Il arrive un moment où tout est supposé changer dans une vie, où il faut parfois tout reprendre de zéro, où il fait bon retrouver ses repères.

En plus de l'école de danse où elle travaillait, Catalina avait rejoint les rangs des professeurs d'université à temps partiel très récemment. Elle avait plutôt accepté ce job par manque de revenus, et avait eu beaucoup de mal à s'en sortir, seule dans un appartement, refusant catégoriquement de retourner vivre chez ses parents. L'autonomie, elle aimait ça et n'était pas prête de retourner chez eux pour y vivre, estimant sa majorité suffisamment dépassée.
Elle avait recroisé Ryan, un vieux copain du tout début de ses études en université. Ils n'avaient pas particulièrement perdu contact, mais ils n'étaient plus vraiment au même niveau qu'à la fac, où ils se croisaient presque tous les jours, si ce n'était pas parfois toutes les heures, quand ils étaient en cours ensemble. Il lui avait parlé de la colocation qu'il avait rejointe à la sortie de ses études, et où il coulait des jours heureux, lui proposant de les rejoindre à son tour. Elle avait été immédiatement séduite par l'idée qu'elle se faisait d'une colocation: un loyer divisé par le nombre de colocataires, des repas pas toujours cuisiné par elle (qui n'était pas vraiment un as de la cuisine locale et le déplorait), et des tâches ménagères alternées, voire aussi divisées que ne l'était le loyer. Bref, des corvées évitées avec grand plaisir, bien que forcément remises à plus tard, sans vivre dans un appartement bordélique. Oui, le rêve, c'était évident.
Ryan lui avait donné l'adresse de l'appartement: si jamais elle était partante, rien ne l'empêchait de venir jeter un coup d'oeil et de rencontrer l'autre colocataire, qui semblait être quelqu'un qu'il appréciait. Rien de plus logique aux yeux de Catalina: dans le cas contraire, il aurait probablement cherché quelqu'un d'autre, et ne lui aurait certainement pas proposé de venir. Sans un mot, elle avait accepté, et se rendait désormais dans le quartier de Downtown Area. Elle sonna au numéro qu'il lui avait donné. Ce fut une femme qui lui ouvrit. Comme Ryan ne lui avait donné aucune indication sur sa colocataire, elle la regarda de la tête au pied, persuadée de se tromper d'endroit, restant muette quelques instants un peu trop longs. Elle finit par s'extasier, peut être un peu trop vite si jamais elle se trompait! « Bonjour! je viens de la part de Ryan! Il m'a proposé de passer...  il paraît que vous rechercheriez peut être tous les deux des colocataires, et... Oh... pardon, je viens de me rendre compte que je ne m'étais même pas présentée. Je suis Catalina! Mais vous pouvez m'appeler Lina. Tout le monde m'appelle Lina. Je suppose que vous êtes Katia, n'est-ce pas? Je suis ravie de vous rencontrer! » Car oui, tout ce qu'elle savait d'elle, c'était son prénom. Elle lui sourit, se forçant à se taire pour donner une occasion à la blonde face à elle de répondre.

Il arrive un moment où tout est supposé changer dans une vie, où il faut parfois tout reprendre de zéro, où il fait bon retrouver ses repères.

En un sens, Catalina était tétanisée. Elle savait très bien que Ryan ne rechignerait pas à l'avoir comme colocataires : à l'université, ils s'entendaient trop bien pour qu'il le refuse, et elle avait suffisamment appris à le connaître pour savoir qu'il aurait probablement peur qu'elle se vexe s'il changeait subitement d'avis. Non, s'il lui avait proposé, c'est qu'il y avait réfléchi. Puis c'était Ryan quoi qu'il en soit: il était ainsi et ne changeait que rarement d'avis, bien que parfois de point de vue.
Cependant Lina savait très bien qu'elle était loin d'être quelqu'un de tout repos : énergique, un peu fofolle sur les bords, elle ne s'arrêtait jamais, ou alors très rarement, et elle avait peur que ce trait de caractère ne promette d'être un frein à leur potentielle future colocation. Elle ne connaissait pas Katia, elle ne pouvait donc pas se faire une idée de comment celle-ci réagirait en la voyant débarquer comme une fleur, excitée comme une puce, bavarde, et totalement déjantée. Ryan avait beau l'avoir décrite comme une fille adorable, elle restait assez effrayée de ce que pourrait donner sa rencontre envers la jeune femme.
C'était souvent comme ça d'ailleurs. Elle était tellement effrayée de faire quelque chose mal que son caractère s'accentuait. On n'arrivait presque plus à la faire taire.
La jolie blonde qu'elle vit ouvrir la porte semblait un peu essoufflée. Elle espérait qu'elle n'était pas aussi stressée qu'elle, bien que Lina se forçait de garder la tête haute et de ne montrer qu'un visage souriant, détendu, sans s'empêcher de montrer toutefois l'agitation qui régnait en elle.
Par chance, alors qu'elle venait tout juste de déblatérer des phrases qui, une fois prononcées, ne semblaient plus avoir aucun sens aux oreilles de la brésilienne, Katia la fit rentrer et se présenta à son tour. « Katia-Isabel? C'est joli! Ryan ne m'avait pas dit que tu avais un prénom composé. » Avec le temps, l'accent brésilien de Catalina, commençait par disparaître. On aurait presque fini par croire qu'elle était britannique, peut être son physique excepté. Et tant mieux, elle n'avait pas vraiment envie qu'on la questionne énormément dessus. Ses origines restaient un sujet délicat, même si elle savait pertinemment qu'elles ne s'entendaient plus beaucoup, le départ du Brésil vers les Etats-Unis y ayant beaucoup joué. Pourtant, ce n'était pas ce qui l'aidait à réfléchir plus rapidement, et à trouver des questions appropriées.
Catalina lui lança un sourire compatissant. Elle n'avait elle-même jamais fait visiter d'appartement et n'avait d'ailleurs jamais eu à le faire, préférant ne même pas y penser. « Je veux bien commencer par la visite, oui. Vous avez combien de chambre dans l'appartement? » s'enquit-elle, soudain distraite par la possibilité d'avoir des colocataires supplémentaires.

Il arrive un moment où tout est supposé changer dans une vie, où il faut parfois tout reprendre de zéro, où il fait bon retrouver ses repères.

Apparemment, Katia semblait soulagée que Ryan n'ait pas dit à Catalina son prénom complet. La brésilienne comprenait totalement ce que c'était. Les prénoms composés, elle connaissait, c'était assez courant dans sa famille, et elle faisait parmi des quelques épargnés.
La visite se fit rapidement, au plus grand bonheur de la brune, qui se voyait déjà vivre dans cet appartement. Elle se doutait cependant que les choses ne seraient pas facile. Vivre en communauté, c'était tout à fait différent de vivre seul, de son côté. Autant pour les points positifs -le loyer, le partage des tâches- que les points négatifs -le loyer et le partage des tâches!- qu'elle redoutait.
« Quatre chambre et une salle de bain », nota-t-elle à voix haute. « D'accord! J'imagine qu'avec des personnes en plus, ça ne pourrait qu'être plus problématique qu'avec deux. » Elle lui sourit.
L'endroit était plutôt spacieux, agréable, lumineux et très ouvert. Elle était limite tombée sous le charme de l'appartement en lui et appréciait visiblement les deux colocataires qu'elle était susceptible d'avoir. En visitant les deux autres chambres, Catalina avait beaucoup aimé la plus petite, bien que ce ne soit pas vraiment son genre de vouloir dormir dans un bureau. C'était sans doute dû au fait que les meubles et l'agencement lui avaient plu. D'autant que, même petite, cette pièce restait particulièrement grande pour une chambre.
Lina lança un regard accompagné d'une petite moue à Katia. « Il est vraiment sublime! il a l'air vachement pratique, et vous l'avez très bien décoré tous les deux! » Elle lui sourit avant de finalement répondre. « Et oui, il me plaît complètement! » Sa moue se transforma en un sourire éclatant. Elle se voyait déjà vivre ici et en avait déjà hâte.

Il arrive un moment où tout est supposé changer dans une vie, où il faut parfois tout reprendre de zéro, où il fait bon retrouver ses repères.

Voir cet appartement la séduisait plus que de raison. Outre le fait qu'elle serait avec un ami, elle voyait la perspective de déménager de la maison familiale avec encore plus d'enthousiasme qu'avant si c'était possible. Et celle qui promettait d'être sa colocataire semblait plus sympa que ce à quoi elle s'attendait. Un instant, Catalina avait cru que, si Ryan lui proposait, c'était forcément un plan pourri, qui ne lui rapporterait que des ennuis si elle acceptait. Mais au final, ça ne semblait pas si mauvais que cela, bien au contraire.
« Oh ! Ce n'est pas un souci. Je suis danseuse... Il n'est pas exclut qu'on me connaisse un peu sur scène, mais j'en doute quand même...» à côté, avocate, c'était un très très bon métier. D'autant qu'elle savait que certaines personnes redoutaient les personnes qui travaillaient dans ce genre de branche, les stigmatisant trop rapidement comme des gens désordonnés dont l'ambition n'a d'égal que l'égocentrisme. « Avocate? Ca a l'air plutôt pas mal! C'est pas trop dur? » Sa curiosité la fit grimacer. Elle ne voulait pas la froisser avec ses questions, mais elle avait trop peur de dire ou faire quelque chose qui la ferait changer d'avis sur sa venue dans cet appartement.
La brésilienne hocha la tête.  « Il faut beaucoup de patience pour arriver à être connu et reconnue » concéda-t-elle avec un petit soupir. « Il ne faut juste pas cesser d'y croire! » En tout cas, elle, ne cessait pas d'y croire.
C'est à cet instant qu'elle se rappela qu'elle avait vaguement vu Katia prendre des papiers, dont elle se doutait de l'utilité. Elle les regarda un instant, avant d'inspirer profondément, de sourire et de demander, avec tout le sérieux dont elle était capable, tentant tant bien que mal de cacher son excitation.
« Et donc... Je signe où ? »
Sa détermination était sans doute un peu précipitée, mais elle s'en fichait bien pas mal. Certes, elle déchanterait vite en se rendant compte des cartons qu'elle devrait faire pour emménager, mais peu lui importait à cet instant précis. Elle n'avait en tête que son déménagement à venir, son installation dans ce magnifique appartement, et sa pseudo liberté. Au moins, elle n'entendrait pas les petites piques de sa mère quant à son métier de danseuse. Après tout, elle était typiquement latine, et le débat n'aidait pas face à leurs arguments. Alors, au moins, ici, elle était sûre d'avoir la paix au niveau parental. C'était tout ce qu'il lui fallait.