rude. Nova Jamie Reid avait été méchant pour la première fois avec la personne qu'il appréciait le plus au monde. Et pour la première fois, il ne s'en voulait pas complètement. Étrangement il éprouvait un certains soulagement d'avoir tout déballé. Il resta dans sa position offensive, soutenant le regard de son amie. Et puis mince quoi, ce n'était pas comme si tout le monde dans cette foutue ville allait être au courant de leur erreur, si ?

James se redresse lentement, et plonge son regard dans le mien. J'y décèle de la colère, alors qu'il y a quelques secondes, je n'y trouvais que peine et incertitude. Je savais qu'en l'appelant par son vrai prénom, j'allais déclencher une bombe. Un lourd silence nous sépare. Nova se lève, ses poings sont serrés. Lorsqu'il ouvre la bouche, ses mots sont emplis de reproches, et de colère. Ils sont comme des balles qui me traversent, de part en part. Après tout, ne l'avais-je pas bien cherchée ? À quoi m'attendais-je en le provoquant de la sorte ? Cette dispute est l'une des plus violente que nous ayons eue jusqu'à présent.

Oui, on est deux. C'est bien vrai. Et bientôt, je vais peut-être me retrouver toute seule, à nouveau.

Je fixe James; sa mâchoire est serrée, pas un seul de ses muscles n'est tendu. Je le vois, je l'ai poussé à bout. La deuxième salve arrive, plus meurtrière encore. Et moi, je reste assise en face de lui, inerte, sans chercher à me défendre. Ses paroles me blessent plus que je ne le souhaiterais. Il remue le couteau dans la plaie, appuie là où ça fait mal. "Mon môme", "et après, rideau". Quel connard. Je ne soutiens plus son regard, baissant les yeux vers le cendrier sur la table. Ma cigarette s'est entièrement consumée.

Alors, indifférente à ce qu'il vient de se passer, j'en rallume une et la porte à mes lèvres. Mon regard est vide. L'odeur des Black Stones Cherry dans l'air m’écœure plus qu'elle ne me réconforte. Je ne sais plus quoi penser, que faire. Je suis là, et pas là en même temps, les paroles de James résonne dans ma tête. Il me dégoûte. Comment j'ai pu être amie avec un type pareil ? Un type qui dit se faire "une joie" de signer des papiers concernant un truc qui va crever ? Je tire une taffe sur ma cigarette, le silence entre nous dure depuis de longues secondes. Je me lève calmement - même si la tempête fait rage à l'intérieur de moi - et me dirige vers l'entrée. Je récupère la veste de James et la lui tend, la clope au bec :

« T'auras pas besoin de signer, t'inquiète. Comme tu l'as si bien dit, je me débrouille très bien toute seule. Après tout, un "môme" de plus ou de moins à tuer, c'est devenu affaire courante chez moi. Casse-toi. J'veux plus te voir. », assène-je.

James m'observe pendant quelques secondes, comme s'il accusait le coup. Bon, qu'est-ce qu'il attend pour bouger, là ? Je m'impatiente, je n'ai qu'une envie, c'est rester seule, ne plus le voir, et en finir avec tout ça. Je le pousse vers la porte d'entrée, avec toute la force dont je peux faire preuve - ce qui peut paraître ridicule chez moi - avant de crier :

« Aller, dégage, Nova ! »

« T'auras pas besoin de signer, t'inquiète. Comme tu l'as si bien dit, je me débrouille très bien toute seule. Après tout, un "môme" de plus ou de moins à tuer, c'est devenu affaire courante chez moi. Casse-toi. J'veux plus te voir. »

Au début il cru à une blague. Tout simplement parce qu'elle et lui n'était jamais allé aussi loin (dans tout les sens du terme pour le coup). Bon sang, mais c'était quoi tout ça ? Pourquoi faisaient-ils ça déjà ? Il cligna des yeux et croisa les bras. Oh non. Il allait rester là. Elle ne pouvait pas lui balancer ça comme ça, et le jeter dehors comme un mal propre. Elle était gonflée elle... Raaah ! Elle l’agaçait au plus au point. Mais bon sang, pourquoi elle ! Alors qu'elle était la seule ici à l'avoir aimé comme ça... elle était sa meilleure amie bon sang ! Aujourd'hui, que restait-il de l'amitié Jamie/Elsa Beth ? Des miettes. Des miettes que ni l'un ni l'autre avaient pour projet de rassembler visiblement. Ce fut elle qui prit les devants et lui donnant sa veste, le poussa dehors avec entrain. Elle lui hurla de dégager. Encore ce prénom. Oh elle avait voulu qu'il pète un plomb, il l'avait fait. Il s'était exécuté aussitôt. Nova. Elle le faisait exprès. Elle le savait. Elle savait qu'il n'aimait pas. Elle faisait exprès de... remuer le couteau dans la plaie, c'était ça ! Elle pouvait aller se faire voir. Il ne resterais plus une minute de plus ici. Il lui arracha le manteau des mains et passa le pas de la porte sans un mot de plus. Tout était dit. Il lui jeta un regard rempli d'un mélange de haine et d'incompréhension totale.

« Je ne veux plus jamais te voir. Tu sors de ma vie à partir d'aujourd'hui Elsa Beth Vicious. Adieu.»

Sans un mot de plus il lui tourna le dos et quitta le lieu au plus vite, les mains tremblantes. Une fois dans la rue, il prit une grande bouffée d'air frais. Bon sang mais qu'avait-il fait ? Dans quelle merde il s'était foutu encore ? Il venait de tout gâcher. Et puisque c'était typique chez lui de tout se mettre sur le dos, il le faisait. Une chose était sûr, il ne voulait plus voir son visage si doux. Il en était hors de question. Il attrapa son portable, cherchant son répertoire. D'un geste du doigts, il la retira de sa liste de contact.