J'avais longtemps hésité à y aller ou pas.
Avec Capucine, c'était souvent galère, parce qu'après tout, des fois on passait de super moments, d'autres fois on se prenait la tête tout le temps. Franchement, j'savais pas quoi faire. J'pouvais toujours y aller et croiser les doigts pour que ça s'passe bien. Ouais, j'vais sûrement faire ça, même si je crois pas que ça influencera quoi que ce soit si je croise les doigts - ou pas. Oh et puis, si j'y allais pas, ça empirera tout, et tout ça, alors autant y aller, voilà. Et... je crois que j'avais envie de la revoir. Ça faisait pas longtemps pourtant, qu'on s'était pas vus, mais c'était comme ça, j'avais envie de la voir, et putain, qu'est-ce que c'était chiant, ça aussi. J'aimais pas m'attacher ainsi, et surtout quand c'était aussi fort ou quoi, parce que tout se finit mal. Et j'avais pas du tout, mais alors pas du tout, envie de souffrir à nouveau. J'ai aimé qu'une personne dans ma vie, et ça remonte au lycée, et j'ai assez donné. Jusqu'ici, j'arrivais à contrôler mes sentiments et tout ça, mais je crois que Capucine faisait dérailler tout ce que j'avais construit, et c'était pas cool. Moi, je veux pas être indépendant, rattaché à personne, solitaire, et franchement, vouloir la voir tous les jours, c'était super-chiant, parce que c'est pas dans mes habitudes. Et quand j'étais avec elle, j'avais l'impression que ma carapace se fissurait petit à petit - ce que j'avais construit pendant des années ! Je me cachais derrière ce personnage moqueur, râleur, narcissique et violent, et elle réussissait au fur et à mesure à faire ressortir l'autre Ezeckiel. Celui qui avait disparu depuis de nombreuses années. Je voulais pas ça. J'avais pas fait tout ça pour que ça se détruise aussi facilement.

J'suis arrivé au cinéma zappé d'un vieux sweat gris, d'un simple jean et d'une paire de converses. Pas très charmant, mais j'avais pas jugé utile de m'habiller super bien, après tout, on passait pas une soirée en compagnie de la haute société ou quoi. J'me suis assis pas loin de l'entrée, par terre, tel un SDF, et j'ai attendu Capucine, vu que j'étais arrivé en avance. Pour une fois ! C'était rare, mais ça arrivait. On devait voir un film d'horreur. J'pense pas que ce soit le genre de fille à hurler dès qu'elle voit un zombie ou quoi à l'écran, et ça, c'était rassurant, parce que j'aurais pas su quoi faire si elle aurait gueulé. Je lui aurais surement demandé de fermer sa gueule au lieu de la réconforter comme l'aurait fait la quasi-totalité des mecs de ce monde.

Les minutes qui passèrent me parurent une éternité. En effet, j'avais l'impression d'être arrivé large trop tôt - pourtant, quand j'ai jeté un oeil à mon portable, juste cinq minutes. Mais bordel, j'aurais dit une heure, à tout casser, moi ! J'étais dans un tel état d'impatience que je jouais le rythme d'une musique inconnue sur la coque de mon phone. C'était d'ailleurs un des seuls gestes qui trahissaient ce sentiment, parce que j'avais vraiment l'air blasé, à part ça. J'commençais à vraiment à en avoir marre quand une pièce retentit sur le sol, m'obligeant à lever la tête et à dévisager mon interlocuteur - qui se révélait être Capucine. Je ravale le flot d'insultes que j'avais manqué de laisser échapper et prends la pièce dans ma main, tout en admirant la danse de la demoiselle.

« Assis par terre, voir le monde qui défile et avoir pour domicile qu'un bout de trottoir assis par terre être obligé de dire merci pour un euro ou même moins et être seul à tendre la main, être le seul à tendre la main.. »

Je me contente de lui sourire, tout en faisant rouler la pièce sur ma paume, ne pouvant pas détacher mon regard d'elle. Elle attirait continuellement ce dernier sur elle - y'avait rien à y faire, quand j'étais avec elle, je pouvais pas la quitter des yeux. Puis elle s'assit à mes côtés; pas assez près à mon goût, mais je crois que c'était mieux au fond, parce que c'est galère de taire ce sentiment qui s'amplifiait à chaque moment que je passais avec elle.

« Alors, ton seul domicile c'est ce bout de trottoir ? T'as vendu ton appart ? »

Je fronce les sourcils, avant de faire un signe négatif de la tête, comme exaspéré par tant de paroles en si peu de temps. Mais c'était qu'un air, parce que sa voix, moi, je voulais bien l'entendre tout le temps.

« T'inquiète pas poupée, on pourra toujours faire nos soirées de folie sur ce trottoir. »

La pièce continue de rouler dans ma main, et enfin je me rends compte de sa présence. J'esquisse un sourire, m'approche de Capucine jusqu'à sentir son souffle, et je frôle son oreille avec bouche, tandis que ma main s'ouvre sur la pièce. J'opte pour un ton intéressé et pervers, que j'avais jamais utilisé auparavant, afin que ma farce fonctionne - j'espérais sincèrement qu'elle croirait. Mais faut avouer que c'est pas du tout mon genre de faire ça, alors j'allais peut-être être grillé rapidement.

« Pour une nuit, ça te va ? Ca vaut largement, j'trouve »

Elle a pris la pièce en riant - un rire dont je ne me lasserais jamais. Son rire, il est parfait. Cristallin, tout ça, quoi. Elle est parfaite de toute façon, Capucine, je crois, en fait. Je m'apprêtais à l'imiter quand elle se leva, et je regrettais amèrement qu'elle le fasse, sur le coup. J'étais bien, moi, assis à côté d'elle, là, même si c'était pas confortable, par terre. Enfin, au pire, y'a le cinéma aussi, et c'est plus confortable, largement, même.

« Je baise pas les sdf, désolée bébé. »

J'ai sentis un nouveau sourire se dessiner sur mes lèvres, un grand sourire, cette fois, amusé. Capucine, elle avait une répartie que j'aimais beaucoup. J'sais pas pourquoi, mais je crois que c'était parce qu'elle laissait jamais rien passer, elle répondait à tout avec humour ou quoi, et son humour ressemblait étrangement au mien - on se ressemblait beaucoup sur certains points - et qu'elle avait beau être vulgaire, elle restait toujours aussi parfaite à mes yeux. Parce que, vous voyez, une fille comme ça, généralement, ça plait pas. Mais moi, je suis pas comme tout le monde, vous avez dû le voir. D'ailleurs, ça m'a toujours - et encore - paru étonnant qu'elle soit encore célibataire. Elle pourrait avoir qui elle souhaite, je crois. Après tout, elle avait été largement gâtée par la nature physiquement, et puis mentalement, c'était loin d'être une cruche, aussi, et elle avait beaucoup de charme et... Mh, bref.

« Même pas moi ? j'suis sûr que t'en rêve la nuit pourtant »

Elle s'éloigne; je me lève à mon tour, et parcours le centre-ville du regard - ce dernier tomba sur une jeune femme, que je trouvais tout à fait splendide. Mais rien qu'en l'observant, j'avais l'impression d'être un véritable salaud, la même impression que j'avais eue plus jeune, quand j'avais trompé ma copine avec sa meilleure amie, alors que j'étais libre comme l'air, aujourd'hui. Mais Capucine, elle, c'était la plus belle de toute, je me suis dis, et que j'avais de la chance d'être son ami et tout, d'avoir un minimum d'importance à ses yeux. Oh merde, si je continue, je vais lui bâtir un temple en nutella, je le sens.
J'aimais beaucoup le fait de pouvoir ressentir ça pour quelqu'un, vraiment, mais je détestais aussi, parce que c'était faible, de s'attacher comme ça à quelqu'un. Enfin, on a pas tous la même opinion ou quoi, je sais.

« Tu viens ou tu te touches ? »

Sa voix me sortit de mes pensées, et je la rejoins, me plaçant à ses côtés, tout sourire. Parce que, comme je vous ai dis, eh bien, Capucine, elle me faisait sourire tout le temps.

« J'me toucherais plus tard, c'est pas pressé ça »

J'avais lâché ça d'un ton un peu blasé, parce que je me concentrais sur les affiches des films. Je savais plus lequel on était censé regarder - un film d'horreur, ça c'est sûr.