Ce motel, c’est vraiment la hess. La location, Angus a jamais été fan, lui ce qu'il aime, c’est la liberté. Le reste il n’y comprends rien mais surtout il s’en fout. Il a débarqué il y a quelques jours, depuis sa montagne chérie, avec sa voiture et quelques cartons. Adressant à peine un regard au réceptionniste il réservait une chambre
"avec un velux", mais il n'y en avait aucune. Merde. Quel motel de merde. Il passait ses journées à aller et venir (mais surtout aller, pour passer du temps loin de l'endroit qu'il avait d'ores et déjà décidé de ne pas aimer.) Il travaillait, bien entendu, car il avait trouvé un poste avant même de déménager, mais revenait tous les midis, à presque toutes ses pauses, et repartait aussitôt visiter des appartements. Alors souvent (je veux dire,
souvent) il se faufilait comme un voleur de l'étage au rez-de-chaussée, du fond du couloir à la porte d'entrée, feignant d’appartenir aux parois mêmes de cette structure renfermant autant de voisins bruyants (dont, avouons-le, Angus faisait amplement partie) que de vieux touristes aux discours soporifiques dont il ne supportait plus l’écoute, qu'il subissait pourtant une dizaine de fois par jours, et qui le poussaient même parfois à saluer approximativement ce garçon nerveux à l’accueil. Nerveux devant les passages incessants d'un Angus furieux monté sur roulettes (quoi on ne peut pas
rider en paix ? Quel motel de merde !) Assis chaque soir à faire des recherches et à passer des annonces sur internet, collé au bureau dans sa chambre
veluxless sur une chaise dont le confort précaire donnait aussitôt envie de partir faire un tour, il passait bout à bout des heures à chahuter tout seul dans le hall sous le regard accusateur de quiconque le croisait. Il jetait sa planche devant le seuil de la porte du
Pimpemerde (non vraiment il n'aimait pas l'endroit) et sautait dessus pour se rendre à telle ou telle adresse ou simplement faire une balade. Quand il était là-dessus, il se sentait flotter comme sur un tapis volant. C’était comme un long voyage en voiture, ou écouter de la musique, ou lire sans se rendre compte que olala ça fait déjà mil ans. Et là il décrochait. Dans un Univers parallèle il scrutait des fantômes, ne calculait même plus sa propre présence tellement son esprit était paisible.
C'étaient des ombres qui traversaient maintenant sa tête. Ce genre d’ombres très douces aux contours estompés sur le sol, les ombres du début du printemps, quand le Soleil poind timidement avant d’inonder les rues d’été et de faire se réfugier les vieux du quartier dans des foyers climatisés.
Cette chaleur, ma pauvre dame ! C’est le cerveau d'Angus qui fondait, plic, ploc, il dégoulinait et une flaque rosâtre ne tardait pas à se former sur le sol. Son corps était crispé sur la chaise, mais ses pensées fuyaient à l’étage du dessous. Alors ils les suivait, abandonnant les offres de logements mises en ligne, les cours qu'il préparait vaguement, sachant d'avance qu'il improviserait, débordant d'un savoir passionné devant ses élèves captivés. Il ne pouvait résoudre son séant à subir une minute de plus la torture éprouvante du trône N°35476387 de la série NÖRRJE. C’est alors qu’il s’échappait par les escaliers (ou par la rampe, si les employés étaient affairés) et s'élançait devant le bureau de réception avec un élan qu'il préparait depuis son atterrissage au bas des marches pour bondir vers la porte qui n'attendait que lui.
"Viens, lui murmurait-elle languissamment,
l'asphalte s'impatiente il soupir de désir, viens... Allez, viens."C’est par une de ces après-midi de congés mortellement ennuyeux que Angus, vagabondant non loin du siège maudit, allongeant les mètres qui les séparaient pour finalement dévaler les escalier sur sa
board, tomba nez à nez avec Camille, qui était vraisemblablement furax. Angus était tellement surpris qu'il se mit à rougir et à tripoter ses doigts (les siens hein pas à Camille, imagine…) ne sachant quelle attitude adopter face à ce sympathique individu qu’il n'avait revu (ou plutôt qu'il ignorait royalement) depuis son jour d'arrivé. Faisons bonne mesure, rougissons davantage.