" Je t'ai dit non hier, puis lorsque t'es entré, puis lorsque t'as commandé chacune de tes putain de bières. Tu penses vraiment que j'ai changé d'avis ? " Il marmonne des mots inaudibles de mon comptoir où je suis installée. Je m'affaire à laver les verres sales qui restent, observant du coin de l'œil l'homme dans la fin trentaine qui me harcèle depuis deux jours. Il ne me quitte pas des yeux et pour une très rare fois, je me sens mal à l'aise. J'aimerais bien ne pas avoir accepté de faire les fins de soirée toute seule, histoire de ne pas me retrouver coincée avec l'énergumène qui me fixe comme une pièce de viande. J'attends encore un peu, espérant qu'il cesse son manège et comprenne le message, mais je finis par lâcher mon torchon et le jeter dans l'évier.
" On ferme dans dix minutes. Soit tu commandes un truc, sois tu dégages. " J'ai même pas haussé la voix, j'ai seulement été claire. Je veux juste terminer mon travail et rentrer chez moi. M'allumer un pétard et relaxer comme tout le monde. C'est pas trop demander, il me semble. Sa voix brise le silence et il dit qu'il a terminé, que je peux le débarrasser de son pichet et qu'il va rentrer chez lui ensuite. Tout ça avec un sourire fier aux lèvres. Il semble pas mal content de m'avoir fait réagir, en tout cas. Moi, je suis pas mal contente qu'il se décide à foutre le camp.
Il recule sa chaise mais ne se lève pas. Probablement qu'il compte me donner un pourboire en plus, il a fait ça hier. Je m'approche quand même méfiante, parce qu'hier il y avait d'autres personnes. Et alors que je pose ma main sur la poignée du pichet, je sens la main froide qui monte le long de ma cuisse et qui tente de se faufiler sous ma robe. J'ai un haut-le-cœur et j'enserre la poignée du pichet plus fort. Et j'arrive pas à garder mon calme. Le contenant en verre vole sur la tête du client avant d'éclater sur le sol et je recule vivement. La suite n'est qu'une tempête d'insultes, de menaces de faire des plaintes au patron avant que l'imbécile disparaisse. Quand il claque finalement la porte, j'ai déjà presque terminé de nettoyer les dégâts.
L'Old Pub est à quelques minutes de chez moi. Dix, peut-être. Généralement j'emmène des vêtements pour me changer, mais ce soir j'ai même pas envie de prendre le temps de me changer. Je veux seulement foutre le camp. Il est déjà quatre heures du matin lorsque je quitte pour mon appartement, et il fait en dessous de zéro dehors. Je me serre dans mon petit manteau et essuie une larme de colère qui a coulé sur ma joue. Je veux démissionner, je commence à ne plus supporter les horaires toute seule la nuit.
Le vent se met à souffler plus fort et j’accélère le pas en apercevant le bloc où je vis. La différence entre l’air extérieur et l’intérieur de l’immeuble est nettement différente et je monte les marches de l’escalier quatre à quatre, maudissant l’ascenseur en panne et surtout le fait que mon appartement soit au quatrième étage de ce foutu immeuble. La clé tourne dans la serrure et la porte s’ouvre. J’entre et jette mon sac sur le sol après avoir refermé derrière moi. Je le reprends et vais dans ma chambre pour me changer, enlever la saloperie de robe que je mets seulement pour travailler. Apparemment les petites robes courtes sont beaucoup plus rentables que les jeans et les t-shirts à l’Old Pub. Je cherche dans ma table de chevet pour de l’herbe et je constate que j’ai presque plus rien. Je tressaille, il manquait plus que ça. Ma gorge se resserre à la pensée de l’expérience de tout à l’heure, et la fatigue peut-être. La soirée en tant que telle a été pénible. Je ferme les yeux un instant et cherche sur le lit mon téléphone que j’ai dû jeter en même temps que mon sac. Ça ne prend pas beaucoup de temps avant que je le retrouve et je cherche un numéro précis dans mes contacts. D’ailleurs, j’en ai très peu, il faut dire. Mon doigt s’arrête à un nom pendant une fraction de seconde puis je continue à descendre pour finalement appuyer sur le numéro que je cherche. J’entends la tonalité et attends patiemment. Il est près de cinq heures du matin, mais je doute fort que je le réveille. Je me demande s’il dort parfois.
J’entends quelqu’un décrocher et je prends la parole d’un ton las.
« J’ai besoin que tu viennes chez moi, on va dire hmm… 0.5 kilo? Si t’as ça, bien sûr. Sinon j’vais m’en tenir à l’éternel 14 grammes. » Je suis allongée sur le dos et je fixe le plafond de stucco, laid comme les plafonds de tous les autres logements. Quand je suis arrivée ici, j’avais pensé que ce serait temporaire. Je sais pas ce que je glande encore à White Oak Station. Je n’attends pas sa réponse et je mets le téléphone sur haut-parleur, histoire de m’habiller. J’enfile un jeans gris un peu amoché par le temps et un vieux t-shirt de Whitesnake. Bientôt, j’entends raccrocher au bout du fil et je raccroche moi aussi. Je sors de la chambre en prenant soin d’emmener mon portefeuille et mon téléphone puis vais m’installer dans le salon, inspectant pour être sûre que rien ne traîne. Et puis là, j’attends qu’on me donne signe de vie, effaçant de mon esprit le type dégueulasse dans le bar et les avances toutes aussi pires les unes que les autres que j’arrive plus à supporter même si j’agis comme si c’était le contraire. En gros, j’essaie de me dire que tout va bien, même si c’est pas exactement la vérité. J’ai seulement envie de me retrouver seule et de fumer tranquille. Je crois que je vais foutre Zef à la porte aussitôt que je l’aurai payé. J’ai pas envie d’entendre ses vannes ce soir. Enfin, ce matin.
CODE TOXIC GLAM