J’avais une adresse, une heure, la demande d’être jolie, l’instruction de porter une culotte et… c’était tout. Les aiguilles de l’horloge se rapprochaient dangereusement de l’heure fatidique et je n’avais strictement rien fait. J’avais les cheveux trempés, une serviette autour du corps, un chien qui tournait autour de mes pattes pour que je m’occupe de lui. Autant dire qu’il y avait peu de chance pour que j’arrive à l’heure à ce rendez-vous. Si c’était un rendez-vous. Mais certainement. Quand même. J’imaginais difficilement un petit dîner de remerciement pour avoir soudoyé une coiffeuse pour qu’elle lui teigne les cheveux en blanc albinos.

En parlant de cheveux, j’observais mon reflet dans le miroir et soupirais de désespoir en observant la couleur rose des miens. Je n’aurais jamais cru devoir réfléchir à quelle tenue porter en fonction de ma couleur de cheveux. J’avais été brune, blonde, rousse, mais jamais ce genre de problème ne s’était présenté. Maintenant… j’avais envie d’opter pour le noir. C’est bien le noir, c’est sobre, ça amincit, si je me tache ça se verra moins… Qui sait, peut-être qu’Angus m’avait donné rendez-vous dans un restaurant très salissant, genre de ceux où on mange avec les doigts des plats en sauce, de quoi redonner une nouvelle jeunesse à mes vêtements.

Foutu pour foutu, je me baissais pour jouer avec mon amour de chien, faisant tomber ma serviette au passage. « Oh tu veux venir avec moi bébé ? » demandais-je en posant un baiser sur le front de la bête. « Je peux pas, on sait jamais, on mange peut-être tes cousins dans l’endroit où on va dîner. » Comme s’il avait compris, Maxon gémit et se barra à l’autre bout de la chambre, les pattes croisées sous sa tête comme pour bouder. « Roh ça va je rigole. J’en aurais pas pris même s’il y en avait. » me moquais-je, comme s’il me comprenait vraiment.

Je laissais trainer ma serviette par terre et en profitais pour enfiler des sous-vêtements. « C’est bon pour la culotte ! » annonçais-je fièrement à qui voulait bien l’entendre. Je continuais ma route jusqu’à la penderie et en analysais le contenu. « Noir… noir… Noir ! » Je me dandinais pour glisser dans la robe extra moulante que j’avais choisi. C’était ma façon à moi d’être jolie ce soir. « Ah… toi t’es pas jolie par contre… » signifiais-je à la vilaine marque que ma culotte en dentelle laissait sous le tissu. Sans me laisser plus de temps pour réfléchir à la question, j’enlevais ma seule instruction du soir. Esprit de rébellion ou volonté de le rendre fou… j’ignore ce qui me donnait autant de joie en me déshabillant. Ah si ma mère était là… Elle qui m’avait toujours appris à garder ma lingerie sur moi ! Désolée m’man.

Maxon aboya lorsque je terminais de me préparer. Il secouait la queue en se rapprochant, l’air heureux lorsqu’il posait son regard sur moi. Il faut croire que le résultat lui plaisait. C’était un homme après tout, il devait être bon juge de ce genre de chose. J’espérais qu’Angus penserait la même chose. Mais vu comme ses yeux étaient restés scotchés sur mon décolleté tout l’après-midi la veille, j’étais à peu près sûre que Max ne serait pas le seul à secouer la queue ce soir. Ces mecs, tous les mêmes.

J’étais prête… presque à l’heure. Comme avant chaque rendez-vous, je cherchais une excuse pour ne pas y aller. J’ai la grippe. Il y a le feu dans ma cuisine. Je suis un homme. Et la toute nouvelle : mon chien est malade ! Et si je ne lui plaisais plus en dehors de la folie de chez le coiffeur ? Et si lui ne me plaisait plus ? Et s’il n’était pas vraiment Docteur et avait simplement dit ça pour m’exciter ? Et si c’était un faux docteur, comme Ross dans Friends ? Et si c’était un fou de dinosaure ? Un nouvel aboiement me sortait de mes pensées. « Ok ! Ok ! J’y vais ! Mais si ça se passe mal c’est ta faute. » J’envoyais un baiser à Maxon et sortait de la maison, direction mon vélo.

Pochette dans le petit panier, robe remontée un peu plus haut pour pouvoir pédaler sans souci, sandales bien calées sur les pédales… direction l’adresse indiquée. Boucles roses dans le vent, j’appréciais la route, ravie de mon choix de locomotion. Je pouvais boire autant que je voulais sans avoir peur de reprendre le volant. Je pouvais m’enfuir rapidement si ce rendez-vous tournait au vinaigre. Et ça faisait les cuisses. Donc que du positif ! « Quand on partait sur les chemins… à bicyclette… » fredonnais-je cette vieille chanson que j’avais appris en visitant Paris à deux roues.

Quelques minutes plus tard, j’arrivais dans une grande baraque de quatre étages. Une habitation quoi. Sauf si un restaurant s’y cachait très très bien… j’avais comme l’impression qu’Angus m’avait invité chez lui. « Il perd pas le Nord l’albinos… » sifflais-je en descendant du vélo et en l’accrochant au lampadaire face au bâtiment. J’attrapais ma pochette et avançais le long de l’allée devant la maison. Je glissais mon regard sur les sonnettes jusqu’à trouver le nom de mon hôte. « Le voilà… » D’un doigt fraichement manucuré en rose (c’était le thème du moment), j’appuyais sur la sonnette, attendant une réponse d'un certain jeune homme.

Quelque chose n’allait pas. Premièrement, Angus avait répondu avec autant d’entrain qu’une moule qu’on venait de pêcher. Ensuite, il m’avait vouvoyée. Certes, on n’avait pas élevé les cochons ensemble, mais nous avions vécu une sacrée aventure la veille qui nous avait amené au tutoiement. Apparemment… nous faisions un retour en arrière. « Boooon… d’accord. » Je poussais la porte et rentrais dans le bâtiment. Je maudissais le chiffre qu’il avait prononcé. Quatre. Quatre foutus étages à grimper en talons. Il ne pouvait pas habiter une maison de plein pied ? Ou un joli petit appartement en rez-de-jardin ? Non non, 4B. Le B m’importait peu. Le 4… plus. Je grimpais une à une chaque marche, faisant attention de ne pas chuter lourdement durant mon ascension. Je veillais également à limiter le bruit de mes talons dans l’escalier histoire de ne pas être déjà maudite par les voisins.

Premier étage, parfait. Deuxième, ça va encore. Troisième… ça commence à tirer. Quatrième… « Enfiiiin ! » soupirais-je en posant la patte sur le dernier palier. Je cherchais du regard un B et tombais sur une porte qui, apparemment, cachait le domicile d’un certain Angus C. Rheon. J’imagine qu’il n’y en avait pas deux qui portait le même nom dans l’immeuble et décidais de toquer. Une fois. Puis deux, lorsqu’il ne répondait pas après plusieurs longues secondes. « Aheum, aheum ! » Je me raclais la gorge de manière très forcée en espérant qu’il m’entendrait plus… mais non. Toujours pas. Il était peut-être mort le temps que je grimpe son demi-milliard d’étages.

Sans gêne, j’attrapais la poignée et la tournais afin d’ouvrir la porte d’entrée. Je passais une tête avant de glisser tout mon corps chez le jeune homme… en train de gesticuler comme un fou devant sa fenêtre. « Euuuh… ? » fut ma seule réaction. J’embrassais l’appartement du regard. Il n’avait pas l’air en condition pour recevoir de la compagnie féminine. Plus pour accueillir une soirée foot entre copains. Je n’étais pas contre, mais je n’avais pas eu l’impression que c’était le programme du soir. Je lançais un regard interloqué à Angus, cherchant une réponse dans son regard. Tout ce que je voyais dans les yeux du faux albinos… c’était qu’il était perdu. Comme s’il s’attendait à voir débarquer le pape et que c’était Barack Obama qui passait la porte. Barack avec des cheveux roses.

Je retenais un souffle horrifié. « Nooon… » Je pointais un doigt accusateur vers mon hôte. « T’as oublié ! » Je reconnaissais ce regard fuyant, cette panique qui pétrifiait sur place. J’avais le même lorsque j’oubliais de faire quelque chose que mes parents m’avaient demandé de faire. « J’y crois pas. » Je jetais ma tête en arrière, admirant le plafond au passage. Je ne savais pas si je devais être plus énervée que gênée. C’était une première… Et je ne savais pas comment réagir. J’avais honte d’avoir pris du temps pour me préparer pour… bah rien. « T’es vraiment un connard. » lui lançais-je, à la fois sérieuse et morte de rire. Des sentiments complètement opposés émergeaient de moi et j’attendais une réaction de sa part avant de décider de le frapper avec mon sac ou de partir sans me retourner. Sa réaction m’indiquerait quoi faire. Mais j’étais bien tentée pour faire les deux.

J’aurais dû mettre une culotte.

Il y en avait un qui essayait de m’enfumer. Et autrement que par l’odeur très distinctive de joint que je pouvais encore sentir dans l’appartement. Angus me couvrait de compliments et de mensonges. Je l’écoutais patiemment, le couvant néanmoins de mon regard le plus noir. Il n’allait pas s’en sortir aussi facilement. Oh non non. On ne m’avait pas élevé pour que je me laisse si facilement faire. On ne m’oubliait pas en à peine quelques heures. Merde quoi. J’avais enfin trouvé le sentiment qui l’emportait. J’étais vexée. Salement vexée. Il allait devoir faire de sacrés efforts pour me montrer que j’avais plus d’importance que la soirée prévue seul dans sa garçonnière.

Je me laissais guider jusqu’à l’immonde fauteuil. J’étais à peu près sûre que j’attraperais un lumbago si j’y restais plus de deux minutes. Surtout si je devais le partager avec l’autre petit con qui voulait me souler à coup de jus de fruit. Je n’avais pas le droit à une bière moi ? Non ? J’étais trop délicate peut-être ? Je pestais intérieurement en réclamant un jus de pomme. Il serait du plus bel effet lancé sur la tête de mon hôte. « A quoi je m’attendais ? » répétais-je, amère. « A ce que tu te souviennes de notre rendez-vous. Au moins quoi. » Maintenant que j’y pensais, heureusement qu’il l’avait organisé chez lui. J’aurais pu attendre longtemps seule à un restaurant ou autre lieu du genre. Je serais passée pour la jeune femme désespérée qui s’était fait planter par son rencard.  Là au moins, je pouvais directement me venger et je gardais ma honte pour moi seule.

Libérée du fauteuil de Satan, je faisais le tour de la pièce pour en inspecter le moindre détail pendant qu’Angus s’attelait en cuisine. « Je te pardonnerai peut-être si tu nous prépares un excellent dîner. Alors sors tous tes talents ! » Et c’était un très gros « peut-être ». Parce que pour l’instant, j’avais plutôt l’intention de chercher un moyen pour qu’il se retrouve enfermé en dehors de chez lui… nu comme un ver. C’était une punition raisonnable. Plus que celle que j’avais d’abord eu et qui avait consisté à l’envoyer passer une nuit en prison. Je continuais néanmoins le tour du propriétaire en cherchant de nouvelles idées de vengeance. Autant ne pas passer à côté de quelque chose d’intéressant.

Je n’écoutais pas vraiment ce qu’Angus racontait dans sa cuisine. J’étais bien trop occupée à lire les titres des livres sur ses étagères. Il y avait de nombreuses lectures intelligentes. Du genre qu’on a quand on a un métier respectable d’adulte. J’avais du mal à l’imaginer avec cette étiquette-ci. Il avait l’air de tout sauf d’un adulte. Surtout en cet instant. Il s’avançait vers moi alors que j’avais posé mes fesses non loin de lui. Il posa sa tête sur mes genoux, les larmes aux yeux. « Je suis là, je suis là. » le rassurais-je faussement en tapotant le haut de son crâne. « Arrête donc de faire semblant et trouve plutôt une bonne excuse à ton oubli. » Il y avait peut-être une explication rationnelle. Il avait peut-être travaillé comme un dingue toute la journée et avait oublié son programme du soir. Peut-être qu’il s’ouvrait de pertes de mémoire étranges. Peut-être que c’était juste un connard. Dans tous les cas, j’avais envie de connaitre la vérité.

Je reprenais mon inspection en feuilletant un livre à portée de main. Des dessins, des graphiques, plein de bordel avec des animaux. « Tu fais quoi exactement dans la vie ? » lui demandais-je tout à coup, rangeant ma déception pour laisser place à la curiosité. « T’as l’air d’être à peine sorti du lycée, c’est quoi ton secret ? » Je n’avais pas oublié son coup de fil de la veille non plus. Il avait eu l’air important pour… faire un truc. Est-ce qu’Angus était un genre de Docteur Jekyll et Mister Hyde ? Homme sérieux et important le jour, petit con la nuit ?

Le bruit de quelqu’un toquant à la porte me sortit de mes pensées. Je lançais un regard interloqué vers le jeune homme avant de me diriger vers l’entrée. « Je te jure que si c’est une autre fille, je te refais le portrait. » le prévins-je d’un doigt accusateur. Qu’il m’oublie une fois, ok. Qu’il prévoit de passer sa soirée avec une autre fille à la place, pas ok. J’ouvrai donc la porte avec plein d’appréhension… et découvrais un livreur de pizza sur le palier. Je clignais des yeux une bonne vingtaine de fois avant de réaliser. Ce petit con m’avait oublié pour se faire une soirée pizza tranquille chez lui. J’allais lui foutre dans le caleçon sa pizza.

J’attrapais des sous qui trainaient par là et payais le brave livreur en lui souhaitant une excellente soirée. Carton à la main, je le balançais près d’Angus sur son plan de travail. « Tu veux que je te laisse seul avec ta pizza peut-être ? Je ne voudrais pas ruiner une si belle soirée en perspective… » proposais-je avec ironie. « C’est pas comme si j’avais pris du temps pour être belle pour toi. Je veux dire, je me réveille tous les jours comme ça. » J’agitais les mains autour de mon corps pour illustrer mes propos.