~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
Ma vie au lycée ? Pfff ! C'était tranquille, aussi tranquille qu'un cimetière rempli d'morts. Enfin en apparence car quand tout adulte avait l'dos tourné, j'étais de ceux qui faisaient du lycée un enfer sur terre. Rien n'était assez beau et l'inspiration m'venait toujours pour faire mille et une conneries. J'étais adulé, j'étais craint, j'étais prisé mais j'étais surtout seul. Les personnes, elles m'voulaient dans leur cercle pour c'que j'représentais : l'pognon, l'pouvoir, l'autorité dans la cours, l'mec zarbi dont on a peur. Ma vie au lycée a été certes mouvementée mais malheureuse au fond. C'pendant cette période que j'ai perdu ma mère au profit d'salopes de passage. Le lycée, la période à rayer à coup d'canif    

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Si j'suis heureux ? La question m'refile des relents d'mon repas d'la veille ! Viens ma petite, j'vais te dire une chose : la joie, la gaiété, l'état d'bien-être, c'est d'la foutaise ! C'qu'on raconte aux gens pour leur faire naître des lueurs d'espoirs pour mieux écraser ses mégots d'clope dessus, pour mieux décarcasser nos pompes dessus. C'tout, rien d'plus, rien d'moins. Alors non, non, j'ne suis pas heureux. Ca n'sert à rien, pourquoi l'être ? Ca ne reste jamais puis de toute façon, j'ne suis pas capable de ressentir quoique ce soit. Mon corps est mort et mon coeur n'a jamais fini sa croissance, il est resté au stade d'embryon dans ma cage thoracique.   

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
P'être encore ici à donner une autre vie au bois mort ou p'être ailleurs à poser mon bordel sans valeur quelque part dans l'monde. Pourquoi pas au pied d'la mer à pêcher ? A défier Poséidon ? Ou alors en montagne, en remake de l'homme des cavernes. J'en sais rien mais chose est sûre, j'ne serais pas d'retour en Amérique, j'ne serais pas marié à une vache qui veut m'sucer pour mon héritage -que je n'accepterai clairement pas- et je ne serais pas ce que la société veut que chaque homme soit : un mouton qui coule dans les moules des stéréotypes. J'emmerde les stéréotypes !
Dans dix ans, j'serais p'être mort

T'la connais, toi ? Cette sensation d'entrailles en bloc d'ciment ? Cette sensation d'être percé et d'te vider sans cesse ? Cette faim sans fin ? L'famine jamais rassasiée comme une pute qu'chiale après son innocence et sa pureté bouisillée d'avoir récolter des dollars avec sa belle gueule. T'la connais, toi ? J'ai faim, pas d'bouffe qui s'mue en bloc d'merde dans les latrines d'marbre, non, la faim d'la vie. La vie. Tout court, simple, concis, précis. La vie tranchante. J'suis l'âme bancale qu's'est pas bien intégrée à ma chair qui s'putréfie. J'te le dis, j'suis une breloque d'pue, j'suis pourri jusqu'à la moelle. J'suis p'être né dans l'mauvaise époque, au mauvais moment, dans l'mauvais corps, dans la mauvaise famille. Un rature sur deux jambes. Un brouillon jamais abouti et dont l'inspiration n'a pas été jusqu'à son summum. Dont l'corps a toujours été étroit pour moi, pour mon ombre. J'suis le tableau d'puis un bail abandonné par son peintre et rafistolé d'billets verts. J'pue le fric et c'là toute mon odeur, mon essence. J'suis né avec une cuillère en or dans l'gueule mais pour être franc, elle s'niche dans mon derche c'te foutue cuillère, elle m'refile des constipations. La constipation existentielle. La constipation sociale.

Planté sur l'toit d'ce bâtiment étouffé d'luxe, fierté des Bishop, j'surplombe la vue, les bayous au loin m'caressent les globes oculaires d'leurs arbres immenses. Pendant un court instant, j'ai envie d'voler et d'aller m'échouer dans leurs branches. Renaître en oiseau, c'me paraît être un bon plan, meilleur qu'celui qui s'dessine pour moi à l'horizon d'mes vingt ans. J'me sens pas à ma place alors autant crever pour tout recommencer dans une autr'vie, ailleurs. Loin.

« T'as pas les couilles d'sauter ! » Pivotement. Paralysie. Arrêt brutal. L'équilibre qui s'chie dessus, j'deviens funambule en haut d'ma tour dorée. « Qu'est ce que t'en sais ? » « Alors saute ! » « Pour qui te te prend à me donner des ordres ? » « Pour personne. Saute si t'en as envie, j't'en empêch'rais pas moi ! » J'dis rien, j'la ferme parce que soudainement, avoir un spectateur à mon saut d'l'ange, c'me refroidit direct. « T'veux tout d'même pas que j'te pousse ? » « Fiche-moi la paix ! » « Toi fiche-moi l'paix ! C'toi qui vient m'la niquer ma paix en venant jouer les suicidaires ici pendant ma pause ! J'ai mieux à faire qu'voir un friqué du cul gâté pourri vouloir s'jeter du haut d'l'empire d'son papa parce qu'on lui a pas cédé un caprice » La rage prend place, prend ses aises. Elle s'étend et s'mêle à mon poing serré. « Tu ne me connais pas, tu ne sais rien ! Tout ce que tu fais, c'est courir aux conclusions » « J'cours où j'veux, si j'veux ! Tout ce que j'vois, c'est un mec qui veut s'planter l'gueule alors qu'ici, y'en a qui trime pour survivre. T'as même pas l'couilles d'survivre, pioche l'carte d'la facilité, c'sera p'être une bonne pioche pour toi ! » « Je t'emmerde » Elle a un sourire au coin d'la gueule, elle jubile, pas l'moindre du monde vexée par ma répartie à ramasser par terre. Coupé dans mon élan, j'descend de mon perchoir alors qu'elle se relève faisant craquer ses rotules. « Beck. Beck tout court. J'viens ici fumer ma clope à toutes mes pauses, j'suis femme d'chambre d'nuit » Puis elle s'tire comme un spectre et j'reste là comme un con.

Le vieux barman nettoie ses verres avec son torchon crasseux d'avoir torcher l'cul d'chaque verres vidés par des ivrognes venus trouver réconfort dans de l'alcool moisi. La blonde s'installe sur l'tabouret, elle sonde et son regard vert s'pose sur l'ivrogne avec ses ch'veux en friche, ses yeux paresseusement ouverts comme s'il voulait les sceller à jamais. Ca s'ra lui. Pourquoi ? Parce que « R'sers-moi un verre, Mitch ! J'vais faire d'la place pour ton alcool d'gueulasse ! » « Va t'faire foutre East » La breloque sur deux jambes s'tire faire sa vidange et la blonde en profite pour s'pencher vers l'barman. « T'veux des infos sur l'petit Easton ? Balance 10 dollars et j'te refile tout c'que t'veux savoir ! » Deal scellé, il balance c'qu'il sait l'barman. « Easton, c'un p'tit mec sympatoche quand t'sais l'prendre, quand t'sais fermer les oreilles aux conneries qu'il peut sortir. Ca, c'est clair qu'c'est un numéro l'p'tit East ! Un bon client aussi malgré l'merde qu'il balance sur c'que j'sers. Il est pas d'ici l'p'tit, il est des USA, si tu tends bien l'oreille, t'le reconnais son accent d'redneck caché sous son faux accent canadien. Bah moi, j'sais pas pourquoi l'est v'nu s'perdre ici, l'ptit ! Pourtant, quand l'est bourré comme dix, il peut t'tenir la grappe sur les bayous d'chez lui qui lui manquent mais il l'dit, il y rem'ttra jamais les pieds, c'pue la merde qu'il dit, l'p'tit. S'il est célibataire ? Laisse-moi rire ! Aucune gonzesse n'a réussi à lui foutr' la laisse au cul ! C'qu'il aime trop sa liberté, l'p'tit Bishop. Ouaip, Bishop c'est son blaze mais si t'veux l'serrer entre tes cuisses, t'as tout intérêt à pas trop lui parler d'son blaze, il l'déteste. Pourquoi ? Bah ... une nana comme d'hab. Chopée entrain d'se faire broutée par un autre, t'sais. Longue histoire mais pour tout t'dire, dès qu'on touche à l'amour, c'toujours compliqué. Balance moi encore 10 dollars et j'te file l'suite »

Elle dit rien, elle s'rhabille tranquillement, même pas d'sa diginité, elle n'semble pas l'avoir perdu en cours d'route vers l'orgasme. J'ai des démangeaisons sur la langue, j'ai envie d'la traiter d'pute, d'salope, d'connasse et tout autre sobriquet qu'lui irait bien à son teint d'traitre mais rien d'ça en sort. « Ecoute … je suis prêt à te pardonner, Beck ! Les erreurs, ça arrive, c'est humain ! Et je le sais que c'est mon père qui a payé ce mec pour nous briser parce qu'il ne supporte pas que son fils soit avec une femme de chambre » « T'es naïf, Easton ! Tell'ment naïf ! Sors d'ton p'tit monde aux rêves bleus ! Les seules choses bleues dans c'monde, c'est les hématomes ! » « Pourquoi tu dis ça ? Pourquoi ? » « Parce que ! Y'a pas d'avenir pour nous deux ! Ouvre l'yeux bordel ! On est d'deux mondes différents ! Dans l'mien, y'a pas d'place pour toi et dans l'tien, j'suis pas l'bienvenue ! » « Mais je m'enfiche de ça ! On s'enfout de ce que la société dit ou pense ! C'est avec toi que je veux être ! Tu m'as sauvé à notre rencontre et tu continue ! » Elle secoue la tête comme pour donner un coup dans l'lard d'ma hargne, d'ma rage contre tout. « On partira ensemble loin ! C'est pas l'argent qui manque ! » « Et t'me balance ça comme ça ? A moi qu'trime pour gagner ma p'tin d'vie ? A moi qui vit d'misérables p'tits dollars récoltés à torcher les chiottes d'riches ? » « Tu n'auras plus besoin de trimer comme une folle, je prendrais soin de toi ! » « T'veux que j'sois à ta botte comme une femme entretenue et soumise ? J'ai ma fierté » « Et moi je t'aime » « Trop même » « Et c'est mal, peut-être ? » « J'sais pas ! » « On s'en va ce week-end ! Je réserve les billets et on s'envole loin ! Loin de tout ! » « J'ne peux pas ! » « Si tu peux ! On embarque ta petite soeur aussi, elle fait partie du plan. Alors, okay ? » Silence nerveux qui plane et moi, j'suis prêt à nous expédier à l'autr'bout d'la terre pour vivre notre amour comme on l'veut. « Okay » L'unique réponse que j'voulais entendre. J'étais jeune, stupide et l'pire d'tous les maux : amoureux.

Mitch hoche la tête d'un air entendu avec un rictus d'dédain matché à sa gueule d'vieillard qu'a presque tout vu qu'son comptoir. « V'la ! V'la ! Une simple histoire d'gonzesse ! Quoi ? … Ah ah j'sais pas s'il s'est tiré rien qu'pour une histoire d'infidélité ! J'crois surtout qu'la gonzesse s'est pas montrée au RDV … Ouais non, c'ça ! J'l'ai entendu l'dire dans l'brume d'son alcool une fois ! La salope lui a pété l'coeur et s'est bien foutue d'sa gueule. Elle a préféré l'argent d'son père à Easton alors il l'a rayé d'sa carte, il s'est tiré vite fait bien fait pour n'jamais revenir. T'sais, les pères, ç'peuvent vite faire d'ta vie un enfer quand t'fais pas ce qu'ils veulent ! L'sien était pas mal dans son genre, pitbull sournois, PDG d'une grande entreprise, l'mec l'plus riche d'sa région à la tête d'un hôtel d'luxe qui pète d'éclat. Oui, oui ma p'tite dame, l'Easton, c'est un fils d'riche et sa tête vaut d'l'or avec l'héritage qu'il a sous l'cul mais ça, ç'reste entre nous. S'il apprend que j'parle d'son passé d'richard, il va m'faire avaler mon alcool et pas par l'bouche, j'te le dis ! Ouaip, il a renoncé à son héritage et son patrimoine, il en veut pas, il porte malheur qu'il dit. C'qu'il fait ? Bah il livre des colis, des lettres recommandés, tout c'qu'son patron lui dit d'livrer en somme et il sculpte d'bois ! J'peux t'dire qu'il est pas mal doué d'ses mains. Mate l'truc planté contre l'mur derrière moi, c'l'p'tit qui l'a fait. J'crois qu'il met plein d'trucs d'lui dans ses oeuvres, c'complexe comme sa gueule. Oh ouais l'est complexe ma belle ! Faut jamais chercher à l'comprendre, j'sais même pas si lui-même s'comprend. C'le paumé d'chez paumé, un vrai paumé. Un jour noir, un jour blanc, un jour sourire, un jour point-dans-la-gueule et il t'ponctue l'figure comme un poète. Easton, il a t'jours les yeux brouillés, c'une belle omelette à bordel, j'te le dis ! Bon … l'revoilà ! Bonne chance ! » Le bordel sur deux jambes s'plante d'vant une brune attablé, sourire d'p'tit con en chasse sur les lèvres. « T'as d'jolies jambes, elle ouvre à quelle heures ? … Non sérieux, on va chez moi ou chez toi ? L'parking d'bar m'va aussi ! Ou les chiottes s't'veux ! » La blonde a l'visage qui dégouline sous l'regard amusé d'vieux barman. « J'crois que t'as raté l'coche ! M'enfin bon, file moi mes 10 dollars et l'prix d'ta conso ! C'pas la maison d'la compassion ici ! »