Elle avait pleuré, longtemps, bruyamment. Elle avait pleuré son avenir brisé comme lui avait pleuré sa mère disparue, quelques années plus tôt. Elle avait pleuré par sanglots bruyants, heurtés. Les larmes avaient coulé le long de ses joues, marquant sa peau diaphane de longues traînées noires. Son mascara s'était étalé, humidement, sur son épiderme, symbolisant sa popularité sur le déclin. Ils n'étaient plus au lycée et bientôt, elle ne serait plus jolie. Elle ne serait plus Anna et il ne serait plus Benjamin. Ils ne seraient plus que deux visages anonymes parmi tant d'autres. Elle avait pleuré la fin de cette époque. Elle avait pleuré la brutalité de leur entrée dans l'âge adulte.

Elle avait pleuré longuement. Alors il l'avait pris dans ses bras parce que c'était là la seule manière qu'il connaissait de la consoler. Les mots, Ben ne savait pas les utiliser. Ils étaient bien là, pourtant, étreignant son cœur, occupant sa tête mais il ignorait comment les prononcer. Les écrire, oui, mais les dire, ça jamais. C'était elle, l'experte des mots. Les mots qui blessent, les mots qui cajolent. Elle comprenait ses caresses et il entendait ses mots.

Il avait calmé ses pleurs d'une caresse sur son ventre encore plat, séché ses larmes de ses baisers et peu à peu, son corps s'était relaxé. Son regard restait sombre, mais Benjamin était impuissant face à son tourment. Responsable, oui mais impuissant. « We can't » avait-il murmuré contre son sein. Ses lèvres n'étaient pas froides, pas plus que son souffle mais elle avait frissonné, sans doute effrayée par la vérité. La vérité, c'est qu'ils n'étaient que deux mômes à peine sorti du lycée, deux imbéciles irresponsables, deux gamins incapables de s'occuper d'eux-mêmes. Alors un enfant ? « I know but... please, don't leave me » avait-elle répondu, la voix faible. Pourquoi l'aurait-il fait ? Elle était tout ce qu'il avait, si tordue que fut leur relation. Elle était son oxygène et son eau, sa chaleur et sa brise, son inspiration et sa destruction. Son âme sœur. Ils n'étaient que deux enfants mais Ben le savait. « Never » avait-il donc souffle avant de reprendre ses lèvres.

Et elle regardait à présent, les sourcils légèrement froncés, l’œil vif. Anna voulait de l'aide, une réponse, n'importe quoi. Elle ne disait rien mais dans sa tête, il l'entendait le crier. « Say something » demanda-t-elle doucement, liant leurs mains. Et que pouvait-il dire ? La décision ne lui appartenait pas. Non, la décision était sienne et seulement sienne. Il ne pouvait pas dire un mot, il ne pouvait pas. « I need you to say something. I need you to talk to me. Please, babe, talk to me ! » Il ferma les yeux. Elle n'avait pas le droit d'exiger qu'il parle, qu'il l'aiguille. « Ben.. please... » Elle effleura sa bouche avec douceur. « Talk to me » susurra-t-elle en caressant sa joue. Il garda les paupières closes. « Ben.. please... » Son cœur rata un battement. « I beg you.. talk to me baby » Il sentait sa détermination fondre comme neige au soleil à l'écoute de la voix de sa compagne. « Ben, I love you » soupira-t-elle. Ses poings se serrèrent. « I don't want you to... to... I need... it's just fucked up and... » Il se tut, incapable de prononcer les mots qu'elle attendait tant tandis que ses doigts fins traçaient d'abstraits motifs sur son torse. Il baissa les yeux pour rencontrer les siens. Espoir, tendresse, détermination. Elle avait pris sa décision, il le savait. C'était toujours elle qui décidait, toujours elle qui dictait, toujours elle qui ordonnait. Et il suivait, amoureux à en crever. « I fucking love you too » soupira-t-il et un sourire naquit sur son joli visage de poupée. Son corps recouvrit le sien en un instant alors que ses lèvres parsemaient sa figure de baisers aussi légers que des papillons. « You won't leave me, right? You'll stay with me and the baby and we'll be happy, ok? We'll be so happy, baby ! » Et elle éclata de rire, un rire heureux, un rire aux accents d'irresponsabilités. Elle ignorait dans quoi elle s'engageait. Il ne le savait pas non plus. Il n'était qu'un môme amoureux et il aurait fait n'importe quoi pour elle, même croupir à White Oak pour le reste de ses jours.