lâches-moi les baskets

alors oui, je t'ai fais ce qui s'apparente à un cadeau. mais je ne t'apprécie pas pour autant. je n'apprécie personne, et tu n'es rien de plus qu'une inconnue.

J'ai fait des efforts. Énormément. On pourrait croire que non mais pourtant si. C'est plutôt simple, dès que je commence à avoir envie de boire ou bien de me faire péter le cerveau, je pense à Nahuel. L'effet est immédiat. Je repense à cette discussion que l'on a eu, juste après que je me sois fait virer. Et mon envie passe pour quelques minutes supplémentaires. Mais elle revient, au bout d'un moment. Alors je pense à Nahuel, et elle repart. Quand ça ne suffit pas, je pense à grand-mère. C'est dur, mais j'arrive encore à plutôt bien résister.

Garreck a bien fait de me virer. Ça paraît complètement insensé de penser une chose pareille, mais c'est la vérité. S'il ne m'avait pas viré, je n'aurais pas autant bu en sortant du garage, je ne serais pas rentré trois heures en retard et Nahuel ne m'aurait pas attendu aux pieds de l'escalier. Nous n'aurions pas eu cette fameuse discussion et je ne serais pas non plus parti en voyage. Autant d'événements qui m'ont fait réaliser certaines choses. Parfois, il arrive un moment où je ne peux plus tenir, il faut que je boive. Que je ne renifle cette petite poudre blanche. Mais, je le fais presque à contre-cœur ; c'est à la fois une délivrance et un couteau dans le ventre.

Toujours est-il que je n'ai plus besoin de la bière du soir. Depuis que je suis revenu, je ne travaille pas une demi-heure supplémentaire pour profiter de ma solitude dans le garage afin de boire. De toute façon, même si j'en avais envie je ne pourrais pas - c'est la raison pour laquelle j'ai été viré en premier lieu. Je jette un coup d’œil à l'horloge de l'atelier, il est dix-neuf heures pétante. Je m'essuie les mains machinalement sur ma salopette de travail et regarde brièvement en direction du secrétariat. Éloïse se prépare à partir. Elle termine plus tôt, aujourd'hui. Je l'observe s'affairer un instant, avant de me passer les mains à l'eau pour tenter d'enlever un maximum de saleté et ne pas mettre davantage de suie sur les outils. Il faut encore que je range tout l'atelier - mais depuis quelques temps, j'ai appris à apprécier ce moment.

Je retourne à la voiture dont je m'occupais et ferme le capot. « Au revoir Terry. À demain. » La douce voix d’Éloïse me fait pivoter sur mes talons, et je lui lance un signe de la main alors qu'elle me sourit. J'aperçois son fiancé, adossé contre le coffre de sa voiture, dans la cour. Même lorsqu'elle termine de travailler plus tôt, il est toujours présent pour venir la récupérer. Cet homme m'épate. La voiture s'éloigne et, au moment où je m'apprête à me retourner pour entamer le rangement, une silhouette apparaît dans mon champ de vision, avançant visiblement en direction de l'atelier. Je fronce les sourcils - il ne manquerait plus que ce soit une cliente et que je doive m'occuper du secrétariat. Merci Éloïse. La silhouette en question s'avance davantage et c'est une fois qu'elle pénètre dans l'ombre du garage que je la reconnais.
J'aurais peut-être préféré, finalement, que ce soit une simple cliente. Du moins, une autre que Frankie.

lâches-moi les baskets

alors oui, je t'ai fais ce qui s'apparente à un cadeau. mais je ne t'apprécie pas pour autant. je n'apprécie personne, et tu n'es rien de plus qu'une inconnue.

C'est la meilleure, sincèrement. L'arrivée de Frankie, ou comment terminer ma journée en beauté. « Euh ... Salut. » Ouais, salut. Au revoir cocotte, tu vois pas que je travaille ? Enfin, que je range. Ça fait partie du boulot. Je me contente de hausser les sourcils et de frotter machinalement la voiture qui se trouve devant moi avec un vieux chiffon, qui la salira certainement plus qu'autre chose. Je sais qu'elle va se remettre à parler alors je préfère ne pas me lancer dans le rangement des outils, si c'est pour ne pas entendre ce qu'elle me dit et avoir besoin de lui demander de répéter. « Écoute, je suis pas là pour te faire des problèmes ou quoi que ce soit dans ce style, mais je voudrais comprendre pourquoi tu m'as pas fait payer les réparations de ma voiture la dernière fois. » Ha, bon. Donc elle est là pour ça. Pour me faire chier avec des doutes à deux balles. Sincèrement qu'est-ce qu'elle en a à cirer de la raison pour laquelle je ne lui ai pas fait payer la vidange et le changement des pneus de sa voiture ? Elle a de la chance que Garreck ne soit pas là pour l'entendre, parce que j'aurais été bon pour une nouvelle remontrance, si ce n'est me faire virer définitivement, cette fois-ci. Le garage n'a déjà pas beaucoup d'argent, si en plus je fais des cadeaux on n'est pas sorti de l'auberge. Je hausse les épaules et relève la tête en direction de Frankie. « Tu sais bien pourquoi je t'les ai offert », je finis par lâcher. Je me retourne et me dirige vers l'établis. Parfois, je me félicite d'être aussi organisé. Je range généralement mes outils au fur et à mesure, ce qui fait qu'à la fin de la journée il ne me reste pas grand chose à remettre dans les tiroirs. Je tourne la tête pour remarquer que Frankie est toujours là. Elle n'a pas bougé. Sérieusement ? Je ferme le tiroir et me retourne complètement. « Tu peux t'en aller maintenant. » J'appuie ma phrase d'un petit coup de menton en direction de la grande ouverture de l'atelier. Je n'ai vraiment pas envie qu'elle m'ennuie avec ses questions pour le reste de la soirée.