~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
Très franchement ? Il y a des moments où les années lycée me manquent, d’autres où je suis bien content de ne plus y être comme lorsque je croise dans la rue des gens que je ne peux même pas voir en peinture. Je me suis toujours très peu soucié du regard des autres sur ma personne. Je me contentais de regarder où je marchais, de tester les gens jusqu’à me faire à l’idée s’ils méritaient mon amitié ou non (et je continue toujours de le faire). Je m’en suis plutôt bien tiré, même si j’étais un élève moyen qui était plutôt indécis dans ses décisions professionnelles futures. C’était d’ailleurs ce genre de sujet qui me retombait sur le coin de la figure, à table. Ma mère ne voulait absolument pas que je devienne artiste à l’inverse de mon père qui travaillait la pierre depuis ses seize ans. Elle a toujours cru que l’argent fait le bonheur, hélas je me voyais pendre au bout d’une corde si je l’écoutais.  En effet, mon paternel a toujours été mon model. Ma mère en revanche… me tape encore sur le système.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
La réponse est encore mitigée, ici. Je suis un dingue de liberté. Quand je suis saoul, je monte sur les toits des voitures pour crier que l’homme est un soumis et que je suis fier d’être un animal. Bon d’accord, je plaisante. J’ai rapidement eu l’esprit d’un volatile. Il me faut souvent migrer pour survire. Mais de là à être un véritable animal… J’ai donc besoin de prendre mon sac, ma brosse à dents et mon dentifrice pour aller faire du stop ou pour prendre l’avion ou le train au moins une fois dans l’année, sinon je deviens dingue. Souvent je n’ai pas les moyens, alors je fais avec ceux du bord et internet. Ça se passe souvent en mode “j’irais dormir chez vous” si vous voyez ce que je veux dire.
J’ai aussi besoin de faire les Beaux-Arts pour la même raison : j’ai besoin d’imaginaire pour survivre. L’imaginaire, c’est aussi une partie de ma liberté. Grâce à elle, j’ai su me défaire des personnalités criardes qui pourrissaient mon entourage, trop de couleurs pour peu d’intérêt. Et puis j’ai gardé les meilleurs. Quant à mes parents, l’univers stagne…


   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Nulle part. Oui, je suis un peu un punk dans ma tête. Je ne m’imagine nulle part. Pour le moment je suis ferronnier d’art en formation avec un ami artiste de mon père, en parallèle je suis étudiant aux Beaux-Arts spécialisé dans l’illustration… J’ai d’ailleurs quelques noms dans mon répertoire et j’exerce déjà  un peu sur des œuvres littéraires mineures. Je m’occupe, alors selon moi c’est prometteur pour l’avenir. Je ne dépends ni de mon père, ni de ma mère. Je me débrouille, je m’en sors. J’aime White Oak, mais je ne pense pas y rester. Plus très longtemps en tous cas. Surement le temps de finir mes études et trouver un moyen plus organisé qu’à la normale pour changer d’air et de continent. Sentimentalement, je pense être encore trop jeune pour me poser la question des enfants, de la femme parfaite, de la maison typique Américaine et de la prière avant le souper. Je préfère encore puer l’huile et l’essence de térébenthine pour l’heure.

PRÉNOM ET/OU PSEUDO: Neventer. ÂGE: 20ans. PAYS: Bretagne  France. PRÉSENCE:7/7 jusqu'à fin août / mi-septembre. Après, ça va se gâter..   COMMENT AVEZ-VOUS CONNU LE FORUM? What About Now FTTTTWWWW    AUTRE CHOSE À AJOUTER? « Celui qui cherche une femme bonne, belle et intelligente n'en cherche pas une, mais trois. » Wilde.

« Et sinon, tu es en quelle année de physique ? » J’eus ce petit sourire moqueur qui avait tendance à agacer les gens. « Pardon .. ? En … quoi ? » Elle me regardait avec des yeux de merlan frit pendant quelques secondes sans bouger une seule de ses mirettes couleur noisette. « Heu… Tu es bien en physique ? Enfin, on dirait… » Je me mordais la lèvre inférieure, ce sourire crispé aux commissures, à présent devenu extrêmement nerveux. Mes yeux fixaient aveuglément le sol. « Non… Non je ne suis pas un geek physicien. Je suis illustrateur et ferronnier d’art. » Je relevais la tête au moment où je marquais la fin de ma phrase. La fille écarquilla les yeux, donnant un air d’obsédée du LSD à son faciès de fillette innocente. Je compris alors qu’elle n’avait rien à faire à cette soirée étudiante et qu’elle était encore au lycée. « Ah bon ? Oh… Je croyais t’avoir aperçu sur le campus… » Je pouffais doucement de rire. « Ouais. Ouais, c’est ça. » Elle se sentait mal à l’aise, ses mauvaises ondes étaient aussi vulgaires qu’un relent de vomis daté de trois jours planqué sous le canapé.  « Je suis étudiant à White Oak Station au Canada, je ne pense pas que nous nous sommes croisés auparavant. Ou alors, j’ai un frère jumeau. » Je lui adressais un clin d’œil et je la laissais en plan, comme si je lui avais seulement demandé son briquet. « Tu devrais rentrer chez toi, la citrouille ne devrait pas tarder. » Je n’entendis plus parler de cette demoiselle aux allures de mannequin Britannique vêtue d’une robe bleu pâle aux liserés rouges. Étrange situation d’avoir parlé d’université et de choses de la vie et de s’être rendu compte seulement à la fin qu’elle n’avait fait qu’apprendre les grosses lignes de wikipédia et aussi qu’elle avait certainement fugué de chez ses grands-parents.
Je me dirigeais vers le balcon, une main nonchalante dans mes cheveux. Un jeune homme était appuyé à la balustrade, seul son bras droit bougeait parfois et de la fumée blanche s’échappait aux mêmes fréquences de son visage. « Une clope, Simon ? » Je m’appuyais près de lui. « Pas d’objection, votre honneur. » Il me sourit et me tendit dans la seconde d’après un bâtonnet de nicotine à consommer avec modération. Bien entendu, c’était exceptionnel. « J’aime pas Phoenix. » Je sentais son regard, discret malgré tout. « Moi non plus. Trop chaud et trop naïf. » « On est d’accord. On fait quoi demain ? » Il jetait son mégot. La rue était tellement silencieuse qu’on l’entendit atterrir. « Sincèrement, je pensais rentrer. On a fait vingt Etats en un été. C’est pas mal, non ? » Ce qui faisait en moyenne deux jours dans une ville, si mes calculs étaient exacts. Morgan était crevé, je le voyais déjà depuis plus d’une semaine. Non pas à cause des cernes, mais de ses pauses cigarettes quasi constantes. « Ce serait peut-être plus judicieux pour nos études. Maître Morgan. » Il me tapa l’épaule et retourna dans l’appartement, les mains dans les poches avec une démarche d’homme-loque, prêt à s’écraser dans la seconde qui suivait dans un fauteuil, impossible à réveiller même avec le bruit d’un marteau piqueur à cinq centimètres du tympan.

Voilà une bonne année que j’écumais les routes sans cesse avec un mec qui avait eu le même délire que moi alors qu’il me prenait en stop à la sortie de White Oak Station West le jour où j’ai décidé de quitter la ville. « Où souhaites-tu aller ? » «  Je n’en n’ai aucune idée. Là où la malchance n’aura pas de réseau. » Il eut un sourire et m’avoua «  Je suis étudiant en droit et je ne sais pas où je vais non plus. Je pense aller là où les universités accepteront de me prendre. Pour le moment, tout est aussi indécis que ma situation sentimentale. » Nous échangeâmes un fou rire et c’est ainsi que mon amitié avec Morgan vit le jour alors que nous nous connaissions depuis seulement trois petites minutes tout au plus. Je dois avouer que je n’étais pas tombé sur n’importe quel inconnu. Même si certains de nos goûts étaient à mettre totalement à l’écart, beaucoup de choses nous étaient propres comme courir jusqu’à épuisement lorsque nous étions énervés (pour ne pas agresser des visages innocents), rester des journées entières dans nos lit et se lever seulement pour aller au petit coin, critiquer les gens qui passent alors que nous sommes sagement assis sur un banc en train de manger et bien entendu faire de la route pour découvrir et apprendre.
« C’est quoi ton nom au faite ? » Je regardais par la fenêtre, donnant presque l’air de ne pas écouter. « Charlie-Cian, tout le monde m’appelle Charlie. Mais plus pour très longtemps. Et toi ? » Un silence s’imposa, même sans le voir je le savais troublé. « Heu… Morgan. Et comment se fait-il que Charlie-Cian n’existera bientôt plus ? » Cela ne faisait que quelques heures que Morgan et moi avions fait connaissance à bord de cette même voiture, je ne voyais pas vraiment comment lui annoncer ce changement brutal de décision. « Et bien… si j’ai quitté White Oak, ce n’est pas pour la migration incroyable de moustiques cette année. Quelque chose s’est passé, quelque chose d’autre est arrivé et de fil en aiguille, mon moral a fumé. J’ai préféré mettre les voiles et oublier ma vie aussi longtemps que possible, ceci allant jusqu’à mon prénom. » Morgan ne répondit pas immédiatement. Il changea une chanson sur le lecteur, baissa un peu le son et poursuivit. « Je vois. Si tu as envie de discuter, je peux être une bonne oreille. »

« Charlie !! Tu es fou ?! Tu vas être malade ! Va immédiatement changer de vêtements, tu es trempé ! » Je me revois rentrer chez moi en catimini après une séance de street hockey sous un grand déluge d’automne avec mes copains du lycée. J’avais autrefois dix-sept ans. Je me glissais dans ma chambre pour y trouver ma sœur Rowan, allongée sur mon lit, en train de lire un quelconque magazine et en écoutant de la musique un peu trop moderne à mon goût. Je lui retirais un écouteur. « Hey, on n’est pas encore colocataires ! » Je lui adressais l’un de mes petits sourires en coin qui avait trop souvent tendance à ironiser certaines situations, surtout avec Rowan.
Depuis que nous étions petits, elle et moi étions extrêmement proches. Peut-être même un peu trop. Pour un frère et une sœur, il était clair que nous avions pris de très mauvaises habitudes tous les deux. Je ne lui disais jamais de foutre le camp lorsque je me changeais. J’enlevais mon pantalon et mon t-shirt devant elle, lui balançant mes fringues mouillées dans la figure. Puis j’enfilais un bermuda et un gros sweat que j’affectionnais particulièrement parce qu’il était épais, doux et chaud à l’intérieur. « Allez, bouge de là. » Je lui prenais les jambes pour les décaler et je m’allongeais à ses côtés, la tête sur mes tonnes d’oreillers moelleux. Rowan, qui était à l’envers par rapport à moi, se mit dans le même sens, jetant son baladeur et son magazine hors du lit pour poser sa tête sur mon torse. Je lui caressais les cheveux. « Charlie, tu crois à ses histoires qui disent qu'on ressemble à un couple ? » Cette question revenait au minimum une fois par mois et à chaque fois, elle me rendait confus. « On est frère et soeur, comment on pourrait être un couple franchement ! » J’eus un petit rire qui fut nerveux seulement pour moi. Les gens voyaient clair et nous étions trop peu discrets. Même si nous ne dépassions jamais les bornes, l’assemblée savait pertinemment qu’un frère et une sœur ne sont généralement pas aussi proches. Je ne pouvais pas m’empêcher de prendre Rowan dans mes bras ou de lui faire un bisou lorsque je la croisais dans les couloirs et inversement.
Je savais qu’il ne fallait pas franchir les limites de la loi et même du naturel, dirais-je. Enfin, c’était surtout une question juridique. Notre satané titre familial nous empêchait d’aller où nous le voulions…Alors je me suis dit qu’il fallait prendre des mesures…ce qui se transformait davantage en distances, avec ma sœur Rowan. J’essayais donc de l’éviter au maximum et d’observer davantage autour de moi. Deux mois avant la fin de l’année universitaire, une fille a débarqué dans ma classe. Elle s’appelait Emmy. Elle avait un grand talent en matière d’écriture et était passionnée d’histoire. C’est à un cours de dessin que j’ai fait sa connaissance et que nous nous sommes rapprochés. Elle n’était pas sensée y être, mais sa curiosité l’avait poussée à franchir le pas de la porte, soi-disant. Je ne peux vous le cacher, j’appréciais la présence de cette fille. Ses parents n’étaient presque jamais là, son père était Marine et sa mère PDG d’une grosse boîte de mode, ou je ne sais plus quel genre de truc qui s’écartait beaucoup de la profession de son mari. Passons. Je passais de longues heures chez elle à la lumière des bougies et lampes de bureau à réviser mes cours. Elle ne savait presque rien de moi, elle avait l’air de préférer raconter sa vie plutôt que d’écouter la mienne. Néanmoins, elle était au courant que je préférais rentrer tard chez moi. D’elle-même, elle s’était imaginée que je préférais me crever à bosser et à me jeter sur mon lit pour m’endormir direct. Il aurait été plus simple pour elle de se dire que son compagnon de révisions était tiraillé entre le spleen et l’idéal. Sa vie me plaisait malgré tout. Elle n’avait pas de problèmes, se faisait des amies facilement, elle me suivait de temps en temps dans mes bêtises même si elle était du genre un peu coincée. Nous ne nous sommes jamais mis ensemble officiellement, on le laissait juste paraître. Si vous saviez combien cela fait du bien de pouvoir s’afficher sans se faire juger à tout va ! Et puis arriva ce qu’il arriva.
Je rentrais de nouveau tard un soir, mes parents m’avaient prévenu qu’ils se faisaient un marathon Laurel et Hardy chez leurs amis demeurant à quelques pâtés de maison de chez nous. Je montais les escaliers avec mes livres sous le bras et mon sac à l’épaule, j’entendais déjà quelques petits reniflements provenant du bout du couloir. La porte n’était pas fermée, je ne voyais rien depuis l’entrebâillure. « NON ! T’AS PAS LE DROIT ! Pourquoi tu me fais ça franchement ?! » J’eus un petit mouvement de recul en fronçant les sourcils. Le droit de quoi ? Faire quoi ? Je posais mes livres délicatement au sol ainsi que mon sac. Je mettais la main sur la porte de la chambre de Rowan, elle devait surement être au téléphone, s’expliquant avec son nouveau copain. A vrai dire, je n’étais plus trop à l’affut des nouvelles de sa vie. Je mettais un pied dans la pièce et je remarquais qu’enfaite elle était effondrée sur son lit avec nulle autre personne qu’elle-même. « Hey Rowie… » Je me mordillais la lèvre inférieure de l’intérieur. Je m’asseyais près d’elle pour la prendre dans mes bras. « Mon coeur, j'suis désolé de ne pas avoir été présent ces derniers temps. Emmy me collait trop et j'ai pris du temps pour comprendre ça. Mais je suis là maintenant. » Bon, c’était un mensonge assez grotesque. Même si Emmy avait du mal à me laisser partir, elle n’était pas non plus un pot de colle. Mais il y avait du vrai, dans le sens où je n’étais pas amoureux d’elle. Je la voyais davantage comme une très bonne camarade avec qui j’avais passé beaucoup de bons moments… Même si je l’embrassais pour lui dire bonjour… Bon, ce n’est qu’un détail. Elle partait en Afrique du Sud, sa mère avait été mutée et cette nouvelle ne m’avait pas vraiment affecté en tant que petit ami, mais surtout en tant qu’ami. Il ne nous restait plus ou moins une semaine de cours avant les examens finaux et je n’allais plus la revoir de sitôt. J’expliquais tout cela à Rowan qui me dévorait du regard. Je n’eus pas le temps de lui demander si elle voulait ma photo, qu’elle m’embrassait. Mon cœur loupa un battement et je ne pus m’empêcher de glisser ma main derrière sa nuque pour prolonger ce moment divin. Nous avions tout perdu ce soir-là : nos vêtements, notre dignité et quant à elle, son innocence.
Quelques heures plus tard, je rencontrais Morgan.

« Oh putain Simon… » J’eus ce mouvement de tête, montrant aux gens que je ne comprends pas ce qu’on me dit. «… Je n’ai pas envie de te foutre les nerfs en pelote, mais c’est une sacrée connerie que vous avez fait là, toi et ta petite sœur. » « Simon ? Ouais… M’en parle pas. Mais je dois t’avouer que ça fait du bien de se confier à un inconnu enfaite. » Il me sourit, me jetant de petits coups d’œil de temps en temps sans pour autant lâcher son volant. Morgan avait une peur bleue de la route. Il avait perdu sa mère et son grand-père dans un carambolage et notre road trip avait pour but de lui redonner confiance en l’automobile, même si, ne nous voilons pas la face, il avait vraiment de bonnes raisons d’avoir peur ! « Ouais, Simon. Tu voulais changer d’identité, non ? Et puis Charlie-Cian ou même Charlie tout court, je trouve ça trop long. Note cela, c’est un prétexte tout pourrit ! » Nouveaux rires. J’aimais déjà ce mec, je savais que j’allais passer des heures cool avec lui. « Finalement, on va où, Morgan ? » Il me regarda, puis reporta son attention sur la route et il répéta ce geste au moins quatre fois avant de me répondre « Boah ! J’sais pas. J’ai de l’essence.  »  Je me pinçais les lèvres  en souriant assez fortement malgré tout.  Il le remarqua et agit de même « Bon d’accord, à ce qu’il paraît l’université de Duluth n’est pas mauvaise. On se pose jusqu’à la rentrée ou on fait les dingues et on va jusqu’au Nouveau Mexique ? Ou à côté ? Genre l’Oklahoma ? » Ce type avait une imagination débordante. Il était étudiant en droit et boursier depuis longtemps. Son père était garde forestier à White Oak Station et peinait à nourrir son fils qui se débrouillait depuis qu’il était enfant. Il travaillait dur aussi, en dehors des cours, pour pouvoir se faire plaisir et donc, partir. Je me reconnaissais bien dans ce jeune homme. C’est ainsi que nous sommes partis au gré du vent et souvent  des intempéries. White Oak ne nous manquait pour rien au monde, nous en avions très peu parlé durant notre année de folie. A notre grand étonnement, les facs publiques acceptaient de nous prendre parce que notre projet commun les intéressait (les deux mois maximum qu’on s’imposait dans une fac ne les effrayaient pas vraiment) et parce que d’un côté, Morgan était un très bon élève et du mien, j’étais multifonctions. Notre savoir-faire ne les a pas laissés indifférents. Pendant un an, tous les deux mois, nous changions de facs jusqu’à ce que nous débarquions dans l’Idaho.
Il y avait une université qui réunissait presque toutes nos passions : le street hockey et l’art pour moi, le football Américain et le droit pour Morgan. Bémol, les joueurs de foot étaient de sacrés idiots, mon compagnon de route a donc refusé de les rejoindre et a préféré jouer au hockey avec moi et l’équipe de l’université.
« Woah ! Je suis désolé ! Ça va aller ? » J’avais renversé cette fille brune en sortant des vestiaires, elle était caparaçonnée comme moi. Je n’avais alors jamais vu une équipe de street hockey féminine jouer avant ou après nous. Je lui tendais la main, elle s’en saisit. « Avec toutes ces protections, ce serait tout de même grave d’avoir mal aussi bêtement ! » Elle m’adressa un grand sourire et un clin d’œil sans pour autant me lâcher la main. « Je m’appelle Rachel. Et toi ? » « Simon ! Hé ! Tu fais du street hockey ?! Je ne t’ai jamais vue jouer… » Elle se mit à rire et répondit « Il n’y a pas d’équipe de street hockey à l’université de Nampa. Juste… une équipe de roller derby. » Je ne pus m’empêcher de sourire et d’émettre un sifflement « Enorme ! Quand est-ce que tu joues… Rachel ? » «  Après vous, normalement. Je file, je vais m’échauffer ! » J’ai eu le malheur de craquer sur elle à peine m’avait-elle révélée la moitié de son identité. Rachel Unity, jamais je n’oublierais nos nuits de folie…et ma rime n’est pas de trop.
Dans cette rencontre, ce qui avait été le plus comique, c’est que la meilleure amie de Rachel s’est prise de passion pour Morgan et vice versa. Grâce à ces deux filles, Nampa eut mille lumières. Elles nous emmenèrent partout et plutôt que de rester deux mois, nous avons trainé deux mois de plus dans l’idée de trouver une solution à nos séparations. « Donc…Tu vas où, ensuite ? » me demandait Rachel. « Aucune idée… On prend généralement une sortie d’autoroute qui nous inspire et ensuite on file tout droit jusqu’à trouver une ville assez chouette. » Je regardais mes pieds,  nous étions assis sur une colline dominant la ville où chaque bruit urbain était étouffé par la flore sauvage. Rachel s’allongea. « Et nous, alors ? » J’arrachais de l’herbe entre mes pieds, puis je me décidais de m’étendre à mon tour. J’attirais la jeune femme vers moi. « Alors on nous appelle "Relation à distance" ? Ça craint, je sais… Mais tu te souviens que je n’aime pas rester au même endroit et que j’ai bonne mémoire aussi. Je ne t’oublierais pas. Il faudra s’armer de patience et d’ici là, on trouvera une solution capable de nous satisfaire. J’ai confiance en toi, en nous. On y arrivera. » Elle s’endormit dans les minutes qui suivirent.
Plusieurs fois nous nous sommes demandé si quitter Nampa avait été une bonne idée. Si quitter White Oak avait aussi été une bonne idée pour avoir le cœur brisé, au final. Nous étions inconscients de laisser deux belles filles comme Rachel et sa meilleure amie seules pendant une durée indéterminée. Et puis j’eus le souvenir de Rowie. « Je vais me faire tuer, mec. » Nous étions de retour à la case départ –enfin, presque-, dans la voiture de Morgan. Ce dernier me répondit « Hein ? Pourquoi tu dis ça ? » Je passais mes deux mains dans mes cheveux en prenant une bruyante inspiration. « Rowan. » Morgan avait pris les mêmes habitudes que moi, comme ce mouvement de recul brutal lié à la surprise. « Ta sœur ? Où est le problème ? » «  Si elle voit un jour ce qui s’est passé pendant un an en dehors de White Oak… Je peux déjà prévenir les pompes funèbres. » Il garda une expression neutre. « Simon, tu parles de ta sœur. Ce n’est ni ta mère, ni ta meuf. Tiens d’ailleurs, ce serait plutôt tes vieux que tu devrais craindre en rentrant –moi aussi, d’ailleurs-. Tu n’as absolument aucun compte à lui rendre. Tu devras juste lui expliquer que ce que vous avez fait, ce n’est pas bien. » Je commençais à me mordiller la peau du pouce. « Oui, mais autre chose : je l’aime. Je l’aime vraiment. » Morgan soupira. « Il faudra te convaincre avec un amour fraternel et non pas… voilà. Je t’aiderai, sois en certain. »
Nous étions en juillet et nous arrivions à notre avant dernière destination : Phoenix, dans l’Arizona.

They speak with knives.
Red Forest.

« Charlie ! Je suis heureux de te voir. Ça été ton périple ? Malgré les nouvelles que tu nous envoyais, on se posait beaucoup de questions avec ta mère. » Je serrais mon père dans mes bras.  « Tout s’est super bien passé, un peu trop bien d’ailleurs. Je vous ai ramené quelques bricoles et plusieurs choses qui devraient t’intéresser. Papa, je voudrais aussi te présenter Morgan que j’ai rencontré à la sortie de White Oak le jour où je suis parti. C’est lui qui m’a pris en stop et c’est avec lui que j’ai passé l’année. » A mon plus grand étonnant, mon père eut la même étreinte avec Morgan qu’avec moi. « Bienvenu à la maison, Morgan. Tu devrais rester dîner ce soir ! » Le jeune homme me regarda, je lui fis un clin d’œil et une sale grimace. « Avec plaisir, monsieur Morris. » « Appelle-moi Alan ! »
Le plus dur à passer, c’était à la fois ma mère et Rowan. Fort heureusement, elles n’étaient pas présentes à la maison ce soir-là. Je reçu alors un message :
« De : Rachel Unity
À : 7:42pm.
Alors ? Vous êtes bien rentrés ? Je t’embrasse, Rach. »
Je répondis sur le champ, sous la table. « Je te tiens au courant de ma survie au sein du cocon familial. Je prépare mon bec et mes ongles, ça va saigner. Ça se sent !! Je t’embrasse aussi, Simon. »
J’avais perdu l’habitude de me faire appeler « Charlie ». Le reste du monde s’était habitué à « Simon ». Je ne me sentais pas encore prêt à affronter le regard de ma mère et de ma sœur. Après une longue discussion, mon père me laissa faire un tour chez Morgan quitte à y rester quelques jours le temps que je réfléchisse. Son père et sa grand-mère m’ont accueilli comme si j’étais déjà un membre de leur famille. Leur maison était située dans la colline de White Oak, ni trop proche, ni trop à l’écart de la ville. Je m’y sentais comme en road trip.
Je compris alors que rester chez soi était une bien belle erreur et qu’il me fallait me reconstruire ailleurs.