C'est assez drôle de voir que je n'ai qu'un simple sac de voyage avec moi et que je réserve une chambre pour un mois entier. La réceptionniste me regarde d'un drôle d’œil mais je m'en fiche, et puis elle me tend tout de même les clés de la chambre 112, où je séjournerais en attendant de trouver un appartement en centre-ville, ainsi qu'une situation stable. « Vous désirez qu'on monte vos bagages ? » Elle m'arrache un sourire amusé et je soulève mon sac d'une main, lui montrant qu'ils n'ont pas besoin de se déranger pour moi. « Je pense y arriver, merci. » J'ai finalement décidé de laisser mon van, car je ne veux pas me transformer en un de ces hippies crades qui restent dans les mêmes affaires vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Du coup, au bout d'un mois à utiliser des sanitaires publics et ce que la nature peut m'offrir, je décide d'utiliser sagement mes économies en logement temporaire et en nouveaux habits, que j'irais acheter tout à l'heure. Je grimpe tranquillement les escaliers menant à l'étage. Heureusement, ce n'est qu'on motel et par conséquent il n'est pas bien grand, et le chemin jusqu'à ma chambre est assez court. C'est vraiment étrange de me retrouver ici, à White Oak, ma ville d'adoption, et aller à l'hôtel. Bon, je ne regrette pas le vieux manoir, attention, mais tout de même, c'est étrange. Je pose négligemment mon sac près de la porte tout en prenant la clé - oui, tout n'est pas magnétisé dans les motels - afin d'ouvrir la serrure. C'est alors que j'entends du bruit venant de ma gauche. Je relève la tête, affichant un sourire poli afin de saluer l'inconnu qui sera mon voisin pendant un temps. Et je me rends compte que l'inconnu ne m'est pas tant inconnue que cela. Je me fige, elle aussi. Je ne sais pas du tout comment réagir. Mes sentiments sont mélangés, et au final il n'en ressort rien. Je suis paralysé. Nalà. Elle est arrivée. Je ne savais pas vraiment quand elle devait me rejoindre et comme j'ai perdu la notion du temps, j'imagine que ça devait être dans les alentours de maintenant. Je me redresse complètement pour lui faire face. Et tout ce que je trouve à dire : « Tu es venue. »

c'est assez irréel, comme sentiment. t'as l'impression que le temps s'arrête pour quelques secondes. même cette phrase est paradoxale. mais c'est comme si on m'avait arraché à la réalité, au libre cours du temps et de l'espace. nalà ne pouvait pas être là. pas dans ce décor, pas ici au canada. pas ici, chez moi. je flottais dans un rêve où la réalité était modifiée, où ce que je désirais plus que tout survenait enfin. « nahuel. » pourtant ce n'est pas un rêve. c'est bel et bien réel. oona me fait face, aussi incrédule que je dois l'être. elle a l'air heureuse, aussi. moi je ne sais pas quelle tête j'affiche, mais au final oui, je suis heureux également. pris de court, mais heureux. mon visage demeure toutefois impassible tant je suis sous le coup de la surprise. « est-ce que j'ai l'habitude de ne pas tenir parole ? » quelques secondes de silence supplémentaire et mes lèvres se tordent en un sourire amusé. elle m'a tellement manqué ! j'avance donc vers elle, les bras grands ouverts, et je la serre fort dans mes bras. j'attends quelques instants durant lesquels je sens son odeur, si familière et qui m'évoque tant de souvenirs, puis je relâche mon étreinte, toujours souriant. « tu m'as manqué. » je n'ai jamais eu honte de lui partager mes sentiments, de manière générale. il faut dire que j'ai énormément changé depuis le lycée, depuis le jeune abruti populaire qui n'éprouvait rien d'autre que des pensées narcissiques et égocentriques. « tu es arrivée depuis longtemps ? » je commence à m'inquiéter d'avoir pu manquer son arrivée depuis trop longtemps. après tout, si elle est là c'est majoritairement pour moi, et j'ai pas envie de tout foirer dès la première seconde. un autre client passe près de nous et le couloir est trop étroit, alors nous nous collons contre le mur le temps que l'inconnu passe son chemin. « viens dans ma chambre, j'crois qu'on a plein de trucs à se raconter, et puis je dois installer mes affaires et tout. et puis c'est pas qu'on gêne mais... un peu quand même. » je souris tout en ouvrant finalement la porte de ma chambre. je fais mine de la laisser entrer en premier, d'un geste de la main.

ton cœur bat bien trop vite. c'est fou l'effet qu'elle te fait. pas dans un sens romantique, ni physique, enfin tu l'adores et la trouves jolie, mais c'est quelque chose d'autre. de plus puissant. le genre de choses que tu contrôles absolument pas, pas plus que tu ne le comprends. le genre de choses qui t'fais te poser tout plein de questions métaphysiques, te questionner sur ton existence et le monde, sur les relations humaines et pourquoi l'être humain peut être autant obsédé par un autre membre de son espèce. cette euphorie éprouvée en sa présence t'avait foutrement manquée, et tu ne t'en étais même pas rendu compte. tu savais qu'elle te manquait, mais pas à quel point. vous vous dîtes à quel point votre séparation a été difficile, c'est mignon, le monde semble avoir disparu autour de vous. « j'suis débarquée il y a exactement six minutes trente-deux secondes. et toi ? t'es ici depuis quand ? » tu rigoles. elle est drôle quand même. c'est une des raisons qui fait que tu l'aimes. elle est pas stupide, et elle connaît l'autodérision et le sarcasme. alors tu fais mine de vérifier ta montre, toi aussi. « et moi il y a sept minutes et cinquante-quatre secondes. » tu finis par l'inviter dans ta chambre. parce que là au moins vous ne serez pas dérangés par les occupants paumés et crades de ce motel. tu refermes la porte derrière toi et vous vous calez sur le lit, étonnamment moelleux et confortable pour un lieu de ce standing - tu payes vraiment pas cher pour cette petite chambre, mais t'as pas à te plaindre. « alors, quoi de neuf depuis l'arizona ? » tes yeux vont machinalement vers le plafond et tu inspires bruyamment. tellement de choses se sont passées, et en même temps, tu n'as rien accompli de tout ce que tu devais faire. si nalà n'est pas venue directement, c'était pour plusieurs raisons. parce que t'avais des choses à régler qui nécessitaient son absence. sauf que voilà, ton temps est écoulé et t'as encore rien fait. t'es bien dans la merde, coco. « j'ai vécu dans mon van pendant un mois. » tu commences doucement, sale lâche. « puis j'ai commencé à en avoir mare des toilettes publics et de l'hygiène douteuse qui va avec alors j'ai investi dans le motel. » t'inspires une nouvelle fois, le plus important est à venir. « donc comme tu peux le constater, j'ai pas encore parlé à terry. ni à grand-mère. j'les ai même pas vus en fait. » puis timidement tu ajoutes : « ni anthony, d'ailleurs. » tu sais pas pourquoi ça te gênes soudain de parler de lui devant elle. mais t'as du mal à assumer de pas avoir régler tes comptes avec qui que ce soit. en particulier avec lui. t'es tellement lâche sur le coup. t'as planté ton mec et tu sais pas ce qu'il devient. comment il a réagit sans toi. le pire, au fond, c'est qu'il soit passé à autre chose. comme toi. c'est égoïste mais c'est quelque chose que tu supporterais pas. tu décides finalement de ramener la discussion à elle. « et toi, du coup ? »

nalà prit étonnement bien tout ce que tu lui dis. elle garda le sourire, s'extasia devant les quelques semaines que t'avais passées dans un van, alors que franchement, c'était dégueulasse, et ne broncha pas lorsque tu lui annonças que tu n'avais absolument rien fait de tout ce que tu devais faire. t'étais étonné, forcément, qu'elle réagisse aussi bien alors que, franchement, t'avais pas assuré. mais tu te dis finalement que c'était pour ça qu'elle était ta meilleure amie, que tu l'aimais à ce point là et que tu serais incapable de vivre sans elle. alors tu souris, comme un idiot, trop content d'avoir nalà à tes côtés, après tant de temps passé loin d'elle. c'est fou de se dire qu'au final, tu la connaissais pas depuis tellement de temps. elle était entrée dans ta vie y a quoi ? trois ans de ça ? et pourtant c'était comme si vous vous connaissiez depuis des siècles, que vous étiez faits pour vous retrouver dans chacune de vos vies, autant de fois que vous vous réincarneriez sur cette planète ou une autre. un sentiment qui n'avait pas d'égal. un sentiment qui te donnait du mal à tracer les limites de votre relation. tu savais pertinemment qu'elle était plus qu'une amie. que l'attirance que tu avais pour elle t'empêchais également de la considérer comme une sœur. mais tu ne pensais pas non plus être amoureux d'elle, comme tu as pu l'être d'anthony. tu ignorais complètement si tu étais capable d'avoir une quelconque attirance charnelle pour elle et tu commençais à en avoir marre de pas savoir quoi penser. t'aimerais que les choses soient plus claires, mais si la vie était facile, ça se saurait. quand elle demanda si t'avais eu hâte qu'elle arrive, t'éclatas de rire et tu la pris dans tes bras quelques secondes avant de revenir à ta position initiale. « grave, t'imagines même pas à quel point. » c'était vrai, elle t'avait sacrément manqué. et puis t'avais compté les jours avant qu'elle vienne, avant que tu puisse revoir son joli visage, qui t'arrachait toujours un sourire. mais d'un autre côté, t'avais eu peur aussi. l'estomac noué par l'appréhension. parce qu'ici, tout risquait d'être différent entre vous. ce n'était plus vous deux contre le reste du monde. vous n'étiez plus seuls. maintenant tu devais faire face à tes responsabilités, retrouver ta famille, grand-mère, terrence, et puis tu devais revoir anthony. tu pouvais pas continuer de l'ignorer comme ça éternellement. « t'es stressé à l'idée de les revoir ? ils savent que t'es revenu au moins ? » ton sourire se figea un instant. t'étais soudain très mal à l'aise, et sacrément honteux. putain, tu pouvais pas faire ça aux gens que t'aimais ! d'un coup, tu réalisais à quel point t'étais un monstre. t'avais aucun cœur, aucune pitié. « non. » le mot de la honte. t'eus envie de disparaître, comme ça, d'un claquement de doigt. d'enfouis ton visage sous les draps et de rester là jusqu'à ce que tu n'ais plus d'air. et puis après tant pis. tu méritais même plus de faire partie de leur vie. tu méritais plus rien. qu'on te tourne le dos sans raison comme tu leur avais fait. tiens, ça te ferais du bien. une bonne leçon de vie somme toute. « bien moi je reviens d’un roadtrip de trois semaines. j’ai visité un peu le reste du canada sur le pouce avant d’atterrir ici. j’ai rencontré un couple vraiment chouette… ils sont supposés venir ici éventuellement. il faudra que je te les présente. » l'entrain naturel de nalà te redonna le sourire. t'imaginais alors qu'elle incroyable roadtrip elle avait pu vivre et tu te surpris à regretter de ne pas avoir été avec elle pour l'accompagner dans ses aventures. mais après tout ça avait été ton choix. tu souris et acquiesça lorsqu'elle suggéra de te présenter un couple apparemment charmant et vivant ici. « j'adorerais ! » puis soudain tu lui pris la main. un geste anodin pour vous ; vous aviez toujours été assez tactiles. tu la serras fort avec un sourire, t'étais trop content de la voir. mais une part de toi t'en voulait toujours pour être aussi lâche. t'arrivais franchement plus à te regarder dans la glace. nalà, j'ai honte. j'ai tellement honte. j'ai abandonné tout le monde pour partir en arizona. j'ai donné aucun signe de vie. j'peux pas me permettre de débarquer à nouveau dans leur vie. j'peux pas être égoïste à ce point là. » l'ambiance était redescendue d'un coup mais t'avais envie de crever l'abcès. t'avais déjà eu ce genre de conversation avec elle, plus d'une fois même, mais maintenant plus que jamais, tu mesurais la conséquence de tes actes. et maintenant je t'ai demandé de faire la même chose pour moi. certes, c'était pas vraiment pareil. nalà avait probablement dû prendre bien plus de précautions que toi avant de partir. mais tout de même. elle était partie, avait tout quitté pour toi, l'arizona, sa maison, sa famille. et toi, tu méritais pas qu'on fasse ça pour toi. non, tu ne la méritais pas.