diner with friend.

Depuis que j'habite chez Augustin, je sors moins souvent. Ce n'est pas comme si je sortais beaucoup auparavant, mais disons que je mets moins les pieds dehors. Je sais qu'il est inquiet si je quitte la maison seule, alors je ne le fais pas. Il m'emmène tous les matins au travail et vient me chercher, quand Zoe ne peut pas me ramener. Après tout, il a tout le temps de le faire. Et c'est principalement pour ça qu'il m'a invité chez lui. Pour les courses, il a eu le temps de les faire quand je suis de retour le soir, et le parc est trop éloigné pour que je puisse y aller sans qu'Augustin ne m'accompagne. Alors, parfois nous y allons tous les deux, mais ce n'est pas comme avant. Pas quand moi, j'y allais toute seule, ni quand nous, nous nous baladions dans les champs, il y a quelques années. Je suis constamment en train de me demander ce à quoi il pense, lui, sur moi, sur bébé, sur l'avenir, le notre, le sien, son retour à l'armée. Ensuite je panique, je me dis qu'il va repartir au front un jour ou l'autre, peut-être pas tout de suite, peut-être qu'il n'aura que des missions locales, mais à un moment, dans trois mois, dans quatre ans, il repartira au front. Ça me serre le cœur, et la détente qui accompagne généralement mes virées dans le parc disparaît en un clin d’œil. Je suis à la fois heureuse et terriblement triste d'avoir Augustin auprès de moi.
Heureuse qu'il soit là.
Triste que bientôt, il ne le soit plus.

Je crois que Zoe a vu que j'avais besoin de parler, ou au moins de respirer, aujourd'hui à la boutique. Quand on travaille ce n'est jamais le bon moment, parce que j'aime bien être silencieuse quand je couds. Et parfois, il y a des clients. Alors elle m'a proposé d'aller manger chez elle, ce soir. Ça faisait quelques temps qu'on ne s'était pas fait un repas, toutes les deux. Entre mon déménagement et la préparation des cartons, puis l'emménagement chez Augustin, on n'avait pas vraiment eu de temps. Ce serait un peu bizarre que j'emmène Zoe chez Augustin, compte tenu du fait qu'ils ne se connaissent pas encore beaucoup. Et chez Zoe, et bien il faut que Lola, sa colocataire, accepte que je vienne, ou alors qu'elle quitte l'appartement. Je ne comprends pas trop pourquoi, mais je crois qu'elle ne m'apprécie pas. Je fronce les sourcils en pensant à ça. Je ne vois pas ce que j'ai fait de mal, j'ai toujours été gentille avec elle

Je suis en train d'essuyer le plan de travail de la cuisine quand mon téléphone portable sonne. Je l'entends bien clairement, mais je ne le vois pas. Je n'ai aucun souvenir d'où je l'ai posé la dernière fois. C'est bien ma veine. Et puis finalement, je l'aperçois, perdu derrière une pile d'assiettes sales. Pourquoi donc je suis allée le mettre là-bas ? « Oh, coucou Zoe. » Je souris. « Non ne t'embêtes pas, je vais me débrouiller pour venir. » J'ouvre la baie vitrée et sors dehors. La fraîcheur me surprend. « J'ai encore quelques trucs à nettoyer et ensuite, je serais là. » Je lève les yeux au ciel, qui s'assombrit peu à peu. J'ai l'impression que l'hiver s'éternise. À cette époque, le soleil devrait se coucher plus tard. « Ne t'inquiète pas, pour ça. » Je rigole. « Même si je voulais, je ne pourrais pas conduire. Mon ventre ne rentrerait pas. » Je pouffe de nouveau, avant de lui dire au revoir et de raccrocher. Je rentre à l'intérieur, frissonnante. Je me frotte les bras et reprends mon chiffon. Je sèche le plan de travail, avant de m'attaquer à la vaisselle des assiettes et des couverts des trois derniers repas. Mon esprit se perd dans les paroles de la musique qui passe à la radio. Une fois que tout est prêt, je me lance à la recherche d'Augustin, que je trouve rapidement. « Est-ce que tu pourrais m'emmener chez Zoe, s'il-te-plaît ? » Il hoche la tête et je rougis. Je suis encore un peu gênée de lui demander des services. Je ne suis toujours pas habituée à ce que l'on fasse autant de choses pour moi. Je file dans ma chambre, fraîchement repeinte pour l'arrivée du bébé, et ouvre mon placard. Je jette rapidement un coup d’œil à l'intérieur et échange le t-shirt cinq fois trop grand pour moi que j'ai enfilé en rentrant du boulot, pour une petite blouse blanche, assez large pour contenir mon gros ventre. L'effet ample est un peu perdu, mais c'est encore joli. Je chausse mes ballerines en glitter argenté, attrape mon sac à main et descends les escaliers, en bas desquels Augustin m'attend.

« Voilà, c'est ici, merci. » Je souris et lui fait un bisou sur sa joue droite, avant de le saluer de la main. Je monte les escaliers de l'immeuble et toque à cette porte que je connais si bien. « Ah je suis tellement contente de te voir ! » Je souris et elle me prend dans ses bras, l'obligeant à se pencher un peu à cause de mon ventre. Je dépose mes lèvres sur son front, tout doucement. Je suis contente aussi de la retrouver. Notre complicité m'avait manqué. « Je suis heureuse d'être là aussi. » Mes yeux brillent alors que j'entre dans l'appartement. Zoe me dit aussitôt de m'asseoir, et m'assure que je vais adorer le repas, avant de me demander si j'ai soif. Je rigole. Toujours aussi hyperactive. C'est trop mignon. Et puis, je fronce les sourcils. « Mais... on n'était pas censé faire le dîner ensemble ? » Je pouffe et m'assois à la table. J'aurais dû m'y attendre. Eviter tout ce qui pourrait me mettre en danger, ou me fatiguer, c'est son credo depuis quelques temps. Zoe me prends mon sac à main et le dépose un peu plus loin.
Voilà.
Il n'y a plus qu'elle et moi.

« Alors, c'est quoi ce repas sain que tu m'as préparé ? » Je la regarde virevolter dans la cuisine. Un ange, cette fille. Brune. Qui a dit que les anges étaient obligatoirement blonds ? « Et je veux bien un smoothie, oui. » Je murmure, tout bas. J'ai l'impression que ça fait une décennie que l'on ne s'est pas organisé quelque chose comme ça. J'ai envie de me lever et de la rejoindre, mais ce serait beaucoup d'efforts et je suis persuadée qu'elle me prierait de me rasseoir aussitôt. Je ne prends pas le risque. Je tapote mes doigts sur la table. Je lève la tête vers Zoe, la mine inquiète, soudain. « Tu n'es pas partie trop tard de la boutique, rassures-moi ?! » Je sais que cela fait plusieurs fois que Zoe reste plus longtemps, pour finir plusieurs choses que je ne peux plus faire. Parfois même, je suis trop fatiguée alors je demande à Augustin de venir me chercher plus tôt. Cela m'ennuie de la laisser toute seule et de lui donner plus de travail, mais c'est la seule solution pour que la boutique ne meurt pas. Ce n'est pas encore la période où il y a le plus de ventes, mais il faut préparer l'été qui arrive, penser à réaménager l'espace pour accueillir plus de monde en même temps tout en augmentant les habits mise à disposition, prévoir des espaces pour accrocher les photos de Sawyer, toutes ces petites choses qui prennent du temps, mine de rien. Mais je ne peux pas rester debout, alors Zoe s'en occupe toute seule. Je me mords la lèvre. Je me fais la promesse qu'une fois que j'aurais accouché, je mettrais les bouchées double pour l'aider.
Pour l'aider, comme elle l'a fait pendant tout ce temps.
Huit mois. Si longtemps.