ashton & nina
ain't nobody, loves me better
Nina était assise au bord du lac, les pieds plongés dans l'eau. Cela faisait deux bonnes heures qu'elle tentait de calmer ses larmes, sans succès. Elle était d'abord rentrée chez elle et, quand son frère avait vu son état, il s'était empressé de la prendre dans ses bras et de la rassurer, alors même qu'il ne savait pas pourquoi elle pleurait comme ça. Il lui avait préparé un diabolo menthe et un mug-cake comme elle lui avait montré quelques semaines plus tôt, et elle s'était confiée en le mangeant miette par miette. Il lui avait dit tout ce qu'il pouvait pour la consoler mais rien n'y avait fait ; vingt minutes plus tard, les larmes salées inondaient toujours autant son visage. Elle n'arrivait tout simplement pas à voir le bout de cette histoire, elle avait l'impression qu'elle resterait empêtrée dedans pour toujours. Qu'elle resterait seule, qu'elle finirait sa vie seule. Elle prit une grande inspiration, saccadée par une multitude de sanglots, renifla trois fois et se prit la tête dans les mains. Quand elle avait compris que rester chez elle n'améliorerait pas les choses et que même les paroles rassurantes de son frère n'arrivaient pas à la calmer, Nina avait décidé de ressortir pour prendre l'air. Elle avait erré dans Fairmount District avant de sortir de la ville. Elle s'était dit que marcher dans la nature lui ferait du bien, que le silence seulement troublé par le vent ou les insectes l'apaiserait et lui changerait les idées, mais c'était limite pire encore. Elle était livrée à elle-même et son esprit ne la laissait pas en paix. Elle ne cessait de ressasser, encore et encore, la violente dispute qu'elle avait eu avec Corali. Mais elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle, n'est-ce pas ? Oui, au fond tout était de sa faute. Elle s'était mise dans cette embrouille toute seule, sans personne pour l'y pousser. Tu avais tes raisons, n'importe qui aurait fait pareil à ta place, lui avait dit son frère. Mais comment pouvait-elle le croire, alors même qu'Edi avait le don de s'embarquer dans tous les mauvais plans possibles et inimaginables ? Bien sûr que lui aurait fait pareil, mais les autres ? C'était peut-être de famille, après tout. De prendre les mauvaises décisions, celles qui non seulement les faisaient souffrir eux, mais leur entourage aussi. Elle en avait sérieusement voulu à son frère quand il était parti elle-ne-savait-où sans aucune raison apparente, elle lui en avait voulu de s'être absenté pendant quatre longues années alors qu'elle avait besoin de lui, mais au final, valait-elle mieux que lui ? Rétrospectivement, elle le comprenait. Elle ne savait toujours pas le fin mot de l'histoire, il ne lui avait toujours pas dit pourquoi il était parti et pourquoi il n'était pas revenu avant toutes ces années, mais elle le comprenait ; parce que tout ce qu'elle souhaitait, en ce moment précis, c'était partir loin, très loin, et ne plus jamais revenir. Qui pourrait-elle regarder dans les yeux, dorénavant ? Toutes ses plus proches amies étaient impliquées, et elles auraient vite fait de raconter les détails à leurs amis respectifs. Nina était persuadée que la réputation qu'elle avait acquit -sans aucune manipulation, celle-ci- dans sa promotion mais aussi dans l'université en général serait tâchée, qu'elle retomberait au rang de fille invisible voire méprisée, elle qui était pourtant appréciée de tout le monde. Mais comment pourrait-elle encore passer pour une fille gentille et agréable après que les gens auraient entendu le type de personne qu'elle avait été ? Nina avait donc fini sa promenade au lac Primrose et dans un dernier élan d'espoir -ou de désespoir ?- s'était dit que se rafraîchir les pieds lui viderait l'esprit. Mais bien sûr, il n'y avait aucun lien entre le rafraîchissement du corps et le vide de l'esprit, et Nina était toujours dans le même état, voire pire encore. Un samedi après-midi de vacances d'été, les alentours du lac étaient particulièrement fréquentés et plusieurs personnes avaient regardé la jeune blonde d'un air interrogateur, puis attendri et compatissant. Nina, elle, n'y faisait pas attention. Tout ce qui l'obsédait et l'angoissait était le pétrin dans lequel elle s'était fourrée.

ashton & nina
ain't nobody, loves me better
Entre deux reniflements, Nina sentit une main se poser sur son épaule. Elle ne tilta pas tout de suite, d'ailleurs. En réalité, elle aurait probablement pu se faire kidnapper sans même le remarquer, sans même y voir un inconvénient. Elle se sentait tellement mal qu'elle se moquait de tout, à vrai dire. Elle aurait pu voir une guerre se dérouler devant elle qu'elle n'aurait pas levé le petit doigt. Cela pouvait paraître un peu exagéré, ce n'était qu'une dispute quand on y pensait ; mais une sacrément grosse dispute tout de même. Nina, elle n'avait pas l'habitude de ça. Elle avait toujours eu l'habitude d'être aimée et entourée, et surtout d'avoir des relations sans vagues, où il n'y avait pas un mot plus haut que l'autre. Des désaccords arrivaient toujours, bien sûr, elle avait déjà été en colère aussi, mais c'était très rare. Elle se débrouillait toujours pour fuir le conflit... mais là, le conflit s'était imposé à elle. Une voix masculine finit par retentir et le cœur de Nina se serra. Ashton. Elle l'avait reconnu, aussitôt. Ashton. Non, non, non. Elle ne voulait pas qu'il la voit dans cet état. Oh non... Elle avait sûrement l'air misérable. Aucun doute qu'elle était laide au possible, avec son mascara qui lui dégoulinait sur les joues, ses cheveux qui lui tombaient dans les yeux et qui étaient tout trempés maintenant. Ses sanglots qu'elle ne pouvait stopper. Pour toute réponse à sa question, elle pleura de plus belle. Elle n'arriva même pas à esquisser un simple sourire, alors elle finit par secouer la tête. Non, ça n'allait pas. Elle aurait aimé se passer une main sur le visage, se forcer à sourire puis dire que Oui oui, tout va bien. Merci., et attendre qu'il soit parti pour se remettre à pleurer. Mais là, la peine était bien trop importante pour ça... trop importante pour faire semblant.

Elle sentit qu'il la prenait par les épaules, qu'il l'aidait à la relever, à marcher un peu plus loin que le bord de l'eau, à l'asseoir dans l'herbe. Elle se laissait faire, se sentait comme un zombie. Pas complètement maître de son corps, pas totalement maître de son esprit. Nina replia ses jambes et les serra contre son corps, avant d'enfouir sa tête sur ses genoux. Sa respiration était saccadée, contrôlée par les sanglots qui se faisaient trop nombreux. Elle aurait voulu dire à Ashton de rentrer chez lui, de ne pas perdre son temps avec elle, mais elle n'en était pas capable. En fait, elle voulait qu'il reste. Elle se sentait beaucoup trop seule, beaucoup trop abandonnée pour le voir s'éloigner. Elle avait l'impression qu'il ne restait plus que lui, tout compte fait. Qu'elle avait perdu le reste de ses amis. C'était triste, n'est-ce pas ? Non pas qu'Ashton soit là, mais qu'il soit le seul. Elle l'adorait, vraiment. Vraiment. Elle adorait passer du temps avec lui, et elle ne s'ennuyait jamais lorsqu'ils n'étaient que tous les deux... mais l'idée de ne plus être entourée de son groupe d'amies la terrifiait. Mine de rien, malgré toutes les combines qu'elle avait mise en place pour que les filles s'attachent à elle, elles avaient été son roc. Quand bien même leur relation était basée sur un mensonge, sur des non-dits et des faux semblants, elles avaient fini par devenir réellement amies. Nina avait fini par réellement les aimer, et son amour pour elles était devenu sincère. Perdre une amie était déjà énorme, mais en perdre six en même temps ? Et c'était sans compter tous les autres, sûrement un bon nombre qu'elle ne connaissait même pas, qui seraient mis au courant. Qui sauraient que Nina était une grande menteuse manipulatrice. Qui ne prendraient même pas la peine de lui adresser la parole, qui parleraient sur son dos, qui la pointeraient du doigt... sa plus grande peur. Tous ces secrets pour qu'une chose pareille n'arrive jamais, et voilà que cela lui retombait dessus. Elle aurait dû s'y attendre. On aurait dû lui dire à Nina, que mentir n'était jamais bon et que, tôt ou tard, la vérité refaisait surface. Elle refaisait toujours surface.

Nina rigola, un simple éclat de rire au milieu de tous ces pleurs. Elle s'essuya les joues du bout des doigts, mais elles étaient trop inondées et il lui aurait fallu une boîte de mouchoirs pour les sécher complètement ; mais des mouchoirs, elle n'avait pas pensé à en prendre. Et puis, à peine s'était-elle essuyée les pommettes que de nouvelles larmes firent leur apparition. Elle ne cessait de se repasser en boucle toutes les disputes auxquelles elle avait été confrontée ces derniers jours, pensait à toutes ses amitiés brisées et toutes celles qui le seraient dans les semaines à venir. Elle n'arrivait pas à voir le bout, pas à voir la moindre chose positive. Et elle paniquait complètement. « Mouchoir, oreiller, journal intime et ami relou qui fait des blagues nulles. » Sa phrase était entrecoupée à plusieurs reprises de sanglots qu'elle ne contrôlait toujours pas. Nina redressa la tête et planta ses pupilles dans celles d'Ashton pour la première depuis qu'elle était arrivée. « Si ça ne t'ennuies pas. » Elle se mordit la lèvre alors que son menton tremblotait, mais elle ne put retenir plus longtemps ses pleurs, qui recommencèrent de plus belle. « Je suis désolée, je suis désolée... Je... j'aurais pas voulu pas que tu me voies comme ça. » Elle s'essuya de nouveau les joues, sans grand succès. Elle haussa les épaules, puis s'aida de la paume de ses mains et de ses avant-bras pour se sécher le visage du mieux possible, afin d'être davantage présentable. Elle étendit ses jambes devant elle et fixa le bout de ses pieds, où des herbes s'étaient collées. Elle pleura encore quelques minutes, sans rien ajouter, puis ferma les yeux et posa la tête contre l'épaule d'Ashton. Pendant toutes ces semaines depuis qu'elle l'avait rencontré, pendant toutes ces semaines elle s'était débrouillée pour installer une certaine distance, pour ne pas le voir trop souvent, pour ne pas trop lui sourire, pour ne pas trop le regarder, parce qu'elle avait bien compris ce qui se passait, elle avait bien compris qu'elle l'appréciait un peu plus qu'un simple partenaire de musique ; et elle ne voulait pas s'engager dans une relation, pour profiter de son célibat et de ses amies, mais aussi pour se protéger, pour ne pas avoir à souffrir d'une peine de cœur. Mais là, elle se fichait bien de tout ça. Elle avait trop besoin de lui. « Tu... tu arrêterais de me parler, si... » Elle renifla, sanglota, « si tu savais pourquoi je, je suis comme ça. Et, » Ses pleurs s'intensifièrent alors qu'elle imaginait la suite de sa phrase, « et je veux vraiment pas te perdre. »

ashton & nina
ain't nobody, loves me better
Nina frissonna quand Ashton passa un bras autour de ses épaules, réaction paradoxale alors que cela la réchauffa instantanément, l'envahit d'un sentiment de sécurité et de bien-être ; bien-être qui ne fut que temporaire, son angoisse reprenant rapidement le dessus. Nina ne frissonna donc certainement pas de froid, mais elle n'avait décidément pas la tête à se poser des questions à propos de ce que ces frissons pouvaient bien vouloir dire. Son cerveau était entièrement monopolisé par la cause de ses larmes, et rien n'arrivait à détourner son esprit de ça. Et plus elle y pensait, plus les larmes redoublaient. Ce fut pire encore quand elle pensa au fait que, non seulement elle venait de perdre le neuf dixième de ses amies, mais qu'elle allait sans aucun doute perdre Ashton aussi, quand il aurait compris qu'elle n'était pas une bonne personne et qu'il n'avait rien à faire avec elle. Qu'il perdait son temps avec une fille qui ne lui arrivait pas à la cheville sur l'échelle de la bonté. « C'est ce qu'on verra... » articula-t-elle a mi-voix, peu convaincue par ce qu'Ashton lui assurait. Maintenant, il affirmait qu'il ne l'abandonnerait pas... mais quand serait-il dans vingt minutes, quand il saurait toute l'histoire ? Parce qu'il la saurait, bien sûr. Elle allait lui dire, elle allait tout déballer ; elle en avait besoin. Elle avait terriblement besoin de raconter toute l'histoire à quelqu'un qui n'était pas concerné, elle avait besoin de se justifier, elle avait besoin d'expliquer les raisons de ses actions. Elle avait bien tenté de le faire avec Abi et avec Corali, elle avait essayé avec Fiona, mais elles n'avaient rien voulu entendre, évidement. Évidemment.

Elle avait le regard plongé dans celui d'Ashton, et son cœur se serra. Elle aurait aimé s'abandonner à ses pupilles, s'y perdre et ne plus jamais en sortir. Mais Nina avait des responsabilités et elle ne les fuirait pas, peu importe à quel point elle en avait envie. Elle n'était pas lâche ; ce n'était pas comme ça qu'on l'avait éduquée. Ses parents lui avaient toujours appris à faire face à ses erreurs, à prendre la responsabilité de chacune de ses actions, bonnes ou mauvaises. Et quand elles étaient mauvaises, c'était à elle de prendre le taureau par les cornes et de tout faire pour arranger la situation. Nina avait donc toujours fonctionné comme ça, et c'est sûrement ce qui lui avait permis d'avoir un aussi bon dossier scolaire et d'avoir autant d'ambition, d'être aussi heureuse ; elle avait su escalader les divers obstacles de la vie, et à relativiser quand il n'y avait pas de solution. C'était la philosophie qu'elle devait adapter aujourd'hui encore, pourtant elle n'en avait pas la force. Elle avait l'impression que le pétrin dans lequel elle s'était mise était trop important pour que cela marche. Son cœur se serra de nouveau quand Ashton reprit la parole, et Nina secoua vivement la tête de droite à gauche. « Oh non, je ne te demanderais jamais une chose pareille ! » Le ton de sa voix était visiblement effrayé ; sa plus grande peur était qu'il s'éloigne d'elle, alors elle ne risquait pas de le repousser. Ne jamais dire jamais, hein ? Mais pourtant, elle savait du plus profond de ses tripes qu'elle n'aurait jamais aucune raison pour lui demander de partir. Ashton était beaucoup trop parfait pour ça ; alors certes, personne n'était parfait et cela ne faisait que quelques semaines qu'ils se côtoyaient, mais il était clair qu'il était rempli de gentillesse sous ses airs de bad boy. La preuve en une étreinte et une question. Le cœur de Nina se brisa un peu plus. Il était si beau, avec son sourire à faire craquer la moindre fille, il était si beau et si gentil, elle tenait tant à lui et pourtant, ce qu'elle s'apprêtait à dire risquait de changer leur relation dans le mauvais sens. Elle s'imprégna de la belle image qui se déployait devant elle : son visage encadré par sa tignasse dorée, sur fond bucolique. Elle la garderait gravée dans un coin de sa tête, dans le cas où il décidait de la laisser gésir sur l'herbe avec ses larmes pour seule compagnie. Nina reposa ensuite sa tête sur son épaule de façon à ne pas croiser son regard, et laissa le sien errer sur les légères vaguelettes du lac. Elle prit une grande inspiration, puis commença à parler d'une voix entrecoupée de sanglots. « Ça remonte... à l'internat. Avant d'être à l'université, j'étais à l'internat, pour le lycée, à vingt minutes de, de White Oak. Elles... c'était un internat que de filles, aucun garçon et, et les filles sont... elles sont mauvaises, tu n'imagines même pas. » Elle revoyait son arrivée à l'internat comme si c'était hier. Sa grosse valise dans une main, des feuilles administratives dans l'autre, elle avançait dans le bâtiment principal en direction de l'accueil, accompagnée de ses deux parents. Beaucoup de filles étaient comme elles, nouvelles, en route pour s'enquérir de la chambre qui leur avait été attribuées ; mais beaucoup d'autres, parfois plus âgées, parfois du même âge ou plus jeunes, pour celles qui étaient à l'internat depuis le collège, les observaient de haut en bas avant de se retourner auprès de leurs amies pour se moquer. Pff, elle ne pouvait pas se passer de papa/maman ?, elle avait entendu à son passage. Elle avait entendu d'autres choses aussi, sur elle ou sur d'autres nouvelles, comme T'as vu sa tête de frustrée ? Je suis sûre qu'elle est encore plus vierge que Marie. ou Abusééee les boutons quoi, dé-gueu-lasse, je la veux pas dans ma chambre... ou encore On va lui mettre la misère à elle, regarde-la, pour qui elle se prend ? Rien qu'en y repensant, Nina en avait des frissons de la tête aux pieds. Cela lui avait fait une peur bleue et alors qu'elle raccompagnait ses parents à la voiture, elle s'était mise à pleurer en les suppliant de la ramener avec eux à White Oak Station, que les filles avaient l'air méchantes et qu'elle ne survivrait pas deux jours dans cette jungle. Elle était terrorisée, et si sa mère avait l'estomac noué de voir sa fille dans cet état, son père n'avait pas cillé. C'est pour ton bien, Nina. Tu en ressortiras plus forte ; et ces filles, elles n'ont pas à te faire peur. Tu as plus d'un tour dans ton sac, chérie. Elle était retournée dans sa chambre en se répétant cette phrase. Le soir venu, elle avait eu beaucoup de mal à s'endormir ; mais au réveil, elle savait ce qui lui restait à faire. Elle refusait catégoriquement d'être une victime, et elle ferait tout pour ne pas le devenir. Et c'était ce qu'elle avait fait. Elle avait tout fait. « Je... je ne voulais pas être leur souffre-douleur, alors j'ai fait, j'ai fait en sorte de ne pas l'être. Je ne l'ai pas été. » Elle sanglota de nombreuses fois. Elle se rendait compte à quel point elle avait été manipulatrice ; à quel point elle s'était éloignée de la personne qu'elle était. « Je... il y avait ce, ce groupe de filles... dans ma classe, elles étaient populaires, on les connaissait dans tout l'internat, elles... c'était peut-être les plus méchantes, et, et... elles auraient fait peur à n'importe qui, c'était elles qui, les leadeuses de toutes les petites pouffiasses de la classe. Celles que j'avais entendu dire le plus de, de moqueries et... je voulais vraiment, vraiment pas être leur victime. » Elle secoua la tête, les larmes ne cessant de dévaler ses joues. « Alors j'ai... » Elle passa ses doigts sur ses joues pour essayer ses larmes et se donner une contenance, mais elles furent de nouveau inondées en quelques secondes. « J'ai été encore plus... plus vicieuse qu'elles, au final. Je... » Elle s'écarta légèrement d'Ashton, plongeant son regard dans le sien pour la première fois depuis le début de son récit. « Je continue ? »

ashton & nina
ain't nobody, loves me better
Le cœur de Nina se serra un peu plus quand les pupilles de la blonde s'ancrèrent dans celles de son ami. Il ne semblait absolument pas inquiété par ce qu'elle avait pu faire, alors même qu'elle avait plus ou moins suggéré que c'était pire que ce que les pestes de l'internat avaient bien pu faire. Était-il trop naïf pour voir que Nina pouvait être mauvaise ? Comment pouvait-il lui sourire et la réconforter alors même qu'il aurait dû prendre ses jambes à son coup ? Il ne comptait pas le faire, cependant. Loin de là. La serrant un peu plus dans ses bras, Ashton lui assura qu'il voulait savoir la suite et que rien ne ce qu'elle avait pu dire ne lui donnait envie de partir. Serait-ce toujours le cas dans quelques minutes ? Nina s'angoissait à cette idée. Elle se demandait si le voir si confiant ne lui faisait pas plus de mal encore ; parce qu'elle savait que, d'une seconde à l'autre, son expression changerait du tout au tout, et qu'elle garderait en tête le souvenir d'un visage radieux métamorphosé en une seconde en un visage dégoûté. Il serait dégoûté d'elle, forcément. Nina reposa sa tête contre l'épaule d'Ashton, et laissa passer quelques longues secondes, qui s'étirèrent en une bonne minute. Elle essaya de se calmer, de tarir ses larmes. Quand elle reprit la parole, elle y était presque arrivée ; même si les larmes menaçaient de resurgir à chaque instant. « Je vais bientôt t'en donner une, de raison... » Sa poitrine se souleva sous le poids d'un sanglot refoulé et Nina prit une grande inspiration, inspirant par les narines un air aux odeurs d'herbe fraîche et de pin, qui d'ordinaire avait le don de l'apaiser. « Je leur ai menti Ashton, à chacune d'entre elles. Mais pas des mensonges ridicules, pas des petits mensonges innocents. Je... je voulais les tenir par quelque chose, tu vois ? » Tu as plus d'un tour dans ton sac, chérie. Cette phrase lui revenait en tête, encore et encore. Cette phrase lui était revenue durant les jours qui avaient suivi l'encouragement de son père. Et c'était avec cette rengaine en tête qu'elle avait monté son coup. Parce que, en effet, Nina avait plus d'un tour dans son sac. En général, elle utilisait sa créativité à bon escient, pour faire le bien autour d'elle, mais à sa rentrée à l'internat, la situation était trop critique pour qu'elle n'use pas de ses talents. « Il fallait que je trouve un moyen de les garder auprès de moi. De les contrôler... parce que si je les contrôlais, elles ne pourraient pas me contrôler. » Cela avait été son unique but. Se débrouiller pour que les reines de l'internat ne puissent pas se retourner contre elle, ne puissent pas se moquer d'elle. Son plan s'était déroulé à merveilles, jusqu'à maintenant. « Au fil des premières semaines, je leur ai soutiré à chacune un secret. Un secret assez gros, qu'elle n'aurait pas voulu entendre répété. Qu'elles n'avaient jamais raconté à personne d'autres que moi, et ceux concernés par le secret. Tu imagines l'ampleur du secret ? » C'était parfois des choses graves, comme le frère de Jadyn qui avait une grave maladie alors qu'elle leur avait dit qu'il vivait juste à l'autre bout du pays, ou la mère de Corali qui était en prison alors qu'elle leur avait dit qu'elle était une riche cadre qui était tout le temps en déplacement... et pour certaines autres fois c'était moins grave, comme pour Abby qui lui avait avoué n'avoir jamais revu celui avec qui elle avait perdu sa virginité, alors même qu'elle avait assuré à tout le monde qu'ils étaient en couple. Mais, même si ce n'était en soi pas un secret de taille, si les filles étaient amenées à savoir qu'Abigail avait menti sur une chose pareille, elles n'auraient fait qu'une bouchée d'elle. « Et vu que je savais une chose honteuse sur elles, elles n'auraient pas pu me faire quoique ce soit de mal sans que je ne dévoile tout. Et que leur secret soit étalé au grand jour, c'était la dernière des choses qu'elles auraient voulu... » Nina avait abordé un des gros aspects de ce qu'elle avait fait, mais ce n'était pas tout. Elle n'avait encore pas parlé de la partie "mensonge". Elle savait que, si Ashton n'était pas encore parti, il le ferait sûrement à ce moment-là. « Évidemment, elles ne pouvaient pas me dire une aussi grosse chose sur elle sans que je ne leur donne rien en retour. Cela aurait paru suspect, bien sûr. Et puis, c'était pour leur prouver que j'avais autant confiance en elles qu'elles pouvaient avoir confiance en moi... Alors, je leur ai confié à chacune un secret... mais dans mon cas, il n'y avait rien de véridique. J'ai dit à Jadyn que mon frère avait tué quelqu'un pendant ses quatre ans d'absence, à Abby que j'avais couché avec un professeur, à Fiona que... je ne sais même plus ce que j'ai dis à Fiona. » À s'entendre parler, Nina se dégoûtait elle-même. Elle s'en voulait d'avoir donné à Jadyn une aussi mauvaise image de son frère, elle s'en voulait d'avoir fait croire à Abigail qu'elle était assez dévergondée pour coucher avec un professeur. « J'ai menti sur toute la ligne, Ashton » continua Nina, le cœur plus léger malgré sa peur de le voir s'enfuir. « Du début à la fin. Et pas que sur ça... j'ai menti sur mon expérience amoureuse et sexuelle, sur mes goûts, sur tout... j'ai même menti sur ma meilleure amie. C'était... » Aimée. Celle qui l'avait accepté telle qu'elle était, celle pour qui elle aurait tout fait. Sauf dévoiler leur amitié. Celle pour qui elle avait poussé la porte de l'Old Pub, celle qui... celle grâce à qui elle se tenait dans les bras d'Ashton en ce moment-même, en réalité. Si elle n'avait pas été là, Nina ne l'aurait jamais rencontré. « C'était leur souffre-douleur. C'était mon amie secrète. Secrète... jusqu'à la semaine dernière. Et à partir de là, tout a explosé. » Sa gorge se serra. Non, elle ne se remettrait pas à pleurer. Pourtant, dieu savait combien elle en avait envie. Elle avait tout fait foiré. Ses amitiés, sa vie. « Voilà la personne avec qui tu parles ces dernières semaines » ajouta-t-elle à l'intention de son ami. « Une menteuse comme on n'en fait plus. Une manipulatrice... » Une larme coula le long de sa joue. Nina fixa la rive opposée, n'osant pas relever le regard. Elle avait trop peur de ce qu'elle pourrait lire dans celui d'Ashton. Elle s'y préparait mentalement, en attendant qu'elle ne puisse plus rien faire d'autre que l'affronter ; mais elle savait que, peu importe le nombre de minutes, d'heures ou de jours qui passeraient, elle ne serait jamais vraiment prête à le voir l'abandonner.

hj. oula ne t'en fais pas, désolée pour le mien  j'essaierais d'être plus rapide à l'avenir

ashton & nina
ain't nobody, loves me better
Voilà, c'était dit. Tout, elle avait tout avoué. Elle avait avoué à Ashton la vérité sur ses années lycée, sur la personne qu'elle avait été à l'époque et qu'elle était sûrement encore aujourd'hui, malgré elle. Elle lui avait dit tout ce qu'elle avait fait pour se faire accepter, tous les mensonges qu'elle avait proférés et qui lui retombaient dessus aujourd'hui. Elle se sentait un petit peu soulagée, à présent, mais pas autant qu'elle l'aurait pensé. Elle s'était imaginée ressentir, comme on le décrivait parfois dans les livres, vide de toute angoisse, libérée d'un énorme poids. Pourtant, Nina se sentait toujours aussi mal. Légèrement apaisée d'avoir été honnête avec au moins une personne, mais toujours aussi terrifiée en pensant à ses amies qui ne lui parleraient plus jamais, et à l'idée qu'Ashton puisse rejoindre leur camp. Toujours aussi dégoûtée d'elle-même, du niveau si bas auquel elle s'était mise. Plus bas encore que ses "amies" qui terrorisaient les lycéennes de l'internat. Ashton finit par reprendre la parole, pour annoncer à Nina qu'il ne savait pas quoi répondre à tout ça. Son cœur se serra, et elle se dit que c'était bon : il ne savait pas quoi dire parce qu'il était trop choqué et dégoûté par la fille qu'il tenait entre les bras, qu'il n'y avait rien qu'il puisse dire pour la réconforter. Les larmes se mirent à couler davantage, mais la blonde essaya de calmer ses sanglots. Elle ne voulait pas le prendre par la pitié, elle voulait simplement qu'il la comprenne. Il se remit alors à parler, tentant de la rassurer du mieux qu'il pouvait, même si la tâche était difficile. Bien sûr que les amies de Nina auraient du mal à lui pardonner. Même si elles pouvaient comprendre les fondements de ses actes, comment était-il possible de faire un trait sur des mensonges aussi gros, sur une trahison de la sorte ? Quand bien même elles le faisaient, la confiance serait perdue à jamais. C'était comme dans un couple, si l'un trompait l'autre. Bien que le trompé puisse pardonner le trompant, bien que le couple puisse se rabibocher, cette confiance perdue le serait pour toujours. Et bien souvent, les couples finissaient brisés, des mois ou des années plus tard. Nina était persuadée que pour l'amitié, c'était du pareil au même. Si elle les avait entourloupées une fois, qui pouvait dire qu'elle ne le ferait pas une deuxième fois ?

Nina sentait bien qu'Ashton ne disait pas tout. Elle avait l'impression qu'il restait sur ses gardes et, si elle avait essayé de se dire qu'elle devait paranoïaque, elle s'aperçut rapidement qu'elle ne l'était pas. Quand il finit par lui dire qu'il n'était pas certain qu'elle ne lui ait pas menti à lui aussi, Nina eut l'impression qu'ont lui enfonçait un couteau en plein cœur, et elle se retint de toutes ses forces pour ne pas éclater en sanglots. Elle pinça les lèvres, appuya ses paupières le plus qu'elle pouvait, et se détacha brusquement de son ami. Elle prit plusieurs grandes inspirations, le rire nerveux d'Ashton résonnant dans son esprit. Comment peux-tu penser ça ? fut la première chose qu'elle eut envie de lui dire. Mais, elle était trop bouleversée pour dire quoique ce soit, ce qui lui laissa le temps de réfléchir un petit peu. Comment pouvait-il penser ça ? Pouvait-elle vraiment lui en vouloir de douter d'elle, alors même qu'elle venait de lui avouer qu'elle était capable de mentir à un paquet de personnes sans qu'elles ne le découvrent ? Qu'elle pouvait mentir sur sa vie pendant des années, sans que personne ne devine la vérité ? Nina était sacrément douée, et si Jadyn, Abi ou Fiona étaient tombées dans le panneau, pourquoi pas Ashton ? Elle se rendait compte à présent de l'ampleur des conséquences de ce qu'elle venait de lui dire, et elle se maudit de lui avoir confié tout ça. Elle avait voulu être honnête, elle avait voulu trouver du réconfort, et voilà qu'il se mettait à craindre qu'elle ait adopté le même comportement avec lui, qu'elle avait avec elles. Il n'était pourtant pas parti en courant, et c'était déjà ça de gagné. Et, encore une fois, elle ne pouvait pas lui en vouloir de penser ça. Vraiment pas. Cela ne l'empêchait pas d'être vexée ; parce que, Ashton, c'était le gars qu'elle connaissait depuis un peu plus d'un mois, mais dont elle se sentait aussi proche que certaines amies qu'elle connaissait depuis l'école primaire. C'était un garçon en qui elle avait une énorme confiance, avec qui elle se sentait terriblement bien. Avec qui elle avait été sincère du début à la fin. À qui elle n'avait rien caché, jamais. Avec qui elle avait été elle-même, sans artifice. Elle se passa la main sur le visage, essayant de se redonner une contenance. Elle avait espérée qu'il saurait lire en elle, qu'il saurait voir qu'elle ne lui avait jamais menti. Elle prit une nouvelle respiration, et tourna enfin la tête vers lui. Elle la secoua légèrement, avant de planter son regard dans celui d'Ashton. « Je... je ne sais pas ce que je peux te dire maintenant, qui fera que tu me croies. Je réalise maintenant ma grosse erreur... » Nina se mordit la lèvre, pour ne pas céder de nouveau aux sanglots. « Si j'ai menti à elles, pourquoi je ne te mentirais pas à toi, hein ? Elles ne l'ont pas vu pendant quatre ans, je pourrais tout aussi bien jouer un rôle avec toi sans que tu ne le remarques... » Son menton tremblotait, mais elle tenait à aller au bout de ce qu'elle avait à dire. « Le truc, c'est que j'en ai assez de jouer un rôle, d'être une fille que je ne suis pas. Je n'ai jamais aimé faire ça. Et... quand je t'ai rencontré, ça a été une vraie bouffée d'air frais. Parce que tu n'es pas à l'université, tu ne connais pas ces filles-là, tu ne savais pas comment j'étais avec elles. L'Old Pub, c'était ma  bulle, là où je pouvais être moi-même sans risquer d'être pointée du doigt. Ces filles-là, elles ne vont pas à ces petits concerts. » Bien sûr, elle n'était pas la seule de l'université à se rendre à l'Old Pub, loin de là, et certains étudiants assistaient aux petits concerts locaux : mais ces personnes avaient une certaine mentalité, un certain esprit, qui étaient aux antipodes de celui de ses "amies", qui elles préféraient bien plus se déhancher sur la piste de l'Aurora. « Tu es arrivé et... tu es rentré dans cette petite bulle. Tu es la première personne que j'ai rencontré après l'internat, et dont je me suis sentie aussi proche. J'ai quelques amis d'enfance, qui me connaissaient comme j'étais avant, mais ce n'est pas pareil. Parce que... tu es l'après. Et tu m'as fait réaliser que je pouvais toujours être moi-même, quelque part. Avec quelqu'un. » Nina soupira légèrement. Elle s'était ouverte avec la plus grande des sincérités, et elle espérait qu'il saurait le voir. Bien sûr qu'il n'était pas le seul avec qui elle pouvait être "elle-même", puisqu'il y avait Aimée, puisqu'il y avait ses amis d'avant. Mais comme elle le lui avait dit, c'était différent. Aimée était complètement mêlée à cette histoire, et elle avait vu les deux côtés de Nina. Ses amis d'enfance, quant à eux, voyaient toujours Nina telle qu'elle l'était, mais ils l'avaient rencontrée et connue avant qu'elle ne devienne cette horrible personne. Ashton, lui, était en dehors de tout ça. Il était la preuve que, même après avoir menti et trahit, elle pouvait encore rencontrer des personnes avec qui elle n'était pas obligée de prétendre pour être acceptée. « Je suis désolée, Ashton, pour tout ça. Mais je te jure que je ne t'ai jamais menti. Je n'ai pas eu besoin de te mentir pour que tu m'apprécies... du moins, je crois que tu m'apprécies. Je me sens bien avec toi. En sécurité. Tout en étant moi-même... » Ce qui n'avait jamais été le cas avec sa bande de l'internat. « Pour ce que ma promesse vaut : je te promets que je ne te mentirais jamais. »