Si vous croyez que les autochtones sont des gens à l’état sauvage qui ne font que chasser et pêcher, qu’ils sont alcooliques et qui vivent dans des tentes, si vous avez le moindre préjugé et bien détrompez-vous. Depuis que je suis toute petite, je vis dans la culture autochtone et j’adore cela. Pour nous, la famille est très importante et il est important de respecter nos aînés. Nos grands-parents que l’on appelle nos ancêtres, sont la figure d’autorité de la famille. On doit les écouter presqu’autant que nos parents. On leur doit le respect. Ma grand-mère prétend voir les esprits. Elle dit pouvoir entrer en contact avec eux et reconnaître les bons des mauvais. Bon, je suis sceptique, mais j’ai toujours cru aux esprits, alors ça peut être possible. Je crois aussi à la réincarnation et au fait que les animaux ont une âme et qu’il faut les traiter également aux humains. Sinon, les légendes occupent une grande place dans la famille et certaines sont véridiques à notre sujet, je pense, mais je ne peux le valider. Éventuellement, je devrais faire des recherches plus approfondies sur mes origines.

« Tu vas voir ma fille, ce n’est pas bien compliqué. Tu prends un anneau de métal – il existe différentes grosseurs – et tu enroules un fil de cuir autour bien serré en t’assurant de coller le premier et le dernier bout de fil que tu enroules pour que le tout tienne bien. Ensuite, tu prends une fine corde pour tisser l’intérieur à ton goût. Tu peux également y insérer des breloques de ton choix. Il faut que tu t’assures de laisser un trou au milieu pour filtrer les rêves et emprisonner les cauchemars. Tu attaches trois cordes dans le bas et y insère des plumes retenues par des billes. C’est tout. » En deux heures seulement, je m’étais découvert une passion et un grand talent pour les capteurs de rêves. Ma grand-mère m’avait appris la technique pour faire un bon capteur et elle avait bien précisé que je devais donner chaque capteur que je faisais afin qu’il soit vraiment efficace. À ce moment-là, je ne savais pas que j’allais finir par les vendre et que cela allait me faire vivre.

Le joint se promenait entre les mains accueillantes de tous les jeunes assis autour du feu. Un joint pour autant de personnes ce n’est pas beaucoup, mais moi personnellement, il ne m’en fallait pas beaucoup pour ressentir le « feeling ». J’adorais cette sensation d’être calme et d’avoir l’impression d’être libre que me procure la marijuana. Mes parents étaient de grand fervent de cela et ils en consommaient régulièrement, si bien que j’ai souvent baigné dans les effluves de la substance. Pour moi, ce n’est pas grand-chose d’en consommer, c’est naturel et ça me détend. Fumer un joint entre amis autour d’un bon feu à se raconter des histoires, c’était le contexte parfait pour la soirée parfaite. C’était la troisième soirée consécutive que je passais avec Nahuel et quelques-uns de ses amis et nous étions devenus inséparables. Nahuel était arrivé en Arizona il y a peu et nous nous sommes croisés à la seule épicerie du minuscule village. Nous deux, c’était fait pour fonctionner. Nous sommes des genres de jumeaux cosmiques pas du même sexe, ni du même âge, mais nous avons les mêmes origines et beaucoup de points en commun. Par exemple, nous adorons l’art tous les deux, l’aventure et la liberté. Cette rencontre a changé ma vie et depuis ce temps, on ne se quitte plus d’une semelle.  Je lui ai appris à faire des capteurs de rêve – j’aime bien transmettre ma passion – et lui de son côté, m’a appris quelques secrets de l’art, car oui nous avions aussi cette passion en commun. Nous sommes devenus tellement proches rapidement que je pourrais dire que notre relation est sur la ligne séparatrice entre l’amitié et l’amour. Mes sentiments sont très forts et confus envers lui et j’ai peur de le perdre. Je n’ai pas l’habitude de m’attacher aux gens, car je sais que la plupart ne seront que de passage dans ma vie, mais avec Nahuel, c’était différent. Nous sommes trop identiques, j’ai tout de suite été attirée vers lui. J’avais l’impression que je l’attendais depuis longtemps et que le destin avait fait en sorte que nos routes se croisent. J’avais rapidement été m’installer chez lui, incapable de vivre plus longtemps avec ma famille et sa présence m’apaisait en quelque sorte. Tout était si facile avec lui et l’on faisait tout de sorte de projets. C’était si bon de rêver ! Vous savez, parfois nous sommes tellement proches des gens que l’on n’est plus capable de les supporter et que l’on commence à se chicaner fréquemment… Et bien c’était cela qui commençait à se produire avec ma famille. Je les aimais tellement et j’étais tellement souvent avec eux, qu’ils commençaient à me tomber sur les nerfs. Je savais que ce choix ferait de la peine à mes ancêtres, mais mes parents comprendraient. Après tout, j’avais un peu le même mode de vie qu’ils avaient à mon âge. Ils ne pouvaient pas me reprocher de suivre leurs traces…

Évidemment, il n’y a jamais de rencontre sans séparation. Je devais m’attendre à ce que cela arrive un jour où l’autre. Surtout que Nahuel était de retour pour une visite et sa vie n’était plus ici désormais. Je devais bien m’attendre à ce que ça arrive tôt ou tard… Quand il m’a annoncé la nouvelle, je crois que ma vie a chaviré. Je me suis comme sentie trahie, j’avais l’impression de perdre mon âme-sœur et cela m’a beaucoup affecté. En même temps, je comprenais son désir de partir. Pendant les nombreuses journées et nuit passées ensemble, il m’a fait rêver et donné le goût de l’aventure et de la liberté.

Les flammes vacillaient tranquillement poussées par le vent qui les accompagnait dans une valse lente de chaud et de froid. Je regardais ce doux spectacle qui nous réchauffait en cette soirée fraîche.  J'adorais ces soirées autour du feu à regarder les bûches de bois devenir cendres et à écouter les légendes racontées par oncle Sam. Malgré l’allure désertique de l’Arizona, nous faisions régulièrement des feux, plus pour sa signification que ses bienfaits. C’était sacré pour nous. J’étais quelque peu nostalgique en ce moment, car une autre journée magnifique venait de se terminer. C’était la dernière soirée que je passais ici auprès de ma famille, car demain je quittais ma terre natale pour aller rejoindre Nahuel au Canada. Ça avait été une importante décision pour moi qui avait demandé une longue réflexion étant donné la place qu’occupait ma famille dans ma vie. Mais, ma rencontre avec Nahuel avait changé ma vie et nous sommes vite devenus inséparables. Ce qu’il m’avait dit sur le Canada m’avait fait rêver. Il m’avait raconté les paysages, les activités, notre passion qui nous ferait vivre, les créations que nous pourrions vendre pour subvenir à nos besoins et surtout, la liberté. Ce voyage avait beaucoup d’avantages, mais aussi de désavantages. Comme quitter ma famille. Heureusement, ils ont été très encourageants et m’ont soutenu à fond dans ce projet. Ils savaient à quel point vivre ma vie librement était important pour moi. Je leur ai promis de venir les voir quand l’occasion se présenterait même si le Canada n’est pas à la porte. Je lui ai promis que j’irais le rejoindre, mais pas tout de suite. Avant, j’avais envie de faire ce qui me trottait en tête depuis un bon moment. Un road-trip avec mes amis. J’ai donc passé un mois à visiter tout le Canada sur le pouce avec un seul sac à dos comme bagage et j’ai finalement fini par atterir à White Oak Station il y a deux jours. Je m’apprête à retrouver mon ami et j’ai peur de ce que nous réservent ces retrouvailles. Est-il passé à autre chose depuis l’Arizona ? Est-ce que je compte autant pour lui ? J’avoue que cette nouvelle vie me fait peur… Je n’ai nulle part où vivre et je ne sais pas encore si notre amitié est aussi solide qu’avant. Mais en même temps, si j’ai choisi cette nouvelle vie, c’est parce que j’avais envie de surprises et de sortir de ma zone de confort…