La société pouvait parfois être tellement égoïste. Plus je découvrais la société canadienne et plus cela me sautait aux yeux. Bon, les Américains aussi nous sommes égoïstes, mais peut-être que puisque j’étais trop ancrée là-dedans, je ne m’en rendais plus compte. Moi aussi je suis une égoïste au fond et je crois que tout le monde l’est un peu au fond d’eux-mêmes même ceux qui le cachent bien. Chacun s’affaire à ses occupations de son côté sans même oser une parole ni un regard pour autrui. Même pas un sourire. Je trouvais cela épouvantable que nous soyons pris pour vivre tous ensemble, mais que nous ne soyons même pas foutus de se remarquer ou de rendre les moments banals plus agréables à travers des petites attention. Il est difficile de savoir si une personne a passé une mauvaise journée et peut-être que cette personne attend simplement un sourire pour aller mieux. Le pire, c’est que je suis comme ça aussi et c’est frustrant. Je n’ai jamais été du genre à aller vers les gens sans raison. À part ma famille et quelques amis proches, je suis assez solitaire, presque dure d’approche.
Je prenais le même bus tous les matins pour aller ici et là afin de trouver un endroit où m’installer pour créer et chaque matin, je voyais les mêmes visages concentrés, les mêmes personnes dans leur bulle qui se rendaient au travail ou à l’école. Jamais je ne leur parlais ou ne leur adressait un regard. Ça ne devait pas trop les déranger de toute façon. Je décide qu’aujourd’hui, ça allait changer. Je veux faire une bonne action. Je regarde autour de moi à la recherche de la personne la moins susceptible de repousser mon geste sympathique. Mes yeux se posent sur une jeune femme blonde que je vois tous les jours et qui s’assoie toujours au même siège. Je m’approche d’elle et m’assoie sur le siège à côté d’elle qui s’avère être libre. Je lui fais un sourire chaleureux. « Bonjour. Vous prenez souvent ce bus, non ? » En fait, je connaissais la réponse, puisque je l’avais vue de mes propre yeux assez souvent, mais je voulais l’aborder avec précaution pour ne pas avoir l’air d’une prédateur qui espionne les gens.

J'étais très consciente qu'aborder quelqu'un de façon aussi directe en lui demandant si elle prenait ce bus piuvait sembler étrange. Je ne voulais pas passer pour une quelconque prédatrice ou perverse, mais je savais que mes propos pouvaient me nuire. C'est étrange parce qu'aux états-unis, je n'aurais jamais abordé quelqu'un ainsi, car je me serait fait envoyé promener. Ici, étant un peu dépaysée, j'avais eu envie de parler à cette fille, probablement pour essayer de rencontrer des gens. Heureusement, elle avait été sympathique et j'avais trouvé ça gentil même si elle avait peut-être fait ça pour se débarasser de moi. Moi qui avait entendu dire que les Canadiens étaient égoïstes et bêtes. Comme quoi il ne fallait pas juger avant de le vivre.

J'étais monté dans le bus que je prenais chaque jour à la même heure et me suis dirigé à ma place habituelle dans le fond du transport en commun. Comme d'habitude, il y avait d'autres habitués qui occupaient tous les sièges. J'ai vu cette fille blonde que je voyais souvent et cette fois-ci je me suis décidé à l'aborder. Pourquoi passer à côté de telles occasions ? Après tout, on faisait chaque jour le même trajet de bus, alors pourquoi pas le faire de façon agréable en discutant ? Je lui parle, mais je vois que je la dérange dans sa lecture. J'espère qu'elle ne m'en voudra pas trop. Elle me sourit, c'est bon signe. La fin de sa phrase me laisse toutefois perplexe. Est-ce qu'elle se sent menacée par le fait que je la voit souvent ici ? Je tente de la rassurer. "Ne vous inquiétez pas, je ne vous espionne pas, c'est juste que j'ai un bon sens de l'orientation et une bonne mémoire disons. " Je ne savais maintenant pas trop quoi ajouter sans avoir l'air d'une obsédé ou trop curieuse. En tout cas, même si la jeune femme semble être juste un peu plus vieille que moi, je ne peux m'empêcher de la vouvoyer. Sûrement parce que je me sens coupable d'avoir ainsi fait irruption dans sa bulle. Je tente une timide deuxième approche. "Moi c'est Nalà." Encore trop direct ? Au moins c'était la moindre des politesses.

Voilà la glace est brisée. J'ai osé aborder la jeune femme que je croise à chaque jour, ma curiosité l'ayant emporté sur la gêne. Pourquoi passer à côté d'une telle occasion ? Bon en fait ce n'est pas vraiment une occasion, car c'est plus moi qui ai provoqué les choses, mais on n'a jamais trop de sympathie dans la vie. Peut-être qu'en ce moment elle avait envie qu'on lui fiche la paix, mais elle avait qu'à me le dire je ne le prendrais pas mal. Mais je me demande si j'ai vraiment bien fait de lui parler en voyant qu'elle ne répond pas à ce que je lui dis. Au moins, elle sourit c'est un bon début. Après ce que je crois être une réflexion - à moins que ce ne soit une hésitation- elle se présente et me complimente sur mon nom. "Enchanté Juliet. Merci du compliment, tes fine." Je souris. C'est fou comme une inconnue peu en quelques minutes rendre notre journée un peu meilleure. Il faut simplement bien tomber. Énième sourire de sa part. Elle est soit trop heureuse de me rencontrer ou cache un certain malaise. Un passager du bus fait un drôle de bruit. J'essaie de ne pas trop y porter attention, mais je me demande comment on homme peut être à ce point si peu gêné pour faire des bruits ainsi dans un lieu si silencieux. Il trouble la paix sans souci. J'essaie de me concentrer sur Juliet pour ne plus trop y penser. Elle, de son côté, ne semble pas avoir remarqué ce qui vient de se produire. Elle avait le regard rivé sur le paysage qui défilait à travers la vitre. Soudain, elle se tourne vers moi et me demande si je suis étudiante. Sa question me fait bien rire, mais je ris en silence. "Non je ne suis pas étudiante. Je passe ici tous les jours, mais c'est à chaque fois pour me rendre dans un lieu différent pour créer. Oui je suis une artiste et je vis de ma passion." J'ai envie de me risquer à lui demander ce qu'elle fait dans la vie, mais je ne sais pas si on est rendu là dans notre relation. C'est peut-être un peu indiscret. Mais bon, ma devise dans la vie c'est qui ne risque rien n'a rien et j'aime bien prendre des risques. "Et vous, vous faites quoi dans la vie ?" Pas encore assez à l'aise pour passer au tutoiement, toutefois.