~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE? 
Le lycée, franchement, c'était pas les meilleures années de ma vie comme on me l'avait promis. Ce n'était pas le contraire, non plus. C'était juste... Bien. Et normal. Avec des hauts, et des bas. Les amis, les premiers copains, les premières fêtes (qui n'ont pas duré longtemps, car c'était décidément pas pour moi) mais aussi les profs (ce qui est triste c'est qu'il n'y en avait pas beaucoup des pas mal!) et surtout les notes. J'ai toujours eu des bons résultats facilement, sans trop bosser, alors je ne détestais pas les cours. Et je n'avais pas des problèmes de comportement et je n'ai pas fait une « crise d'adolescence » terrible. Je n'ai pas eu le temps : mes parents ont divorcé lors de ma deuxième année de lycée, parce que mon père trompait ma mère. Mais le truc bien, c'est qu'elle aussi le trompait, donc tout s'est bien passé et en de bons termes. Et puis comme j'avais 16 ans je devais l'accepter et être « ouverte d'esprit » Non, c'est mon frère qu'il a fallut gérer. Moi, pour compenser, j'ai commencé à peindre. Mais bref, pour en revenir à la question, le lycée est passé rapidement, et pas trop mal, alors c'est chouette. Mais on prend les mêmes et on recommence pour l'université, maintenant.  

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Quoi, je suis retournée dans les cours de philosophie ? Mais je croyais que j'étudiais l'histoire, zut ! Bon, j'arrête de plaisanter. Oui, je suis heureuse. Non, vraiment, tout va bien ! J'habite dans une grande colocation avec mes meilleurs amis dans la maison de ma grand-mère, sauvé in-extremis de la vente par l’ingéniosité de ma mère. Bon, bien sûr, la coloc' c'est pas toujours la joie, mais on a mis cette règle en place ou on doit se réconcilier autour d'un fondant au chocolat ou partir. Et étant donné que nous sommes tous étudiants et/ou en galère financière, je peux vous dire que ça marche bien ! Je fais des études d'histoire, pour en devenir prof... Et moquez-vous, mais c'est un choix personnel que j'assume complètement : l'histoire c'est une de mes passions, avec la peinture ! Et puis, l'enseignement c'est un domaine plutôt sûr niveau emploi ? A côté, temporairement, je fais la vaisselle dans un restaurant sympathique. Si on se le demande, faire la vaisselle n'est pas ma troisième passion. Et niveau famille, ça va aussi bien : Charles entre dans sa crise d'adolescence - un peu en retard, il a 17 ans - Maman s'est remariée et Papa et bien il continue sa vie seul, mais ce n'est pas pour ça qu'il est malheureux. Alors si tout va bien, pour moi comme pour les gens que j'aime, pourquoi ne serais-je pas heureuse ?

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS? 
Hé mais, je serai vieille dans 10 ans ! Bon, 33 ans mais... D'accord, il y plus vieux mais je trouve ça déprimant quand même. Donc, dans dix ans... Et bien, un emploi stable de prof d'histoire, ce serait bien. Idéalement, exposer mes toiles à côté mais soyons réalistes : ce n'est qu'un passe temps. Ensuite, mariée et avec des gosses, ça me plairait aussi. Parce que sans, ça pourrait être trop calme et je me sentirais certainement inutile. Et puis avoir des enfants, c'est l'histoire de la vie ! Et je les élèverai ici, à White Oak Station comme j'ai été élevé, et ma mère leur apprendra à jouer de la guitare et mon père voudra leur apprendre le piano et... Bon, d'accord, ne poussons pas non plus. D'un autre côté, la colocation ça me plaît vraiment et je n'ai pas envie que ça se termine. Mais puisqu'il faut bien, on sera tous voisins, voilà !

         Je déteste être réveillée avant le réveil, j'ai l'impression d'avoir gâché quelque chose d'important... Oui, même si c'est de seulement trois minutes ! Je pousse un soupir et désactive l'alarme avant qu'elle ne sonne, mais reste en dessous ma couette chaude et moelleuse. Allez, je parie sur Apolline qui a claqué la porte de sa chambre. Lucas se réveille toujours en retard, et Francis n'aime pas le bruit au réveil, donc il est minutieux. Après, j'ignore si Daphné a dormi ici ou non, ce qui fait que j'ai un suspect et demi. Ah, les joies de la coloc'.  Je soupire une seconde fois, j'ai à peine eu le temps de cogiter tout ça qu'il est déjà l'heure de se lever ! Dans un geste dramatique (j'ai parfois la fâcheuse habitude de croire que ma vie est un film) je repousse la couverture et me lève. Première étape : le petit-déjeuner ! Je me rends dans la cuisine, mes pieds faisant le chemin mécaniquement, pour y retrouver ma meilleure amie et ses cheveux débraillés en train de boire son café et de lire le journal. Cela me fascinera toujours, son organisation et son énergie matinale. Lorsqu'elle se rend compte de ma présence elle relève la tête et me sourit – sourire que je lui rends – et pose l'habituelle question : « Bien dormi ? » j'acquiesce et vais sortir mes céréales, mon bol et une cuillère avant d'aller m'installer en face d'elle. « Mmh. Daphné a dormi ici ?
- Pas que je sache, pourquoi ?
- Oh, juste que je te déteste. » Elle se contente de ricaner. Elle a l'habitude de mes accusations au réveil. Après deux ans de cohabitation, tout le monde sait à peu près tout des habitudes de chacun... Ce qui peut être une bonne chose : on sait quand il ne faut pas déranger, comme une mauvaise : on sait quand il ne faut pas déranger. Parce qu'il y a des jours où on est taquin et qu'on a bien envie d'embêter les autres. D'ailleurs, il faut croire qu'aujourd'hui c'est l'un d'eux : alors que j'étais perdue dans la lecture de mon paquet de céréales, à la recherche du lapin en chocolat, j'ai senti deux bras se refermer autour de ma taille et un menton se poser contre mon épaule. J'ai sursauté et mon rythme cardiaque s'est emballé, j'accuse : tentative de meurtre par surprise. Apolline s'est mis à rire, et j'ai poussé un soupir pour manifester mon mécontentement quand le rire de Lucas lui a fait écho.
        « Bonjour. » qu'il a dit, avant de m'embrasser la joue pour ensuite me lâcher et aller se faire un café. C'est qu'il se moquerait de moi, en plus. C'est carrément un complot. « Bonjour, bien dormi ? Génial, tu conduis.
- Ahah, non je ne crois pas ma belle. J'ai une nuit de sommeil à terminer !
- Mais c'est ton touuuur. Et je dois relire mes cours ! » C'est souvent comme ça, le matin : on se chamaille pour savoir qui conduira. Le truc, c'est qu'on habite à la campagne et qu'on doit pratiquer le co-voiturage pour se rendre à l'université / au boulot. Le tout avec deux voitures, quatre ou cinq personnes à transporter et trois personnes ayant le permis. Francis n'ayant pas les même horaires que nous – grand bien lui fasse – avait le droit à sa voiture. Et nous, et bien on avait un véhicule tout pourri et pas agréable à conduire pour un assez long trajet. Pour changer, c'est Apolline qui a mis une fin – anticipée – à l'argument qui s'annonçait : « Mila conduit. Lucas dort. Je te lirais tes cours. C'est la solution la plus sûre pour le bien de tous.
- Oh, je t'aime Apy... Tu peux pas savoir à quel point.
- Et moi je... Eum, non, je ne te déteste pas, tu vas lire mes cours. Mais quand même, tu oses le préférer à moi, je suis déçue. » Ma meilleure amie lève les yeux au ciel, amusée, mais ne réponds pas. Elle a adopté une politique de non-préférence, alors qu'on essaie de la corrompre pour qu'elle nous soit exclusive lorsqu'on se dispute... Ce qui arrive souvent, en fait. Mais je n'y peux rien si Lucas n'est jamais d'accord avec moi, pas vrai ? Ce n'est pas de ma faute si je suis trop géniale et qu'il n'est pas assez brillant pour le voir. Voilà tout, mes théories sont magnifiques.
        Une fois mon petit-déjeuner avalé, je me dirige vers la salle de bain pour prendre ma douche. Une fois propre et habillée, je me dirige vers ma chambre pour faire mon sac de cours et mon lit – non pas que je sois particulièrement une folle du ménage, mais c'est pour le retour à la maison : ça fait un fauteuil comme un autre – et là, ô surprise. Un individu dans ma chambre.  « Ahem. » je fais, pour attirer l'attention du chevelu assis sur mon lit, visiblement en train d'observer le semblant de peinture que j'ai commencé dans la nuit. Je fronce les sourcils alors qu'il tourne la tête et me gratifie d'un sourire. Ah mais non, ça ne marche pas ça. « Appelle moi Sherlock, mais j'ai su que tu avais commencé quelque chose sans nous le dire : tu avais de la peinture dans les cheveux, et tes yeux cernés plus que d'habitude. » Je soupire. Même s'il invoque Benedict Cumberbatch je lui en veux : je n'aime pas qu'on voit un travail inachevé. Et là, en plus, c'est juste l'esquisse et un bout de la première couche... Disons que c'est l'inspiration soudaine qui m'a poussé à me lever à trois heures pour commencer un nouveau chef-d’œuvre (on y croit tous). Lucas tapote mon lit pour que je vienne m'asseoir à côté de lui et j'obéis : après tout c'est lui qui me soutient le plus ici. Bien sûr, Apolline et Francis (et Daphné) le font, mais Lucas... Lui, c'est limite s'il ne sort pas la tenue de cheerleader avec les pompons pour me hurler des encouragements à chaque coup de pinceau. « Bon alors, Mister Holmes. Qu'est-ce qu'on en pense ?
- Je suis déçu. Ça sent encore le paysage, ça. Alors qu'on a passé tellement de temps sur les visages ! »
        
        C'était un samedi après-midi, pendant la relâche. Francis et Daphné étaient en week-end dans la maison de vacances de Daph' et Apolline partie en course (on avait lâchement fait semblant d'être très occupés pour qu'elle aille avec le fils du voisin qui partait faire les commissions de son père... sauf qu'on est des très mauvais entremetteurs : ce n'était pas Apolline qu'il draguait, mais Francis) ce qui faisait qu'on se retrouvait à deux, Lucas et moi, pour quelques heures... A rien faire. Du moins, des occupations peu futile : il jouait à un jeu de football sur la console (mon dieu, quel horreur ce sport !) et je gribouillais des fleurs sur mes feuilles de cours que je rechignais à apprendre. On discutait en même temps, plus ou moins, puis il a vu mes dessins pendant une pause Coca et a posé la question existentielle, à savoir pourquoi je ne peignais que des paysages ou des objets. Apolline disait que j'étais une Van Gogh, sauf que je ne faisais pas d'autoportrait... La vérité, c'était que j'étais – et je suis – incapable de dessiner quelqu'un. L'ensemble est toujours trop éphémère pour que je puisse le saisir pleinement ou correctement, et la frustration m'a fait abandonné il y a longtemps déjà.
        « Je ne sais pas dessiner les gens, Lucas.
- Non ? C'est vrai ? Mais tu es géniale, tu sais tout faire ! Allez, montre moi !
- Quoi donc ?
- Comment tu dessines mal ! Dessine moi un bonhomme ! Ou une bonne-dame ! » J'ai ri à sa blague pas drôle – l'habitude – avant de prendre une feuille propre pour essayer de le dessiner. « Tu as le temps d'une partie ! » il avait précisé avant de se vautrer à nouveau dans le canapé. Alors j'y ai mis tout mon cœur, pour essayer qu'il soit à peu près potable... Mais comme d'habitude, ma pensée n'a pas voulu se coucher sur le papier. Il avait un œil plus haut que l'autre, des joues de hamster et son nez ressemblait plus à une carotte qu'à un nez, en fait. Quand à sa bouche, pfou, incapable de la reproduire. Donc je lui avais collé une bouche de fille. Il n'y avait que ses cheveux dont j'étais plutôt fière : les milliers de traits au crayon de bois pour représenter les boucles qu'il avait fait couper un mois plus tôt.
        « Qui est-ce ?
- C'est toi !
- Oh... D'accord. Hum. Oui, hum... C'est assez... Bissextile, hein. » J'ai éclaté de rire, lui signalant que je l'avais prévenu, devant son air perplexe face au dessin censé le représenter. Et c'est alors qu'il a décrété qu'il me fallait de l'entraînement, et un modèle, et qu'on allait s'y mettre de suite et que je devrais citer son nom à maintes reprises lorsque je serai célèbre grâce à mes portraits et mes paysages car il allait sacrifier une après-midi de console juste pour moi. C'est donc honorée – plus ou moins – que je suis allée chercher dans ma chambre mon carnet de croquis et un crayon de papier plus adapté au dessin qu'un à mines avant de le rejoindre sur le canapé où il avait pris place et se tenait droit, visiblement très sérieux. « Dessine moi comme une de tes françaises. » il a dit lorsque je suis entrée dans son champ de vision. J'ai acquiescé devant la référence, me suis calée confortablement puis j'ai (re)commencé son portrait, plus ou moins distraite par sa conversation, plus ou moins rapidement. « Je t'ai déjà dit que tes yeux sont magnifiques, Lucas ?
- Que mes yeux ?
- Haha. Non, mais je sais pas, rien que la couleur ça me choque.
- Pourquoi ça ?
- Bah c'est... Bleu. Et ça change souvent de ton, en plus. Je trouve ça triste qu'on ne puisse pas contempler ses yeux comme on peut contempler ses mains, par exemple... Après on peut éventuellement friser le narcissisme, mais il a des risques à tout dans la vie ! » Il a hoché la tête en souriant et j'ai poussé un soupir. Il ne se rendait pas compte qu'il avait des yeux superbes, et j'en étais presque outrée. Maintenant le nez ! A force d'observation, je me suis convaincue que, même si c'est super utile, c'est aussi super moche un nez... Et apparemment, nous sommes d'accord.
         « Mais pas la bouche ! La bouche c'est sexy.
- Ahem, non je sais pas. Et puis c'est pénible à dessiner, ça bouge tout le temps... Donc ferme-la, s'il-te-plaît !
- Alors, là, franchement, je te félicite. C'est le meilleur moyen que tu as trouvé pour me faire taire, je crois.
- Shh. Et approche-toi, je suis presque myope ! » En vérité, non, mais le temps n'était pas au beau fixe et il venait de se mettre à pleuvoir, envoyant promener loin tout rayon de soleil. Après plusieurs minutes silencieuses où je crayonnais et il me regardait faire, il s'est décidé à rompre le silence... En chuchotant, au cas où que je ne le remarquerais pas. « Comment ça se présente ?
- Terrible. Non sérieusement, je ne sais pas dessiner c'est terrible. Les fleurs et les champs de blé, c'est bien plus joli et facile !
- Oh, et bien je te remercie.
- Non, mais je parlais pas de toi, mais du dessin !
- Oui oui, c'est ce qu'on dit. Fini moi ! » J'étais prête à répliquer, mais il m'a fait signe de me taire alors je me suis appliquée.
        Puis on est arrivé au moment où j'avais presque terminé, qu'il me restait simplement le contour de son visage pour qu'il ai une forme correcte (et non, il n'aura pas d'oreilles ! pour moi, il a toujours ses boucles). Je m'étais rapprochée de lui et lui avait fait incliner la tête pour pouvoir observer la forme de ses joues de profil. « Toi aussi tu es bissextile, comme garçon. » J'ai chuchoté, n'ayant pas besoin de plus pour être entendue en vue de notre proximité. Il a sourit, s'est mordu les lèvres pour ne pas rire et bouger. J'ai suivi le mouvement, me rendant compte qu'on était effectivement très proche – bien plus qu'on ne l'a jamais été – et que mes mains encerclaient son visage alors que les siennes avaient pris place contre l'une de mes cuisses et dans le bas de mon dos parce que j'étais plus ou moins debout sur mes genoux dans une position précaire. Je me suis mis à regarder ses yeux, sans vraiment les voir cependant. En réalité, j'étais plus en train de me demander ce que j'étais en train de faire, et ce que j'allais éventuellement faire, pour fixer mon attention sur quelque chose de précis. « Mila. Respire. » Ah oui, ça c'était une bonne idée. Je pouvais sentir son souffle contre mon cou, et le frisson que ça me procurait au passage. Alors, j'ai finalement posé mes lèvres contre les siennes, chastement, pour voir... Mais si j'étais l'initiatrice du baiser je n'en étais plus la seule protagoniste puisque je me suis retrouvée allongée sur le canapé, Lucas attaquant mes lèvres des siennes. Une fois à court d'air, on s'est regardé silencieusement un instant. Mon cœur battait beaucoup trop vite, et mon estomac semblait envahi d'une armée de papillons. Il me faisait beaucoup plus d'effet qu'il ne devrait, que l'un de mes meilleurs amis ne le devrait. Mais il faut croire que ça n'avait pas d'importance pour l'instant car on a recommencé... Jusqu'à ce qu'Apolline rentre des courses, en fait, pas longtemps après nous surprenant. Hum, dans une position peu décente, vraiment. « Mais qu'est-ce que vous faites ? » On s'est séparés, coupables, et puis Lucas s'est emparé de mon carnet pour prouver à ma meilleure amie qu'on ne faisait rien de mal, juste un dessin. On n'a jamais reparlé du dessin ou de ce qu'il s'est passé sur le canapé ensuite.
        
        « Oui, mais je te rappelle que je suis très mauvaise pour les visages. » J'ai répondu en fixant la toile devant moi, fuyant très clairement son regard. Bon sang, s'il compte parler de ce qu'il s'est passé... D'après un bref calcul, je devrais avoir un oreiller à porté de main pour l'étouffer. Mais il n'a rien ajouté, s'est levé et a quitté la pièce me laissant seule avec mes pensées et mes tâches. J'ai donc fait mon lit, préparer mon sac pour les cours et brièvement ranger mes pinceaux avant de rejoindre le salon pour partir. Ma blondinette m'a regardé d'un air suspect et je l'ai rassuré avec un sourire, puis elle a hoché la tête vers Lucas qui avait un oreiller sous le bras. La pression est tombée soudainement, j'ai ris puis ai tendu mes fiches d'histoire à ma meilleure amie avant de prendre les clefs de la voiture. « Alors, c'est l'histoire de quoi qui va m'endormir aujourd'hui ?
- L'archiduc François Ferdinand d'Autriche.
- Génial... Rien que son nom est ennuyant. »
        
        

        
         Et il n'y a pas que son nom, qui était ennuyant. Mais je n'allais pas faire le plaisir de donner raison à Lucas. L'histoire, c'est important, et passionnant... Parfois. FF sa vie n'est pas des plus intéressante, et puis il n'a rien fait de spécial à part se faire tuer. Donc j'envoyais des messages. C'est plus intelligent que de jouer à Flappy Birds – et moins dangereux.

De : Apol' ~
Je suis une libellule ! Je viens de me rappeler une pièce de théâtre qu'on a fait en primaire, et j'étais une libellule dedans. MAIS J'ETAIS UNE JOLIE LIBELLULE OKAY ? Bref, juste pour prévenir que ce soir je mange avec ma famille, mon frère et sa nouvelle copine ont fait une apparition surprise à White Oak, génial non ? Ahah. Et suis ton cours !

De : Daphinou ♥
J'te fais des lasagnes ce soir ma belle. Si t'es sage, mais t'es toujours sage pas vrai ? :P

De : Francisou ♥
On se retrouve comme d'hab', à midi ? J'te paie ta collation, si tu veux !

        Je n'ai pas répondu à Apolline (bien que ses messages me mettent toujours en joie), j'ai confirmé pour le midi à Francis et j'ai continué à discuter avec Daphné. Daphné c'est la copine de Francis. Francis c'est mon meilleur ami depuis mes six ans : il habitait la maison d'en face. Ils sont ensemble depuis un an. Elle est arrivée un peu comme une fleur, Daphné. Personne ne l'avait vu venir, Francis avait bien quelques conquêtes à son actif mais on ne s'attendait pas à ce qu'il nous présente quelqu'un et que ce soit sérieux. Mais ça a été facile d'aimer Daphné : premièrement c'est une personne adorable et de nature douce, qui ne vous veut que du bien et secondement : elle sait faire à manger... Mais du bon manger hein ! Par exemple, à côté d'elle mon meilleur plat c'est les pâtes. Mais je suis une cuisinière un peu minable. Daphné, elle sait tout faire : entrée, plat, dessert. Elle est parfaite. C'est pour ça qu'on la garde hein, pour qu'elle nous nourrisse quand elle vient dormir à la maison.
        
        « Hey Milou ! » J'ai souris à mon meilleur ami en prenant place en face de lui, à notre table habituel. Point pour lui, il avait déjà commandé. Ce qui tombait bien, je mourrais de faim. Après l'avoir salué avec plus ou moins d'entrain, je me suis emparé de mon sandwich que j'ai mordu à pleines dents. « Quel appétit ! Ta mère serait ravie.
- Oh, m'en parle pas. Je me suis toujours pas remise de la fête du quartier hein !
- Ta grand-mère était adorable !
- Non, elle voulait me caser avec Philippe !
- C'est ce que je disais ! » J'exagère un soupir avant de rire, puis continue mon repas. Francis qui me raconte sa matinée : pas des plus plaisantes apparemment. Et puis, finalement il va au sujet qui le tracasse et qui l'a poussé à m'offrir un sandwich (c'est pas qu'il est radin ou quoi que ce soit, c'est plus une sorte de code que j'ai appris à déchiffrer avec le temps) : « Je parlais avec Apolline hier soir, et puis je vais la faire bref : j'aimerais m'installer avec Daphné, mais je ne sais pas si c'est une bonne idée, si c'est faisable ou si ça lui plairait... Et puis abandonner la colocation après quatre ans de cohabitation ça me chagrine un peu aussi. » J'ai acquiescé silencieusement. Que lui dire, à mon Francis ? Que j'avais déjà envisagé l'idée qu'il parte de la colocation ? Maintes et maintes fois, en plus ? Pour qu'il aille se marier avec Daphné et qu'ils fassent des tas et des tas de gosses pour que je sois leur marraine. Que bien sûr, moi aussi ça me chagrinait qu'il parte, mais on a vécu notre vie entière ensemble, le tout sans être de la même famille. C'est limite si je ne suis pas plus proche de lui que de mon frère, à cause de notre différence d'âge. Et puis, s'il osait croire un seul instant que ça ne plairait pas à Daphné, il méritait d'aller au bûcher : ils sont juste fait l'un pour l'autre. D'ailleurs, ça m'étonne qu'Apolline ne l'ai pas déjà assassiné pour cette remise en question.
        « Mila ?
- Fonce ! Si je ne t'aimais pas autant, je te mettrai hors de la maison un coup de pied aux fesses pour que vous puissiez prendre un appartement ensemble ! » Il rit et je lui souris. Ah, ce qu'il peut être idiot des fois, quand même. « Et je suis certaine que Daphné sera heureuse d'enfin quitter la maison de ses parents. Et si ça ne marche pas, tu auras toujours ta chambre chez nous, mais ça marchera parce que vous êtes parfait. » Il se lève et fait le tour de la table, et je le regarde faire les sourcils froncés. Il s'arrête devant moi en souriant, et me fait signe de me lever. J'obéis pour être prise dans un câlin. Ah, Francis et les câlins, c'est pas toujours le meilleur timing mais c'est toujours bienvenu ! Notre embrassade terminée, on reprend nos places et notre repas là où il s'est arrêté. J'étais prête à partir sur sa future vie avec Daphné, et la ribambelle d'enfants qu'ils auront mais il m'a coupé avant, tel le rabat joie qu'il est, car d'après lui « il connaît la chanson ». Et bien, soit je radote, soit il serait le temps de la chanter, ma chanson...
        
        

        
        « Deux minutes de plus et tu utilisais tes pieds ! » J'ai dis à la blonde qui était en retard et en train de monter dans la voiture. Elle a poussé un soupir comme réponse avant de fermer la portière. « Désolée, il y avait du monde dans la rue en fait. » J'ai éclaté de rire et lui ai pardonné. Bon, ça arrive à tout le monde d'être en retard, et puis elle a toujours des excuses adorables. « Alors, comment était ta journée ?
- François Ferdinand est mort et la première guerre mondiale a éclaté. Beaucoup de gens vont mourir. Et toi ma libellule ?
- Ah, quelle tristesse ! Je verrais si j'ai des photos de moi en libellule, tu verras comment j'étais adorable ! Et sinon c'était plutôt bien. Francis t'a dit ?
- Oui ! Je suis contente, mais il faut pas qu'il nous oublie hein ! Et je te préviens, c'est moi la première à être marraine !
- Oh, ne t'inquiète pas, j'ai prévu le coup : ils auront des jumeaux pour qu'il n'y ai pas de jaloux.
- C'est une excellente idée ! Ils ne voudront jamais mais...
- Mais on leur demande pas leur avis, voilà ! » Totalement d'accord. Pas avec le choix de chanson qu'elle vient de mettre sur l'autoradio mais avec nos plans pour le futur. Je me gare devant le café où nous sommes censées attendre Lucas, qui ne nous attend même pas. Soit je suis très en avance, soit tout le monde est très en retard, dans tous les cas la ponctualité ce n'est pas notre fort. Mais peu importe, maintenant j'ai une camarade pour discuter.
        « Hé ! Lucas m'a dit que tu peignais ! Alors c'est quoi ?
- J'avais envie de bleu, donc pour l'instant c'est flou mais c'est la mer !
- Comme c'est original. » Dit-elle sur un ton moqueur avant de rire. Je lève les yeux au ciel en souriant. Je crois qu'ils en ont ras-le-bol, mes meilleurs amis, de la mer. Mais cette fois, ce sera différent tiens ! Il y aura un bateau dessus, et un phare et... Ok, d'accord, c'est pas du tout original. Du coup, je rejette la conversation sur les autres.
« Et Lucas est en retard, pour changer !
- Pardonne le, il a besoin de sa dose de caféine... Ce qui est d'ailleurs mauvais pour la santé, à ce qu'il paraît. Mais bon, si on écoute tout le monde, tout est mauvais pour la santé ! Tu savais que d'après une théorie, si l'oxygène nous maintient en vie c'est aussi ce qui nous tue ? Lentement et à petit feu, je trouve ça tellement charmant ! » Je ricane. Charmant oui. Apolline est toujours au point sur les théories loufoques, et est toujours prête à les exposer avec entrain... C'est pour cela qu'on l'aime, bien sûr ! Sauf que, comme d'habitude, je ne suis pas tout et je me retrouve perdue dans sa tirade car elle a changé de sujet. « … Et donc ma mère a organisé une réunion de famille de dernière minute, parce qu'il faut absolument que toute la famille rencontre notre nouveau membre ! Ah, mais merci maman, je te rappelle que mon frère est resté trois mois avec sa dernière copine hein. Attends donc qu'il se fiance pour en faire une fête nationale. En parlant de fête nationale, j'ai vu ta mère aujourd'hui ! Elle était avec ton beau-père et je crois qu'ils cherchaient un cadeau pour ton frère parce qu'ils étaient devant un magasin de jeux vidéos. Quoi que, tes parents sont des geeks peut-être ?
- Pas que je sache.
- Bref, ils vont bien. Ta mère va t'appeler ce soir, ça fait longtemps qu'elle ne t'a pas vu.
- Hum, ça remonte à la semaine dernière ?
- C'est ce que je lui ai dit mais elle pense quand même que t'es une ingrate. » Typique de ma mère, en fait. D'après elle, je devrais l'appeler tout les jours. Et si je ne peux pas, tout les deux jours ! Et la visiter toutes les semaines, pour que Charles ai conscience qu'il a une grande sœur qui est passée par l'adolescence et qu'elle peut le comprendre et qu'il doit lui dire tous ses secrets pour qu'elle les répète ensuite à la matriarche. Heureusement, mon père est beaucoup moins oppressant.
        « COUCOU les copines ! » A hurlé Lucas en entrant dans la voiture, nous faisant sursauter. Mes soupçons sont donc fondés : il essaie de tous nous tuer par la surprise ! Ou il vérifie si on est pas cardiaque, dans tous les cas ça revient au même. Il rit, visiblement fier de lui, avant d'attacher sa ceinture et de demander où on va. « Prochain arrêt : la maison Leroy ! » Apolline pousse un soupir et je souris, avant de demander au garçon comment s'est passée sa journée puis de reprendre la route.
        
        « Ha, la salopette est de sortie ! Tu nous mijotes quoi, ma petite Mila ? » Demande Daphné après être entrée dans ma chambre. Je lui souris et lui fais signe que je suis au téléphone, mais qu'il ne faut pas qu'elle bouge. Bien au contraire, en fait. Ça doit bien faire une demie heure que ma mère me tient le grappin, alors que j'avais prévu de reprendre ma peinture, et voilà enfin un moyen de sortie ! « Je suis désolée Maman, je dois te laisser. … Oui, oui, dimanche je suis là. Bonne soirée, je t'aime ! » et sans être plus expressive, je raccroche, soulagée. Daphné rit devant mes manières et vient s'asseoir à côté de moi sur mon lit, et se met à observer la toile comme Lucas l'a fait ce matin. « Dîner dimanche ?
- Déjeuner ! J'ai réussi à négocier. Les lasagnes sont bientôt prêtes ?
- Elles cuisent ! C'est plutôt joli, ce que tu fais.
- Oh, bah merci. Et ça avance, de ton côté ?
- Ahah, ne m'en parle pas. J'ai décidé qu'en fait, Olivia va être blonde et non brune. Et au milieu de l'histoire, elle va devenir rousse et c'est à ce moment là que Jeremy va tomber amoureux d'elle, et du coup elle voudra plus de lui parce qu'il ne l'a pas accepté quand elle était vraiment elle et blablabla. Ça va être horriblement nul.
- Dis pas ça ! » Je me suis exclamée. Si ma passion à moi c'est la peinture, la sienne c'est l'écriture. Et elle est douée, en fait. Mais elle a tendance à se rabaisser et à croire le contraire, malgré tout ce qu'on peut lui dire. Elle pousse un soupir, faussement exaspérée, avant de se lever.
        « Okay, alors voilà le programme : on met la table, on mange et ensuite on fait une partie de Monopoly ! C'est Lucas qui a eu l'idée, donc tu pourras le blâmer lui puisque vous êtes ensemble. Parce qu'on sait que tu triches, hein, on n'est pas dupe ! » J'ouvre la bouche, pour protester. Eux aussi, ils peuvent tricher, c'est pas difficile ! Il suffit d'être vigilent et d'attraper un billet de trop, voilà tout. Daphné éclate de rire devant mon air, ce qui me fait sourire puis elle sort de ma chambre en hurlant aux garçons de trouver le jeu avant le dîner, ou sinon on ne jouera pas.
        
        « Mila, arrête de tricheeeer ! De toute façon, on perd !
- Par ta faute ! Tu aurais dû carrément rien acheter ! Du tout ! Mais non, Monsieur est exigeant et veut les bleus ! Bravo, on a les bleus et on ne peut pas faire UN SEUL TOUR sans tomber chez nous ! » Faut pas croire, c'est violent le Monopoly. Surtout quand on est en équipe avec un parfait crétin qui n'a aucun sens des affaires. Francis et Daphné sont hilares devant notre dispute qui dure depuis dix minutes. Je n'aime pas perdre et ça ne me dérange pas de tricher... Mais là, en l'occurrence, notre cas est désespéré, et ce n'est même pas drôle. Je lève les yeux au ciel avant de tendre notre liasse de billet à Lucas qui répliquait déjà. « … si on met un hôtel ! Que fais-tu ?
- Je vais me coucher, tu me fatigues !
- Quoi, mais tu peux pas abandonner une partie comme ça !
- Tu l'as dis, on perd ! Ça sert à rien de rester, je m'avoue vaincue ! Et je te boude, si tu te le demandes !
- Mais c'est n'importe quoi !
- BONNE NUIT. » J'insiste pour mettre fin à la discussion. Après m'être mise debout, je fais un signe de la main aux amoureux et disparaît dans ma chambre sans prendre la peine de regarder Lucas. C'est de sa faute, c'était son idée.
        Je m'affale sur mon lit sans plus de cérémonie. Chose inutile, étant donné que je dois me mettre en pyjama. Après un soupir, je me relève, attrape mes affaires de nuit et file me préparer à dormir dans la salle de bain. Lorsque j'en sors, je tombe – presque littéralement, puisque je le bouscule – sur Lucas, qui était visiblement en train de m'attendre. « Quoi ?
- Tu me boudes vraiment ?
- Bien sûr que oui ! Culpabilise au moins une nuit dessus ! Tu ne te rends pas compte de ce que tu viens de faire, cette partie mérite une revanche, qui en entraînera une autre et on en a pour au moins un mois ! » Il a ri, m'a serré brièvement dans ses bras et a rejoint sa chambre et j'en ai fait autant – ma chambre, pas la sienne, forcément – le maudissant quand même.
        Et à peu près toutes mes journées ressemblent à celle-ci.