« Hiiiiiiii ! » Azel poussa un petit cri de joie alors qu'elle sortait la tête de la forêt et apercevait la métamorphose qui avait été opérée sur le Primrose Lake. Elle se retourna vers sa meilleure amie, Charlotte, qui la suivait de près. « Roh la la, mais qu'est-ce qu'on va se mettre bien ! » Elle était toute excitée, à l'instar de tous les étudiants qui se mouvaient par masse en direction du lac. Ils venaient de tout le Canada -certains venaient probablement du Nord des États-Unis voire même de l'Alaska-, et ce serait l'occasion de rencontrer un tas de nouvelles personnes. Azel avait laissé Malia à la grand-mère de Nahuel, qui elle ne comptait pas se rendre au Summer Break, afin qu'elle puisse complètement profiter de la journée sans avoir à s'inquiéter de sa fille ; elle aurait été obligée de garder constamment un œil sur elle, d'autant plus que beaucoup d'étudiants risquaient d'être bourrés, et elle n'aurait pas pu être pleinement décontractée et s'amuser comme elle se le devait pour le premier Summer Break qu'organisait White Oak Station. « On se met là ? » demanda-t-elle ensuite, en apercevant un groupe de chaises longues. Elle déposa son sac et sa serviette de plage sur le sol et ôta ses habits pour se retrouver en maillot de bain. Elle s'étala sur l'un d'eux ; Charlotte sur un autre, et il en restait encore un de libre à côté. « On est cosy là, non ? » Les deux amies avaient fermé la boutique spécialement pour venir se détendre au bord du lac, et Azel ne le regrettait vraiment pas.

Summer Break. Une tradition que Chaden détestait instinctivement. C'était plus fort qu'elle, chaque année le Mexique accueillait le spring break des étudiants américains fêtards, qui profitaient de son beau pays et le quittaient une semaine plus tard, sali, ravagé, pollué, en bordel. Et cela la rendait terriblement en colère. Au fil des années, de plus en plus d'hôtels touristiques et de villas de luxe construits par de riches étrangers, remplaçaient les petites maisons locales au bord de mer. Cela la rendait malade. Aussi, la jeune femme avait toujours refusé d'y participer, à ce spring break, et de prendre part aux festivités. Lorsqu'elle apprit qu'un évènement semblable était organisé ici, à White Oak, elle ne put s'empêcher d'aborder l'idée avec une certaine appréhension. Mais après tout, c'était différent, c'était un summer break, et Chaden devait l'admettre, elle avait terriblement besoin de décompresser. Toujours dans sa bulle d'isolement perpétuel, elle s'était fait violence pour se rendre sur la plage artificielle. Ce n'était pas aussi joli qu'à Cancùn, mais cela ferait l'affaire pour cette fois. La petite brune ne connaissait encore que peu de monde ici ; il lui semblait qu'un contexte aussi particulier serait peut-être plus propice à faire des rencontres amusantes. « Elle est libre ? » demanda-t-elle à deux jeunes femmes allongées sur leur chaise longue, la troisième étant vide. Aller spontanément vers les gens était quelque chose de rare chez Chaden. Elle n'accordait souvent que peu d'importance aux gens qu'elle ne connaissait pas, et préférait favoriser ses amis proches avec qui elle partageait tout. Mais la vision de cette jolie plage la mettait dans une bonne humeur des plus étonnantes.

Maillot de bain, check. Serviette de plage, check. Crème solaire, check. Charlotte était fin prête. Elle avait confié sa fille à sa voisine, bien heureuse de pouvoir s'occuper de la petite pendant la journée. Cette femme avait déjà deux autres enfants, elle était adepte des couches et des caprices. Pour Charlotte, c'était l'occasion de se retrouver un peu, de retrouver cette jeunesse laissée de côté et de profiter du summer break organisé par la ville avec Azel. Ensemble, elles s'étaient rendues sur la petite plage artificielle créée pour l'occasion. Pour Charlotte qui avait voyagé, cette plage ne valait en aucun cas les côtés californiennes qu'elle avait eu la chance de fréquenter une unique fois dans sa vie. Et pourtant, elle était heureuse de pouvoir passer un moment avec sa meilleure amie. Azel était tout excitée, tout comme elle. Elles allaient profiter de chaque instant. « C'est parfait ! » Elles s'étaient installées sur des chaises longues encore libres. En quelques secondes, Charlotte se retrouva en maillot de bain. Elle ne l'avait pas ressorti depuis longtemps. « J'avais tellement besoin d'une journée pour moi, tu peux pas savoir ! » avait-elle dit en s'installant. Le temps était clément, l'endroit était beau et autour d'elles, des étudiants profitaient de ce summer break pour décompresser. Rien ne pouvait entacher cette journée. Une jeune femme s'était approchée d'elle. « Bien sûr, installe toi ! » Elle lui avait souri. Charlotte aimait rencontrer de nouvelles personnes. En plus d'un an, elle n'avait pas fait tant de rencontres que ça. Et ce nouveau visage, cette ambiance était propice aux partages, à la découverte de l'autre. « Je m'appelle Charlotte, elle, c'est Azel » avait-elle dit en montrant de la main sa meilleure amie « Et toi ? » Peut-être qu'à la fin de cette journée, Charlotte garderait contact avec cette jeune femme.

Azel était en train de s'étaler de la crème solaire sur le visage quand une jeune femme approcha. « Pas de soucis ! » lança-t-elle au moment où Charlotte répondait aussi. Elle était tout sourire, mais Azel avait quand même vraiment l'air idiote. Des grandes marques blanches lui barraient le visage ; quand elle se rendit compte qu'elle n'avait pas finit de s'étaler la crème, elle porta ses mains au visage. « Désolée » lâcha-t-elle alors. Elle était obligée de se faire remarquer, décidément. Elle s'était dit que, peut-être, elle profiterait du Summer Break pour avoir l'air normale, mais le naturel n'avait pas galopé bien loin. La brune était la première personne qu'elle ne connaissait pas jusque là dont elle faisait la rencontre, et Azel se ridiculisait déjà. Malgré tout, elle était contente qu'elle soit venue vers elles, elle était contente qu'elle ait osé leur demander de s'asseoir en leur compagnie ; au fond, c'est qu'elles devaient plutôt avoir l'air avenantes. Azel entreprit de se mettre la crème solaire sur les bras et les jambes, laissant la tâche du dos pour plus tard. Peut-être qu'elle demanderait à Charlotte de l'aider. En attendant elle tendait l'oreille, afin de ne pas manquer le prénom de la nouvelle venue. « Et tu habites à White Oak ? » renchérit-elle. Elle pouvait très bien venir d'une autre ville, voire d'un autre pays, après tout.

Depuis qu'elle avait décidé de rester définitivement à White Oak Station, elle avait choisi de rencontrer de nouvelles personnes, de se faire des amis, de retrouver cette sociabilité qu'elle avait perdu en débarquant du jour au lendemain dans cette ville dont elle ne connaissait pas l'existence. Ce genre d'événement était propice aux partages, aux rencontres. Et une première venait pointer le bout de son nez. Une jolie brune qui souhaitait s'installer près des filles, une aubaine. Cette inconnue avait l'air sympathique. Et avec Azel pour la faire rire, la journée risquait d'être agréable. « C'était plutôt mignon les marques blanches, tu sais ! » Elle sourit en regardant sa meilleure amie étaler les dernières traces de crème solaire qui lui restaient sur le visage. Une fois les présentations faites, Charlotte eut envie de bouger.  « Je vais nous chercher à boire, vous voulez quelque chose de particulier ? » Elle prit note de ce que voulait les filles. En se faufilant à travers la foule déjà massive, elle faillit marcher sur des mains, des pieds. Difficile d'arriver jusqu'au petit bar créé pour l'occasion. « Salut ! » Il fallait voir comment le serveur était beau. Sourire charmeur, bronzé. Charlotte allait en profiter. Aujourd'hui, elle n'était plus mère. Elle était la jeune adulte prête à ressortir ses atouts. Tout sourire, elle lui passa sa commande, non sans le lâcher des yeux. Avec regrets, elle quitta le stand pour revenir sur les chaises longues. Ce parcours du combattant se termina en esquivant un ballon de volley de justesse. Et par une perte d'équilibre. « Wow ! » En moins de temps qu'il n'y fallait, elle se retrouva fesses à terre, les verres qu'elle tenait dans les mains vide de contenu, trempé de ses boissons fraîches qu'elle aurait préféré boire sur sa chaise longue. « Vous pouvez pas faire attention ? »  

« Je veux bien un coca s'il-te-plaît. Bien sucré et tout, hein, le zéro c'est pas pour moi. » Azel rigola légèrement, avant de remercier son amie d'aller leur chercher des boissons, alors qu'elle-même et la brune à côté continuait de farnienter sur les chaises longues. Maintenant bien recouverte de crème solaire, elle s'étendit de tout son long et ferma les yeux. Elle poursuivie la discussion quelques minutes avec la jeune femme, puis rouvrit les paupières. Elle esquissa un sourire, se sentant étrangement libre au milieu de tous ces jeunes. Étrangement à sa place. Azel avait fait un trait sur sa vie de jeune adulte lorsqu'elle était tombée enceinte de Malia, mais elle était heureuse de voir que ce n'était pas permanent. Qu'elle pouvait, si elle le voulait, redevenir le temps d'un instant une jeune femme de vingt-deux ans qui pouvait se baigner, boire, draguer ; même si cette dernière option n'était pas au programme. Azel ne regrettait pour rien au monde son petit bébé et était d'ailleurs très heureuse d'être maman, mais agir comme lorsqu'elle était adolescente avait du bon aussi. Alors qu'elle tournait la tête pour voir où en était Charlotte avec leurs boissons, elle l'aperçut les quatre fers en l'air, à proximité de là où certains jouaient au beach volley. Ni une, ni deux, elle sauta hors de sa chaise longue et couru à sa rencontre ; enfin, "couru". Marcha le plus vite possible, tout en évitant les gens qui se prélassaient sur leurs serviettes ou, comme elles, sur leurs transats. Arrivée à sa hauteur, elle lui attrapa la main pour l'aider à la relever, après lui avoir récupéré un verre -vide. « Ça va, rien de cassé ? »

« Mais c'est pas possible ! C'est pas possible ! » Trois verres venaient de se vider sur elle et les joueurs de volley semblait amuser par la situation. Ce n'était pas son cas. Si le fait d'être mouillée ne la dérangeait pas, elle aurait préféré que ce soit de l'eau.  « Je vais devoir me relever toute seule, c'est ça ? » avait-elle crier dans l'espoir qu'un des fautifs finissent par la rejoindre pour l'aider. C'est finalement Azel qui s'était déplacée. Avait-elle quelque chose de casser ? Non, sans doute pas. Elle n'aurait même pas d'hématome sur les fesses. Le sable avait amorti sa chute.  « Non, non, ça va. Mais là, j'aimerais leur faire manger leur ballon tu vois ! » Ou le crever, ce ballon. « Merci ! » avait-elle dit à Azel alors qu'elle l'avait aidé à se relever. Couverte de sable, de boisson fraîche, Charlotte avait fini par relativiser. Elle n'était pas là pour s'énerver contre quelqu'un, elle avait besoin de se détendre. De se reposer. De retrouver cette jeunesse trop vite laissée de côté pour un nouveau rôle. Charlotte avait toujours vingt-deux ans, dans son esprit, il lui arrivait d'en avoir dix-sept. L'époque où elle voulait conquérir le monde et profiter de ses amourettes d'adolescente comme elle le voulait. L'époque où elle n'avait qu'à demander pour avoir ce qu'elle voulait. C'était loin, ce temps.  « Bon, retour à la case départ... J'ai du soda sur les cheveux ! » Elle soupira. Pas qu'elle soit superficielle, Charlotte, mais ses cheveux étaient sacrés. Les verres qu'elle avait ramené étaient pour ainsi dire vide. Elle était collante et poisseuse. La seule solution était d'aller se baigner pour se rincer.  « Ça te dira pas d'aller te baigner un peu ? On ira boire un verre après. Le serveur est mignon en plus. » Retour quelques années plutôt alors même qu'elles n'étaient que des lycéennes. Elles n'avaient pas tant changé que ça. Pas réellement.  

« Roh oui, je comprends ! » avait-elle répliqué quand Charlotte avait fait part de son souhait. Elle s'était retournée et avait fait les gros yeux à ses jeunes, hilares, qui avaient repris leur partie comme si ne rien n'était. « Ils ne savent pas ce qu'ils loupent » ajouta-t-elle alors dans un petit sourire, pour essayer de positiver la situation. « Une fille qui reste belle même recouverte de coca, ils n'en trouveront pas à chaque coin de rue ! » Elle continua de sourire, alors que sa meilleure amie lui proposait d'aller se baigner. « Oui, on va faire ça. Ça nous rafraîchira, en plus. » Elle tourna ensuite la tête en direction du bar ; selon les dires de Charlotte, le serveur était mignon. De là, elle n'arrivait pas à le voir, seulement à discerner une vague silhouette, mais elle faisait confiance à son amie. Elle pouffa légèrement, retombant quelques années en arrière quand elles n'étaient encore que des adolescentes, dont leur souci majeur était les garçons, justement. Elles ramenèrent les verres jusqu'aux transats, pour penser à les ramener lorsqu'elles iraient se prendre un verre, avant de s'avancer vers le lac. Azel trempa la pointe des pieds dans l'eau, avant de pousser un léger cri. « Oufh, c'est froid. » Elle s'avança néanmoins un peu plus, serrant les dents jusqu'à ce qu'elle s'habitue à la fraîche température. Un éclair lui traversa alors l'esprit ; Azel, douze ans et demi, s'accroupit vivement et, en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, plongea ses mains dans le lac et les remonta rapidement en aspergeant Charlotte. La bataille était lancée, et les rires avec.