« A ce soir. Sois sage, surtout. » Charlotte déposa ses lèvres sur le front de sa fille, déjà occupée à s’émerveiller devant les jouets de la crèche. Chaque matin, elles suivaient la même routine. Quelques bisous, quelques câlins et Alaska ne s’occupait plus que du xylophone interactif ou du livre aux bruits magiques. Cette situation avait été difficile les premiers jours puis Charlotte avait réussi à se faire à l’idée : Elle ne pouvait pas garder sa fille sous couveuse indéfiniment. Pas qu’elle n’en ait pas envie. Sa fille avait pris une telle importance dans sa vie, elle n’aurait jamais pu imaginer ainsi son quotidien. Ce bébé survenu subitement avait finalement trouvé sa place, malgré des premiers mois difficiles : de rejet, de craintes, de doutes, de maladresses. Aujourd’hui, Charlotte ne pourrait plus vivre sans cette petite fille. Un dernier regard derrière elle, un dernier regard vers sa fille et elle remontait dans sa voiture pour aller travailler. Charlotte était devenue vendeuse par hasard, parce qu’elle n’avait pas d’autres solutions pour être indépendante. Son avenir avait changé radicalement. Elle s’était pourtant épanouie dans cet univers qu’elle n’avait pas imaginé. Elle aurait certainement ri si on le lui avait dit. Elle avait pris plaisir à partager du temps avec sa meilleure amie et à rencontrer de nouveaux visages, à conseiller et à plaisanter avec les plus fidèles clients.

Charlotte était rarement la première à arriver devant la porte de la boutique et c’était pourtant le cas aujourd’hui. Les lumières étaient éteintes, même dans l’arrière-boutique où Azel avait l’habitude de passer de nombreuses heures. Elle n’était pas en avance, ni en retard. Mais une chose avait changé sur la porte, un petit mot avait fait son apparition. Fermeture exceptionnelle pour travaux, veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée. Azel s’était finalement décidée. Depuis plusieurs semaines, elle évoquait cette journée de fermeture pour donner un coup de neuf à cette boutique. Charlotte avait ouvert la porte à l’aide de son double de clés. Elle ne savait pas réellement ce qu’Azel avait prévu. De la peinture, certainement. Du bricolage en tout genre comme elle en avait le secret. Pour Charlotte, la journée s’annonçait à la fois compliquée et amusante. L’idée même de peindre n’avait rien de déplaisant cependant, elle n’avait jamais touché à un rouleau de sa vie. Elle avait fini par ouvrir la porte, en attendant qu’Azel pointe le bout de son nez. Hazelnut était le genre de boutique cosy, agréable, chaleureuse. Elle ressemblait à sa propriétaire, dans les moindres recoins. Charlotte avait déjà comparé cet endroit à un nuage de douceur. C’était ce qui correspondait le mieux, selon elle. Elle avait commencé à allumer les lumières puis la porte avait finalement émis un son de clochette. « Bonjour ! » avait-elle dit, enjouée. « Tu t’es enfin décidée pour ces fameux travaux ? » Elle en parlait depuis longtemps, après tout.

« Mon dieu, mon dieu, mon dieu. » Azel répétait ces mots depuis une dizaine de minutes, ne sachant plus où donner de la tête. Elle n'était pas encore prête, Malia était loin de l'être aussi, les feuilletés qu'elle avait mis à cuire pendant qu'elle prenait sa douche avaient brûlés, sa fille avait renversé son verre de lait, et elles étaient censées quitter la maison dans dix minutes. Autant dire qu'elles n'y arriveraient pas, à moins d'une aide... divine, justement. La brune - autrefois blonde -, laissa échapper un soupir sonore. « Bon. » Elle s'affala sur une chaise de la cuisine et décida de se prendre deux minutes de réflexion. Mieux valait en perdre deux pour en gagner davantage par la suite, plutôt que de continuer dans la confusion, non ? « Visiblement, on ne pourra pas rattraper les feuilletés, hein ? On oublie. » Elle parlait plus pour elle-même qu'autre chose, parce que sûrement que Malia ne comprenait pas un traître mot de ce que sa mère baragouinait. Elle approchait doucement mais sûrement des deux ans et commençait peu à peu à développer le langage, mais tant qu'on ne s'adressait pas à elle précisément et qu'on ne parlait pas un minimum lentement, c'était pour elle du charabia. Et puis, présentement, elle était bien plus intéressée par la couleur bizarre de ce qui aurait dû être des petits feuilletés à la tomate, que par ce qu'Azel racontait.

Au final, les deux Novak avaient quitté la maison avec "seulement" quinze minutes de retard. Azel avait passé la quatrième vitesse et avait nettoyé la cuisine, jeté les feuilletés, habillé Malia et s'était elle-même préparée en express. Son maquillage laissait un peu à désirer, mais elle s'en moquait bien. Elle largua sa fille à la crèche, non sans se répandre en excuses auprès des assistantes, puis fila à la boulangerie acheter des petits trucs à grignoter au cours de la journée, avant de rejoindre la boutique. Elle passa la porte, essoufflée, puis esquissa un grand sourire en apercevant sa meilleure amie. « Bonjour ! Désolée pour le retard. » Elle tenta de calmer sa respiration, puis se dirigea vers l'arrière-boutique pour déposer son sac et son manteau. « Oui, enfin ! » répondit-elle à la question de Charlotte. Cela faisait en effet quelques semaines qu'elle parlait de faire des travaux dans la boutique, mais il y avait toujours quelque chose pour les retarder. Elle était restée un peu plus tard, hier soir, et avant de partir, l'envie lui était venue de s'y mettre, enfin. Elle avait gribouillé sur un papier qu'elle avait collé sur la porte, pour que si Charlotte arrivait avant elle, elle n'ouvre pas Hazelnut aux clients. Elle ne réalisait que maintenant qu'elle aurait pu lui envoyer un message. « J'espère que ça ne te dérange pas, en tout cas. Mais, je me suis lancée tant qu'il n'y avait a priori rien à faire d'autre. » Du moins, aucune urgence majeure. Si elle s'apercevait qu'il y avait quelque chose d'autre qu'elle aurait dû faire avant, et bien tant pis : elle reporterait ça à la fin des travaux. Elle ne savait d'ailleurs pas combien de temps cela prendrait ; un jour, trois, une semaine ? Elle espérait que ce serait plutôt rapide, mais cela ne tenait qu'à elles.

Un sourire s'était affiché sur le visage de Charlotte. Enfin. Ce matin, en se levant, elle s'attendait à conseiller, commenter, s'occuper de la clientèle parfois exigeante. Elle ne ferait rien de tout cela aujourd'hui. C'était l'occasion de faire une pause, de changer de quotidien le temps de quelques temps. Azel venait d'arriver, les choses sérieuses allaient pouvoir commencer. « Ne t'inquiète pas, je suis arrivée il y a à peine cinq minutes. Juste le temps de lire ton mot et d'allumer les lumières. » Charlotte pouvait comprendre les retards, elle-même n'était pas toujours à l'heure. Mais pour une journée de travaux, les horaires étaient différents. Aucunes clientes ne viendraient dès l'ouverture pour demander son bien ou un conseil couture. Aujourd'hui, tout était différent. « Non, ça ne me dérange pas. » Elle sourit. Elle ne savait pas ce qui l'attendait réellement. Azel lui parlait de travaux depuis plusieurs semaines sans jamais vraiment lui dire ce qu'elle voulait. La boutique avait besoin d'un petit rafraîchissement. Du point de vue de Charlotte en tout cas. Et pourtant, elle avait un charme, cette boutique, telle qu'elle était. A l'image de sa propriétaire. « Alors, dis-moi, qu'est-ce que tu comptes faire ? » Elle trépignait d'impatience face à son amie. Les travaux, Charlotte n'y connaissait rien. Elle n'avait jamais tenu un pinceau de sa vie. Elle ne savait pas faire la différence entre les tournevis existants. Ces travaux s'annonçaient comme un challenge que Charlotte voulait relever. En mère célibataire - pour le moment et malgré le retour d'Enzo - elle voulait se montrer le plus indépendante possible. Et peut-être qu'un jour, elle voudrait refaire les peintures de la chambre d'Alaska. « Par quoi on commence ? Peut-être retirer ce qu'il y a dans la boutique pour les mettre derrière ? » Il fallait réfléchir et ne pas se précipiter. Enfin, elle y connaissait rien Charlotte. Rien du tout. Elle n'était pas manuelle, pas du tout. Elle préférait les livres, l'histoire, la mode. Sans superficialité, Charlotte n'avait jamais pris en compte l'idée de se salir les mains. Son éducation l'avait voulu. Ses parents lui avaient toujours tout donné. « Comment va Malia ? » Travaux ou non, Charlotte avait l'intention de discuter. De tout ce qui lui passerait par la tête. Vivre avec bébé ne permettait pas d'avoir des conversations d'adulte. Elle profitait de ses instants de travail pour ça.

Malgré un tout début de journée ratée, le reste n’était pas voué à être aussi nul ; et tant mieux. Azel en avait vécu, des journées où tout se passait mal, et il n’y avait rien de plus agaçant et rageant que de faire tomber tout ce que l’on tenait dans les mains, se prendre une amende parce que l’on avait stationné deux minutes en double-file le temps d’aller chercher du pain, et louper tout ce que l’on entreprenait. Heureusement pour elle, la tendance s’était inversée dès qu’elle avait mis le pied dans la boutique et qu’elle avait croisé le regard de sa meilleure amie. Il n’y avait rien de mieux que le sourire de Charlotte pour la remettre de bonne humeur, et le fait qu’elle ne soit pas dérangée par la fermeture exceptionnelle du magasin ne pouvait que la rassurer et la réjouir. Au moins, elles ne partaient pas du mauvais pied. Azel était consciente qu’elle n’aurait pas pu agir sur un coup de tête avec n’importe qui, mais heureusement Charlotte ne semblait pas offusquée du fait qu’on ne lui ait pas demandé son avis avant de prendre une décision qui n’était pourtant pas des moindres. « Alors ! J’ai tout noté quelque part durant ces dernières semaines, pour être certaine de ne rien oublier. » Azel farfouilla dans les différents tiroirs de son bureau et retrouva, après quelques secondes, le bloc-notes où elle avait inscrit tout ce qu’il y avait à faire dans la boutique. Elle tenait à en garder le charme vieillot, mais il y avait des choses qui ne pouvaient tout simplement pas rester comme ça et qu’on ne pouvait pas mettre sur le compte de l’authenticité de la boutique. La brune souleva la couverture, glissa son doigt le long de la feuille et le pointa là où commençait la liste qu’elle avait dressée. « La première chose à faire, c’est tout réorganiser. » Il y avait une partie de la cloison à casser dans le fond et une autre à réinstaller un peu plus loin, dans l’arrière-boutique, afin d’agrandir la pièce principale en déplaçant la cabine d’essayage. Azel n’avait finalement pas besoin de toute la place pour son atelier, et il valait donc mieux ne pas perdre d’espace. Ensuite, encore dans un souci de gagner de la place, elle pensait changer d’endroit la caisse pour l’installer vers l’entrée. Il fallait aussi changer le meuble de la caisse, justement, ainsi que les plinthes, poncer le parquet et les étagères en bois et tout vernir de nouveau, repeindre les murs et le plafond, et… « Il faut refaire l’électricité, parce que ce n’est plus aux normes. Je connais quelqu’un qui se chargera de le faire. » Elle parcouru la feuille des yeux une dernière fois, puis la reposa sur le bureau avant de se diriger dans la pièce principale. « Je pense que c’est le mieux à faire, oui, » répondit-elle quand Charlotte lui demanda s’il ne valait pas mieux tout retirer ce qu’il y avait dans la boutique avant de commencer les travaux. Le plus pratique était de commencer par les portiques le plus près de l’atelier, et d’aller les ranger tout au fond du local. Il fallait aussi prendre en compte l’espace qui serait destiné à la future cabine d’essayage, et penser à tout recouvrir de plastique une fois tous les vêtements rapatriés… il y avait beaucoup à réfléchir. Heureusement, les deux amies n’avaient qu’à discuter pour relâcher la pression. « Malia va très bien ! Elle m’impressionne, elle en apprend toujours un peu plus chaque jour. Mais je t’avouerais que ça me fait tout bizarre de me dire qu’elle aura deux ans dans quelques jours… deux ans, t’imagines ? » Azel, elle, avait l’impression d’être arrivée à White Oak Station il y a à peine quelques mois. « Et Alaska, alors ? Tout se passe bien ? »

Impatiente de savoir ce qu'Azel avait prévu, Charlotte faisait un rapide état des lieux du regard. La boutique, telle qu'elle était aujourd'hui, avait besoin d'un peu de fraîcheur, d'être remis au goût du jour sans pour autant perdre ce charme qui avait fasciné Charlotte la première fois qu'elle avait mis les pieds dans cette boutique. Ce n'était finalement que des petits détails, mais il fallait y penser, le faire aussi. Et le moment était venu maintenant. Elle écouta attentivement ce qu'Azel disait, elle énumérait les travaux à faire et il y avait de quoi faire. Elles passeraient plusieurs jours à l'ouvrage, Charlotte en était certaine. Mais elle voyait là une occasion de briser ce quotidien devenu presque trop monotone pour quelqu'un qui avait l'habitude quelques années plus tôt de ne pas tomber dans la routine. « Tu en as prévu des choses ! » Elle sourit. Elle avait hâte de se mettre à l'ouvrage à présent. « J'ai vraiment hâte de voir le résultat final, je suis certaine que ça va être super. » La première tâche consistait à évacuer la pièce principale et protéger les vêtements et les objets fragiles. Il fallait raisonner logique et organisé, ce qui n'était pas si simple. Les filles devraient commencer dans un ordre stratégique afin de ne pas se laisser déborder par la situation. C'était sans doute le plus difficile dans cette histoire. « Dis par où tu veux commencer, je te suis. Tu as de quoi protéger tout le matériel ? » Charlotte venait de se remonter les manches, prête à suivre les recommandations du maître de chantier. Ce serait une grande première pour elle. Et finalement, elle en avait connu beaucoup, de premières fois, à White Oak Station. Avec du recul, elle n'aurait pas pu rêver mieux comme nouvelle vie. Aujourd'hui, tout allait bien. Peut-être trop parfois. « Elles grandissent trop vite, de toute manière. J'ai pourtant l'impression que c'était hier. » Malia et Alaska n'avaient que quelques mois de différence. Elles avaient grandi si vite, peut-être trop. Elles n'étaient plus des nouveaux-nés. Elles avaient évolué. Presque deux ans. Autant de temps depuis l'arrivée de Charlotte dans cette nouvelle ville. « Elle suit son chemin aussi. J'aurais juré entendre un mot hier, mais ce n'était rien finalement. Puis, elle apprend surtout à connaître son père maintenant. Il y a quelques mois, je ne pensais que c'était possible. » Enzo était revenu dans leurs vies et pour de bon. Ils allaient partager beaucoup de choses ensemble. Il pourrait voir sa fille grandir, former une famille étrange. Vivre tout simplement cette vie dont Charlotte avait souvent rêvé. « C'est bizarre de partager ça avec quelqu'un maintenant. » Charlotte s'était habituée à s'occuper seule de sa fille, d'elle-même aussi. Enzo, dans ce qu'elles avaient bâti à deux, était un étranger. Elle ne savait pas quoi ressentir ou comment le ressentir. D'un côté, il y avait ce bonheur indescriptible, fait d'amour et de reconnaissance. De l'autre, cette crainte qu'elle n'arrivait pas à faire taire. « Je crois que j'ai peur, en fait de vivre dans une vraie famille. »

Elle en avait prévu des choses à faire, en effet. Mais au contraire d’il y a quelques mois, elle ne se faisait plus un souci pour ce qui était de financer tous ces travaux. C’était ce qui l’avait empêché de tout refaire l’année passée ; Azel vivait normalement, elle n’avait pas à se serrer la ceinture à la fin du mois pour se nourrir elle et sa fille, mais elle n’avait pas beaucoup d’argent en plus à mettre de côté pour l’investissement autre que celui indispensable au fonctionnement de sa boutique. Depuis les quelques rendez-vous avec Cédrik et le prêt qu’elle avait pu contracter, grâce à ses conseils, elle avait quelques milliers d’euros en réserve pour financer tout ce dont elle avait besoin. Elle aurait des mensualités à payer pendant quelques années, mais ce n’était pas un souci ; c’était comme ça que ça marchait. « J’ai tout ce qu’il faut, oui. Les bâches sont dans le placard de l’atelier. » Par sa décision inattendue d’attaquer les travaux, on aurait pu croire qu’Azel n’était pas du tout organisée, mais c’était tout le contraire ; cela faisait plusieurs semaines qu’elle réfléchissait aux moindres détails, et tout était fin prêt pour que tout se passe comme sur des roulettes. « On va commencer par ici, » indiqua-t-elle en pointa le doigt sur le portique le plus proche de la porte de l’atelier, « et on s’éloignera de plus en plus. On s’occupera de l’étagère à bibelots à la fin, on les coincera dans les espaces restants. » Tandis qu’elles commençaient à déplacer le portique, non sans prendre une particulière attention car il s’avérait plutôt brinquebalant, les deux amies papotaient de leur vie respective, notamment de leurs filles. Azel avait le sourire aux lèvres ; non seulement ces travaux feraient grand bien à la boutique, mais ils leur permettaient de passer du temps ensemble, rien que toutes les deux. Parce que, même si Charlotte et Azel travaillaient ensemble, elles n’avaient pas vraiment le temps de discuter. Quand il n’y avait pas trop de clients en boutique, Charlotte rejoignait Azel dans son atelier et elles échangeaient quelques mots, mais elles étaient bien vite interrompues ; et en dehors d’Hazelnut, elles étaient beaucoup occupées avec leur fille respective ainsi qu’avec Enzo et Rhys, et cela devenait de plus en plus difficile de se voir comme au bon vieux temps. Avec les travaux, elles faisaient d’une pierre deux coups. « Je comprends. Je n’en reviens toujours pas qu’Enzo soit revenu ! C’est vraiment génial qu’il fasse partie de la vie d’Alaska, et de la tienne aussi. » Elle aurait pu être jalouse, parce qu’elle avait toujours l’espoir qu’Augustin revienne et s’implique dans la vie de Malia, mais Charlotte était sa meilleure amie. Elle ne pouvait être qu’heureuse pour elle. « C’est sûr que ça change… maintenant, vous êtes trois. C’est plus le petit duo dont tu avais l’habitude. Mais je suis sûre que tu t’en sortiras très bien ; il faut simplement le laisser entrer dans votre vie. Te laisser aller avec lui, et ne pas te mettre de barrières. Ça fait peur, parce que ça veut dire qu’il faut devenir vulnérable… mais c’est pour le mieux, j’en suis persuadée. Pour Alaska, comme pour toi. D’ailleurs… ça avance comment, avec Enzo ? » Cette question lui brûlait les lèvres depuis quelques jours, et elle avait hâte de savoir enfin comment les choses se déroulaient vraiment entre eux.

Charlotte avait intégré mentalement chaque tâche qu'elles auraient à accomplir. Et la première surtout, celle de déplacer tout ce qui se trouvait dans la boutique pour laisser la place à tous les travaux nécessaires. « Alors, c'est parti. » Elle suivait le mouvement, prenant à son tour délicatement un portant pour l'emmener dans l'arrière-boutique, à l'abri de la peinture fraîche et de la poussière. Charlotte savait qu'elle prendrait goût à ce rafraîchissement. Finalement, elle s'imaginait ce qu'elle pourrait entreprendre dans son propre appartement. Un coup de neuf, ça n'a jamais fait de mal à personne. « Celui-là est plus lourd, il faudra s'y mettre à deux pour ne rien abîmer. » Elle désigna un portant sur la droite, trop lourd pour qu'elle ne le prenne tout seul. A deux, elles l'emmenèrent avec les autres. « Je n'en reviens toujours pas non plus. Je n'aurais jamais pu imaginé qu'il quitte sa femme pour moi. » dit-elle en sortant de l'arrière boutique. Enzo était revenu dans sa vie depuis plusieurs mois à présent. Il avait tout quitté pour elle, famille, boulot, vie. Mais il y avait entre eux Alaska aujourd'hui. Plus question de se retrouver au coin d'un couloir, dans le bureau. Il n'y a plus vraiment ces regards en coin durant les cours. « Je me suis faite à l'idée d'avoir toujours Alaska pour moi, tu sais. Mais je ne regrette pas qu'il soit là. Il est super avec sa fille. Parfait même. » Elle s'arrêta, le visage souriant. Elle repensait au week-end dernier. Enzo était venu chez elle, il avait pris soin de sa fille. Un véritable papa poule. Devant elle, l'image de la famille parfaite qu'elle n'avait jamais eu. Une famille étrange, particulièrement instable mais belle. Parce qu'elle voulait y croire. Elle en avait rêvé un jour. « Pour le moment, je le laisse prendre ses marques avec elle. Je me mets en retrait. Alaska est prioritaire. Je le laisse nouer des liens avec sa fille. » Ne reste que les souvenirs d'une relation magique, à ce jour. Et les sentiments. Ils étaient toujours là eux. Chaque fois qu'elle le voyait, elle se sentait fébrile. Amoureuse. « Puis on avance doucement. Ce qu'on avait pas fait la dernière fois. On prend le temps de se découvrir, de se retrouver aussi. » Ils avaient commencé en quelques semaines à peine. Aujourd'hui, c'est différent. « Parfois j'aimerais plus. Et en réfléchissant, attendre c'est aussi bien. Je ne peux pas penser que pour moi. » Dans un soupire, elle essaya de sourire. Elle se posait des questions. « Et toi alors ? De l'amour dans l'air ? »

Les deux amies avaient rapidement trouvé leur rythme et avançaient plutôt rapidement. Elles déplaçaient parfois des portiques seules, d’autres fois à deux lorsque ceux-ci étaient trop lourds – c’était notamment le cas de ceux qui supportaient des vêtements d’hiver, avec les gros manteaux et les épais pulls. « Comme quoi. Love always wins ! » lança Azel avec un clin d’œil. Elle était le genre de filles naïves, qui croient au parfait amour et à tout ce que cela implique, comme dans les contes de fées ou, plus en accord avec la réalité, comme dans les comédies romantiques. Enzo et Charlotte en étaient la preuve vivante : quand bien même ils n’étaient plus – ni pas encore – en couple actuellement, ce qu’il avait fait pour elle et leur fille n’était pas négligeable. Tout quitter pour rejoindre son enfant et la mère de son enfant n’était pas une décision facile à prendre, mais il l’avait prise. Son souhait de découvrir sa fille et (très certainement) son amour pour Charlotte l’avait poussé à abandonner la vie qui était la sienne jusque-là ; on ne pouvait pas en dire autant d’Augustin, alors même que l’on aurait pu croire qu’il était plus aisé de quitter l’armée plutôt qu’une vie bien rangée avec femme, enfant et boulot de fonctionnaire. Si la parfaite histoire d’amour n’avait jamais eu lieu entre elle et le père de Malia, c’était fort probable qu’elle se réalise pour sa meilleure amie. « Je comprends oui, » répondit Azel depuis le fond de l’arrière-boutique, en haussant le ton pour se faire entendre. Elle arrangeait les portiques déjà déplacés afin de gagner le maximum de place. Azel comprenait que ce ne soit pas facile de laisser une autre personne prendre autant d’importance dans la vie de son enfant, alors que cela faisait deux ans qu’elle était son centre du monde. Se connaissant, Azel aurait sûrement été jalouse ; alors qu’auparavant le bonheur de sa fille ne dépendait que d’elle, voilà qu’un autre pouvait la rendre heureuse – la peur était qu’il la rende plus heureuse, qu’il prenne plus d'importance. Le problème ne se posait de toute façon pas pour Azel mais, comme le faisait remarquer Charlotte, il fallait avant tout penser à Alaska. Azel nota ce conseil dans un coin de sa tête, pour le jour où un homme jouerait le rôle du père de Malia. « Vous faîtes bien. Prenez votre temps. Ça ne sert plus à rien de précipiter les choses maintenant. Il n'est plus question d’une amourette de quelques mois ou années ; à ce train-là, c’est pour toute une vie. » Et cela s’appliquait tout aussi bien à Azel. Si elle devait être de nouveau en couple avec Rhys, ce n’était pas pour bâcler les choses. Pas pour que cela se termine au bout de quelques mois, voire de quelques années. Azel n’avait que vingt-trois ans, mais elle n’avait pas peur de dire qu’elle se voyait passer le reste de sa vie avec lui ; et pour que leur relation marche, il fallait y aller petit à petit, s’assurer que la confiance était bien présente, qu’ils étaient bien fait l’un pour l’autre. Elle esquissa un sourire à la question de Charlotte et attrapa un énième portique pour cacher sa légère gêne. Elle se mordit la lèvre et, au niveau de l’encadrement de la porte de l’arrière-boutique, se retourna. C’était sa meilleure amie qu’elle avait en face d’elle, et elle pouvait être complètement honnête. Cela ne servait à rien de se cacher derrière une robe en liberty, ses sentiments étaient là quoiqu’il en soit. « Pour moi en tout cas. Enfin, pour nous deux. » Elle se rattrapa, pour ne pas jouer la fausse modeste. C’était clair dès le début, dès leurs retrouvailles, que Rhys et Azel étaient toujours amoureux l’un de l’autre. « J’espère vraiment que ça va marcher, Charlotte. Je l’aime tellement… parfois je me dis c’est évident, nous deux, et d’autres fois que ça ne marchera jamais. Il faut encore que j’apprenne à lui faire pleinement confiance, et lui qu’il sache s’ouvrir à moi et Malia. » Elle savait que le chemin était encore long, mais elle n’était plus à quelques mois près. Elle voulait une relation stable et saine, et elle était prête à attendre s’il le fallait. « Allez, plus que ce portique-là et on en aura fini avec ça ! On pourra attaquer les étagères, ensuite. » Et c’était peut-être la partie la moins drôle du déménagement des affaires : s’il suffisait de transporter les portiques d’une pièce à l’autre, c’était un peu plus fastidieux pour les étagères. Il fallait retirer avec soin tous les bibelots,  fragiles pour un bon nombre d’entre eux, puis déplacer les étagères, puis remettre tous les bibelots. Heureusement, il n’y avait que trois étagères de la sorte ; ensuite, elles pourraient s’accorder une pause bien méritée.

Azel avait-elle raison ? L’amour gagnait-il toujours ? Charlotte aurait voulu y croire. Pourtant, elle restait particulièrement méfiante à présent. Elle craignait encore de voir Enzo retourner auprès de son fils, auprès de sa femme. De la quitter comme elle l’avait fait en arrivant à White Oak Station. Elle gardait l’espoir. L’espoir de pouvoir vivre cette histoire d’amour dont elle avait longuement rêvé. Charlotte était toujours amoureuse d’Enzo, elle le savait. Et à ce jour, elle ne voulait rien précipiter, rien provoquer. « Sans doute. » lâche-t-elle avec un sourire. Azel semblait y croire. Et Charlotte voulait de cette naïveté. Elle voulait croire à leur amour parfait. Et en soulevant les derniers portants, elle se prenait à s’imaginer cette vie idyllique dont elle avait rêvé. Une belle histoire, une belle vie avec lui. Avec sa fille. Enzo était là aujourd’hui. Et rien ne laissait penser qu’il aimerait repartir. Il était venu pour elle. Pour elles. Si Alaska était trop jeune pour s’apercevoir de ce changement, elle pourrait grandir en compagnie de ses deux parents. L’image heureuse d’une famille unie qu’elle n’avait jamais eue. Elle gardait l’espoir, le rêve secret de la vivre, cette vie magique. Elle voulait y croire sans oublier que tout était possible. Le meilleur comme le pire. Charlotte ne pouvait plus minauder comme une adolescente. Trop d’éléments devaient être pris en compte à présent. Sa nouvelle vie avec Alaska en faisait partie. « Qui aurait pu dire que j’envisagerais une longue relation à mon âge ? » Charlotte n’avait jamais songé avoir un enfant si jeune, ni même avoir une relation stable et durable. Au lycée, elle avait du succès auprès du garçon. Ses premières années universitaires lui avaient apporté son lot de joie, amoureusement parlant. Puis Enzo était venu chambouler sa vie, son cœur, son esprit. Il avait tout mis à l’envers, même ses projets. « Tu crois que c’est le bon ? Comme dans les films ? » L’homme de sa vie, quoi. Si elle prenait son temps, elle aimait cette idée. Azel et elle avaient changé, avec le temps. Elles avaient mûri, elles s’étaient posées. Et elles pouvaient rêver. S’imaginer dans les bras du même homme. Et Azel, Charlotte le savait, avait à nouveau succombé à Rhys. Cet homme qu’elle regardait d’un mauvais œil, la peur qu’il ne fasse souffrir sa meilleure amie encore. Azel était amoureuse, c’était évident. Charlotte l’avait remarqué il y a plusieurs jours déjà. Elle souriait plus, chantonnait même. Elle était heureuse, en quelque sorte. « J’espère sincèrement pour toi que tout ira bien avec lui. Tu as droit d’être heureuse. Malia aussi. Et il adorera ta fille, je suis certaine. » Si Azel était certaine qu’il était l’homme qu’il lui fallait, alors Charlotte mettrait de côté sa rancœur. Pour sa meilleure amie, pour sa fille. Pour leur bonheur. « Tu as l’air tellement bien, Azel. » Elle lui offrit un sourire sincère. Elles déplacèrent le dernier portique. Avant de sortir de l’arrière-boutique, Charlotte récupéra une caisse et du papier bulle pour les bibelots fragiles qui ornaient toute la boutique. Azel en avait mis partout. Faut dire qu’elle les aimait ces petites choses. « Tu crois pas que tu devrais trier tout ça ? » Elle rigola. La poussière s’était accumulée sur certains, les plus hauts. « Celui-là, il te vient pas de ta grand-mère ? » Charlotte lui montra une petite figurine en porcelaine. Elle ressentait une pointe de nostalgie en voyant ce petit objet.

Azel haussa les épaules. « C’est pour ça que la vie est si belle. On n’est jamais de certain de ce qui va arriver. » Si on lui avait dit au lycée que Charlotte serait mère d’une petite fille à vingt-et-un ans, et en passe de se caser avec un homme pour de nombreuses années, elle aurait sûrement rigolé. Non pas qu’elle ne croyait pas Charlotte capable de trouver l’amour, et un amour durable, mais parce que ce n’était pas du tout l’état d’esprit dans lequel elle était, six ans plus tôt. Comme quoi, tout et tout le monde pouvait changer. « C’est le bon si tu penses que c’est le bon. Ce n’est pas moi qui pourrais le dire à ta place… » Elle esquissa un sourire, et ajouta, « Mais je pense, oui. Du peu que j’ai vu, et avec tout ce que tu m’as raconté, je crois que vous êtes faits l’un pour l’autre. Tu sais, les films s’inspirent de la réalité… » Si un film racontait que l’amour de toute une vie était possible, ce n’était pas fondé que sur des désirs utopiques. C’était parce que cela arrivait dans la vraie vie. C’était peut-être naïf de penser ça, mais Azel croyait au grand amour ; et elle était persuadée de l’avoir trouvé avec Rhys. « Et je le suis, » répondit Azel quand Charlotte remarqua qu’elle avait l’air vraiment bien. Elle l’était ; et plus encore après les mots rassurants de sa meilleure amie. C’était une des premières étapes importantes à franchir dans sa relation avec Rhys, de savoir s’il s’entendrait avec Malia – et si Malia s’entendrait avec lui, mais elle se faisait moins de souci pour ça. Pour mettre de côté ses craintes, au moins pour la journée, Azel décida de se fier à l’avis de Charlotte. Tout se passerait bien entre sa fille et son ex-petit ami – et très potentiel nouveau petit copain.

Le dernier portique déplacé dans l’arrière-boutique, il était temps de s’attaquer aux centaines de bibelots qui constellaient trois petites étagères et quelques autres emplacements hasardeux. Azel s’empara à son tour d’une caisse, et réalisa qu’il valait peut-être mieux les laisser dedans pour toute la durée des travaux. Elle n’aurait qu’à les remettre à la toute fin, une fois que les étagères seraient replacées dans la boutique. « Si sûrement, ça serait une bonne idée. » Azel rigola à son tour. Elle avait accumulé un nombre important de bibelots, qu’elle avait dégoté au détour d’un marché ou d’une brocante, mais il fallait être honnête : ce n’était pas ce qui se vendait de plus. Résultat, certains étaient là depuis l’ouverture de la boutique, au moins. « Oh, si, » répliqua Azel à la remarque de Charlotte. Elle attrapa le petit paysan en porcelaine, que sa grand-mère lui avait donné alors qu’elle était toute petite, et le serra contre elle. « Je ne sais même pas pourquoi je l’ai mis là. Peut-être pour qu’il ne prenne pas la poussière chez moi… » Elle rigola de nouveau, réalisant qu’elle n’avait fait que déplacer le tas de poussière. « On verra ce que j’en fais, mais ça me ferait mal au cœur de le jeter. » Elle pinça les lèvres et le déposa dans sa caisse. Tout en continuant de papoter, les deux amies débarrassèrent les trois étagères, s’amusant de certains objets complètement loufoques, qu’Azel ne se rappelaient même pas avoir acheté. Après avoir déplacé dans l’arrière-boutique les trois étagères et empilés dessus la demi-douzaine de caisses remplies de bibelots, Azel soupira bruyamment. « La pause ! Enfin ! » Après presque trois heures de rangement, elles en avaient bien le droit.

Il y a encore quelques années, Charlotte n'espérait pas rencontrer quelqu'un avec qui elle ferait sa vie. Elle vivait des amourettes plus ou moins longues, papillonnant de garçon en garçon. Cette période était restée loin derrière lorsqu'elle avait croisé les yeux d'Enzo. Aujourd'hui, elle restait pourtant perplexe, peu sûre d'elle. L'avenir avait quelque chose d'effrayant et son destin, elle aurait beaucoup donné pour le connaître. Savoir si cet homme était celui qu'elle pourrait appeler le bon. Parfait père pour Alaska, il avait été le parfait amant un temps. Celui qu'elle retrouvait en courant, qu'elle embrassait au détour d'un couloir, à l'abri des regards. Plus de se cacher à présent et c'était sans doute le plus effrayant. Devoir se montrer, vivre cette relation si différemment. Aux yeux de tous, sans crainte. « J'aimerais que ce soit lui, en tout cas. » Un sourire franc s'était inscrit sur ses lèvres. « Mais la réalité est quand même bien différente des films. Moins d'illusion et d'amour trop parfait. » Au fond, elle ne croyait plus aux contes de fées depuis bien longtemps, mais auprès de lui, auprès d'Enzo, Charlotte se laissait prendre au jeu du rêve. Doux et appréciable. Alors parfois, elle voulait être ces femmes dans ces téléfilms idiots qu'elle pouvait regarder. Simplement pour retrouver la magie de cet amour qu'elle pensait voir à travers elles. « Je l'aime, de toute manière. J'en suis sûre. » Et elle n'avait jamais cessé de l'aimer. Sans doute comme Azel avec Rhys. Elle avait tenté d'oublier sans y parvenir. Et elle retombait dans ses bras. Si Charlotte restait méfiante, sa meilleure amie avait cet air béa sur le visage, ses yeux brillaient de bonheur. Alors, elle se contentait d'être heureuse pour elle, d'oublier les réticences qu'elle avait à l'égard du jeune homme. « Tu le mérites, Azel. Et si c'est lui qui te rend heureuse, j'en suis ravie. Toi aussi tu as droit à tout ça. » Ils avaient été heureux un temps. C'était il y a longtemps. Azel avait souffert mais le bonheur effacerait sans doute ce passé trop douloureux. Et Malia aurait besoin de cette figure paternelle un jour ou l'autre.

Les bibelots d'Azel représentaient un sacré trésor. Des vieilleries parfois réellement moches, parfois si poussérieuses qu'il était impossible de reconnaître ce qu'il se trouvait dessous. Mais certains objets restaient précieux. Et en trouvant le bibelot de la grand-mère d'Azel, c'est de la nostalgie qui est venue s'installer sur le cœur de Charlotte. Son père lui manquait, la famille de sa meilleure aussi. La vie là-bas, à des milliers de kilomètres, paraissait si loin. Elle aurait aimé y retourner, retrouver ce qu'elle avait laissé. Malgré tout le chemin accompli ici, Charlotte restait profondément attachée à cette ancienne vie. « Tu devrais le garder. C'est un beau souvenir. » En peu de temps, la boutique avait été vidée de tout son contenu. Laissant un espace vide. La sensation était étrange. Azel annonça la pause, après avoir déposé l'ultime caisse de bibelot dans la réserve. « J'avais apporté un gâteau et du thé, pour une ouverture normale, mais je suppose que ça peut fonctionner en travaux. » Dans son sac qu'elle avait déposé dans la réserve, elle avait sorti l'assiette recouverte d'un film et le thermos encore chaud de thé. De quoi profiter d'un temps bien mérité. « Je l'ai fait moi même avec l'aide d'Alaska. Enfin, elle m'a regardé faire. » Charlotte s'était mise à cuisiner avec l'arrivée d'Alaska. Elle avait commencé par des choses plus simples de peur d'être vraiment nulle. Aujourd'hui, elle arrivait à faire quelques gâteaux basiques, quelques plats au four et même des salades colorées. Elle n'en était pas encore à faire des plats sophistiqués, mais elle s'était améliorée.

« Oh, y a pas besoin d’événements particuliers pour manger un bon gâteau ! » Azel était gourmande et ne s’en cachait pas. Peu importait, après tout, si Charlotte avait prévu ce gâteau pour une journée d’ouverture normale. Ça ferait très bien l’affaire pour une journée de travaux. C’était même mieux, en réalité ; elles n’auraient à partager avec personne, et ça en ferait donc plus pour elles. En effet, les deux amies donnaient quelques bouts de gâteau aux clients, en temps normal. Ça rendait l’ambiance encore plus conviviale qu’elle ne l’était déjà. « Tu verras, bientôt c’est elle qui prendra les manettes ! Je laisse déjà à Malia le loisir de remuer la pâte. Pas encore de casser les œufs, ça serait une catastrophe. » Elle rigola, se rappelant le premier essai – infructueux – de sa fille. Les mains enduites de jaune d’œuf éclaté, elle s’était mise à pleurer. Azel, elle, avait éclaté de rire ; et sa fille avait rapidement changé d’émotion pour rire à son tour. « Par contre, c’est moit-moit pour celle qui lèche le plat. Je suis pas encore prête à donner ma part. » Elle ria de plus belle – elle passait tout à sa fille et, quand elle faisait un jeu de société, s’arrangeait toujours pour que Malia gagne ; mais avec la pâte crue d’un gâteau, elle avait du mal à être généreuse. C’était plus fort qu’elle. Azel sorti deux tasses de l’arrière-boutique et y versa du thé que Charlotte avait apporté. Elle s’empara ensuite d’une part de gâteau, dont elle engouffra aussitôt une bouchée. « Merci beaucoup, » dit-elle, la bouche à moitié pleine. « Je voulais faire des feuilletés, je les ai vraiment faits d’ailleurs ! Mais ils ont cramé… résultat je suis allée en acheter à la boulangerie. On les mangera cet après-midi. » Elle continua de manger le gâteau, se régalant à chaque bouchée. « T’as mis quoi comme ingrédients dedans, en fait ? C’est hyper bon ! » Azel adorait cuisiner, et chaque nouvelle idée de recette était bonne à prendre.