juliet & louys

« Oui j'arrive, attends trente secondes. » De l'autre côté du micro, Aaron, mon meilleur ami. Il y a quelques jours, je lui ai parlé d'un jeu vidéo en ligne et depuis il en raffole. Il n'attend donc qu'une seule chose, que je me connecte pour qu'on puisse se faire une partie en équipe. Et ça tombe bien, car j'en ai bien besoin. Ces derniers jours, j'avais la tête plongée dans mes révisions. Le partiel est désormais passé et aujourd'hui je ne travaille bien, je vais donc décompresser un peu, sans avoir de mauvaises consciences. Je passe par-dessus le canapé et je m’installe confortablement avant de prendre la manette. « Demande à Julian de nous rejoindre, on aura plus de chance de tous les tuer comme ça. » « Je ne peux pas. Il est aux abonnés absents. » Julian, mon colocataire. « Aller ! Lance la partie. » Qu’est-ce qu’il n’est pas patient lui. J’appuie sur la tâche qui lance enfin la partie tant attendue par mon meilleur ami. Mais quelques instants plus tard, on sonne à la porte. « Attends ! Je mets pause. Je crois que ma commande est là ! » Je me lève du canapé et me dirige vers la porte d’entrée. Je tourne la clef dans la serrure, deux coups, on n’est jamais assez prudent. « Dépêche-toi, vite ! » Seulement, en ouvrant la porte, c’est loin d’être le facteur. « Louys. Salut. » Mon cœur s’arrête un court instant. Juliet. C’est très certainement la dernière personne que j’imaginais derrière cette porte. « Je te laisse Aaron, je reviens plus tard. » Je me déconnecte de la partie en ligne en appuyant sur un bouton et j’enlève le casque de ma tête. Le pauvre, il n’a pas du comprendre le pourquoi du comment. « Juliet ? Qu’est-ce que tu fais là ? » Un sourire se dessine sur mon visage, il a mis du temps à venir, mais il est bel et bien là maintenant. Je suis surpris de la voir ici, mais cela ne signifie pas pour autant que cela ne me rend pas joyeux. Je garde un très bon souvenir de New York, de notre relation, alors avoir de ces nouvelles est super. « Je ne vais pas te laisser dehors, entre, je t'en prie.» Je me décale légèrement et ouvre un peu plus ma porte. Juliet hésite un court instant, mais finit par rentrer. Je referme la porte dernière elle et au moment où elle claque, j'entends autre chose. Des petits gargouillis. Je fronce légèrement les sourcils, ne comprenant pas d'où cela vient. La jeune femme se retourne et me fait face. Mon regard la parcours de haut en bas, pour la première fois aujourd'hui. Il s'arrête alors au niveau de son tronc. Elle n'est pas seule, il y a quelqu'un d'autre. « Tu … tu as … ? » Les mots ne veulent plus sortir, je reste perplexe.

juliet & louys

Très surpris de voir Juliet, mon ex petite amie, devant moi, je me fais hésitant avant de lui proposer d'entrer. « Merci, il fait froid par ici. » C'est vrai que la localisation de White Oak Station rend les saisons un peu plus fraiches, mais je trouve que c'est ça qui fait le charme de cette petite ville. Elle rentre dans mon logement, très peu rangé et nettoyé, mais que voulez-vous, quand deux hommes vivent ensemble c'est très dur d'y parvenir. Au claquement de porte, un autre bruit se fait entendre, venant de sa direction. Je m'interroge, mais en m'approchant, je remarque le porte-bébé qu'elle a. Comment est-ce que j'ai pu passer à côté quand elle était encore dehors ? « Je...j'ai eu un bébé. Louys. » Je n'ai pas réussi à le dire quelques secondes plus tôt, mais elle, elle y arrive facilement. Il faut dire que c'est le sien, que ça paraît logique pour elle. Pour moi, c'est encore un peu flou, je la trouve jeune pour avoir un enfant, mais la discussion ne fait que commencer et bientôt, mon visage va se décomposer. « Je ne vais pas y aller par quatre chemins... mon bébé..., c'est le tien. » En effet, Juliet vient de prononcer cette phrase, qui ne sonne pas logique dans mon esprit. Comment cet enfant pourrait être le mien alors que cela fait presque un an que l'on ne s'est pas vu. Alors oui, je sais qu'il faut neuf mois pour qu'un enfant vienne au monde et donc que ça nous rapproche très vite des onze mois qui nous ont séparé, mais pourquoi maintenant ? Pourquoi venir me le dire une fois le bébé venu au monde ? J'avais peut-être le droit d'être prévenu plus tôt s'il est de moi et qui me dit que c'est vraiment le cas ? Les milliers de kilomètres qu'elle a parcourus pour m'annoncer ça ? Peut-être. « Comment ça c'est le mien ? » Je ne suis pas en train de lui demander comment il a été fait, je ne suis pas idiot et je n'ai pas besoin de dessin. Mais pourquoi ?! Pourquoi m'avait-elle caché ça tout ce temps ? Les questions se multiplient et j'aimerais tellement qu'elle me donne des réponses, mais je suis également tétanisé et ma voix se bloque parfois. Les mots ne coulent pas comme je le voudrais, mon esprit est embrouillé.  J’ai même l’impression que je ne mets pas les mots dans le bon sens. « Pourquoi tu viens m’annoncer ça maintenant ? Alors qu’il est déjà né ! Tu ne pensais pas que je pouvais être mis au courant plus tôt ? » Je fais quelques pas en arrière, comme pour essayer de m’enfuir. Mais très vite, je réalise que je suis chez moi et que la fuite est impossible. Et si tout ça n’était qu’un cauchemar ! Mon réveil va bientôt sonner et tout cela n’aura été que le fruit de mon imagination. J’essaye d’y croire. C’est tellement beau de rêver, de croire que tout peut s’effacer. Mais Juliet est bel et bien devant moi, un bébé contre elle, en train de me dire que cet enfant est le mien. « Et puis comment tu peux être sûre que c’est le mien ? » Oui, je suis en train de sous-entendre qu’elle a certainement couché avec d’autres hommes. Ce n’est pas pour la traiter de fille facile, non loin de là, c’est juste pour m’éloigner encore un peu des responsabilités que je risque de devoir pendre.

juliet & louys

Je suis sous le choc de la révélation de Juliet et ça se comprend. Il y a encore cinq minutes, j'étais un simple étudiant en économie qui travaille à mi-temps dans un café et me voilà maintenant père d'un petit garçon de deux mois. « Je ne suis pas une trainé Louys. Je ne veux pas d'argent, je ne veux pas me remettre avec toi. Non, je ne veux pas de tous ça... Je veux juste le bien de mon fils. » Je le sais bien ça, mais mes paroles ont dépassé mes pensées. En vérité, j'aimerais bien qu'elle me dise que c'est possible que cet enfant soit de quelqu'un d'autre. J'aimerais ne pas avoir la responsabilité d'un petit garçon, alors que je n'ai que vingt-et-un ans. À cet instant précis, j'aimerais que beaucoup de choses soient différentes, mais c'est ainsi. Je suis bel et bien père de cet enfant. Elle m'annonce qu'elle n'attend rien de moi et pour être honnête, pour le moment, je ne sais pas trop ce que je peux offrir à cet enfant. « Notre fils, Louys. Mon bébé est aussi le tient. Je sais c'est incroyable pour toi, t'es jeune, mais je ne veux pas qu'il grandisse sans toi, et avant tous je ne veux pas qu'il se retrouve seul sans personne si je pars. » Elle continue de répéter encore et encore que son fils est également le mien, elle cherche vraiment à me faire comprendre que c'est bel et bien mon fils. Doucement, je fais monter mes mains jusqu'à mon visage et je les laisse se placer devant mes yeux. J'ai besoin de réfléchir et fermer les yeux un court instant, ça va m'aider. Enfin. Aider est un bien grand mot. Je sais qu'elle est encore là et qu'elle tient dans ses bras mon fils. Très vite, j'enlève mes mains et je la regarde. « Il s'appelle comment ? » Savoir ça ne va pas changer ma vie, mais depuis tout à l'heure je dis ''il'' et ça commence un peu à me perturber. « Et qu'est-ce que tu attends de moi ? Car je ne sais pas si je suis prêt. » J'ai déjà du mal à me gérer tout seul, alors imaginez avec un enfant. « Non, mais un enfant quoi ! » Petit à petit, je comprends que tout cela est vraiment réel. Que je le veuille ou non, ce petit garçon porte la moitié de mon génome. « Enfin je veux dire, je suis étudiant, je gagne peu d'argent et je vis même en colocation. Je ne suis pas sûr d'avoir de la place pour accueillir un bébé. » C'est surtout que j'ai peur, peur de ne pas être à la hauteur et de me foirer complètement sur l'éducation d'un enfant. « Je pense que j'ai besoin d'un peu de temps ... » Ce n'est certainement pas les mots qu'elle voulait attendre et je le sais, mais elle doit me comprendre ! Je ne l'ai pas vu depuis onze mois et elle vient aujourd'hui m'annoncer qu'on est liés pour toujours, car on a un enfant ensemble. J'ai vingt-et-un ans et ce n'est vraiment pas ce que j'avais imaginé.

juliet & louys

Alors que j'enchaîne mes paroles, doutant fortement de ma capacité à élever un enfant, Juliet reste très silencieuse. Un peu trop à mon goût. Était-elle dans mon état quand elle a appris l'existence de ce petit être ? « Timeo. Il s'appelle Timeo. Tu as le temps d'être prêt, je veux juste que tu sois... présent. Présent pour mon bébé. Notre bébé. Je ne te demande pas d'argent, pas de nous accueillir, non et puis je ne veux pas laisser mon bébé seul... Je l'élève seule depuis sa naissance alors croit moi, je ne vais pas te le laisser sur les bras, c'est impossible pour le moment. » Avant de poursuivre, la jeune femme enlève l'enfant du porte-bébé. Je fais alors un léger pas en arrière, comme si j'ai peur. Peur de devoir le prendre quelques minutes. Mais non, elle le garde contre elle. « Acceptes-tu Louys? Acceptes-tu d'être le père de notre enfant? D'en assumer les responsabilités, de pouvoir le prendre en charge si jamais je venais a...partir? Rassure moi, j't'en pris. » Un silence s'installe. Je n'arrive pas à trouver les mots pour lui répondre, je n'arrive pas à trouver le courage de lui dire oui, je suis simplement à la recherche d'un échappatoire, d'une issue de sortie qui me ferait revenir à la partie de jeux vidéos que j'avais commencé il y a moins de trente minutes. « Je … Je ne peux pas. » Ces quatre mots sont finalement sortis facilement, mais pour le moment, ils ne veulent rien dire. Je ne peux pas quoi ? Lui dire non ? Assumer un enfant à vingt-et-un ans ? « Je ne peux pas te le promettre. J'ai besoin de temps pour réfléchir à tout ça. C'est trop dur pour le moment. » Je baisse les yeux, honteux de mon comportement. Laisser quelqu'un seul, ça ne me ressemble pas. « Je ne peux pas te répondre pour le moment. Je suis désolé. » Je relève brièvement les yeux et je les pose sur Timéo, sur mon fils, qui ferme petit à petit les yeux. En la voyant s'occuper de notre fils, j'ai l'impression que tout est facile, mais je sais qu'en réalité ce n'est pas le cas et c'est ça qui me fait peur. Et si je ne suis pas à la hauteur, qu'est-ce qui va se passer ? On m'a toujours dit qu'un enfant ne pouvait pas élever un enfant et pourtant c'est ce que je suis, serais-je donc l'exception ? Enfin, pour le moment, je suis seul face à mon destin, face à ce petit garçon qui me regardait tout à l'heure. Je ne suis même pas sûr d'avoir du soutien, c'est donc préférable de ne pas trop s'avancer pour le moment.

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