thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

« merde. » dans le crépuscule froid de white oak station, tu essayais désespèrement de te tenir droite sur tes talons, trop hauts perchés. trop, toujours trop. depuis déjà longtemps, ta vie se résumait à l'excès. trop faire la fête, trop dormir, trop boire, trop fumer. trop pleurer aussi, sur tes draps, quand tu étais seule. dans le silence de ta torpeur, tu avais perdu ton ancre, ton meilleur ami, et t'étais laissé dignement couler, plus que tu ne le faisais déjà. entre la distance instaurée entre ton père et toi, les recherches sur ta mère, et le reste, cette comédie incessante, tu ne demandais qu'à t'arrêter. qu'à arrêter cette course fatiguante, et te laisser noyer.
mais non. jamais.
alors tu continuais à chevaucher la vie, sans jamais la dompter. agnès, tu faisais un magnifique désastre. un désastre bleu comme la voûte.
mais pourtant, agnès, tes yeux, tu les lèves encore vers le ciel, et les étoiles semblent te sourire encore un peu, tandis que tu continues de tracer ton chemin.
sauf que ton chemin, ne fait-ce pas longtemps que tu l'as perdu ? tes yeux se posent sur les maisons, et ton cœur se serre.
la tienne. ton ancienne demeure se trouve là. et le parc, sûrement pas bien loin non plus. l'épieu au cœur, tu retires tes talons, et avance jusqu'au petit parc d'enfants.
celui dans lequel tu passais tes journées.
celui avec qui tu jouais à vivre, à vivre avec thybault.
tu sens une boule dans ton ventre, quelque chose se déchirer, peut-être un papillon mourir, lui aussi. l'alcool ne te fait pas le meilleur des effets, tout le monde le sait. et tu sais aussi que tu es est à deux vodkas de trop. pourtant, tu avais beau promettre être raisonnable, ton insatisfaction t'a eu. et tu as bu, pour enfouir tes peines.
mais quelle idée, agnès ? alors tu entres dans le parc, et t'approches, craintive, de la balançoire. tu as peur qu'elle se réveille, et les souvenirs heureux avec. que la dune de poussière qui ensevelissait les beaux jours se dégage, et te laisse miroiter oh combien tu as foiré.
combien dans la vie t'a merdé.
mais lasse, poupée, tu t'assois sur le jeu, qui manque un peu de te faire perdre l'équilibre. la balançoire grince, et tu t'accroches à ses hanses de métal, craignant la chute.
mais agnès, tu ne te doutes pas que dans ton désespoir, il te regarde, lueur dans la nuit sombre des grands soirs.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

son vélo lancé à toute berzingue, thybault file comme un éclair à travers les rues de white oak station. le soleil couchant dardant sur sa peau ses derniers rayons chauds, lui offrant le plaisir de savourer l’une des premières soirées de l’été. c’est son petit plaisir à thybault, sortir dans la fraicheur du soir, loin de la chaleur torride des soirées étudiantes, arrosées de bières et envahies de fumée. c’est son évasion, sa rencontre avec sa conscience et son instant d’indécision. rentrer ou partir ? il a le choix. il a toujours eu le choix. quitter sa petite ville natale pour partir voir le monde, vivre la grande aventure loin de cette ancre de plomb qui le tient attaché pieds et poings liés ici. white oak station n’est pas sa prison. c’est son point d’ancrage. sa rampe de lancement vers ce qui serait selon lui, une vie meilleure. alors il file dans la lumière crépusculaire de cette ville du canada. il s’élève de quelques centimètres au dessus de sa selle quand le vélo emprunte cette longue descente qui passe devant sa maison et qui continue jusqu’à celle des gauthier. l’ancienne maison des gauthier pour être exact. alors qu’il a l’impression de s’envoler, à peine à quelques millimètres du sol, il se retient de crier, de hurler sa joie d’être seul face au monde.

cette pente c’est sa rampe de lancement. et thybault c’est une fusée qui n’attend qu’une étincelle pour décoller.

l’étincelle qu’il avait, elle s’est dissipée. non pas exactement. son étincelle elle a pris feu, elle s’est transformée en feu d’artifice majestueux. son agnès elle est montée en apothéose. elle s’est élevé là où jamais thybault il n’ira. elle s’est élevée seule. sans lui, et sans une pensée pour lui.

souvent il y pense. et souvent ça lui serre le cœur comme un étau. c’est même pire encore quand il l’entrevoit dans les couloirs, à chaque fois entiché d’un nouveau mâle un peu trop baraqué. elle est à moi. a-t-il envie de hurler. mais avec le temps cette phrase est devenue si ridicule, qu’elle se coince dans sa gorge, refusant d’en sortir, et demeure à jamais une pensée inexprimable.

le petit parc de quartier est plongé dans la pénombre. un crépuscule d’été, enivrant et chargé de souvenirs. la balançoire grince. elle est occupée. mais pas par une gamine de fairmount district. thybault freine des quatre fers, pilant devant la petite grille abîmée par le temps. il lâche son vélo, le laissant traîner sur le gazon, s’approchant discrètement, s’appuyant des deux coudes sur la grille pour observer cette étrange enfant dont il connaît déjà l’identité.

sa petite rousse.
son étincelle.
son agnès.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

tes jambes dénudées se balancent lentement, lasses, lasses de te porter, toi et ta souffrance et tes cicatrices en tout genre. tes sales balafres invisibles, mais pourtant si présentes, dans ton pauvre crâne. incertaine, tu essaies de te balancer sur le jeu, de t'envoler de tes ailes dorées, mais tu n'en as plus le courage. ce soir, tu te permets d'abandonner, de baisser les bras. de baisser ce masque de sale garce prétentieuse, de fausse fille, et d'y laisser se dessiner celle que tu caches.
la petite surdouée, la gamine naïve, qui a foi en l'univers. celle au cœur brisée, qui ne s'aime pas, qui ne s'aime plus. tu te détestes d'être ainsi, si mal, si triste, alors qu'au fond, tu as tout. tu as les hommes, les femmes. l'empire d'un bonheur de lumière. mais cet empire est de sable, et, agnès, tu n'oses même pas le regarder, de peur de voir qu'il s'effondre.
et c'est toi qui chute, en ce crépuscule sombre, simple couleur d'un été qui vient et s'en ira.
une vague de nostalgie, de souffrance, te bouscule, et tu serres les dents, les mains, tandis qu'une larme s'écoule sur ta joue.
quel mal, agnès, quel sourire triste sur ton visage.
tu as envie de crier, d'en fin de compte, le briser, cet empire. tu veux revenir à avant, à ces jeux d'enfants, qui te semblent tellement lointain. tu veux retrouver ton père, te cacher dans ses bras. tu veux revoir cette maison, y remonter les escaliers en courant. tu veux remonter à cet arbre, à ce temps, à ce bonheur. tu veux retrouver tout ces gens qui t'aimaient vraiment. et soudain, un visage se dessine, souriant. tu veux le retrouver, ce visage, lui aussi.
thybault.
mais bien vite, tu l'effaces. tu ne peux pas. c'est trop tard, c'est fait. ce temps est mort, cette vie est disparue. l'agnès d'avant, peut-être bien aussi. tu ne la retrouves plus.
et alors que tu t'apprêtes à le renfiler, ton masque, à y ramasser les morceaux pour te les recoller, avec mal, tu lèves les yeux, et le voit.
thybault. encore.
il est là, son vélo étendu sur le gazon, les mains tenant sa bouille.
ton cœur rate un battement. « thybault ? » que tu demandes, pas certaine qu'il soit vraiment là.
que ta tête te joue des tours, joue de tes envies, et, alors que tu pense le retrouver, le fasse disparaître, le détruise.
un peu comme tout ce que tu touches, agnès.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

c'est un petit voyeur thybault, à observer agnès à la dérobée, ses yeux rivés sur ses longues jambes dénudées dont il a tant rêvé de par le passé. elle semble perdu agnès, comme une enfant dont les parents seraient sortis du terrain de jeu, laissant à l'abandon leur petite poupée rousse. elle se balance faiblement, tristement. ce n'est plus comme à l'époque, à l'époque de leurs concours de balançoire, à celui qui aurait l'audace de monter le plus haut. à celui qui toucherait les nuages. à celui qui décrocherait les étoiles pour l'autre. pour agnès c'est la lune et son collier de diamants miroitant qu'il décrocherait thybault. pour agnès il serait monté bien haut. mais à cause d'elle, il s'est écrasé au sol.

ses yeux qu'il connait par cœur, ses jolies petites amandes de couleurs vertes, elle les lève vers lui, comme dans un songe. elle le scrute longuement, croyant certainement qu'il va disparaître de sa vue, ce petit gamin qui observe les filles comme un voyeur. mais thybault est loin d'être un voyeur. certes il observe les filles, parfois trop longuement, parfois trop avidement. mais thybault c'est un gentil. c'est un garçon effarouché par ces êtres inconnus. il n'y connait rien aux filles. il essaie d'être drôle, mais elles ne rient pas. il essaie d'être doux, mais elles le renvoient. il essaie d'être beau, mais elles ne le voient pas. agnès, elle, elle ne le voit pas.

pourtant là elle l'a vu. bien vu même. elle semble étonnée, presque soulagée. elle l'appelle. par son prénom. elle s'en souvient. le cœur de thybault rate un battement. « thybault ? » c'est moi agnès. oui c'est bien moi. c'est ce qu'il voudrait lui dire, son petit amoureux transit dont le cœur s'échauffe encore dans la poitrine quand il la croise. mais ses lèvres restent muettes. elles ne veulent pas s'ouvrir. elles ne veulent pas répondre à la muse de thybault. elles le protègent de l'irréparable qu'il pourrait commettre. ne parle pas thybault. cette fille n'est pas pour toi. cette fille est un poison pour toi. elles sont entêtantes ses pensées à thybault. il entrouvre la grille, s'avançant dans la soleil couchant pour s'approcher de son fruit défendu. il voudrait être gentil. lui demander ce qu'elle fait là, si tard, seule et un peu bourrée. il voudrait la prendre dans ses bras, la réchauffer de la fraîcheur tombante de ce soir d'été. mais à la place, il reste froid. il se protège de ce qu'elle pourrait lui faire à nouveau. « oui c'moi. tu t'souviens encore de moi ? » elle qui fait semblant de ne plus le reconnaître. elle n'avait qu'à pas l'abandonner après tout. elle n'avait qu'à rester. vivre et mourir à ses côtés.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

agnès, il est un peu tard, pour les enfants comme toi, que de ressasser le passé, essayant de -sans y arriver, l'enterrer. il est trop tard pour essayer de tout rattraper, de reprendre ta vie en main.
alors, agnès, tu te laisses divaguer au bon grès des vagues, qui, souvent, n'hésitent pas à te faire boire la tasse. des vagues qui se fracassent sur ton beau visage, des vagues qui t'ont à la ramasse.
agnès, parfois, t'as envie de te retrouver dans les bras d'un gentil garçon, qui t'aimera comme on aimera la mer, doucement, sans repartir en arrière. et, pauvre gamine, tu ne te doutes pas un instant de l'amour que te portes thybault, ce gamin de ton passé, c'est celui que tu as toujours cherché. le prince charmant, un peu maladroit, c'est vrai, mais tellement drôle. parce que, en thybault, tu as vu une étoile, tu as vu un homme parmi les hommes.
t'as pas voulu lui faire de mal. t'as pas voulu.
alors, agnès, dans le silence de ton mal-être, tu es partie, évitant la casse, la poisse. évitant inconsciemment les sentiments.
mais maintenant que tu le revois, les coudes appuyé à la barrière que vous avez tant poussé, de vos petites mains, tu te demandes si tu as fait le bon choix.
tu te le demandes, parce que dans la lueur du soir, agnès, thybault est beau. dans la tristesse de ton alcool, dans les reflets du crépuscule, tu peux remarquer ses yeux d'un brun chocolat, et les fossettes qu'il a, quand il te regarde.
tu te sens terriblement conne que de le voir que maintenant.
terriblement conne de l'avoir abandonnée à son triste destin, à son sort. t'aimerais t'excuser, te repentir, et partager avec lui tes craintes et tes peurs. te confier et lui raconter comment ses garçons tu les trouves cons, et tes amies sont si pute.
mais son ton froid, lorsqu'il réponds à son prénom, te glace le cœur et t'empêche de faire quoi que ce soir. « oui c'moi. tu t'souviens encore de moi ? » tu baisses les yeux, coupable.
« évidemment, thyb. »
évidemment que tu te souviens, de vos jeux d'enfants. de vos courses interminables, de vos défis stupides, vos explorations nocturnes et vos rires, vos rires qui pouvaient panser les plaies d'un homme ravagé.
son rire, tu aimerais tellement l'entendre encore.
qu'il soigne les tiennes, de plaie, son rire d'enfant. parce que tu l'aimes tellement.
tu l'aimes tellement.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

(song ➳) les battements de son cœur affolé par cette soudaine apparition le rendait extrêmement nerveux. il ne savait pas ce qu'elle faisait là, sa petite poupée de porcelaine. c'était un songe. un tour de son imagination. lui qui en avait tant rêvé de la voir à nouveau en ces lieux baignés de souvenirs. mais les souvenirs il les trouvait trop dur à assumer. alors il gardait tous ces petits trésors du passé dans un coin de sa tête, les ressortant parfois le soir, les yeux fixés au plafond, une insomnie l'ayant pris aux trippes. il se laissait bercer par le doux rire d'agnès, de ses sourires angéliques. ses sourires qu'elle n'adressait qu'à thybault. ses sourires qui lui faisaient perdre pied au petit garçon fou d'amour qu'il était. il croyait fermement que jamais ses sourires ne se tourneraient vers d'autres garçons. il pensait qu'agnès ne voyait que lui. en réalité c'était même pire que ça. il pensait qu'agnès l'aimait.

et cet amour illusoire il était tombé comme un château de cartes. cet amour bercé par les simples utopies de thybault, il n'était devenu que cendres et poussières quand agnès était partie sans un mot. pas même une excuse. jamais elle n'avait tenté de renouer le contact. elle s'était envolée loin de lui et de son enfance. savourant sa nouvelle popularité regagnée au lycée, elle se pavanait désormais sous les yeux de thybault. yeux qui désormais ne pouvaient plus que pleurer l'absence d'agnès. il s'était effacé, préférant ne pas jouer le rôle d'un poids pour la nouvelle princesse de l'établissement. il avait fait profil bas. il avait serré les dents quand elle passait devant lui, un large sourire plaqué aux lèvres, au bras d'un des rugbyman du lycée. et par dessus tout il lui en avait voulu.

la petite flamme qui sommeille en thybault n'est jamais réellement partie. et elle se ravive à l'instant. sous les mots d'agnès. agnès qui se souvient de lui. c'est presque trop beau pour y croire. loin d'être méchant thybault, il ne peut s'empêcher de rire nerveusement. ironiquement. alors comme ça tu ne m'as pas oublié ? moi non plus agnès j't'ai pas oublié. j'ai pas oublié les jours, les mois et les années que j'ai passé à te regarder, de loin. à te regarder t'épanouir et grandir. sans même un regard vers moi. mais thybault il ravale son sarcasme. il s'avance jusqu'à la balançoire. d'un pas décidé et assuré. thybault il veut des explications. même si ça fait mal. il veut savoir pourquoi elle l'a jeté comme une chaussette qu'on oublie sous son lit. elle qui dit ne pas l'avoir oublié. elle qui se permet encore de prononcer son surnom. « alors j'peux savoir pourquoi t'as disparu comme ça de la circulation ? que tu m'as snobé pendant toutes ces années ? hein agnès. j'étais quoi pour toi ? un simple passe temps. un jouet que t'as relégué au grenier une fois que t'as grandit ? » c'était un flot de paroles. un flot de haine et de rancœur qu'il avait gardé trop longtemps pour lui. ces mots qu'il rêvait de pouvoir demander à agnès. longtemps il s'était imaginé leurs retrouvailles. longtemps il avait imaginé que ce serait chaleureux, qu'il la prendrait dans ses bras pour lui dire qu'il lui pardonnait tout. tout le mal qu'elle lui avait fait. qu'il l'aimait encore. et encore. il avait espéré l'embrasser une fois. mais aujourd'hui face à elle, son visage aussi immobile qu'une statut de marbre, il la dévisageait froidement. rien n'était chaleureux. rien n'était heureux. tout était froid. aussi froid que le soir qui leur tombait dessus, le ciel étirant sur eux son manteau parsemé d'étoiles.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

tes yeux le scrutent, ce thybault, qui resplendit dans le faible pénombre, l'étoile au sol, rattaché à la terre tellement foulée par le passé. il est magnifique, lui et ses grands yeux chocolats, son sourire tout con et ses cheveux caressés par le vent.
il est magnifique, ce fantôme d'un passé que t'as tant tenté de brûler.
parce qu'en voulant tout recommencer, tu as du faire une croix sur ton ami, sur celui qui t'avais vu comme personne n'avait réussi. il t'avait vu pousser, grandir. il t'avait vu douce et sereine, puis sauvage et rebelle. il t'avais vu glisser des fleurs dans tes cheveux, avant d'emmêler les siens pour les orner d'une couronne de marguerites. il t'avait vu pleurer sans raison, et jamais il ne demandait pourquoi, parce que, peut-être, il savait ?
il savait, le thybault.
il savait que la vie est dure, sale catin dans les rues de l'univers.
mais plus que tout, il avait vu combien tu étais fragile, petit poupée. il avait vu ta porcelaine, mais, il ne l'avait pas vu s'écailler, il ne l'avait pas vu se briser.
il ne l'a pas vu partir, et, en mille morceau, tu n'as pas eu le courage de lui dire tout ça. alors, lâche, tu t'es enfuie vers d'autres horizons.
plus hauts, plus durs. plus dangereux.
mais maintenant, tu regrettes, agnès. sous le regard presque insensible de thybault, tu te sens misérable. tu te sens écrasée par la fatalité de tes choix. mais tu soutiens son regard, essayant de l'adoucir, de le voir sourire. de croire à une blague, une mise en scène. que dès qu'il se sera rapproché, tout sera comme avant, peut-être le temps d'un soir.
mais non. il se rapproche, et chaque pas sonne comme une fatalité.
et lorsqu'il est assez prêt, il les lance, ses mots, à ton pauvre visage. « alors j'peux savoir pourquoi t'as disparu comme ça de la circulation ? que tu m'as snobé pendant toutes ces années ? hein agnès. j'étais quoi pour toi ? un simple passe temps. un jouet que t'as relégué au grenier une fois que t'as grandit ? »
il a pas le droit de dire ça. tu te lèves de la balançoire, pour te retrouver face à lui. face à ses yeux, ses joues, ses lèvres. l'alcool te monte à la tête, mais qu'importe. qu'importe tout, maintenant, c'est lui et toi. juste toi et lui.
« thyb, tais toi, je t'en supplie. » tu poses tes mains sur tes joues pour que son regard s'ancre dans le tien.
le tien qui vibre, le tien dans lequel tu veux que tout y passe, pour qu'il sache. qu'il sache combien ça n'a jamais été facile, qu'il sache que même là-haut, jamais elle ne voulait l'abandonner. « t'as jamais été rien, thybault. t'étais tout, t'étais le seul à mes côtés, t'étais pas de ces garçons qui jouaient au foot dans la cour de récré, non t'étais pas un jouet abandonné dans un grenier, t'étais... » tu ne trouves pas tes mots, et tes mains descendent de ses joues pour se retrouver, se serrer, faire d'elles une seule chose, et puis, imiter une explosion, une stupide explosion.  « t'étais tout ça. »
t'as pas de mot pour le décrire, à thybault. même bourrée y'a pas de mot. « et je voulais pas que tout ça, à cause de moi, ça devienne rien. »

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

les petits mots de thybault, ils sont brandit hors de sa bouche comme des fines lames de couteau aiguisées à la main. piquante à souhait. malgré tout il ne cherche pas à lui faire de mal. il voudrait juste entendre la vérité. de sa bouche à elle. de ses lèvres mauves par le froid ambiant. lire dans ses pupilles tous les pardons de l'univers. qu'elle lui explique enfin pourquoi elle, elle a pu s'élever haut dans le ciel, parmi les plus puissants et les plus beaux. et pourquoi lui il est resté à même le sol, son corps gisant de douleur sous l'abandon. « thyb, tais toi, je t'en supplie. » à agnès il vient de faire mal. il le sait et ça le culpabilise parce qu'il n'a pas le droit de l'accuser comme ça. mais faut que ça sorte. faut qu'elle sache à quel point il lui en veut. faut qu'elle sache à quel point il est capable de lui pardonner. tout recommencer. repartir de zéro si elle le lui demande. si elle le lui promet. thybault c'est un garçon faible. surtout devant sa muse. ce sont ses doigts fins qui le font trembler de haut en bas. son contact contre ses joues, un fantasme interdit dans l'esprit de thybault. son esprit qui s'est fermé à toute pensée concernant agnès. il ne peut s'ouvrir à leurs souvenirs. ça le brise en deux comme une brindille de forêt. ça le tue. ça l'empoisonne même plus que cette foutue maladie qui le ronge de l'intérieur. agnès c'est son poison. son poison mortel. « t'as jamais été rien, thybault. t'étais tout, t'étais le seul à mes côtés, t'étais pas de ces garçons qui jouaient au foot dans la cour de récré, non t'étais pas un jouet abandonné dans un grenier, t'étais... » mais sous ses mots. sous ses mots doux et presque réconfortant se cache le remède de thybault. le remède à ce poison qui le ronge depuis tant d'années. « t'étais tout ça. » tout ça. thybault il était tout ça. pour agnès. thybault il était quelque chose. et pas rien.

en signe d'excuse ses mains glissent de ses joues brûlantes pour revenir l'une contre l'autre. « et je voulais pas que tout ça, à cause de moi, ça devienne rien. » rien. de tout, c'est passé à rien. mais pourquoi c'est devenu rien hein agnès ? ce serait trop violent de lui lancer ça. ce serait trop méchant. et thybault n'a jamais été méchant. pas même quand on lui a volé son goûter à l'école. pas même quand on lui a piqué ses cours de chimie au collège. pas même quand on l'a traité de puceau au lycée. thybault il a toujours fait profil bas. cherchant pas les emmerdes. tâtonnant dans ce drôle de tunnel sombre qu'est la vie. cognant les obstacles, les uns après les autres. mais se relevant toujours, un sourire taquin aux lèvres. alors thybault il reste gentil avec agnès. il le restera toujours. malgré tout ce qu'elle pourrait lui infliger. parce que l'amour rend aveugle. et thybault est aveugle pour agnès.

« ça m'explique pas tout agnès. j'étais peut-être tout mais pas assez ? » il était pas assez quoi thybault ? il avait essayé d'être l'ami, le confident, le protecteur d'agnès. il avait tout essayé. secrètement il avait même été son amoureux. mais secrètement. alors c'était quoi ? il aurait fallu briser ce qu'ils avaient construit, pour qu'agnès le rejette. le petit nabot, intello de la classe. « ces mecs dont tu parles, les monsieurs muscles joueur de foot. c'est quand même avec eux que t'es partie. à jouer les princesses dans les couloirs. et ce mépris. » plissant les yeux, un terriblement pincement au coeur s'empara de thybault. jamais un regard dans les couloirs. jamais une parole de réconfort, même derrière un casier à l'abris des regards. pas même un sourire discret, imperceptible, qui aurait pu lui faire penser qu'elle était toujours là. « tu m'as méprisé agnès. c'est la première parole que tu m'adresses depuis bien longtemps. » thybault il a la gorge qui se serre à chacune de ses paroles blessantes. mais agnès c'est pas la plus blessée dans cette histoire. agnès elle trône là haut, vivante, saine et sauve. alors que thybault il gît au sol. comme un soldat blessé. comme le héros d'une fin de tragédie grecque.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

agnès, tout ce que tu viens de lui avouer, ça te tient à la gorge, en haleine, ça te fait presque mal au cœur que de lui dire tout ça. on dit que l'alcool est révélateur et c'est la vérité, car ces mots, ces phrases un peu bancales, un peu compliquées qui sortaient de tes lèvres trop maquillées, trop utilisées, ils étaient vrais.
ils étaient enfouis milles lieux dans ton cœur, dans ta tête, dans l'encre de tes requêtes.
thybault, ces mots à la recherche de la vérité, sans le savoir, ils t'ont blessé. ils t'ont rendue, l'agnès, la vulnérable qu'il connaissait, celle qui pouvait pleurer sans rien dire. mais tu ne pleures pas, tu essaies de t'expliquer, mais tu t'embrouilles, parce qu'à l'intérieur, c'est trop dense, trop épais. le brouillard est si immense et blanc que tu t'y cognes sans pitié.
tu lui tiens les joues, pour qu'il te regarde, et puis tes mains descendent pour exprimer une similitude, un semblant d'explosion. un boom, un tchack. un truc qui explose dans ton crâne. thybault, pour toi, c'était tout ce que tu voulais. il était gentil et admirable, il ne lui fallait pas les dernières vans, non, lui, il lui fallait un peu d'amour, un brin de ciel et puis tout roulait sur des roulettes. thybault il avait son vélo, son vélo tu l'adorais, malgré le temps et les accidents. thybault avait sa maman, elle semblait douce et bienveillante.
thybault était protecteur et protégé, thybault était veilleur, et, tu étais secrètement musée.
mais agnès, il a fallu changer de voie. de ton petit cerveau, tu as vite compris pourquoi. on t'aurais écrasée, mise en poussière, plus que tu ne l'est déjà. agnès, il a fallu faire un choix.
lui ou toi.
et, égoïste, tu t'es choisie, espèrant secrètement le retrouver. mais, thybault, ça, il ne le comprends pas.
du moins, pas encore. car le monde des grands est cruel, et rien qu'entre vous, vous vous déchire à corps perdu. si il savait comment d'en haut, tu as souffert, souhaité juste retourner en bas, jouer comme des enfants.
thybault cherche des explications. « ça m'explique pas tout agnès. j'étais peut-être tout mais pas assez ? » tu secoues la tête.
non non non. thybault, il était tout, et plus encore. mais comment lui dire, comment lui montrer. agnès, tu es perdue, perdue. et il continue. « ces mecs dont tu parles, les monsieurs muscles joueur de foot. c'est quand même avec eux que t'es partie. à jouer les princesses dans les couloirs. et ce mépris. »
ce mépris. à ces mots, il plisse les yeux, ressentant sûrement un mal que tu discernes enfin.
« tu m'as méprisé agnès. c'est la première parole que tu m'adresses depuis bien longtemps. »
si tu savais, thybault. mais tu lui tournes le dos, la tête dans tes petites mains. t'as envie de crier, et de pleurer.
agnès, tu réalises enfin que ça lui a fait mal. que tu n'étais pas la seule à avoir mal. t'as envie de crier. de hurler au monde tout ça. tout ce qui te retiens, pieds et mains liés.
mais à la place, lorsque tu lui fais de nouveau face, tes mains retirées de ton beau visage, un sourire s'y affiche, tandis, que presque, tu larmoies.
« je suis désolé, thyb, j'ai... j'ai pas voulu. je voulais pas te faire de mal, tu comprends ? » tu baisses la tête, toujours ce sourire con, un peu faux au visage. heureusement tes cheveux recouvrent ton visage et il ne peut pas deviner tes yeux humides. « je suis partie parce que je voulais pas te faire de mal. c'est tout. »
une larme trace sur ton visage, tandis que tu l'essuies bien vite.
tu mettras ça sur le compte de l'alcool.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

combien d'étés, d'orages il auraient à écumer encore thybault. à attendre qu'agnès daigne lui ouvrir ses pensées, ses songes et ses malheurs. que ses larmes coulent de vérité, exprimant tout ce qu'elle lui a jusqu'ici caché. agnès c'est un petit coffre précieux, à la serrure fragile. à la clé oubliée. elle renferme dans ce coffre tout ce qu'elle ne veut pas dévoiler au grand jour. agnès elle est inaccessible. c'est la dernière planète du système solaire. celle que thybault essaie d'atteindre vainement, mais qui s'éloigne un peu plus à chaque moment.

les joues baignées de larmes, elle est proche aujourd'hui. si proche qu'il peut la toucher thybault. qu'il peut sentir son parfum si caractéristique. qu'il peut sentir les relents d'alcool qu'elle a ingurgité. agnès elle a bu. elle n'est pas dans son état normal. elle pleure toutes les larmes de son corps agnès. elle bredouille, essayant de s'expliquer auprès de thybault. mais bien vite il comprend que ça ne sert à rien. qu'elle n'est tout simplement pas elle même. il pourrait en profiter, thybault, lui tirer les vers du nez, la forcer à avouer tout ce qu'elle cache derrière ses mots un peu flous, un peu bancales. mais bancales c'est pas grave, bancales c'est très bien. ces mots qu'elle cherche, sans s'exprimer vraiment, ces mots là ils apaisent la colère furibonde de thybault. ses années de tristesse et de douleur. ces mots là ils l'anéantissent. ces larmes là, elles le réparent. thybault c'est un petit pantin disloqué. un pantin de bois qui ne demande qu'à être réparé pour mieux marcher. pour mieux parler. pour mieux rire et mieux aimer.

agnès elle est belle quand elle pleure. agnès elle semble fragile et presque accessible. il peut l'atteindre. comme avant. quand elle riait à ses blagues. quand elle courait vers lui pour l'emmener jouer. quand elle grimpait derrière son vélo, sans peurs et sans reproches. elle était son phare, son ancre. cette personne qui le retenait sur terre. il vivait pour elle.

elle pleure devant lui. elle pleure son chagrin. mais quel chagrin agnès ? c'est pas à elle de pleurer. c'est à thybault. c'est lui souffre. qui endure son absence et son mépris. mais c'est agnès qui pleure. agnès qui pleure pour deux, toutes les larmes et tout l'alcool qu'elle peut pleurer. thybault il sait pas trop comment s'y prendre avec une fille qui pleure. thybault il aurait besoin d'un petit routard. d'un guide avec un chapitre sur la consolation. alors thybault il reste les bras ballants, un peu perdu entre haine et amour. un peu perdu entre son passé et son présent. il la secoue un peu. verbalement. « stop stop stop. » il a envie de lui hurler dessus, de lui dire que c'est son absence qui lui faisait le plus mal. il a envie de la prendre dans ses bras, pour respirer encore ce doux parfum. il a envie de lui dire que tout ira bien maintenant. il a envie de rester là éternellement. à la place il regarde le jour déclinant, reflétant ses derniers rayons rouges sur les cheveux flamboyant d'agnès. à la place, il part à reculons hors du parc, ne quittant pas des yeux agnès. à la place il lui dit doucement. « viens agnès, on rentre à la maison. » comme au bon vieux temps. il fourre ses mains dans ses poches. faisant un signe vers son vélo dont la roue tourne toujours dans le vide. un peu comme le cœur de thybault. il continue tout doucement. « reste pas là agnès. viens avec moi. » il sait pas trop thybault comment s'y prendre avec les filles. alors il essaye. il commence.

et c'est avec agnès qu'il commence.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

saoule et faible, dans tes larmes goût vodka tu te noies. agnès, la larme que tu croyais unique, à présent, elle est suivie d'un torrent, qui crasse tes joues, eau salée qui perle de tes yeux verts. tu ne te contrôle plus, et tu pleures plus que tu ne l'aurais voulu. ton sourire con, dessiné pour cacher tes larmes a disparu. il s'est envolé, le sourire des gens heureux. même ton mascara l'assombrit, simple maquillage pour te rendre plus jolie.
ton sourire, il laisse place à tes cicatrices et coups, il montre combien tu as mal et tu t'en veux. c'est le chagrin qui se dépeint sur ton visage, un chagrin plus fort, qui brise ces murs que tu t'es construit, un chagrin si fort qu'il transperce les corps et les cœurs. petit à petit tu baisses les armes, et laisse revenir celle que tu pensais fatale. l'agnès libre et revêche, qu'il connaissait quand bonheur faisait encore partie de ton vocabulaire.
thybault, tu ne sais pas ce qu'il devine, mais tu ne pleures pas que pour ça. tu pleures pour lui, et pour tellement de chose encore. mais ça, tu ne lui diras pas. pas maintenant, du moins.
petite poupée, sur tes jambes tu vacilles, renifle un peu bruyamment, et le joli petit bonhomme se tient là, il te regarde, beaucoup plus proche de toi. sans le savoir vous vous recollez, secrètement fait l'un pour l'autre, vous êtes deux morceaux de ciel et vous vous retrouvez, dans ce soir d'été, où il fait un peu froid, où un peu tout manque à ton cœur.
tu l'as jamais dit, gauthier, mais thybault, il t'a manqué.
peut-être que c'était ça, que tu voulais, aussi. qu'il ne soit qu'un joli souvenir, impossible de se briser. un souvenir qui te pinçait le cœur, dans un drôle de sentiment. un souvenir, qui, quand tu passais près de lui, accrochée au bras des autres, si peu important, te tordait le ventre à en regretter.
regretter de t'être enfuie, de t'être envolée.
maintenant qu'il les voit, tes larmes, peut-être comprends-il l'étendue de tout ce que tu ressens ?
alors si il sait, pourquoi ne dit-il rien ? pourquoi ne te prends-il pas, ne te serre pas, ne te parle pas ? pourquoi thybault, il n'est plus qu'ombre, plus que silence, alors que, pour tes yeux, il est tellement imposant. dans le parc, il n'y a plus que toi devant lui, lui devant toi.
et ce murmure assourdissant, écrasant qui plane au dessus de vos têtes, rythmés par le bruit de tes larmes que tu essuies, et de ton nez qui coule, et de vos vies qui passent.
et il dit rien. il dit rien. enfin si, il est un peu perdu, tu le sens. tu le sens qu'il hésite. qu'il a peur. « stop stop stop. »
tu relèves la tête, ton regard à nouveau sur lui, la lèvre tremblante et les joues rougies. stop.
« viens agnès, on rentre à la maison. »
on rentre à la maison. cette phrase, tu ne te souviens même plus qui te l'a dit dernièrement. et ça te fend le cœur, de l'entendre sortie de la bouche de celui que tu as lâchement laissé.
ça te fait encore plus pleurer. tu lâches un énième sanglot, tandis qu'il part à reculons du parc, qu'il se dirige lentement vers la maison, les mains dans les poches, la voix si douce, si sereine. « reste pas là agnès. viens avec moi. »
finalement, t'obéis. de la paume de ta main tu essuies tes larmes, pauvre gamine qu'on a laissé grandir seule, qu'on a laissé à son propre sort. tu te diriges vers thybault, cette étoile, tu le rattrapes, te rapproches de lui, et de sa lumière si belle.
tellement belle que ça te brûle. mais c'est pas grave.
tu l'attrapes par la main, thybault, tu l'attrapes pour être sûre que lui, il t'abandonnera pas. tu l'attrapes pour pas tomber, pour pas pleurer.
« pourquoi tu fais ça pour moi ? » tu plantes ton regard dans le sien, redevenue si frêle, si petite. « pourquoi toi ? » puis tu rajoutes, cette fois en regardant les étoiles. « c'est vrai quoi, t'aurais pu m'abandonner, là, toute seule sur la chaussée. mais t'es là. t'es là, à me dire qu'on retourne à la maison, alors que personne l'aurait fait. j'te jure, thybault, personne. et... et je suis tellement désolée. même désolé ça suffit pas... j'ai tellement de choses à dire, tellement de choses à me faire pardonner, mais, j'y arrive pas... »

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

il marche à reculons thybault. on dit que c'est dangereux. sait-on jamais où l'on se trouve, où l'on met les pieds. peut-être aux abords d'un précipice ? naïvement, il marche. sans savoir si là où il va, il peut y avoir une falaise, tombée à pic. dans laquelle agnès pourrait l'envoyer valser encore une fois. il fait quoi thybault, à lui ouvrir le chemin vers chez lui. il ne sait pas vers quoi il s'engage. il ne sait pas si c'est dangereux, si c'est un nouveau piège tentant d'agnès. il ne savait pas non plus à l'époque. gamin naïf engloutissant la vie comme elle venait. les obstacles il ne les voyait pas. il les ignorait et fonçait tête baissée. aujourd'hui il les connait. il sait parfaitement de quoi agnès est capable. mais il y retourne. il retente le coup. échec et mat. la reine se couche ce soir. elle courbe l'échine, se laissant approcher. apprivoiser à nouveau.

relevant son vélo, son fier destrier rouge un peu rouillé par le temps, un peu décoloré par endroit, il sent agnès qui le suit de près. qui pour une fois depuis bien longtemps, l'écoute. sa petite main fragile se glisse dans cette de thybault. cherchant un contact. elle flotte dans un drôle de monde agnès. elle semble à la fois si loin et si proche de lui. elle est dans un drôle d'état, elle ne doit pas avoir toute sa conscience à dire vrai. sûrement qu'elle est un peu bourrée et qu'elle ne se souviendra pas de ça demain. peut-être même qu'elle redeviendra agnès la snob. celle qui ne voit pas thybault quand elle déambule. celle qui marche la tête haute, perchée sur ses aiguilles, levant devant elle tous les regards qui jusque là se tenaient baissés. peut-être que oui. mais thybault ça lui est bien égal. tant que ce soir il peut essayer de récolter les quelques fragments d'agnès qui restent. de son agnès à lui. la petite gauthier de fairmount district. il serre sa main, comme si c'était de la fumée qui pouvait s'évaporer, comme si c'était de l'eau qui pouvait s'écouler. de son autre main il dirige habilement son guidon de vélo.

prenant le chemin de chez lui dans un silence oppressant. il lui jette de temps à autre un regard. regard qu'elle lui rend en demandant bêtement. « pourquoi tu fais ça pour moi ? » parce que je t'aime. mais il se tait. haussant simplement les épaules sans rien répondre. elle renchérit. « pourquoi toi ? » il ouvre un peu la bouche, se perdant dans ses iris printanières. « parce que je l'ai toujours fait. je suppose. » il n'en sait rien lui même. il aimerait lui donner un million de bonnes raisons de pourquoi c'est lui qui est venu la chercher pour la tirer de là. mais il ne veut pas. thybault il veut simplement qu'elle parle. qu'elle lui raconte tout et n'importe quoi. lui il veut se taire et l'écouter. écouter ses mots, le bercer. « c'est vrai quoi, t'aurais pu m'abandonner, là, toute seule sur la chaussée. mais t'es là. t'es là, à me dire qu'on retourne à la maison, alors que personne l'aurait fait. j'te jure, thybault, personne. et... et je suis tellement désolée. même désolé ça suffit pas... j'ai tellement de choses à dire, tellement de choses à me faire pardonner, mais, j'y arrive pas... » il tourne la tête, scrutant la route, s'approchant peu à peu de sa maison. il ne sait même plus à quand remonte la dernière fois où agnès est venue.

il ne sait pas quoi répondre à ses mots. c'est touchant. ça remue de vieux souvenirs enfouis, de vieilles émotions dont il n'arrive pas à se séparer. ce serait tellement plus simple si elle savait agnès. mais elle ignore tout. elle essaie de comprendre. un peu comme lui. mais il ne peut pas tout lui expliquer. pas maintenant. « j'sais pas. parce que c'est pas mon genre sûrement. parce que j'ai jamais rien fait comme tout l'monde. » il hausse à nouveau les épaules, faisant rouler son vélo bien droit, d'une seule main, l'autre serrant toujours fermement celle d'agnès. ils arrivent au niveau de sa rue, tournant à l'angle, en silence. « sûrement parce que moi je t'ai pas oublié agnès. que si t'as besoin, j'suis là. et que ce soir, j'étais là. » il se mordille la joue. t'es pas un héros gamin. agnès elle n'a pas besoin de lui. voilà ce qu'il se répète. peut-être qu'elle joue la comédie. comme toujours. mais il ne peut pas la laisser là. il lâche sa main à regret, attachant son vélo à un poteau, avant de gravir souplement les marches du pavillon, ouvrant la porte. un petit sourire éclaire son visage, tandis qu'il se tourne vers agnès. « puis ce soir on est vendredi et c'est pizza maison. tu voudrais pas rater le meilleur plat de la semaine ? » il ouvre en grand la porte, espérant que rien que ça. les habitudes, les odeurs. tout ça ça rappellera à agnès les quelques moments d'antan. il ne perd pas espoir thybault. jamais. surtout quand ça concerne agnès.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

agnès, pour une fois, tu acceptes la main qu'on te tends. cette main si bienveillante, qui vient d'un garçon qui semble ne jamais souffrir. ou du moins, ne jamais le montrer. alors que tu sais, tu sais que ça n'a pas toujours été rose pour lui. tu le sais, car de son malheur, tu en fais parti. il te l'a clairement dit. et ses paroles, elles restent dans ton crâne, paroles d'adolescents devenu trop grands.
et pourtant, malgré tout le mal que tu lui fais, gauthier, thybault, il trouve la force et l'amour pour te donner cette main, que tu prends. tu sèches tes larmes et la prends, et, avec ce vélo rouge et vieux comme le monde, vous vous en allez de ce parc, ce parc qui abritent vos nombreux souvenirs et jours heureux.
ta main glisse dans la sienne, réconfort ultime, alors que tu te consoles de tes peines et tente de marcher droit. t'es un peu ailleurs, c'est un peu comme un rêve. là où tout va bien, et où tout finiras bien. alors qu'agnès, tu sais pertinemment que les happy end n'existe pas. que ce n'est que mensonge dans cette société de menteurs. mais ce soir, agnès, tu veux y croire. tu veux croire à un bonheur, ne serait-ce que pendant quelques heures.
un bonheur à la thybault et agnès.
la nuit est silencieuse, seulement ponctuée du bruit des roues du vélo et de vos respirations. et puis ta voix casse le silence, résonne comme le cristal. c'est une question qui s'échappe de tes lèvres semi-maquillées. et puis une autre. l'alcool te délie la langue et te fais parler, sans même qu'il ai à t'interroger. et, thybault, sûrement un peu perturbée par ces questions inattendu, il te réponds. « parce que je l'ai toujours fait. je suppose. »
il l'a toujours fait. tes yeux se perdent dans les siens, quelques instants. c'est vrai, il était toujours là. peut-être pas super voyant, peut-être pas le meilleur superman. mais il était là. et même ça, t'as pas pu le voir. tu te mords la lèvre et tourne la tête, levant tes pupilles vertes vers le ciel. et ton monologue, ton dialogue à une voix, tu le continues. tu parles, tu parles. c'est plus fort que toi. et tandis que vous avancez à deux, il t'écoute, oreille distraite, oreille discrète. « j'sais pas. parce que c'est pas mon genre sûrement. parce que j'ai jamais rien fait comme tout l'monde. » thybault ne sait pas. où du moins, il ne veut rien dire. et puis, il n'a jamais rien fait comme tout le monde.
c'est vrai, c'est le seul à venir te regarder de ta fenêtre.
le seul à t'écouter sans te plaindre.
le seul qui peut dire je ne sais pas, ça te foutre la rage. ne pas savoir, ça t'énerve. mais avec thybault, il y a dans son sourire cette part d'ombre et de lumière. et ça, t'en dis rien.
vous prenez un tournant, lui et son vélo, ainsi que toi, sa main tenant fermement la sienne. ces paroles sont ponctués de silence, parfois reposant, parfois, dérangeant, empli d'une curiosité qui le rends encore plus attractif. « sûrement parce que moi je t'ai pas oublié agnès. que si t'as besoin, j'suis là. et que ce soir, j'étais là. »
tu baisses les yeux, avant de les lever à nouveau vers lui. ces mots te réchauffent ton petit cœur et font fondre la glace. ces mots te rendent plus belle. c'est fou comme il te fait cet effet là.
et, tu ne le diras jamais, mais cet effet, il te le fait depuis tellement longtemps.
« merci... » que tu marmonnes. merci pour tout. pour vos mains se délient, se détachent, et le vélo, thybault, il l'accroche à un poteau, avant de se diriger vers l'entrée. tu le suis, intimidée. « puis ce soir on est vendredi et c'est pizza maison. tu voudrais pas rater le meilleur plat de la semaine ? » la porte s'ouvre, et tout t'explose au visage. les souvenirs, les rires, les pleurs, les bouderies. le visage de la mère à thybault, qui te souriait, bienveillante, malgré la fatigue. puis vos jeux, dans sa chambre. et sa cuisine, accueillante, tout le temps pleine de vie.
pleine de vie, face au vide qui rongeait la tienne. chez les oman, c'était ta seconde maison. t'y passait le plus clair de ton temps à y faire des bêtises, ou même à réviser. à aimer. et le moment le plus triste, c'est quand ton père venait te chercher, t'arrachant à ce cocon, ce lieu rempli de bonheur.
c'était un déchirement qui se répétait tout les jours.
jusqu'à ce que ce soit toi, qui, décide de t'en aller pour de bon. tourner la page, sans même la regretter.
et te revoilà, dans ton paradis. il n'a pas bougé. il y a toujours les mêmes photos, les mêmes cadres, les mêmes meubles. tu souris. c'est un sourire à la fois heureux et triste. « j'adore la pizza des oman, c'est la meilleure. » et c'est pas un mensonge. tu pinces le nez à thybault, avant de te diriger vers sa chambre. tu te retournes, et demande son approbation. « je peux ? juste pour voir si t'as toujours les même posters, tu sais, comme celui que j'adorais... »

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

il n'aurait cru personne thybault si on lui avait dit qu'agnès reviendrait sur son palier plus d'une demi-douzaine d'années plus tard. même pas sa propre mère. mais elle se tenait bien là. en chair et en os. regardant autour d'elle avec la même admiration qu'au premier jour.
ce fameux premier jour.
thybault était incapable de l'oublier. parce que c'était à partir de ce jour là qu'il avait commencé à l'aimer.
dès le premier jour.
ce fameux premier jour.
franchissant la porte, une drôle d'ambiance s'empara alors de l'atmosphère. agnès souriait. elle ne pleurait plus. tandis qu'il s’essuie les pieds sur le paillasson, elle rentre.
comme si elle avait toujours fait partie de ce décor.
comme si elle n'était jamais partie.
agnès la revoilà, au milieu du bric à brac de l'entrée qui n'a pas bougé depuis tout ce temps. il referme la porte derrière lui. « j'adore la pizza des oman, c'est la meilleure. » ce sont des mots réconfortants pour le cœur endolori de thybault. agnès se souvient de lui. elle ne l'a pas totalement oublié. il reste une petite part de thybault en agnès. et un énorme gouffre laissé par agnès en thybault. elle lui pince le nez, sans aucune retenu. comme si c'était la chose la plus normale du monde. et ça l'est en réalité. ça redonne un sourire à thybault. son vrai sourire de gamin. son bonheur d'avoir agnès à ses côtés. elle prend le couloir sur la droite. celui qui mène à sa chambre. ça non plus elle n'a pas oublié. thybault il sourit bêtement en la voyant faire, en la voyant se retourner pour reculer vers sa pièce à lui. son jardin secret. « je peux ? juste pour voir si t'as toujours les même posters, tu sais, comme celui que j'adorais... » un sourire franc se dessine sur le visage de thybault. est-ce que cette mauvaise période pendant laquelle agnès l'a snobé n'était qu'un vieux rêve ?
un cauchemar dont il venait enfin de se réveiller ?
est-ce qu'elle n'était en réalité jamais partie ?
agnès est de retour chez les oman. peut-être pour de bon ? mais thybault il ne veut pas s'enflammer. elle pourrait s'évaporer à nouveau agnès. partir en fumée, comme les nombreux mirages de ses pensées. « je t'en prie. » mais il ne peut pas s'empêcher de hocher la tête, la suivant dans le petit couloir. « mais tu vas être surprise de voir à quel point ça n'a pas changé. » est-ce qu'ils arrivaient enfin au bout du tunnel de son enfer ? est-ce qu'agnès le ferait sortir du trou, le trou béant, dans lequel il s'était recroquevillé depuis qu'elle était partie ?
il prend son courage à deux mains thybault. attrapant ses épaules et la poussant doucement comme un jeu de colin maillard, il la guide jusqu'à la porte. porte qui est déjà entrouverte, comme si elle savait qu'agnès revenait. ils entrent dans sa chambre, aux murs autrefois nus. aujourd'hui rempli de tout ce auquel thybault tiens. les fameux posters. des photos. des graffitis, des écrits. agnès elle doit la reconnaître cette chambre. elle qui y a passé tant de temps.
mais le temps s'est perdu. il s'est égrainé sans elle. thybault voudrait le rattraper ce temps. ravoir agnès tous les jours ici. assise au milieu du plancher, à rire de ses blagues et de ses bêtises. à regarder des films idiots coincés dans son canapé-lit. à le faire bosser ses cours de bio qu'il n'arrive pas à se rentrer dans la tête. mais tout ça c'était des utopies pour thybault. agnès elle est partie avant qu'il n'ait le temps de lui proposer tout ça. il se masse la nuque, un peu mal à l'aise. « fais pas trop attention au bordel. j'fais du tri pendant les vacances là. » il va s'asseoir sur son lit, suivant des yeux agnès qui redécouvre ce petit lieu secret.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

c'est une sensation qui te renverse le cœur, que de te retrouver à nouveau ici, agnès. que de remonter ces marches, que d'emprunter ce couloir, que de revenir dans ton paradis perdu. discrètement, au fur et  à mesure que tu marches, tu laisses tes doigts glisser sur les murs, pour être sûre que ça aussi, ça ne s'effondra pas.
que ça ne disparaîtra pas comme tout s'est envolé.
et, ce lieu, comme par magie, il a effacé tes larmes. à la place, c'est un sourire un peu nostalgique, un peu heureux qui se dessine sur tes lèvres. timide, tu te déplaces, et retrouve tes vieilles habitudes, ton comportement enfantin avec thybault. tu pinces son nez, t'amuse de tout. agnès, c'est maintenant que tu te prends de pleins fouets comment tout ça t'as cruellement manqué. les photos accrochées aux murs semblent reprendre de la vie, les gens s'y déplacent. et tu remarques que sur ces murs, tu n'as pas disparu. et tu t'en veux.
tu t'en veux. mais le sourire du propriétaire de ces souvenirs, le sourire à thybault, il comble tout tes remords, il panse les plaies secrètes.
de retour chez toi, tu prends le chemin de ton quartier secret, de ton cocon : la chambre magique. tu ne vacilles même plus sur tes talons, sûre du chemin. tu demandes quand même l'autorisation, de peur qu'en fin de compte, il ne te veuille plus. qu'il referme son cœur face à tout ce que tu lui a apporté. et alors que tu t'attends à une réponse négative, les lèvres esquissant un sourire incertain, thybault, lui, ne doute pas. « je t'en prie. » tu l'attends, au chevalier servant, parce qu'on sait jamais ce qui se cache, derrière une porte entrouverte, presque fermée. et si il se cachait une fille, un chien, ou un alien ? mais il te suit, rajoutant, amusé. « mais tu vas être surprise de voir à quel point ça n'a pas changé. » il pose les deux mains sur tes épaules, et tu ne peux pas t'empêcher de constater que maintenant, il est plus grand, plus fort que toi.
que maintenant, tout ne tourne plus qu'atour de vous, qu'atour de toi. qu'il y a le monde. mais, lorsque vous êtes ensemble, vous gravitez autour de ce monde. comme deux étoiles, deux satellites. et en ce moment, pour quelques secondes, vous posez les pieds sur terre.
la porte à thybault, elle est entrouverte. comme si elle aussi, elle savait. comme si elle s'en doutait. comme si le retour était inéluctable.
alors, poupée, tu ouvres la porte en grand. d'un geste, comme pour tout ressentir, tout prendre, de plein fouet. tout revivre.
tu te souviens. tu te souviens des murs, des posters, des photos, parfois des déchirures. tu te souviens du sol froid et du bureau, souvent en bordel. agnès, t'es plantée là, perchée sur tes talons trois fois trop cher, à contempler tout ce sur quoi tu as fermé les yeux. « fais pas trop attention au bordel. j'fais du tri pendant les vacances là. » et il s'assoit, sûrement gêné. peut-être aussi perturbé. alors tu le rassures, inconsciemment. « je l'aime bien ton bordel, moi. »
tu veux refaire partie du décor. tu veux refaire partie de cette chambre, de ses photos. alors, de tout ça, tu t'en imprègnes. tu ne perds pas une miette, de peur de ne plus pouvoir venir. dans le silence de vos souvenirs, tu rouvres votre tombe. « tu te souviens des jours où on restait chez toi, parce qu'il pleuvait ? et des soirs, ou mon père oubliait de venir me chercher, et que je restais tellement tard, qu'on allait presque se coucher ? et quand finalement il venait pas, et qu'on veillait tard en se racontant des blagues et des histoires d'horreurs, et qu'après, j'avais trop peur alors tu venais près de moi... tu t'en souviens ? » tu te tournes vers lui, pour enfin lui faire face.
et si, il avait oublié ?
si il souhaitait ne plus se souvenir ?
tu ferais quoi, agnès, tu ferais quoi ?

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

plantée au milieu de la pièce, agnès elle paraît irréelle aux yeux de thybault. combien de fois il y a songé, combien de fois il a fantasmé sur le retour d'agnès dans son décor à lui. dans son décor à elle. agnès elle a toujours fait parti de cette pièce. elle a toujours fait partie de la vie de son propriétaire. même quand elle en était partie. « je l'aime bien ton bordel, moi. » il aimerait bien sourire thybault à ses mots. refaire une conversation banale. mais les mots sortent pas. ça se coince entre sa gorge et ses lèvres, ne voulant pas aller rassurer agnès. il ne sait si il aimerait lui dire qu'il est heureux de la voir là ou totalement perdu par la tournure des évènements. elle tourne autour de la chambre agnès, comme une poupée de verre dans une boule à neige, redécouvrant son petit monde enchanteur. c'est l'air qui se dessine sur son visage. l'enchantement. elle est heureuse là agnès ? « tu te souviens des jours où on restait chez toi, parce qu'il pleuvait ? et des soirs, ou mon père oubliait de venir me chercher, et que je restais tellement tard, qu'on allait presque se coucher ? et quand finalement il venait pas, et qu'on veillait tard en se racontant des blagues et des histoires d'horreurs, et qu'après, j'avais trop peur alors tu venais près de moi... tu t'en souviens ? » elle tourne toujours agnès, comme une boîte à musique et sa vieille rengaine d'hiver dont il ne se lasse pas. la vieille mélodie du passé que seule elle connait bien. ça lui serre le cœur thybault d'entendre ça. ça l'anéantie à petit feu. elle se souvient de tout. de tout ça. de tous les détails infimes de leur adolescence romanesque. mais elle les avait scellé. derrière ses barreaux incandescent, derrière sa carapace de fille canon et populaire. maintenant elle baisse le rideau.
elle se souvient de tout.
mais tout ce temps elle a fait semblant.
la gorge de thybault se serre un peu. il déglutit difficilement, regardant à droite et à gauche.
regardant le sol et le plafond.
regardant tout sauf agnès.
regardant tout sauf son bourreau. le bourreau de son cœur.
« bien sûr que j'me souviens. mieux que toi même. » il répond un peu ailleurs. il ne veut pas la blesser mais il veut lui montrer à quel point il est meurtri. qu'elle ait joué les faux semblants tout ce temps. « mais j'pensais pas que toi tu t'en souviendrais. j'pensais que t'avais tout oublié. que tu m'avais oublié moi. » il laisse passer un temps. un long silence pesant comme un blizzard brûlant. « que tu nous avais oublié, nous. » elle se souvient d'eux agnès, malgré sa comédie d'une demi douzaine d'années. « tu t'es bien foutu d'ma gueule en fait agnès. c'est fou c'que ça me fait du bien de te voir là tu sais. mais ça me tue aussi. » il la regarde droit dans les yeux, lui faisant sentir tout le poids de la culpabilité qu'elle peut ressentir pour l'avoir perdu. pour s'être payé sa poire. « tout ce temps où t'as joué les ignorantes. alors qu'en fait tu te souvenais de tout ça. que t'aurais très bien pu revenir. mais non. toi t'avais peur de c'qu'on pourrait dire si on te voyait avec oman, l'facteur à bicyclette ouais. » rageusement il serre les poings, ne pouvant plus soutenir le poids de ses iris rivées sur lui. il redevient méchant thybault. alors qu'il ne veut pas. qu'il n'a qu'une envie c'est se lever, et la serrer dans ses bras. la serrer à l'en étouffer. pour être sûr cette fois, de la garder.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

au milieu de cette chambre, tu flottes presque. tout n'est que murmures et secrets, tout n'est qu'à redécouvrir, et à réapprendre, à revoir. t'as longtemps cherché la porte de ce nouveau monde pour t'y fondre en grand, mais cette porte, elle était là.
elle était là, tout les jours, devant toi. elle était chez thybault. dans son cœur, dans sa chambre. c'est là que t'étais heureuse, c'est là que tu retrouves ce bonheur. là où quand tu te sentais glisser, t'avais deux mains pour te rattraper. et, stupide gosse, un jour, tu t'es laissé glissé, lâchant ses mains d'argent. agnès, ce jour là, tu t'es fracassée sur le béton.
et, de ton paradis, t'es descendue sur terre. sur ton trône de reine, tu t'es sauvagement battue. les filles, tu les détestais, les garçons, ils t'ennuyaient. t'as du te créer un masque, une autre personnalité, une autre histoire pour pas flancher. pour pas partir en hp. t'as du cacher le blizzard du dehors, cacher ces cordons d'argent et ces pulsations qui reprennent dans ton cœur. et maintenant, enfin, tu peux être libre. tu peux ressentir, sourire, pleurer. tu peux briser le masque le temps d'un soir, le temps des retrouvailles.
c'est la fin des faux semblants. enfin, tu reprends de l'air.
et, alors que tu te souviens, retrouvant la mémoire, tel une amnésique, il te dit, thybault. « bien sûr que j'me souviens. mieux que toi même. »
tu te tournes vers lui, le contemplant enfin. c'est la poupée qui retrouve ses repères, qui retrouve son âme sœur. mais son âme sœur, elle grimace.
thybault, il grimace.
« mais j'pensais pas que toi tu t'en souviendrais. j'pensais que t'avais tout oublié. que tu m'avais oublié moi. » j'ai jamais oublié thybault. j'étais obligé, de faire comme... comme si. mais tu dis rien, pince juste les lèvres. dans ta tête ça fait du bruit, alors que c'est un silence pesant qui s'abat sur vos têtes. « que tu nous avais oublié, nous. » thybault, il montre combien il a eu mal. comment encore aujourd'hui, il arrive pas à arrêter de saigner. par ta seule faute, agnès. oman, il te fait regretter ta mascarade dorée. « tu t'es bien foutu d'ma gueule en fait agnès. c'est fou c'que ça me fait du bien de te voir là tu sais. mais ça me tue aussi. » ses mots, ils t'achèvent. c'est comme un millier d'aiguille dans le cœur. ça me tue. à thybault, ça le tue. cette fois, agnès, tu tournes, tu tournes comme une danseuse saoule. tu danses d'un désespoir teinté d'amertume, tu tournes, et c'est ta tête qui s'envolerait presque. tes talons, ils claquent, et, dans un élan de fureur, tu les retires. « tout ce temps où t'as joué les ignorantes. alors qu'en fait tu te souvenais de tout ça. que t'aurais très bien pu revenir. mais non. toi t'avais peur de c'qu'on pourrait dire si on te voyait avec oman, l'facteur à bicyclette ouais. » « non ! » que tu lâches, la rage au cœur.
finalement, il ne sait pas. finalement, personne ne sait. tu passes une main dans tes cheveux, avant de te rapprocher de lui, pour lui faire face. « c'était pas de ta faute, c'était de la faute à personne. » c'est moi. « moi aussi, ça m'a fait mal, de devoir t'ignorer, thybault. c'était inhumain, que de devoir faire comme si je te connaissais pas alors que je me rappelais, quand nos regards se croisaient, de tout... je pensais pouvoir supporter, mais regarde moi, thyb...  » tu joues avec une mèche de cheveux, qui cache, un coup sur deux, ton visage. ton cœur s'emballe, et tu ne sais plus quoi faire, quoi dire. et tu lui dis. tu lui avoues, ce qui se passe dans la mécanique de ton cœur. « dis moi quoi faire, thybault. je... je sais pas quoi faire, ni quoi te dire.  » tu soupires, avec l'impression de t'enfoncer, de trébucher à chaque mot. mais tu peux pas t'empêcher de parler tout de même, de peur que le silence te bouffe, t'efface. que soudain, tu te réveilles dans ton lit.
et pas dans cette chambre. « si tu veux que je partes, je partirais, si tu veux me déteste, déteste moi, mais... mais j'ai jamais oublié. »
et tu t'étouffes dans un énième soupir.
ton cœur est devenu incontrôlable.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

« non ! » elle enrage agnès. elle semble en colère contre lui. qu'il puisse penser ça. mais comment en serait-il autrement ? elle ne lui a rien dit. rien qui puisse lui faire croire qu'il avait toujours une place - une infime place - dans la tête d'agnès. « c'était pas de ta faute, c'était de la faute à personne. moi aussi, ça m'a fait mal, de devoir t'ignorer, thybault. c'était inhumain, que de devoir faire comme si je te connaissais pas alors que je me rappelais, quand nos regards se croisaient, de tout... je pensais pouvoir supporter, mais regarde moi, thyb... » elle est face à lui. comme face à son jugement dernier. est-ce que c'est la dernière fois qu'il la jugera thybault ? est-ce que qu'après tout rentrera dans l'ordre ou alors ce sera pire qu'avant. qu'ils s'oublieront. pour de bon.
« dis moi quoi faire, thybault. je... je sais pas quoi faire, ni quoi te dire. » elle se noie dans de vieux sanglots du passé. elle cherche à respirer de nouveau. que l'air suffocant de cette pièce devienne la brise fraîche qui enveloppait leurs rires. mais thybault il ne veut plus rire aujourd'hui. il a besoin de franchise. de toute la franchise d'agnès. elle soupire. elle bafouille. il lui arrive quoi à agnès ? la grande, belle et populaire agnès ? « si tu veux que je partes, je partirais, si tu veux me déteste, déteste moi, mais... mais j'ai jamais oublié. » thybault il essaye de la voir partir. de la sortir de sa chambre.
mais c'est impossible.
même absente elle a toujours été là.
même absente, il l'a toujours désiré auprès de lui.
alors elle ne partira pas.
elle ne partira plus.
« non. tu restes agnès. » la voix de thybault s'est adouci. il sait que ses reproches ont atteint leur but. qu'agnès a pris conscience du mal qu'elle a semé derrière elle. tout doucement, il prend sa main dans la sienne. il a peur qu'elle se casse cette fragile main. comme de la porcelaine. alors il la caresse de son pouce aussi doucement qu'une plume effleurant le sol.
il a peur qu'agnès s'effondre en larmes devant lui. il a peur qu'elle pleure toutes les larmes de son corps. toutes les larmes qu'il n'a pu déversé durant ses dernières années pour tout ce qui lui est tombé dessus. pour tout ce qu'il a enduré et qu'agnès ignore encore.
tout aussi doucement il la tire vers lui, il la guide vers son lit, la faisant asseoir à ses côtés, sans cesser de tenir sa main au creux de ses doigts. sa main qui maintenant enveloppe celle d'agnès. alors qu'avant ils possédaient des mains jumelles qui pouvaient se lier comme les pièces d'un puzzle. aujourd'hui tout est bien différent et ils ne pourront pas rattraper ce passé qu'ils aimaient tant.
la serrant contre lui, il pose sa tête au sommet de son crâne, fixant le mur et respirant le doux shampoing d'agnès. il ne sait pas quoi dire dans ce silence. il veut juste la sentir contre lui. savoir qu'elle est là. réellement là. il marmonne dans ses cheveux. des mots interdits. des mots qu'il a gardé pour lui. des mots précieux qu'il jette à agnès. et il n'espère qu'une chose. qu'agnès les attrape ces mots. « tu t'en vas plus agnès. tu t'en vas plus. » il ferme les yeux doucement. c'est une promesse pour lui. c'est un souhait qu'il lui demande. « c'est promis hein ? tu me laisses plus ? »

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

t'as le cœur au bord des lèvres. t'as l'amertume de la culpabilité et de la souffrance sur la langue, sensation désagréable qui te rends si vulnérable.
ouais, devant thybault, t'es vulnérable. t'es pas si forte, si belle, si majestueuse. pas celle que tout le monde veut voir, veut entendre, veut croire. t'es faible. devant ses mots, devant ses regards, pleins de souffrance, tu t'écrases. et ça te fait mal. agnès, ça te fait tellement mal. alors pour la cacher, cette peine, pour le cacher, ce désarroi, tu enrages, tu demandes, tu te condamnes presque.
tu te condamnes à ressortir de sa vie, de son cœur. tu te condamnes parce que dans le fond, c'est peut-être la seule solution. la seule solution pour réduire sa peine, à ce thybault. que cette fois, tu t'en ailles dans les règles de l'art.
et, alors que tu t'apprêtes à partir, tourner les talons, pour retourner à ta misérable vie, sa voix, à thyb, elle résonne.
« non. tu restes agnès. » tu cherches son regard, ses prunelles chocolats, tu les cherches, à la recherche de quelque chose, mais c'est ta main qu'il attrape, avec une douceur inimaginable. ses doigts, ils retracent tes traits, tes lignes de la main, avec tellement de sentiment, qu'agnès, t'as juste envie de t'écrouler, de te mettre à genoux. d'en pleurer. pourtant, c'est qu'un sourire un peu peiné, un peu triste, et les yeux brillants, que tu le regardes. tu le regardes, ce thybault, celui qui était resté un môme dans ta tête, et qui maintenant, t'attires vers lui, homme si grand, homme si beau. si magnifique, dans sa chambre d'enfant.
il t'attire, et sans broncher tu viens vers lui, poupée si frêle, tu t'assois à ses côtés, tout contre lui. thybault, il garde sa main dans la sienne, tandis que tu poses ta chevelure rousse sur sa poitrine, le cœur qui bat vite, le cœur qui bat fort. tu fermes les yeux, le temps de quelques secondes, tu papillonnes, revenue près de lui, tu te sens plus calme, sûrement plus sereine. à bat les comédies, à bat les cauchemars, y'a que le silence et le bruit de vos respirations, qui se calent, qui se cherchent, même après tant d'années passées si loin de l'autre. c'est comme si rien n'avait changé. d'ailleurs, ta main, elle veut plus lâcher la sienne, comme collées.
le menton à thybault, il vient se poser sur ton crâne. tu le retrouves, lui et lui seul. lui et ses mots, que dans le silence de vos révérences, il te lance. dans ta chevelure de feu, il marmonne, des mots qui te réchauffent, comme des caresses. comme des bras qui t’entourent, chaque fois plus fort, chaque fois plus près de toi. « tu t'en vas plus agnès. tu t'en vas plus. » tu rouvres les yeux, toujours contre lui, toujours rattaché à son cœur. « c'est promis hein ? tu me laisses plus ? » « promis. promis. » tu te décales un peu de lui, pour pouvoir le contempler, son visage. pour pouvoir lui sourire, finalement. un sourire sain. « et si tu veux, on prendra le temps. et je resterais là. dans ta chambre. dans tes bras. » tu te recales près de lui, t'enfermant dans son entreinte sentimentale. son entreinte, qui ressemble à celle des hautes lumières.
tu veux plus le lâcher.
parce que dans ses bras, parce que contre son cœur, t'as plus peur.
t'as plus peur.

thynès

retrouver dans un sourire toutes les lois de l'univers

il la serre contre son cœur. à s'en faire éclater les poumons. mais tant pis. tant pis parce que désormais il sait qu'elle est là. qu'elle est revenue dans le creux de ses bras. « promis. promis. » c'est un souffle nouveau, qui s'écoule en lui. qui remplit d'air ses poumons asséchés. il ne connait plus rien. plus de douleur. plus de maladie. il ne connait plus rien qu'agnès, revenue d'entre ses songes.
« et si tu veux, on prendra le temps. et je resterais là. dans ta chambre. dans tes bras. » elle le regarde avec ses yeux enfantins, qui repeignent à travers leur couleur ce passé si fragile auquel thybault, ce petit enfant s'accroche désespérément. elle lui parle avec sa bouche délicate, ses lèvres rouges. elle est devant lui, agnès gauthier. elle se réfugie au creux de ses bras. ses bras désormais plus fort qu'avant, plus sûrs de leur emprise. ses bras qui défendrait la demoiselle contre vents et marrées.
elle semble fragile aux yeux de thybault, sa petite agnès. pourtant il ne saurait dire lequel des deux tomberait en premier. elle semble fragile, mais elle s'est toujours montrée forte et digne. la tête haute, elle marchait fièrement dans les couloirs. sans jamais baisser les yeux. pas comme thybault, qui rasait les murs sans demander son reste. agnès elle semble sans faiblesses comme ça, quand elle ne baisse pas sa garde. et à bien y réfléchir, thybault il ne connait pas les faiblesses de sa poupée. sa mécanique intérieure. sa mécanique du cœur.
son cœur à thybault il débloque pour agnès. depuis bien longtemps. mais c'est pas le pire. le pire agnès elle le sait pas. il ne veut pas qu'elle le sache. qu'il est malade et qu'il souffre. que ses poumons sont pas parfaits et qu'il n'en fait qu'à sa tête. ça il s'est juré de ne jamais lui dire. parce que ça le rendrait trop fragile aux yeux d'agnès. trop faible pour une demoiselle comme elle. et thybault il ne fait pas parti des faibles.
il la garde contre lui, le temps qu'il faut. le temps d'être sûr qu'agnès est là. de sentir les échos de son parfum remonter jusque dans son nez. jusque dans ses souvenirs les plus lointains. elle sent toujours comme ça agnès ? elle sent bon il trouve thybault. il se mord la joue pour éviter de trop penser thybault. le parfum d'agnès ça réveille chez lui des pensées qu'il s'est promis de ne plus avoir. des pensées désireuses.
il sourit un peu thybault, un sourire heureux. il s'écarte doucement d'agnès, instaurant entre eux la plus petite distance qu'il n'ai jamais eu. combien de fois a-t-il rêvé de lier et délier leurs lèvres, laissant leurs soufflent s’emmêler. mais il se l'interdit.
il s'écarte, se massant la nuque. « pizza alors ? » il hoche la tête pour deux, marchant à reculons vers la porte, sans quitter agnès des yeux. il a peur qu'elle s'évapore. encore. « j'vais la chercher, d'accord ? » il fait un signe vers le couloir, disparaissant dans l’entrebâillement, avant de prendre la direction de la cuisine.
puis il revient sur ses pas, regardant à nouveau agnès avec une sourire un peu bête vissé sur les lèvres. « non j'vérifiais jute... » il se gratte la tête. « que t'étais bien là. » et il repart, gardant son sourire idiot aux lèvres.
ouais agnès elle est bien là.
elle s'en va plus thybault.
elle s'en va plus sans toi.