Douce était la lumière. Belle, elle caressait avec délicatesse son visage. Visage qui semblait triste, anéanti par le désespoir, le manque, la mélancolie. Les différentes épreuves passés l'avaient changé, sans doute à jamais. Elle n'était plus la même. Elle était si différente, différente de celle qui existait avant. Une personnalité qui avait changé petit à petit, la rendant méconnaissable. Zippora n'avait pas eu la vie rêvée, celle que l'on s'imagine lorsque l'on est enfant. Sans trop d'encombre. A vingt-quatre ans, elle aurait voulu être mariée, être maman. Avoir voyagé. Avoir fait quelque chose de bien dans sa vie. Qu'était-elle ? Rien de tout cela.
Comme chaque semaine, elle se rendait dans la forêt. Marchant au travers des arbres et des hautes herbes, elle observait les oiseaux, les petits animaux vivre. Elle se laissait apaiser par les bruits de la nature, elle se laissait bercer par le vent soufflant doucement par delà les feuilles. Cette endroit, elle l'aimait pour son calme. Une tranquillité saine qu'elle ne trouvait qu'ici et dans sa salle de danse. Ici, elle se sentait mieux. Pas bien, mais mieux. Les événements des années précédentes ne l'avaient pas aidé. Elle tentait de relever la tête qui avec le temps, s'était baissée. Perdre deux enfants, divorcée n'étaient que les signes d'un mauvais karma selon elle, ou d'un destin pourri et même d'une malédiction. Elle avait finalement cru que Nicola n'était pas celui qu'il lui fallait, méchant, désagréable et prêt à tout pour se mettre en travers de son chemin. Il n'était pas l'homme qu'elle aurait dû épouser. Dans cette forêt, seule, elle reprenait le dessus sur sa vie le temps d'un instant comme lorsqu'elle dansait. Un sport qu'elle considérait comme un art.

« Aïe ! » Elle avait trébuché sur une racine, tombant sur le sol humide. D'habitude, lorsqu'elle venait ici, elle faisait attention à ce genre de chose, par peur de se tordre la cheville et de ne plus pouvoir danser. Aujourd'hui avait fait exception. Prise dans ses pensées, elle avait oublié l'endroit où elle était. Cela aurait pu être pire mais sa cheville semblait touchée. Devait-elle s'estimer heureuse de n'avoir pas rencontré un buisson de ronce ? Sans doute. Quoiqu'il en soit, il lui faudrait rebrousser chemin pour pouvoir téléphoner, ici, le réseau était souvent inexistant. Zippora n'avait que peu d'espoir d'en avoir, si elle ne bougeait pas.

Cela fait déjà quelques jours que je suis officiellement arrivé à White Oak Station. J'ai eu le temps de m'installer et de faire plusieurs fois le tour de la ville histoire de prendre mes marques. Maintenant il ne me reste plus qu'à retrouver Zippora et il s'avère que la tâche est bien plus difficile que ce que j'avais pu l'imaginer. Il est certain que la jeune femme vit ici. Après des mois de recherche j'avais fini par retrouver sa trace. Mais personne ne m'avait donné d'adresse et White Oak est loin d'être une toute petite ville. Je ne me voyais pas vraiment frapper à toutes les portes de la ville. Visiblement le nom d'Harper ne dit pas grand-chose aux habitants de cette ville. Elle a sans aucun doute dû ce marié. Et je dois avouer que cette éventualité m'avait quelque peu stoppé dans mes recherches. Je n'ai aucun droit de revenir dans sa vie s'il s'avère qu'elle est mariée et heureuse. Après tout, je suis venu la chercher dans l'idée de lui faire savoir à quel point elle m'a manqué, mais également à quel point je l'aime. Mais il semblerait que cette dernière est continuée sa vie et au fond je sais que je ne peux pas lui en vouloir. Alors, je prends mon temps. Je me précipite un peu moins. Je sors régulièrement dans mon appartement, dans l'espoir fou de la croiser par hasard au coin d'une rue. Mais il faut croire que ce jour n'arriverai jamais. Impatient et à cours d'idée, je finis par me décider à passer une journée en dehors de la ville. En arrivant ici, j'avais pu apercevoir des bois qui aujourd'hui allaient me servir de refuge. Il fallait que je me retrouve un peu seul et quoi de mieux que la nature pour cela. Mon sac à dos empli de feuille vierge et de quelques crayons je finis par me mettre en chemin.

Après des minutes à m'enfoncer dans la verdure, je finis par trouver un endroit qui me semblait idéal. Un arbre avait été couché par un orage, sans aucun doute et m'offrait un siège parfait. Installer sur mon observatoire, je sortis quelques feuilles et me mit à dessiner. L'espace d'une journée, j'avais envie d'oublier le monde des super héros pour revenir à un dessin plus brut. Aller savoir pourquoi c'est le visage de Zippora qui commença doucement à prendre vie sous les traits de mon crayon. Même après plus de six ans, je n'avais rien oublié de ce doux visage. J'avais eu le temps de l'observer pendant des heures lors de nos nombreux entraînements. La danse... Encore une chose qui me manque plus que de raison. Après le départ de la jeune femme j'avais été incapable de remettre les pieds à la salle. Il m'arrive de danser encore quelque peu, mais ce n'est plus du tout comme avant. Un instant, j'arrête mes coups de poignets et soupire. Il faut que je me la sorte de l'esprit. Ne serait-ce qu'aujourd'hui.

Totalement absorbé par mon dessin, je ne fais plus attention à ce qui peut se passer autour de moi. Jusqu'à ce qu'un cri me parvienne à l'oreille. Surpris, je relève rapidement la tête. « Il y a quelqu'un ? » Je n'entends plus rien si ce n'est un léger bruissement. Intrigué, je laisse tomber mes feuilles sur mon sac à dos rester au sol et me met debout. Encore un bruissement. Je m'avance quelque peu et au détour d'un buisson je finis par apercevoir une jeune femme assise sur le sol en train de se tenir la cheville. « Je peux vous aider ? » Elle sursaute. J'ai sans aucun doute dû lui faire peur. J'allais m'excuser lorsque la jeune femme finit par tourner son visage vers moi. Je manque de perdre l'équilibre en posant mes yeux sur elle. « Zippora... » Ce n'est pas possible... Cela fait des jours que je la cherche et voilà que je la trouve au fin fond des bois. J'ai l'impression d'halluciné. Je n'ose plus bouger. J'ai peur de sa réaction...

Trop enfoncée dans la forêt, elle ne s'étonna pas de voir que le réseau téléphonique avait tout bonnement disparu, ne lui laissant aucune chance pour appeler à l'aide. Elle ne devrait pas paniquer, elle n'avait sans doute rien. Ou du moins, c'est ce qu'elle tentait de se faire croire. Elle espérait tant bien que mal de se rassurer en se disant que la douleur n'était que le choc et qu'elle pourrait remarcher d'ici quelques secondes. Danser à nouveau, dès qu'elle rentrerait ce soir pour se détendre. Pour ne rien oublier de ce qu'elle avait appris lors de sa jeunesse. La danse était toute sa vie, malgré tout.
Ce sport l'avait construit, formé. Elle avait le corps d'une danseuse, les pieds d'une danseuse. La gestuelle de la parfaite danseuse. Elle n'aurait pu rêver mieux. Et cet art lui avait tout apporté. L'amitié. L'amour. Quoique l'amour, elle l'avait perdu aussi. Pas à cause de ça. Mais elle l'avait perdu, elle n'y croyait plus. Depuis son divorce, Zippora avait cessé d'espérer qu'un jour, Nolan lui reviendrait. Depuis un an à présent, qu'elle avait fini par se dire qu'il avait refait sa vie, qu'il avait tourné la page plus rapidement qu'elle. Avait-il fait des deux années et des promesses qu'ils s'étaient faites de la poussière, qu'il avait caché pour ne plus y repenser ? Elle n'en savait rien. Elle n'en saurait rien.
Une voix avait retenti, de nul part. De peur, elle avait sursauté. Curieuse, elle s'était retournée. Peut-être aurait-elle dû s'abstenir, alors qu'elle ne reconnaissait que peu la voix qui l'avait appeler. Son prénom était sorti de la bouge du jeune homme. Rêvait-elle ? Alors que quelques secondes auparavant, son esprit était encore encombré par son visage, elle le retrouvait face à elle, vieillit de huit longues années qu'elle avait vu défilé avec lenteur. Zippora aurait voulu le frapper. « Nolan ? » Le tuer. L'étrangler. Zippora aurait aimé ne jamais vivre cette situation. Elle se sentait vulnérable et pourtant, elle n'en ferait rien. Elle resterait aussi stoïque et froide que possible, malgré l'envie de pleurer. Elle était devenue quelqu'un dont le sourire n'existait que pour faire bien, rarement sincère. Hypocrite, elle se voilait la face quant à son bonheur intérieur. « Je ne savais pas que ... Qu'est-ce que tu fais ici ? » Elle ne voulait pas le savoir et pourtant, elle n'avait rien trouver de mieux. Il était trop tard, elle avait passé trop de temps à l'attendre. Elle avait trop souffert de son absence. Sa vie n'était plus celle qu'elle avait lorsqu'elle vivait encore aux Etats-Unis. « Tu devrais pas être ici. Tu ne devrais pas. » Elle avait dû mal à le croire enfin ici. Mais elle ne pouvait plus faire comme si de nombreuses années ne s'étaient pas passées. Comme si elle n'avait pas été mariée, enceinte, dépourvue de joie, idiote. Amoureuse d'un fantôme. Elle l'aimait toujours, elle l'aimerait toujours, mais rien ne changera. Elle ne pouvait plus. C'était fini pour elle. Actuellement, il n'y avait rien d'envisageable. Pas après ce qu'elle avait vécu. « Tu comptes me laisser par terre ou m'aider à me relever ? » Elle tendit sa main, le regard noir et plein de reproches.

En venant dans ses bois, je pensais passer un moment seul avec moi-même. Histoire de me remettre les idées en place. Mes recherches pour retrouver Zippora c’était avérer peut fructueuse et je n’arrêtais pas de penser à elle. J’avais tellement peur d’être déçu parce que j’allais finir par trouver… Il est certain qu’elle a dû changer. Elle a dû refaire sa vie, mais je ne sais pas si je suis prêt à accepter cela. Ce serait uniquement de ma faute, mais cela me ferais mal j’en suis persuader. J’ai mis du temps à me décider, mais maintenant je n’ai qu’une seule idée en tête la retrouver. Même si ce n’est pas dans ce bois que cela va arriver. Enfin… C’est ce que je pensais. Assis sur un tronc tombé il y a bien longtemps je dessinais tranquillement. Je m’étais juré de ne pas penser à Zippora aujourd’hui et pourtant c’est bel et bien son visage qui prit vie sous mes coups de crayons. A croire que je suis incapable de me la sortir de la tête. Mon esprit finis par divaguer, se rappelant du passé. Comme si ce n’étais pas assez douloureux comme cela. Un bruit me sorti de mes pensées. Je pensais être seul, mais visiblement ce n’était pas le cas. Intrigué je finis par me lever. A quelques mètres, je finis par découvrir une jeune femme assise sur le sol. Elle ce tient la cheville et semble s’être fait mal. Je m’adresse à elle, mais très vite je comprends que j’aurais peut être dû m’abstenir. Cette femme je la connais. Cette femme c’est Zippora. Son regard, lorsqu’elle me reconnaît, me fait froid dans le dos. Sa voix est froide. Elle ne semble même pas heureuse de me voir. Je me sens déstabiliser d’un seul coup. Je ne m’attendais pas vraiment à une telle réaction pour nos retrouvailles. En réalité, je ne sais même pas à quoi je m’attendais. Il est certain qu’elle m’en veut. D’un seul coup, je ne sais plus où me mettre. Très vite Zippora me demande ce que je viens faire ici et avant que je ne puisse dire quoique ce soit pour me justifier elle ajoute que je ne devrais même pas être ici. Je prends cela comme une bonne claque. Nerveux, je ne sais même plus comment agir. Je reste planté là comme un idiot. Je voudrais partir en courant, mais je me sens incapable de bouger. C’est presque violemment qu’elle finit par me demander si je compte l’aider ou pas. J’agis comme un robot. Je me contente de lui tendre la main et tire un peu sur mon bras pour l’aider à se relever. Il semblerait que sa cheville la fasse souffrir et sans réfléchir je pose une main sur sa hanche pour l’aider à tenir debout. Une nouvelle fois nos regards ce croise. Le sien est plus noir que jamais. « Je… Je viens d’arriver en ville. Mais apparemment ce n’était pas une bonne idée… » Comme un enfant je finis par baisser la tête et surtout je m’éloigne d’elle. Je n’ai qu’une envie c’est de récupérer mes feuilles et de partir. Pourtant je ne peux pas la laisser toute seule dans cette forêt. « Je peux au moins t’aider à sortir d’ici ? » Je ne sais même pas comment agir. C’est un véritable duel dans ma tête. Je voudrais la prendre dans mes bras, lui dire à quel point elle m’a manqué, mais je ne peux rien faire de tout cela. « J’étais revenu pour toi. Juste pour que tu le sache… »

Etait-ce les derniers événements qui l'avaient changée ? Etait-ce sa vie ici qui l'avait transformé ? Chaque jour, depuis qu'elle avait quitté sa ville natale pour un autre pays, une autre ville, elle avait imaginé ses retrouvailles avec Nolan. Les situations étaient différentes à chaque fois. Comment pouvait-elle réagir face à un homme qui avait disparu de sa vie ? Il était vrai que ni l'un ni l'autre n'avaient essayé de se retrouver. Ils n'avaient pas essayé de s'enfuir pour vivre enfin la vie qu'ils auraient voulu. Au fond, n'étaient-ils pas tous les deux fautifs de la distance qui s'était créée entre eux ? Sans doute, oui. Et pourtant, Zippora le tenait responsable de ce qui lui était arrivé. De son mariage raté, de ses fausses couches successives. De son état de tristesse permanents. Elle le tenait responsable de n'avoir pas su la retenir lorsqu'il aurait fallu le faire. Leur histoire aurait pu survivre à toutes ses années mais ils ne s'étaient pas donnés la chance de la poursuivre. Et dans tous les scénarios qu'elle s'était faite, elle ne s'était pas imaginée ainsi, dans une position aussi embarrassante.
Il l'avait aidé à se relever. Malgré sa froideur physique, intérieurement, elle avait ressenti autre chose que de la colère. Un sentiment qu'elle n'avait pas ressenti depuis longtemps. Comme une douloureuse sensation, qu'elle appréciait avec un certain masochisme. Le sentir si près d'elle avait fait renaître un sentiment qu'elle avait enfoui avec force. Tout semblait recommencer. Et avant de pouvoir le montrer, elle se renferma comme une huître. Perdant la lueur d'espoir qui s'était glissée dans ses yeux pour retrouver le regard noir qu'elle avait eu auparavant. « Non, ce n'est pas une bonne idée ... » Son retour aurait dû lui faire plaisir, elle aurait dû lui sauter dans les bras, l'embrasser et lui dire combien il lui avait manqué. Elle n'y arrivait pas. Elle n'arrivait pas montrer tout ça, simplement parce qu'elle avait trop attendu sa venue. Huit ans, ça semblait peu dans une vie, mais à attendre, cela ressemblait à l'éternité. « Pourquoi ? Pourquoi maintenant et pas avant ? » Elle ne savait pas si elle devait être en colère, triste ou heureuse. Peut-être les trois à la fois. Au final, elle finirait bien par retrouver le sourire et son retour en serait certainement la cause. Du moins, elle l'espérait. « Tu ne sais pas ce qu'il s'est passé et tout ce qu'il a pu arriver, Nolan. Tout a changé. J'ai changé ... » Elle ne l'a pourtant pas oublié. Et jamais elle n'a cessé de l'aimer, même si elle a dû se passer de cet amour pour survivre. Lorsqu'elle a quitté Phoenix pour White Oak Station, elle ne pensait pas que leur séparation serait si longue. Elle avait imaginé quelques mois, au pire deux années ou trois, mais jamais elle n'aurait pu pensé à huit ans. Malgré tout, elle avait accepté qu'il l'aide, bien que sa dignité en prendrait un coup. Elle savait qu'elle ne pourrait pas sortir toute seule d'ici sans se faire plus mal encore. « Je suis désolée, Nolan. Je ne m'attendais simplement pas à te revoir après tant d'années. »