Des semaines s’étaient écoulées depuis ce fameux épisode au cinéma… épisode qui ne s’était pas reproduit, le duo Samuel et Annabeth s’en tenant désormais à leur amitié hors du commun, à leur collocation nouvelle et non dénuée de longs moments enfantins, mais également à la future redécoration de la maison de l’écrivain. Décidément, la jolie anglaise ne parvenait pas à considérer cet habitat comme le sien, même si elle y avait ses petites habitudes désormais et que les moments de tendresse entre eux ne manquaient pas. D’ailleurs, sans même analyser la chose, Anna n’avait vu aucun homme depuis son emménagement. Lorsque Mina avait le malheur de lui demandait pourquoi, elle prétextait une tonne d’enquêtes sur les bras, excuse parfaitement valable puisque ces dernières l’avaient empêchée de prendre des congés avant aujourd’hui. Quinze heures tapantes, soit l’heure du réveil approximatif de l’écrivain qui avait très probablement bossé toute la nuit sur le deuxième tome de son bouquin ô combien attendu par son éditrice, puisque celle-ci le harcelait quotidiennement au téléphone. Avec un peu de chance, Samuel n’était pas encore réveillé, et Anna en fit le pari puisqu’elle lui prépara un café noir, serré et à bonne température, avant de ne déposer sur un plateau des croissants et autres pains au chocolat faits pendant la nuit. Il n’avait pas dû se rendre compte des longues insomnies dont elle était la victime actuellement mais encore heureux car elle n’avait pas envie de lui en expliquer la raison. Quelle idée aussi d’avoir accepté un contrat d’hôtesse rose pour arrondir ses fins de mois ! Hélas, si elle n’aidait l’écrivain que pour les courses d’un point de vue financier, sa facture d’hôpital ainsi que son prêt étaient toujours là, prêts à lui remettre la tête sous la flotte à chaque début de mois. Résultat : elle demeurait fauchée comme les blés et bien obligée d’assurer derrière avec un deuxième travail…

« Bonjour la belle au bois dormant… » murmura Anna en entrant habilement à l’intérieur de sa chambre, encore plongée dans la pénombre, pour déposer son plateau de petit déjeuner sur sa table de nuit et se pencher pour lui déposer un bisou de bon réveil. En ce qui la concernait, elle était déjà en tenue, à savoir t-shirt et salopette, le comble du comble du sexy pour attaquer la peinture pas plus tard qu’aujourd’hui. Hey, c’est qu’elle n’avait pas de temps à perdre ! « Je suis officiellement en congés aujourd’hui, alors on se réveille chou, allez !! » l’encouragea-t-elle sans pour autant parler autrement qu’à l’aide d’une voix très douce, assise sur son lit à caresser son bras avec délicatesse. Certes, ils n’avaient pas refait l’amour depuis l’épisode du cinéma, mais ne cessait pas pour autant d’être extrêmement tendres l’un envers l’autre… pourquoi lui préparerait-elle un tel petit déjeuner de roi dans le cas contraire ?

Inconscient bienheureux au fond de ma couette, je n’avais pas idée qu’une femme était en train de se démener pour me préparer un bon petit-déjeuner ni même qu’elle s’apprêtait à monter me réveiller. Non, j’étais bien trop endormi dans les bras de Morphée pour me soucier de pareils détails surtout quand une autre femme peuplait mes rêves les plus fous. Annabeth. Je rêvais de plus en plus d’elle, c’était devenu presque une obsession surtout depuis que nous avions fait l’amour dans ce cinéma. Son parfum, sa présence, sa chaleur, tout me ramenait vers elle sans que je ne puisse esquisser le moindre geste envers elle. Oh je n’avais pas changé ma politique en cours de route, je me montrais toujours aussi tendre et câlin avec elle mais quelque chose avait changé. Mes gestes étaient bien plus calculés, bien plus tendre qu’à l’accoutumée et je ne comprenais pas pourquoi ou plutôt, je ne voulais pas comprendre. Il était encore trop tôt, je n’étais visiblement pas encore prêt pour que mon cerveau continue de jouer à l’autruche avec mon cœur. J’appréciais toutefois de vivre au quotidien avec elle car quand je m’endormais, elle était toujours là et que dire de mes réveils lorsque mes yeux s’ouvraient pour tomber sur son magnifique sourire ? Je tuerai pour que cela continue encore et encore sans même me l’avouer alors me dévoiler à la principale intéressée ?! Impensable.

A la place, j’avais commencé à parler à une inconnue d’un service coquin. Je ne sais pas pourquoi j’avais poussé le vice à user de ce genre de service car on ne pouvait pas dire que j’avais réellement besoin de ça pour connaitre l’extase auprès d’une femme. En réalité, j’avais trouvé le numéro dans les publicités locales entre la vente d’un tracteur et des cours particuliers. Intrigué, je m’étais dit que je pourrais toujours essayer pour l’intégrer à mon second roman mais cette voix… Elle m’avait capturé dans ses filets virtuels en un rien de temps et depuis, je ne pouvais pas m’empêcher de l’appeler pour parler de tout et de rien mais jamais de sexe. Il était tellement plus facile de coucher des mots à l’abri des regards indiscrets si bien que je m’étais pris au piège de cette russe. Elle avait même presque faillit me faire oublier Annabeth. « Laisse-moi encore cinq minutes » marmonnais-je quelques minutes après alors que cette dernière venait me réveiller. Je ne voulais pas quitter la chaleur et la tendresse de mes lèvres mais le baiser qu'elle m’offrit me fit presque ronronner. J’aimais le goût de ses lèvres, elles étaient aussi sucrées qu’une pêche bien mûre. « Alors si tu es en congé, il est encore trop tôt pour se lever » marmonnais-je à nouveau tandis que je la renversais sur le lit pour déposer ma joue contre sa poitrine, la prenant visiblement pour une bouillotte douillette. En effet, quinze heures, c’était encore tôt pour moi-même si j’avais mes habitudes seulement peut-être n’aurais-je pas du passer une grosse partie de ma nuit à parler à ma confidente russe. Peut-être. Je ne regrettais rien. « Tu sens bon… j’aime » soufflais-je en resserrant mon étreinte autour d’elle.

Demander à Anna d’attendre cinq minutes, c’était aussi lui demander l’impossible. Des semaines qu’elle n’attendait qu’une chose, que ses congés puissent enfin être posés et validés afin qu’ils soient libres de leurs mouvements… certes, le commencement de la peinture pouvait bien attendre cinq minutes, mais elle ne connaissait que trop bien son loustic : pour lui, cinq minutes, c’était compter facilement le double voire le triple en réalité. « Cinq minutes à moi ou cinq minutes de dentiste ? » demanda-t-elle avec amusement avant de n’être bientôt prise pour une bouillotte douillette par nul autre que Samuel en personne, bien décidé à traîner au lit au corps défendant d’Anna. Il venait ni plus ni moins de lui prouver son peu d’envie de se lever et bien qu’elle soit diablement tentée de voir s’il était chatouilleux, la jolie anglaise n’avait pas envie de se prendre un coup malencontreux parce qu’il aurait eu l’esprit dans le brouillard pour contrôler ses gestes… il valait mieux continuer à faire preuve d’une extraordinaire douceur, quoi qu’il advienne, en espérant bien que cela finirait par atteindre ses deux cerveaux. « Tu es au courant que je t’ai préparé un plateau de petit déjeuner de roi et que ton café risque de refroidir ? Je ne veux pas entendre de râle désespéré après parce qu’il faudra que tu essayes de faire fonctionner le micro-ondes qui, selon tes termes, a signé une pétition pour te pourrir la vie ! » A croire que définitivement, Samuel était un littéraire qu’il valait mieux garder loin d’une cuisine tant il déréglait tout ce qu’il touchait… Anna avait mis pas moins de trente minutes à remettre le micro-ondes en état ! Une chance qu’ils soient bricoleurs tous les deux sans quoi ils n’étaient pas sortis de l’auberge.

« Merci pour le compliment… tu sens bon aussi chou puis tu es tout chaud… » murmura-t-elle à son oreille d’une voix extrêmement douce, le serrant davantage contre elle tout en caressant longuement son dos, toujours adepte du réveil en douceur car il n’en serait que de meilleure humeur. Hélas, elle n’était pas sans savoir que cette apparente fatigue était due à un coup de téléphone nocturne ayant duré longtemps… et pour cause, c’est elle qu’il avait appelée. Depuis qu’il s’était mis à cette sorte de petit rituel, Anna n’avait pas encore trouvé le courage de lui dire que l’hôtesse, c’était elle. Pas alors qu’il lui disait tant de belles choses sur elle… sans savoir à qui il parlait exactement, tout persuadé qu’il était de s’exprimer à une russe ! « Si tu veux, je peux acheter ton réveil avec quelque chose ? Je sais pas moi… bisou ? Plat spécifique ? Massage ? Bain ? »

Cinq minutes de son temps, c'était tout ce que je lui demandais. J’étais fatigué non pas d'avoir écrit toute la nuit mais bel et bien d'avoir parlé à une femme au téléphone. Je ne sais pas pourquoi je ressentais le besoin de lui parler, d'ouvrir mon cœur et de lui parler d'Annabeth. Tout y était passé : mon plaisir de la savoir chez moi, de partager ce quotidien, de ce besoin que j'avais de la toucher, de l'embrasser, le désir que j'éprouvais pour elle, ce besoin de m'assurer qu'elle allait bien mais aussi le respect, la tendresse que j'éprouvais à son égard. C'était bien la première fois que je m'ouvrais de cette manière et je craignais toujours autant d'ouvrir les yeux sur ce qui me liait réellement à Annabeth. Je l'avais même confié à ma russe à la voix si sensuelle et à l'accent si craquant. Je ne voulais pas me pencher sur mes sentiments car je ne voulais pas prendre le risque de gâcher notre amitié. Je me connaissais, j'allais tout gâcher car j'étais incapable d'aimer à nouveau une femme sans craindre le pire. Comment pouvais-je alors prendre le risque de la perdre en cédant à des pulsions? Non, c'était bien mieux comme ça, n'est-ce pas? "Encore cinq minutes aussi longue qu'une vie, ça te va?" grognais-je en resserrant mon étreinte, frottant ma joue contre sa poitrine. "Il m'aime pas le micro-onde, c'est comme la machine à laver, elle m'aime pas. En fait, tous les appareils électroménagers me détestent, ils veulent ma mort. C'est une conspiration...Je suis un mal aimé mais toi tu m'aimes hein?" lui demandais-je sur un ton presque innocent. J'étais toujours somnolant et donc un peu moins conscient de mes propos.

"Je peux te faire l'amour?" plaisantais-je en déposant un baiser au creux de son cou avant de me redresser sur un coude pour l'observer avec un certain sérieux teinté de séduction. "Je veux bien un bisou et un massage parce que je sens tout fourbu...C'est dur la vie d'écrivain ! J'ai envie que tu me plaignes" ajoutais-je non sans frotter le bout de mon nez contre le sien avant de déposer un léger baiser sur son front. Quand je pense que j'ai demandé à une parfaite inconnue, une opératrice de téléphone rose, si j'avais la moindre chance de rendre heureuse une femme comme Annabeth. Je ne savais pas si j'étais capable d'une telle chose ni même si mon caramel pourrait se contenter d'une vie sans engagement si ce n'est celui du plaisir. Elle finirait par se lasser et je la perdrais. Non, je ne voulais définitivement pas prendre le risque. "Bon faut se lever?" demandais-je piteusement avant de me rendre compte qu'elle avait posé le plateau sur la table de nuit. Aussi, je l'attrapais pour le poser sur le lit. "Euh tu comptes que je mange tout cela tout seul? Tu vas m'accompagner, c'est moi qui te le dit mais merci mon caramel, t'es un amour avec moi" soufflais-je en prenant sa main pour y déposer un baiser