Il était là, une grande et fine silhouette se dessinant dans la faible lueur du crépuscule. Il regardait nerveusement son portable en maugréant. J’étais en retard, je le savais pertinemment mais je ne pouvais cesser de le contempler. Alors, discrètement je l’observais, le dévorais du regard. Durant ces trop courtes secondes pendant lesquels je n’avais pas à me soucier de l’avis des autres, en effet,  nous étions seuls dans la nuit et lui ne m’ayant toujours pas vu je comptais bien en profiter. Je le regardais et à chaque seconde qui passait je me confortais dans mon impression qu’il était terriblement beau…  

Un bruit de pas pressés me tira de ma douce et mélancolique rêverie.
« -Putain, qu’est-ce que tu foutais Ayden ? On va en retard !  Il avait l’air énervé et ses paroles achevèrent de me tirer de ma léthargie. Je tirais mon portable de ma poche : quarante-cinq minutes de retard. J’avais fait fort mais je ne pus rien faire contre le sourire niais qui se colla sur mon visage, il m’avait attendu, tout ce temps.
-Je suis désolé Lucas, j’ai pas vu l’heure passer. Murmurais-je. Mon sourire ne le vexa pas, au contraire, ses traits s’adoucirent.
-Oui, bon ça ne fait rien, de toute façon j’ai l’habitude avec toi c’est toujours pareil. Me lança-t-il avec un clin d’œil en me souriant. Je soupirais de soulagement, il ne m’en voulait pas.

Sur le chemin, sa main frôla par inadvertance la mienne, un geste anodin me diriez-vous ? Mais sans prévenir un long frisson me parcourra l’échine. Je l’aimais de plus en plus et le voir tout le temps sans le toucher comme je le voulais me détruisait chaque jour un peu plus. Le plus infime contact m’électrisait, m’emplissait d’une vague de chaleur et je devais me faire violence pour ne pas laisser le rouge me monter aux joues. D’ailleurs, depuis que j’avais compris que l’amour que j’éprouvais pour lui n’était pas que de l’amitié, j’avais dû apprendre à mon contrôler. J’avais mis du temps à l’accepter, cet amour et encore plus à en être sûr. La première fois que je me suis vraiment remis en question, je n’en n’avais pratiquement pas dormis de la nuit. D’abord une question, et si j’étais vraiment gay ? Je m’étais toujours cru hétéro. Mais en réalité je n’y avais jamais pensé. Je « devais » être hétéro c’était évident. Quand je me suis rendu compte que j’avais plus envie de me jeter sur ses lèvres à lui pour les embrasser que sur n’importe quelle jolie fille du lycée, j’ai compris. Et quand j’ai compris ce que cela signifiais, j’ai pleuré. Oui moi, Ayden Lukizian, j’ai pleuré comme une fillette par sa faute. Alors je me suis dis que j’étais peut être bisexuel car j’étais déjà tombé amoureux d’une fille mais je devais me rendre à l’évidence.
La dernière fois que j’avais éprouvé des sentiments pour une fille, j’avais tout juste 10 ans. Est-ce qu’on connait l’amour à 10 ans ? Sûrement pas… Je suis donc homosexuel. Un gay, une pédale, un pd, une tafiole… Et ça n’allait rien arranger du côté de mes parents…

Enfin voilà où j’en étais. Ce soir, Lucas et moi avions été invités à une soirée organisée par une fille du lycée. De nature asociale, je ne voulais pas vraiment y aller mais il avait toujours su m’entraîner dans ce genre de soirées. Et puis même si le fait que passer du temps avec lui me détruisait au fond de mon être, même si chaque fois où je me rappelais que mon amour était impossible, je m’effondrais un plus... Sa présence à mes côtés m’emplissait  trop de joie pour rater une occasion de le voir.

Une fois arrivé, la fête battait déjà son plein. Alors que mon ami se glissait entre les gens pour saluer le nombre incalculable de ses amis, je décidais de m’assoir sur une chaise qui ferait l’affaire pour passer la soirée. Je gardais tout de même un œil sur lui, voyant qu’il commençait à boire. La soirée passait et je restais enfermé dans mes idées sombres dont je fus tiré à quelques reprises lorsqu’il venait me voir et s’assurer que j’allais bien.
Je sentis une main sur mon épaule que je devinais encore être la sienne. Je levais la tête pour le voir et me rendre compte de son état déplorable. Il tenait à peine debout.

« - Ca va mon pote ? T’as pas l’air bien ? lui demandai-je
-Naan nan t’inquiète ça roule comme sur des pâquerettes, me dit-il, enfin tenta-t-il de me dire car le langage qu’il utilisait s’éloignait quand même beaucoup du français. Je vis qu’il était mort de rire et soupirais.
-T’es pathétique tu sais ? m’exaspérais-je.
-Rooh ça va  hein on peu plus rigoler ? Dis-moi tu la trouve pas vachement bonne Nathalie ? Je blêmis, non seulement parce qu’il n’avait pas l’habitude de parler comme ça des filles mais surtout car il ne parlait justement jamais des filles, et même si j’avais du mal à me l’avouer, cela me permettait d’espérer…
- Je... je ne sais pas !  Ecoute j’vais y aller. Dis-je à toute vitesse sentant les larmes me monter aux yeux. C’était moi qui étais pathétique, émotif pour un rien, il suffisait qu’il parle d’une fille pour que je perde le contrôle de mes émotions ? Mais il avait beau avoir trop bu il me connaissait et il arrêta de rigoler quand son regard croisa le mien.
-J’ai dis quelque chose qu’il ne fallait pas ? Essaya-t-il d’articuler.
-Non, non ne t’inquiète pas, mais je suis fatigué, bonne soirée et bonne chance avec Nathalie, bégayais-je. Je crois que je ne lui avais jamais parlé d’un ton aussi froid et  distant. Mon regard vide se pencha sur lui pour voir qu’il semblait peu rassuré par mes paroles.
-D’accord, bonne nuit alors. »Je lui souris tristement, pris mon sac et passai la porte pour me retrouver dans l’air tiède de cette belle nuit de juillet.

Je fis quelques pas en direction de ma maison quand, sans prévenir, la tristesse devint soudainement trop présente, elle m’enveloppa, m’étouffa et j’éclatais en sanglots. J’implosais et mon âme déversait son malheur en des larmes amères qui coulèrent sur mes joues. Assis sur le trottoir, pleurant et murmurant faiblement mon désespoir, je me sentais seul comme jamais. Une effroyable solitude qui fait voir partout autour de vous les ténèbres, le vide et le froid. Perdu dans mes pensées, noyées dans mes larmes, je sentis à peine la main de Lucas se poser sur mon épaule et son corps chaud s’installer près du mien. Il sécha mes larmes puis pris mon menton dans sa main afin de me faire face. Il plongea ses grands yeux verts dans les miens alors que je tentais de fuir son regard. J’avais honte.

« -M…merci…
-C’est normal, tu n’as pas besoin de t’excuser, me dit-il en souriant. Puis son visage redevient sérieux. Ecoute, reprit-il, ce soir je n’ai pas l’intention d’avaler tes mensonges donc tu vas me dire ce qu’il ne va pas et je vais t’aider.
-Je ne peux pas te le dire, ma voix se faisait suppliante, il ne fallait pas qu’il insiste car je ne pourrais résister longtemps.
-Je t’en pris, dis moi ce qu’il ne va pas je peux t’aider tu sais ? »

C’est là que j’ai craqué. Je lui ai tout déballé, à quel point je l’aimais, l’enfer que je vivais depuis, les heures passées à pleurer… tout. Un long silence pesant s’installa alors entre nous. Je tournais la tête pour voir un air de dégoût sur son visage. Ce dégoût eu l’effet d’un coup de poignard enfoncé dans le ventre le brisant, me détruisant l’âme. Je me sentis soudainement vide de toute force, de toute envie.

« -T’es… t’es gay, et en plus tu me m’aimes, putain t’es sérieux !? Je te croyais pas comme ça. Me lança-t-il avec écœurement.
-Connard.
-Non... Attend tu sais très bien que c’était pas ce que je voulais dire…
-C’est bon j’ai compris. »

Je ne voulais pas l’entendre, je ne voulais pas le voir, je voulais l’oublier. En quelques mots l’amour que j’éprouvais pour lui avait été remplacé par de la haine. Je me levais sans un regard pour lui et prenais le chemin de mon domicile. En rentrant chez moi je  m’assoupis presque aussitôt, mais mon repos fût de courte durée et vers trois heures du matin je ne parvenais plus à trouver le sommeil.

Je me levais et m’accoudais à la rambarde de mon balcon. Une brise tiède me caressa le visage, je souris, la nuit était belle et avec un peu de chance ce sera la dernière que je verrais. Quand soudain, un éclaire de lucidité. Comment osais-je envisager une telle chose ? La mort n’était pas la solution, car même si à priori plus rien ne me retenait, il était hors de question que j’abandonne la partie aussi facilement. Ayden Lukizian ne renonce pas aussi vite. En revanche, je ne pouvais nier que cette vie ne me convenait pas, il fallait que je respire. Et pour ça il fallait que je parte de cette prison qui m’avait vu grandir, et vite. Je pris dans mon sac le minimum : mon pc, mes papiers et mon fric. Alors que je m’apprêtais à refermer la porte derrière moi, j’entendis une voix.

« -Ayden… ? Tu vas où ?

C’était Dolfi, mon petit frère il avait à peine douze ans à l’époque. Je me rendis soudain compte que j’étais en train de l’abandonner seul avec les montres qui me servaient de parents. Mais il le fallait, c’était tout bonnement impensable de rester plus longtemps ici. Je m’approchais de lui et le pris dans mes bras.

-Je dois partir ne t’inquiètes pas… je reviendrais », murmurais-je.

Nous sommes resté de longues minutes s’en rien dire, à s’enlacer en pleurant. Je le serrais le plus fort possible comme pour imprimer se moment à jamais.
J’ai séché ses larmes et je suis parti, malgré les sanglots que j’entendais derrière moi je ne me suis même pas retourné. Pourtant je ne lui avais pas menti, un jour je reviendrais mais en attendant je tirais un trait sur cette vie pour en commencer une nouvelle.