too young for me. ≡


D'un signe de tête, le videur de la discothèque te fait signe d'entrer, toi ainsi que ton frère. Tu souris, parce qu'il ne sait pas posé de question sur son âge et n'a pas remis en question la façon dont il s'est habillé. C'est déjà ça de gagné. Ton frère n'est pas du genre à sortir, encore moins en boîte de nuit. Il a vingt-quatre ans, pourtant c'est la première fois qu'il se rend dans ce genre d'endroit. Il n'avait pas particulièrement envie de venir ici, mais tu l'as forcé, il ne pouvait pas continuer à rester chez lui sur son ordinateur, tous les soirs. Pas tous les soirs avait-il répliqué bougon et toi tu avais effacé ses paroles d'un geste de la main. En fait, aller dans les clubs n'est tout simplement pas la tasse de thé de celui qui est en réalité ton demi-frère. Tu penses bêtement qu'il n'a pas beaucoup d'amis, donc encore moins susceptible de l'accompagner faire la fête, que c'est un petit intello geek et qu'il est du genre associable, alors que ce n'est pas vraiment le cas. Tu fais abstraction du fait qu'il a une petite amie depuis bientôt trois ans, qu'ils sont presque fiancés et qu'ils passent beaucoup de temps ensemble, tu oublies aussi qu'il poursuit toujours des études et qu'il compte exercer un grand métier. Tu es peut-être un peu jaloux, alors tu te contentes de ne voir que ce qui t'arranges, te croyant plus grand, plus beau, plus attirant, meilleur que ton frère.

Pour l'occasion, tu as revêtu une chemise de costard ainsi qu'une cravate, le tout complété d'un jean. Tu as ouvert quelques boutons de la chemise et desserré le nœud de ta cravate, de façon à adopter une tenue et une allure décontractée. C'est toujours préférable à un air coincé et peu sûr de lui. Comme tu penses que ton frère est. Mais vous avez à peine fais quelques pas dans la grande salle où la musique bat son plein, que ton frère que tu méprises sur de nombreux aspects s'évade en direction de personnes de sa connaissance. Bien joué le frérot. Trente secondes passent et tu l'as perdu de vue. Tu te retrouves seul et ton frère en compagnie d'amis. Tu te disais le plus populaire ?

Ta solitude ne dure pas bien longtemps, car on t'aborde à plusieurs reprises. Tu connais certains de tes interlocuteurs, d'autres tu pourrais tout juste mettre un nom sur leur visage, d'autres encore te sont inconnus. Tu n'as pas une minute à toi, tu es sans cesse interpellé de tout côté, voilà ce dont tu as l'habitude. Tu te complais dans cet intérêt que les gens ont pour toi et tu remercies cette aura que tu possèdes, cette assurance que partout où tu te rendras, tu trouveras des gens avec qui parler, boire, manger, danser.

Tu esquisses quelques mouvements du corps, qui suit les battements de la musique. Tu salues de la main un ami, tandis que tu parles à un autre. Celui-ci pointe alors sans discrétion son doigt en direction d'une jeune femme blonde et crie, pour couvrir les décibels. « Elle est pas mal, non ? » Ce qui, dans son langage à lui, voudrait dire « Je coucherais bien avec cette fille ce soir. » Tu te retournes pour voir de qui il s'agit et ton estomac se contracte. Décidément, tu ne cesses de la croiser. Tu lâches simplement à ton pote, en guise de réponse « Elle est trop jeune, mec. », pourtant, tu sais pertinemment que ce n'est pas ça qui l'arrêtera. Bel apollon, amateur de relations sans lendemain, le garçon se fiche de l'âge de ses conquêtes, tant qu'elles sont majeures, pas encore ménopausées et bien foutues. Ça ne le dérange pas, lui qui a le même âge que toi, de coucher avec des filles plus jeunes, alors pourquoi cela te perturbe tant, toi ? Certainement est-ce le fait que ton meilleur ami culpabilisait d'avoir une relation avec une fille qui avait six ans de moins que lui et que cette culpabilité aurait déteint sur toi. Parce qu'au fond, qu'est-ce que tu en as à faire, hein ?

Rien. Tu t'en fiches, en réalité. Mais alors pourquoi es-tu tant troublé ? Tu regardes la jeune femme et tout en continuant de danser, tu réfléchis. Jack a vingt-deux ans, elle a la vie devant elle. Peut-être qu'elle poursuit toujours ses études, peut-être que non. Mais à vingt-ans, elle n'est pas obligé d'être casée et libre à elle de changer de relation tous les deux soirs. Mais toi. Tu n'as que six ans de plus et pourtant, ce sont six longues années. Vingt-huit ans, toujours célibataire, pas de petite amie à cajoler, pas de projet d'avenir à élaborer, pas de mariage à l'horizon, pas de jardin à entretenir, pas d'enfant à élever. Tu as vingt-huit ans et tu vis encore comme si tu en avais huit de moins. C'est ça qui te perturbes, c'est ça qui te tirailles. En fait, tu as simplement peur. Peur de ne jamais avoir de femme, peur de ne jamais avoir de famille, peur de finir seul. Tu connais des millions de personnes, mais tu as peur de mourir seul. C'est con. Tu as honte d'avoir couché avec une fille plus jeune, parce que tu as peur de finir seul. Elle est où, la logique ?

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Esteban s'élance vers la jeune femme et tu ne peux rien faire d'autre que le suivre. D'une part parce que tu ne vas pas rester planté ici, tout seul et d'autre part, parce que cela passerait effectivement très mal. Tu as réussis à éviter Jack pendant presque deux semaines et demi, mais il fallait bien qu'un jour, tu lui fasses face à nouveau. Que tu assumes ta connerie, qui au fond n'en est pas tellement une.

La blonde ne manque pas de te reconnaître et, cette fois-ci, tu ne peux pas te défiler. « Ouaip', c'est bien moi. » Les mains dans les poches, tu mimes un sourire, pas très crédible cependant. Tu ne sais pas trop si tu dois t'excuser de l'avoir esquivée ces derniers jours, ne rien dire, ou si tu dois simplement lui tourner le dos et t'en aller. En général, celles avec qui tu couches ont quitté la ville le lendemain, ne passant à White Oak Station qu'occasionnellement, ou alors étant carrément en vacances. Certaines étaient bel et bien des habitantes de ton village, mais comme toi, elles étaient volages et il n'y avait jamais eu aucune gêne entre vous. Comme pour accentuer ton malaise, Jack souligne le fait que cela fait longtemps que vous ne vous étiez pas vu. Façon de parler, bien sûr. Vous êtes conscients, l'un comme l'autre, de vous être recroisés à plusieurs reprises, sans vous saluer. Néanmoins, tu joues à l'innocent, comme elle et répond « Oui, c'est vrai. » Et pour détendre l'atmosphère que tu juges, peut-être à tord, un peu tendue, tu continues « La ville est si grande que les chances de se croiser sont limitées. » Tu accompagnes tes paroles d'un rire, franc cette fois-ci, avant de te rappeler qu'à l'origine, tu l'as rejointe parce que ton pote voulait se la taper. Tu retrouves ton sérieux et ajoutes « Au fait, je te présente Esteban. Esteban, c'est Jack. »

Le grand dadais qui t'accompagnes lance un rapide Enchanté avec un clin d'oeil et t'attrapes par le bras, t'obligeant à te retourner. Il te marmonnes, tout bas, dans l'oreille « Mec tu l'as connais ? Aller t'aurais pu me le dire dès le début que tu voulais pas que je te la pique, au lieu d'me lâcher qu'elle est trop jeune. » Il semble énervé, presque, et tu tiens à mettre les choses au clair. « Oh lààà, mais pas du tout. Tu sais bien que je suis pas possessif avec les filles, tu penses brièvement à Aubree, comme un flash, et tu poursuis, enfin, pas toutes, pas celle-ci en tout cas. » Tu te retournes et dans une moue d'excuse à la jeune femme, tu dis « Désolée, il voulait être sûr que t'étais libre. » Tu lances un coup de coude à ton pote et ajoutes « Bon sinon, qu'est-ce que tu racontes de beau... depuis le temps ? » Tu rigoles à nouveau et passes une main dans tes cheveux.

Attention, Tobias. N'oublies pas qu'Esteban a déjà exprimé son souhait quant à la blonde. Si l'un de vous deux finit dans le lit avec Jack, ce serait lui, pas toi.

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