« Tu veux que je te dise moi, tout ça, c’est de la merde. Cette société et tout. » disait Alec pensivement en tirant sur le joint avec délectation. C’était peut-être le deuxième, peut-être le troisième, il ne savait plus. Il le tendit à Capucine et recracha la fumée en l’air, s’amusant à faire des ronds parfaits. « Regarde … On est heureux, tout va bien et on nous prend pour des drogués. Mais peut-être qu’on en aurait pas besoin de leur foutue drogue, si cette société ne nous obligeait pas à trouver des échappatoires ! » Quand Alec était défoncé, il n’arrêtait plus de parler. Et si Capucine supportait ses frasques philosophiques, c’était bien parce qu’elle était dans le même état physique et psychologique que lui. Tous deux refaisaient le monde à leur manière, assis dans un coin du terrain de jeux pour enfant. Aux alentours de dix-neuf heures il n’y avait plus d’enfants et ils pouvaient fumer à leur guise. La police ne passait jamais par-là, parce que c’était censé être un coin tranquille. « … oui oui, ils ne comprennent pas que c’est notre seul moyen de rendre notre existence plus douce … » Capucine avait commencé à fumer avec lui ici-même, sur ce terrain de jeux. Il aurait dû s’en vouloir et jouer les meilleurs amis responsables, mais au fond il s’en moquait pas mal. Il n’allait pas lui interdire une chose qu’il faisait lui-même ! Fais ce que je dis, mais fais pas ce que je fais. Si elle voulait niquer ses poumons, c’était bien son problème. « … parait qu’on perd des neurones, mais je me sens pas plus con qu’avant … » Alec n’était même pas sûr que Capucine l’écoute, mais ça aussi il s’en moquait bien. Parfois, il se mettait à penser à des choses amusantes comme les yeux des escargots qui se rétractaient quand on les touchait, ou ces drôles de pâtes qui faisaient des bruits de pet quand on appuyait dessus, et il se mettait à rire seul. Ce genre de truc, il n’y pensait pas quand il ne fumait pas. La drogue avait un effet intéressant sur son organisme et c’était toujours une expérience agréable. Sauf quand il redescendait. « J’ai acheté ça à un pote tout à l’heure, il appelle ça la drogue de Tristan et Yseult. Tu veux tester ? Je pense que c’est comme tout ce qu’on vient de fumer, mais bon. »

Alec alluma un nouveau joint et aspira une bouffée, curieux. Mais il se sentit différent. Il s’était trompé en disant que c’était une drogue banale et il n’allait pas tarder à délirer. Il le tendit à Capucine. « C’est étrange ce truc. » dit-il. Il jeta un coup d’œil autour de lui et fronça les sourcils. « Depuis quand les gens sont à cheval dans cette ville ? C’est un nouveau mouvement de mode ? » demanda-t-il en regardant la route. « Ah non je sais, c’est carnaval ! » Oui, il ne voyait pas d’autre explication au fait qu’ils portaient des tenues du moyen-âge. « Pas mal ta côte de maille, enchaîna-t-il, elle est pas trop lourde pour toi ? La mienne pèse une tonne ! » Mais bientôt Alec n’eut même plus conscience que ce n’était pas la réalité. L’hallucinogène utilisé pour la fabrication de cette drogue était suffisamment puissant pour brouiller les limites entre le rêve et la réalité à une vitesse exceptionnelle. « Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu allais te marier Capucine ? J’ai toujours pensé qu’on s’enfuirait tous les deux, et maintenant j’apprends de la bouche du conseiller du Roi que tu vas épouser ce prince ! Tu ne veux pas de moi parce que je suis un simple cuisinier, c’est ça ? » demanda-t-il en frappant sur son torse, l’air blessé. « Je m’en vais éliminer mon rival ! » s’exclama-t-il alors, en s’élançant dans les rues de White Oak. Il ramassa un bout de bois en croyant voir son épée et dévisagea les passants. « Vous n’auriez pas vu le Prince ? » demandait-il, passablement sérieux. Capucine trottinait derrière lui, insensible aux regards surpris des habitants de WOS qui devaient se dire qu’à leur âge, on ne jouait plus à ce genre de jeux. Surtout qu’ils étaient connus comme le loup blanc, comme la plupart des adolescents de la ville. « Je te jure Capucine, je ne le laisserai pas te toucher ! Cet homme n’est pas clair, et je le prouverai ! »