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Mihaly&Mila

Elle posa le livre ouvert face à la table et retira les lunettes du bout de son nez. Un client venait d'entrer dans la boutique. Elle se leva et s'approcha de lui, gardant une distance raisonnable cependant pour qu'il ne se sente pas assailli. " Bonjour monsieur, si vous avez besoin d'aide, n'hésitez pas, je suis ici, à la caisse. " et alors qu'il s'éloignait et allait se perdre dans les rayons, sortant de sa vue, elle se rassît dans son fauteuil, rechaussa ses lunettes et reprît sa lecture là où elle l'avait arrêté. Elle s'était replongée depuis peu dans la saga du Seigneur des Anneaux. Elle avait toujours adoré la plume de Tolkien et l'univers qu'il avait su créer. Ce n'était pas pour autant son oeuvre préférée mais c'était plus que suffisant pour se divertir. Et puis elle en avait besoin, de passer le temps à cette heure-ci. Il n'y avait que rarement du monde dans les librairies aux heures de bureau. Ne passaient que des personnes ne travaillant pas, ou travaillant de nuit. Ou bien des étudiants - du moins ceux qui lisaient encore. Mais autrement, elle devait rester planter à attendre que quelqu'un daigne entrer dans la boutique. C'est pour quoi elle profitait toujours de ces moments là pour lire. De toutes manières, si elle avait pu passer sa vie à le faire, elle l'aurait fait. Se perdre dans ses liasses de mots qui l'emportaient ailleurs, c'était pour elle le paradis sur Terre. Elle n'avait besoin de rien de plus pour être heureuse. Un peu de nourriture, un peu d'eau et beaucoup de livres. Voilà. C'était parfait. Elle entrait dans sa bulle et si elle avait pu, elle y serait restée. Indéfiniment.

Le client repassa avec un comics et elle lui sourît doucement. Elle posa à nouveau son bouquin et prît le livre qu'il lui tendait, le passant devant le lecteur de code barre. Elle le mît dans un joli sac en papier à l'effigie de la boutique et le lui tendît en lui annonçant le prix. Et puis elle le vît partir, simplement, après avoir passé sa carte bancaire. Elle soupira doucement. La journée était longue. Personne ne passait et elle se demandait si elle n'allait pas, carrément, prendre sa veste et sortir pour faire un tour. Elle frotta sa nuque et essuya ses lunettes avec la petite lingette prévue à cet effet, histoire de se donner une marge de réflexion un peu plus longue. Finalement elle rangea tout et attrapa son blazer. Mais alors qu'elle était en train de l'enfiler, prête à décoller quelqu'un d'autre entra. Elle se mordilla la lèvre, un instant prise au dépourvu. Il était grand. Il était imposant. Ca l'avait surprise sur le coup. Il arborait de belles boucles brunes et sa peau était basanée mais parsemée de taches de rousseur sur les joues et le nez. Elle resta un instant coite, ayant perdu le fil de ses pensées. Et finalement elle s'approcha. " Monsieur... bienvenue euhm... je... " C'était une phrase qu'elle répétait tous les jours et là, c'était comme si elle était incapable de trouver les mots. Comme s'ils s'étaient envolés, avaient abandonné son esprit. Elle frotta sa nuque et laissa échapper un léger rire. " Je suis à votre service si vous avez besoin de moi... enfin de quoi que ce soit. " Elle s'était corrigée à la hâte, de peur que ses paroles soient mal interprétées. Elle avait rarement vu un individu pareil. Il dégageait une aura intimidante et en même temps rassurante. Et ses yeux... ses yeux tristes étaient hypnotiques. Elle détourna les yeux pour arrêter de le fixer et hésita à repartir s'asseoir ou l'accompagner dans les rayons en trouvant une excuse. Mais elle n'était pas assez assurée pour cette dernière option. Elle recula donc pour se rasseoir dans le mouvement, faillit trébucher dans ses propres pieds. Elle se rattrapa au bureau et rît de nouveau pour cacher son malaise. Elle se rassît avec précaution et nicha son nez dans son bouquin. Mieux valait qu'elle arrête de se faire remarquer.

Les yeux rivés sur le rivage,
Oublié ton lointain visage

Encore une journée à la boutique. Mihaly se plait dans ce milieu. Il peut enfin profiter d’objets anciens sans avoir à les dérober. S’il avait su, Mihaly aurait certainement orienté sa vie vers ce métier bien avant et aurait échappé à cette  période de délinquance. Passionné, il se lève tous les matins avec légèreté pour aller travailler. Cependant, il n’oublie jamais son passé. La nuit, il fait encore ces cauchemars. Il revit les derniers vols, il revoit le visage de l’homme abattu par son ancien chef. Parfois, il est en prison, comptant les jours restants avant sa sortie. Il sait qu’il ne risque pas autant celui qui à tuer le propriétaire de la maison qu’il ont visité mais ça ne l’empêche pas de paniquer à l’idée d’être retrouvé et jugé. Le temps passe mais le stress est toujours présent. Il tente de faire avec et de garder le sourire. Il est fort Mihaly et veut le rester.

Habituellement, l’homme se gare non loin de la boutique mais aujourd’hui, des travaux l’ont fait changer de parking. Celui-ci se trouve un peu plus en retrait par rapport à sa boutique et, après la fermeture, il se doit d’emprunter un autre chemin pour retrouver son véhicule. La ville, il la connaît. Du moins, seuls les quartiers qui l’intéressent n’ont plus aucun secret pour lui. Ces nouvelles rues qu’il arpente lui font découvrir de nouveaux magasins dont un qu’il a aperçu le matin même et il s’était juré de s’y arrêter au retour en espérant que ça ne serait pas fermé. Il a pu finir plus tôt, s’arrangeant facilement avec son collègue. Il est heureux d’avoir pu trouver quelqu’un comme lui. Jamais il n’ont eu de soucis et il apprécie grandement travailler en sa compagnie.

La boutique en vue, il y entre et regarde un peu partout, découvrant de nombreuses étagères. Il ne sait pas ce qu’il cherche. Une perle rare peut-être. Qu’importe, il aime trainer dans ce genre d’endroits. " Monsieur... bienvenue euhm... je... " Sursautant, il aperçoit une petite blonde qui s’approche de lui. Il ne l’a même pas vu en entrant, tellement perdu dans ses pensées. « Bonjour mademoiselle » lui répond-il d’un bien meilleur anglais qu’à ses débuts. Il a fait de gros progrès notamment grâce à Sloan. Son accent est encore un peu présent mais il s’en fiche, il peut se faire comprendre sans souci. Devant la jeune femme, Mihaly plisse les yeux. Elle semble figée et d’un coup, ça le frappe. Cette fille est le portrait craché de celle qu’il a sauvé de son ancien camarade de vol. Son sang se glace. Se pourrait-il réellement qu’elle soit là, elle aussi ? " Je suis à votre service si vous avez besoin de moi... enfin de quoi que ce soit. " Aucun accent ne lui met la puce à l’oreille. Serait-elle excellente en anglais ou se trompait-il totalement ? Le cœur de Mihaly bat la chamade et il déteste ça. Etre pris au dépourvu ne l’arrange pas et la réaction de la demoiselle le perturbe. Aurait-elle pu le reconnaître ? C’est impossible, elle n’a vu que ses yeux. Et entendu sa voix. C’est trop loin pour qu’elle s’en souvienne, n’est-ce pas ? Pourquoi lui alors se souvenait-il ?

La regardant s’empêtrer dans ses propres pieds, Mihaly recule lui aussi. Il devrait partir. Vraiment. Mais ça serait clairement suspect. Et si cette fille n’était pas la demoiselle en question il aurait l’air ridicule de partir comme un voleur. Quelle ironie. « Merci. C’est gentil » dit-il tentant de cacher son accent du mieux possible. Attirer son attention n’est pas une bonne idée mais malgré lui, Mihaly ne peut partir. Lui aussi est attiré comme un aimant par cette fille. Au fond, l’idée de la revoir ajoute de l’excitation à sa petite vie monotone. Pourtant, il ne veut pas risquer qu’elle le reconnaisse. Et si elle portait plainte et qu’il se retrouvait dans la merde à cause de cette malencontreuse rencontre ?

Son esprit fuse, le regard toujours rivé sur elle. Il ne la voit pas vraiment au fond, il se perd juste dans ses pensées.  S’efforçant à se détacher d’elle, il regarde les rayons. Il voudrait flâner tranquillement mais son regard et son esprit se trouvent toujours ramenés à elle. Elle va le rendre fou c’est certain. Il faut qu’il sache qui elle est. A ses risques et périls. « Je… Je cherche des livres anciens. Les plus anciens que vous ayez. Des collections rares. Vous avez ça ? » Encore une fois, il s’efforce de parler du mieux qu’il peut. Mais si elle venait à tiquer sur son accent, il prendrait ça pour un signe. Ça serait forcément elle.
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Mihaly&Mila

Quelles étaient les chances pour que Mila croise un jour un Hongrois, ici, dans cette ville ? Et plus particulièrement dans sa boutique. Cette rencontre avait quelque chose de réconfortant. Car à force de vivre si loin de son pays d'origine, on a un peu l'impression de perdre ses racines. C'était tout du moins l'impression qu'avait parfois Mila. Elle avait vécu toute son enfance là bas après tout. Elle y avait laissé des milliers de souvenirs. Sa mère y était enterrée... Elle n'allait pas s'étendre sur la nostalgie que la présence de cet homme ici pouvait lui faire ressentir. C'était avant tout positif. Par mesure de sécurité, elle lui avait demandé confirmation sur ses origines. Et elle ne s'était apparemment pas trompée. « Oui. Je viens de Budapest… Vous aussi ? » lui dît-il et elle sourît d'autant plus. Le hasard était troublant.  Non seulement ils venaient du même pays mais aussi de la même ville. Elle se mordilla la lèvre et répondît « Budapest aussi. La plus belle ville du monde, pas vrai ? » et elle laissa échapper un rire alors que sa réplique était clichée. Elle parla ensuite des plats traditionnels de leur pays commun là aussi agrémentant sa phrase de stéréotypes. C'était amusant, et c'était plus pour le faire rire que pour réellement exprimer ce qu'elle ressentait. « Oh oui. Ça fait longtemps que je n’en ai pas mangé. » prît-il malgré tout la peine de répliquer. Elle lui aurait presque proposé de venir chez elle pour qu'elle lui en prépare mais elle se dît aussi qu'il y avait des limites au ridicule. Bien que cet homme lui avait tapé dans l'oeil presque instantanément, elle ne voulait pas se montrer entreprenante ou lourde. Ca n'était pas dans sa nature. Et puis ils ne se voyaient que pour la première fois. Si elle venait à le recroiser, là, peut-être y verrait elle le signe qu'il ne faudrait pas le laisser filer. Mais ce serait pourtant surprenant.

Plutôt que de lui proposer un repas, elle évoqua son envie de revoir son pays, d'y retourner. Et aussi le fait qu'entendre cet accent particulier lui faisait du bien. C'était une discussion qui lui était agréable. Elle n'était pas très bavarde normalement, plutôt mal à l'aise dans les interactions sociales. Sauf lorsqu'on la lançait sur certains sujets, comme la littérature. Peut-être que la Hongrie en faisait partie ? « C’est la première fois que je croise une hongroise ici. Nous sommes deux ! » lui confia le jeune homme et elle fût ravie d'apprendre que l'émotion était partagée. « J’aimerais bien dire que votre accent me fait du bien aussi mais, vous n’en avez presque pas. » sembla-t-il s'étonner. Elle haussa les épaules, tripotant les étiquettes sur les étagères. Elle avait perçu ça comme un compliment. En était-ce ? Bonne question. « Je suis là depuis cinq ans. Je suppose que j'ai fini par prendre le pli. Et puis, je n'avais pas vraiment envie d'être catégorisée comme « l'étrangère » à la faculté. Puis... je parlais déjà pas mal anglais. Enfin j'avais un niveau correcte, je pense. » Elle replaça un livre d'un millimètre à peine plus loin sur son réceptacle et se mordilla la lèvre. « Enfin qu'importe. » plaisanta-t-elle en enfonçant ses mains dans ses poches.

Bientôt, elle vît l'inconnu venir lui aussi passer ses doigts sur les couvertures. Il avait des mains fascinantes. Elles étaient grandes, veinées, des mains d'hommes, viriles et sensuelles. Elle n'avait jamais compris ce que les filles pouvaient trouver aux mains des gens. Mais là, elle en avait une petite idée. Ca pouvait être magnifique et... plein de promesse. Son esprit venait clairement de dériver de façon plus friponne qu'elle ne l'aurait voulu. Elle croisa les bras sous sa poitrine et lui fît face pour tâcher de se reconcentrer alors qu'il reprenait la parole. Lui aussi semblait un peu troublé. Lui faisait-elle de l'effet comme lui, lui en faisait ? Rien n'était moins sûr. Il était peut-être simplement gêné par l'attitude de Mila. Elle priait pourtant intérieurement que non. Pour une fois qu'elle ouvrait sa bouche, elle espérait que ça ne soit pas pour faire fuir une des rares personnes qui avait un intérêt réel à ses yeux. « Alors, les livres… ? Ceux que vous avez de plus rare ça m’ira très bien. » lui expliqua-t-il, ciblant un peu plus sa recherche. Et leurs yeux se captèrent. Et ne se lâchèrent plus pendant quelques longues secondes. Peut-être même des minutes ? Elle perdait la notion du temps. Mordillant sa lèvre, elle reprît contenance et se tourna vers les livres en exposition. « Ces premières éditions sont rares, justement. Surtout celle de Jane Eyre dont je vous parlais. » lui expliqua-t-elle. « En tout cas concernant cet ouvrage là, ce n'est pas son plus célèbre alors... » Elle vînt légèrement retirer la poussière qui souillaient les pages déjà jaunies et lentement sortît le vieux bouquin de son étagère. « C'est... c'est pour quoi faire ? Vous êtes un collectionneur ? » l'interrogea-t-elle en continuant de le dépoussiérer avec une lingette sèche prévue à cet effet qu'elle gardait toujours sur elle lorsqu'elle travaillait. Elle pensait qu'une librairie à l'allure saine était toujours plus attrayante et donnait plus confiance au client d'acheter. Elle commença à marcher vers la caisse, le regardant pour qu'il la suive. « Ou c'est un cadeau peut-être ? Je peux vous l'emballer. Mais offrez le vite, il risquerait de s'abîmer. » Elle posa le livre sur son comptoir et regarda le prix qui y était inscrit. Ce geste lui rappela une anecdote qu'elle ne manqua pas de raconter. « Nous avions fait l'authentification dans la boutique d'antiquité qui n'est pas loin d'ici. C'est eux qui nous avaient fait une estimation de prix. » Elle ne savait pas trop pourquoi elle lui expliquait tout ça. Il n'en avait peut-être rien à faire. Certainement même. Elle ne s'arrêta pas pour autant. « On aurait tout aussi bien pu le laisser là bas, le leur vendre, mais mon patron tenait à les garder. Mais au final... plus personne n'a l'idée de venir chez un libraire pour chercher ce genre copie. » continua-t-elle à raconter avant de se rendre compte de sa bourde. « Enfin... pas personne mais... vous... vous êtes une des rares personnes qui... » Elle s'interrompît pour rire légèrement. « Je m'enfonce, hm ? Je ne voulais pas que vous pensiez que je... sous entendais que vous étiez... bizarre ou quoi. Enfin pour moi, quelqu'un qui est hors du commun c'est... plus... » sa voix se fît plus faible alors qu'elle perdait à nouveau ses yeux dans les siens. Dieu qu'ils étaient profonds. Elle secoua la tête. « Enfin bref. Donc ça vous fera... » elle regarda à nouveau l'étiquette. Elle avait tellement parlé qu'elle avait perdu le fil. Elle lui lût le montant et lui adressa un sourire un peu maladroit. Elle agrippait inconsciemment le comptoir, peut-être pour se donner un peu plus d'allure alors que ça la forçait à se tenir droite. Elle mordilla à nouveau sa lèvre et attendît la décision de l'homme face à elle.

Les yeux rivés sur le rivage,
Oublié ton lointain visage

Les yeux de Mihaly s’accrochent au visage poupon de cette demoiselle. Il est presque sûr que cette fille est celle qu’il a défendue quelques années auparavant. Il regrette tellement d’être entré dans cette boutique mais la curiosité le ronge. Combien de chances y a-t-il pour qu’elle soit là face à lui ? Très peu. Sa vie est beaucoup plus calme depuis qu’il s’est installé ici. A quoi doit-il s’attendre s’il s’avère qu’elle est bien la demoiselle qui les avait surpris lui et ses collègues voleurs ? Scrutant toujours la vendeuse, Mihaly comprend qu’elle ne l’a pas reconnu. Et c’est une chance. S’il agi normalement peut-être pourra-t-il repartir tranquillement sans aucun souci. Et surtout ne jamais remettre les pieds dans cette boutique. Qu’elle soit ou pas la fameuse blonde, il ne doit pas risquer d’être ramené dans son passé. Rester naturel et tout ira bien. Il en est persuadé.

« Nous avons des premières éditions si c'est ce que vous voulez dire. Je vous y emmène ? » Hochant faiblement latête, Mihaly lui emboite le pas, l’esprit toujours perdu dans les méandres de sa vie et de ses erreurs. Peut-être se fait-il des idées. Pourtant, il en a croisé des petites blondes dans sa vie mais aucune ne lui ressemble autant. Malgré lui, il a gardé le souvenir de cette demoiselle en panique devant l’arme de son ancien ami. Il n’a pas réfléchi à l’époque. La défendre a été la seule chose à laquelle il a pu penser à cet instant. Au fond, il n’a fait que retarder l’échéance. Il aurait dû se douter que ça déraperait. En fait, il s’en est douté, il n’est juste pas parti à temps. Aujourd’hui il s’en mord les doigts. Il aurait aimé qu’aucune vie ne soit ôtée à cause de leurs conneries. Mais il est trop tard et il doit vivre avec.

« Nous avons une première édition de Dickens. Et de Jane Eyre... Ca vous intéresserait ? » Perdu dans ses pensées il ne tique qu’au dernier moment. Son cœur s’emballe en entendant les mots prononcés en hongrois. Il ne sait même plus quels livres elle a bien pu lui proposer tout ce que Mihaly retient c’est qu’elle a compris. Du moins, elle sait qu’il est hongrois. Son accent a dû le trahir. « Vous... êtes hongrois n'est-ce pas ? » Elle paraît stressée et cette attitude trouble vraiment Mihaly. Il ne peut nier, cette réaction serait ridicule. « Oui. Je viens de Budapest… Vous aussi ? » demande-t-il essayant de paraître innocent. Il est devenu bon dans l’art de dissimuler ses secrets mais cette jeune femme le déstabilise beaucoup trop. « Parfois j'ai le mal du pays. Les bableves et les palacsinta me manquent. » Surpris, Mihaly lève un sourcil à son rire et ne peut que la joindre, discrètement. Les images des plats typiques de son pays se faufilent devant ses yeux lui mettant l’eau à la bouche. « Oh oui. Ça fait longtemps que je n’en ai pas mangé. » Il aurait pu en préparer de lui même mais il n’a jamais pris le temps. Puis il doit avouer qu’il a mis la Hongrie de côté en partant espérant effacer son passé.

« Je pense que j'y retournerai... un jour. Quand j'aurai les moyens. Ca me fait du bien d'entendre votre accent du coup... » Que ça soit elle ou non, elle ne semble pas l’avoir reconnu et Mihaly parvient à se détendre un peu. Son sourire se faufile sur son visage essayant de paraître le plus naturel possible. Ses yeux quittent alors la blonde pour se poser sur les livres qui les entourent. Oubliant presque la raison de sa venue, le hongrois passe une main dans ses cheveux et hoche la tête. « C’est la première fois que je croise une hongroise ici. Nous sommes deux ! » Volontairement, il ne relève pas son envie de retourner là bas. Il aurait pu lui mentir et lui dire que, lui aussi, il en a réellement envie mais ça n’est pas le cas et il ne souhaite pas qu’elle comprenne qu’il ment. « J’aimerais bien dire que votre accent me fait du bien aussi mais, vous n’en avez presque pas. » ça l’impressionne presque. Lui son accent est toujours très prononcé. En fait, il ne fait pas vraiment d’effort pour l’améliorer. Il sait parler et c’est tout ce qui compte à ses yeux.

Souriant faiblement, il passe à son tour ses doigts sur les reliures anciennes des ouvrages qui les surplombent. « Alors, les livres… ? Ceux que vous avez de plus rare ça m’ira très bien. » Plus ses yeux s’accrochent à ceux de la jolie blonde plus il en est persuadé. C’est elle. Il reconnaît son regard. Ce bleu particulier. Cette intensité. Non, il ne l’a jamais réellement oubliée.made by roller coaster

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Mihaly&Mila

Quelles étaient les chances pour que Mila croise un jour un Hongrois, ici, dans cette ville ? Et plus particulièrement dans sa boutique. Cette rencontre avait quelque chose de réconfortant. Car à force de vivre si loin de son pays d'origine, on a un peu l'impression de perdre ses racines. C'était tout du moins l'impression qu'avait parfois Mila. Elle avait vécu toute son enfance là bas après tout. Elle y avait laissé des milliers de souvenirs. Sa mère y était enterrée... Elle n'allait pas s'étendre sur la nostalgie que la présence de cet homme ici pouvait lui faire ressentir. C'était avant tout positif. Par mesure de sécurité, elle lui avait demandé confirmation sur ses origines. Et elle ne s'était apparemment pas trompée. « Oui. Je viens de Budapest… Vous aussi ? » lui dît-il et elle sourît d'autant plus. Le hasard était troublant.  Non seulement ils venaient du même pays mais aussi de la même ville. Elle se mordilla la lèvre et répondît « Budapest aussi. La plus belle ville du monde, pas vrai ? » et elle laissa échapper un rire alors que sa réplique était clichée. Elle parla ensuite des plats traditionnels de leur pays commun là aussi agrémentant sa phrase de stéréotypes. C'était amusant, et c'était plus pour le faire rire que pour réellement exprimer ce qu'elle ressentait. « Oh oui. Ça fait longtemps que je n’en ai pas mangé. » prît-il malgré tout la peine de répliquer. Elle lui aurait presque proposé de venir chez elle pour qu'elle lui en prépare mais elle se dît aussi qu'il y avait des limites au ridicule. Bien que cet homme lui avait tapé dans l'oeil presque instantanément, elle ne voulait pas se montrer entreprenante ou lourde. Ca n'était pas dans sa nature. Et puis ils ne se voyaient que pour la première fois. Si elle venait à le recroiser, là, peut-être y verrait elle le signe qu'il ne faudrait pas le laisser filer. Mais ce serait pourtant surprenant.

Plutôt que de lui proposer un repas, elle évoqua son envie de revoir son pays, d'y retourner. Et aussi le fait qu'entendre cet accent particulier lui faisait du bien. C'était une discussion qui lui était agréable. Elle n'était pas très bavarde normalement, plutôt mal à l'aise dans les interactions sociales. Sauf lorsqu'on la lançait sur certains sujets, comme la littérature. Peut-être que la Hongrie en faisait partie ? « C’est la première fois que je croise une hongroise ici. Nous sommes deux ! » lui confia le jeune homme et elle fût ravie d'apprendre que l'émotion était partagée. « J’aimerais bien dire que votre accent me fait du bien aussi mais, vous n’en avez presque pas. » sembla-t-il s'étonner. Elle haussa les épaules, tripotant les étiquettes sur les étagères. Elle avait perçu ça comme un compliment. En était-ce ? Bonne question. « Je suis là depuis cinq ans. Je suppose que j'ai fini par prendre le pli. Et puis, je n'avais pas vraiment envie d'être catégorisée comme « l'étrangère » à la faculté. Puis... je parlais déjà pas mal anglais. Enfin j'avais un niveau correcte, je pense. » Elle replaça un livre d'un millimètre à peine plus loin sur son réceptacle et se mordilla la lèvre. « Enfin qu'importe. » plaisanta-t-elle en enfonçant ses mains dans ses poches.

Bientôt, elle vît l'inconnu venir lui aussi passer ses doigts sur les couvertures. Il avait des mains fascinantes. Elles étaient grandes, veinées, des mains d'hommes, viriles et sensuelles. Elle n'avait jamais compris ce que les filles pouvaient trouver aux mains des gens. Mais là, elle en avait une petite idée. Ca pouvait être magnifique et... plein de promesse. Son esprit venait clairement de dériver de façon plus friponne qu'elle ne l'aurait voulu. Elle croisa les bras sous sa poitrine et lui fît face pour tâcher de se reconcentrer alors qu'il reprenait la parole. Lui aussi semblait un peu troublé. Lui faisait-elle de l'effet comme lui, lui en faisait ? Rien n'était moins sûr. Il était peut-être simplement gêné par l'attitude de Mila. Elle priait pourtant intérieurement que non. Pour une fois qu'elle ouvrait sa bouche, elle espérait que ça ne soit pas pour faire fuir une des rares personnes qui avait un intérêt réel à ses yeux. « Alors, les livres… ? Ceux que vous avez de plus rare ça m’ira très bien. » lui expliqua-t-il, ciblant un peu plus sa recherche. Et leurs yeux se captèrent. Et ne se lâchèrent plus pendant quelques longues secondes. Peut-être même des minutes ? Elle perdait la notion du temps. Mordillant sa lèvre, elle reprît contenance et se tourna vers les livres en exposition. « Ces premières éditions sont rares, justement. Surtout celle de Jane Eyre dont je vous parlais. » lui expliqua-t-elle. « En tout cas concernant cet ouvrage là, ce n'est pas son plus célèbre alors... » Elle vînt légèrement retirer la poussière qui souillaient les pages déjà jaunies et lentement sortît le vieux bouquin de son étagère. « C'est... c'est pour quoi faire ? Vous êtes un collectionneur ? » l'interrogea-t-elle en continuant de le dépoussiérer avec une lingette sèche prévue à cet effet qu'elle gardait toujours sur elle lorsqu'elle travaillait. Elle pensait qu'une librairie à l'allure saine était toujours plus attrayante et donnait plus confiance au client d'acheter. Elle commença à marcher vers la caisse, le regardant pour qu'il la suive. « Ou c'est un cadeau peut-être ? Je peux vous l'emballer. Mais offrez le vite, il risquerait de s'abîmer. » Elle posa le livre sur son comptoir et regarda le prix qui y était inscrit. Ce geste lui rappela une anecdote qu'elle ne manqua pas de raconter. « Nous avions fait l'authentification dans la boutique d'antiquité qui n'est pas loin d'ici. C'est eux qui nous avaient fait une estimation de prix. » Elle ne savait pas trop pourquoi elle lui expliquait tout ça. Il n'en avait peut-être rien à faire. Certainement même. Elle ne s'arrêta pas pour autant. « On aurait tout aussi bien pu le laisser là bas, le leur vendre, mais mon patron tenait à les garder. Mais au final... plus personne n'a l'idée de venir chez un libraire pour chercher ce genre copie. » continua-t-elle à raconter avant de se rendre compte de sa bourde. « Enfin... pas personne mais... vous... vous êtes une des rares personnes qui... » Elle s'interrompît pour rire légèrement. « Je m'enfonce, hm ? Je ne voulais pas que vous pensiez que je... sous entendais que vous étiez... bizarre ou quoi. Enfin pour moi, quelqu'un qui est hors du commun c'est... plus... » sa voix se fît plus faible alors qu'elle perdait à nouveau ses yeux dans les siens. Dieu qu'ils étaient profonds. Elle secoua la tête. « Enfin bref. Donc ça vous fera... » elle regarda à nouveau l'étiquette. Elle avait tellement parlé qu'elle avait perdu le fil. Elle lui lût le montant et lui adressa un sourire un peu maladroit. Elle agrippait inconsciemment le comptoir, peut-être pour se donner un peu plus d'allure alors que ça la forçait à se tenir droite. Elle mordilla à nouveau sa lèvre et attendît la décision de l'homme face à elle.

Les yeux rivés sur le rivage,
Oublié ton lointain visage

« Budapest aussi. La plus belle ville du monde, pas vrai ? » Un sourire se faufila sur les lèvres de Mihaly. « C’est vrai… » La jeune femme qu’il avait face à lui était certainement celle qu’il avait protégée. Mais ce qui le rassura quelque peu c’était qu’elle ne semblait pas se souvenir de lui. A l’époque, il portait un masque mais il avait parlé et elle avait pu voir ses yeux, peut-être même sentir son odeur. Le jeune homme ne savait pas réellement comment ce genre de traumatisme survivait et si elle se rappelait de détails. Pour l’instant, il n’avait pas été démasqué et ça l’arrangeait. Peut-être pourrait-il finir cet achat sans encombre et ne jamais revenir dans cette librairie. A cette pensée, son cœur se serra. Au fond, il était intrigué par cette fille. Qui était-elle vraiment ? Que faisait-elle, comment avait-elle vécu cette nuit là ? Il s’était toujours posé cette question. Jamais il n’avait oublié la jeune demoiselle et son regard paniqué. Ca avait sûrement été la seule chose de correct qu’il avait fait durant sa jeunesse, la protéger.

« Je suis là depuis cinq ans. Je suppose que j'ai fini par prendre le pli. Et puis, je n'avais pas vraiment envie d'être catégorisée comme « l'étrangère » à la faculté. Puis... je parlais déjà pas mal anglais. Enfin j'avais un niveau correcte, je pense. » La peur quittait petit à petit Mihaly. Cette fille était vraiment spéciale et si elle l’avait reconnu, elle n’agirait pas aussi simplement, aussi adorablement. « Moi je suis catégorisé comme l’étranger mais ça ne me dérange pas. Au début, je n’ai fait aucun effort pour parler anglais. C’était un peu la catastrophe. » Longtemps, il était resté chez lui sans en sortir. Quelques courses, des balades en forêt, mais jamais il ne s’était mélangé avec les autres. Sans travail, il n’avait vécu que grâce à ses économies amassées lors de ses vols. Il n’avait d’ailleurs pas besoin de travailler mais l’ennui s’était fait sentir et ce boulot l’avait réellement sorti de ses craintes. Mihaly ne se levait jamais sans penser à ce qu’il avait fait et la peur qu’on le retrouve. Cette occupation l’avait aidé à se détendre.

Intéressé, il écouta la demoiselle lui parler de ses livres. Au fond, il ne savait pas ce qu’il voulait réellement. De la rareté. Pas de titre précis, juste des livres qui n’étaient pas sortis en millions d’exemplaires. « C'est... c'est pour quoi faire ? Vous êtes un collectionneur ? » Devait-il lui répondre sincèrement ? Il n’avait pas vraiment envie qu’elle en sache trop sur sa vie mais lui mentir serait inutile. Ils travaillaient à quelques rues l’un de l’autre et si elle venait un jour dans sa boutique elle comprendrait son mensonge et se poserait sûrement des questions. Bien sûr, il n’était pas certain qu’elle passerait un jour mais tenter le diable n’était pas dans ses intentions. « Ou c'est un cadeau peut-être ? Je peux vous l'emballer. Mais offrez le vite, il risquerait de s'abîmer. » Suivant la demoiselle, l’esprit de Milahy bouillonnait. « Nous avions fait l'authentification dans la boutique d'antiquité qui n'est pas loin d'ici. C'est eux qui nous avaient fait une estimation de prix. »  Levant un sourcil, Mihaly scruta la demoiselle surpris par ses dires. Elle connaissait la boutique ce qui confortait sa décision de lui dire toute la vérité. Elle risquait de revenir et il ne pouvait courir le risque. « On aurait tout aussi bien pu le laisser là bas, le leur vendre, mais mon patron tenait à les garder. Mais au final... plus personne n'a l'idée de venir chez un libraire pour chercher ce genre copie. Enfin... pas personne mais... vous... vous êtes une des rares personnes qui... » Il aurait pu lui répondre mais elle l’amusait. Sa gêne et sa façon d’être étaient vraiment adorables. « Je m'enfonce, hm ? Je ne voulais pas que vous pensiez que je... sous entendais que vous étiez... bizarre ou quoi. Enfin pour moi, quelqu'un qui est hors du commun c'est... plus... Enfin bref. Donc ça vous fera... » Sans pouvoir s’en empêcher, Mihaly rigola. Pas méchamment, juste un rire franc, presque tendre. Lui n’était pas un grand parleur et préférait se taire alors voir quelqu’un agir complètement différemment et avoir un débit de parole incontrôlé l’amusait réellement. Elle était troublée la pauvre et il se demanda si c’était dû à son charme ou à quelque chose d’autre. Quelque chose remontant au passé. Cette idée, il la chassa et préféra la première solution. Inutile de lui mettre la puce à l’oreille en paniquant à son tour. « Il n’y a pas de mal. Je ne me vexerai pas, promis. » Elle n’avait pas tort au fond. Les gens passionnés d’ouvrages anciens venaient souvent dans leur boutique en premier. Il lui arrivait de les rediriger en libraire quand ils n’avaient pas ce qu’ils désiraient. « Je ne suis pas collectionneur et ça n’est pas pour un cadeau. Je travaille à la fameuse boutique qui vous a estimé ce bouquin. » Sortant son portefeuille, il prit la carte associée au magasin et lui tendit pour régler son achat. Au moins, elle n’aurait pas son identité. Pas tout de suite. « vous avez dû voir mon patron. Maintenant je me souviens qu’il avait été très déçu de ne pas pouvoir garder la copie de ce livre. Il a une passion pour les livres et adore en trouver de nouveau à mettre en vente. » Récupérant le bouquin maintenant propriété de la boutique, il sourit à la demoiselle. « D’habitude c’est lui qui vient ici pour trouver des livres… » Peut-être reviendrait-il lui même finalement. Son cerveau ne parvenait pas à se faire à l’idée de ne pas la revoir. Comme un besoin, une envie grandissante au fond de son être. Il se mettrait sûrement dans un pétrin énorme mais il ne se voyait pas ignorer la demoiselle qui se trouvait à quelques rues de sa boutique.
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