~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
Au lycée, ça se passait plutôt bien, mes profs étaient canons (c'est une blague, je suis toujours tombée sur des vieux approchant de la retraite). J'étais la fille souriante avec un rire bruyant, des notes moyennes et n'ayant aucune difficulté à me faire des amis. J'étais connue pour mes blagues, ma maladresse et mon optimisme débordant. Je faisais bonne figure avec mon groupe de potes, je rigolais avec eux et je me lâchais, mais dès que je rentrais chez moi, c'était autre chose. Je ne supportais pas l'ambiance, les disputes entre mes parents, et je mettais mes écouteurs sur les oreilles pour ne pas les entendre. Heureusement, il y avait Lenny et Bea, mon frère et ma soeur sur qui je pouvais compter, et nous étions très complices tous les trois, bien qu'il y eut une période de tension pendant quelque temps entre ma jeune soeur et moi. Mais tout ça c'est du passé, de toute manière.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Je ne suis pas malheureuse, ça c'est certain. J'étudie dans la filière qui me plaît (le stylisme), et je fais un petit job pas trop ennuyant, même si j'en ai un peu marre de me faire draguer tous les soirs pendant la livraison de pizzas. Enfin, ça aurait pu être pire, j'aurais pu être serveuse et accumuler les mains aux fesses... Je continue de voir mon père, après le décès de ma mère il a essayé tant bien que mal de rattraper les années perdues mais Lenny et Bea ne lui ont jamais pardonné. Je me dispute régulièrement avec eux à ce sujet d'ailleurs, et je continue de leur suggérer d'aller lui rendre visite. Oui, je suis tenace. Toutes les semaines, je vais sur la tombe de ma mère arroser les plantes, je suis la seule à le faire, encore une fois. Sinon, on se donne toujours rendez-vous avec ma fratrie, le plus souvent possible, et j'ai gardé contact avec pas mal de mes amis de lycée. Ce qui me manque, c'est un beau mâle pour partager ma vie et mon appartement (autre que mon chat).

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Dans un palace, avec toutes les stars à mes pieds, suppliant pour que je leur crée une tenue, et moi, fière, au sommet de ma gloire (ahem). Non, plus sérieusement, d'ici là j'ai bon espoir d'avoir terminé mes études et d'exercer le métier de styliste, sans atteindre forcément la célébrité, même si ça serait bien. Et puis, je serais en couple, aussi, avec un mec viril et classe. J'aurais peut-être un ou deux enfants, pourquoi pas, je pense avoir la fibre maternelle, contrairement à ma mère. D'ailleurs, j'espère que dans dix ans mon frère et ma soeur se réconcilieront avec mon père. Et puis, tous les dimanches, j'irais manger avec eux un bon petit plat, avec en dessert une tarte tatin. J'en salive d'avance.

PRÉNOM ET/OU PSEUDO: alexane/little love. ÂGE: seize ans. PAYS: france. PRÉSENCE: tous les jours. COMMENT AVEZ-VOUS CONNU LE FORUM? je ne m'en rappelle plus, ça fait tellement longtemps.  PERSONNAGE INVENTÉ OU SCÉNARIO? à demi-inventé on va dire. AUTRE CHOSE À AJOUTER? j'vous aime.   

La jeune fille se tient sur l'une des chaises, disposées en demi-cercle. Elle est silencieuse, écoutant les autres personnes parler chacune leur tour. Et puis, c'est le sien. L'homme qui s'occupe de cette réunion se tourne vers elle, un sourire amical sur les lèvres. "Veux tu nous parler de ton proche alcoolique, ou préfères tu le faire lors d'une prochaine séance, plus tard ?" Tous les regards la scrutent, et cela la met mal à l'aise. Peut-être que ce n'était pas une bonne idée, après tout. Elle aurait dû en parler à son Lenny et Bea, leur proposer de venir avec elle, elle se serait sûrement sentie mieux. Enfin, pour Bea c'est impossible parce que celle-ci est en pleine crise d'adolescence, et pas des moindres. De toute façon, elle éprouve le besoin de dire ce qu'elle a sur le coeur à d'autres personnes que les membres de sa fratrie. Alors, elle prend la parole, hésitante au début : "Je m'appelle Izzie. J'ai dix-huit ans maintenant et cela fait sept ans que ma mère a plongé dans l'alcool." Autant de temps, songe-t-elle.  "Elle a commencé peu après notre arrivée à White Oak Station. Pourtant, alors qu'on habitait la Nouvelle-Zélande, c'est elle qui a souhaité retourner au Canada, son pays d'origine. On pensait qu'elle serait heureuse, mais on se trompait." Elle laisse échapper un soupir, elle ne comprends pas sa mère. Elle avait le bonheur à portée de main, et elle a tout gâché. "Tout s'est enchaîné très vite. En quelques semaines, elle rentrait déjà à pas d'heures complètement ivre morte, et s'écroulait sur le canapé." L'homme, hochant la tête, l'oeil compréhensif, lui demande : "As tu essayé, ta famille et toi, de lui faire entendre raison ? Les personnes souffrant d'alcoolisme ont besoin de beaucoup de soutien." Comme si elle n'est pas au courant. Elle ne s'énerve cependant pas, elle ne s'énerve jamais, elle préfère rire que pleurer, et répond avec une douceur remplie de tristesse : "Bien sûr qu'on a essayé de l'aider à s'en sortir. J'ai un frère et une soeur, et vraiment, on était tous les trois présents pour elle. Mon père, c'est une autre affaire. Il part très souvent pour son travail, et je pense qu'il a fait autre chose à côté, si vous voyez ce que je veux dire. Enfin, au début il la soutenait comme nous tous, mais elle n'en avait rien à faire, elle était dans le déni complet. Elle l'est encore, elle refuse de voir qu'elle est malade. Surtout qu'après l'alcoolisme, il y a eu la dépression." L'homme de la conférence, ainsi que les habitués de cette réunion, ne sont pas étrangers à tout ce qu'elle vient de dire, c'est très courant. Beaucoup de personnes sont alcooliques dépressives, c'est un mal récurrent. Izzie reprend : "Elle nous délaissait et préférait ses bouteilles, et notre père, n'en parlons pas. Alors, nous avons un peu lâché prise et avec mon frère et ma soeur, nous sommes devenus très soudés. Nous continuons d'essayer de l'aider, enfin c'est surtout moi puisque mon frère est parti de la maison et ma soeur...elle passe son temps à faire conneries sur conneries." Izzie essaie de gérer sa mère et sa soeur en même temps, ce qui est impossible. La vie de famille, c'est compliqué. Nous avons organisé plusieurs fois des rendez-vous avec un spécialiste mais elle n'y va pas. Nous avons caché toutes les bouteilles pour limiter sa consommation, mais elle en rachète et passe ses soirées au bar du coin." La jeune femme met sa tête dans ses mains, elle est fatiguée de tout ça. Toutes les personnes présentes lui glissent des mots de soutien et d'encouragement, mais ce n'est pas ce qu'elle souhaite. Elle veut des conseils, une solution. "Qu'est-ce qu'on peut faire d'autre ?" Le responsable de la réunion lui sourit encore, et il dit, doucement : "Il faut continuer à être là pour elle. Ne pas trop la brusquer, et essayer une nouvelle fois de lui faire rencontrer un spécialiste. Peut-être demander à ton père d'organiser un tête-à-tête entre eux deux. Et surtout, vivre ta vie. C'est important, il ne faut pas s'effacer derrière un malade, et ne pas se sentir obligé de mettre ses désirs entre parenthèse pour l'épauler à tout prix. Tu veux faire quoi comme métier, plus tard ?" La jeune fille prend note, et elle répond avec un léger sourire : "Styliste. Mais pour le moment, je dois finir le lycée, je viens de redoubler une année." Il acquiesce, les autres aussi, ils lui souhaitent bonne chance pour ses études. Izzie leur annonce qu'elle a terminé sa prise de parole. Elle ne veut pas s'éterniser plus sur sa vie, après tout ils sont tous venus en anonymes, autant le rester un maximum. Elle reste jusqu'à la fin de la séance, et elle s'en va la première, se demandant si elle va y retourner un jour.

Finalement, sa mère ne guérira pas. Elle acceptera d'aller voir un médecin spécialisé dans l'alcoolisme, mais on ne peut pas soigner une personne qui ne veut pas l'être. Elle mourra deux ans après d'un accident de voiture, après avoir une nouvelle fois trop bu. Izzie fera ses études de stylisme, et elle continuera à aller voir son père même après être partie de la maison familiale, tout en essayant de forcer son frère et sa soeur à en faire autant. Elle continuera d'espérer que tout ira mieux, parce qu'elle est optimiste. Trop, peut-être.