Le bruit. Les rires. Les chants de noël. Tout cela me montait à la tête et m’étourdissait. J’adorai cette période de l’année. A vrai dire, j’étais une de ces personnes adorateurs des fêtes de fin d’année. J’avouai et le clamai fort : noël était mon trip. Trouver des cadeaux à l’arrache. Poireauter pendant de longues minutes à la caisse d’un magasin. Être en admiration face aux vitrines décorées. Attendre avec impatience noël pendant un mois entier. Avoir un calendrier de l’avent encore à mon âge. Tout cela, c’était moi et j’aimais ça. L’esprit de noël était si… indescriptible ! J’avais tellement de souvenirs de réveillon de noël. Tellement qu’ils fusaient dans mon esprit tous les ans lorsque arrivait décembre. Moi et ma mère dans ma ville natale, tous les deux. Mais aussi avec Ruben et son père ou bien même dans une fête étudiante quelconque et aujourd'hui, je me retrouvai ici, au centre commercial. J’aurai très bien pu être ici pour acheter des cadeaux, pour déjeuner avec Dakota ou tout simple pour prendre en photo des enfants éblouis par tous ces décorations, mais ce n’était pas le cas. A vrai dire, cela aurait dû. Malgré mon travail à mi-temps à la bibliothèque du lycée et l’argent que m’envoyait ma mère, je n’avais pas assez d’économie pour acheter tous les cadeaux que j’avais prévus. Du coup, j’avais prévu la chose en cherchant un petit boulot durant la période des fêtes et j’avais trouvé ! Quoi de mieux pour un étudiant que de photographie que de prendre des enfants en photo sur les genoux du père noël ? Beaucoup de choses certes, mais je faisais avec tout de même. Enfin jusqu’à aujourd’hui. Une heure auparavant, mon patron m’annonçait que le père noël qu’il avait engagé était totalement ivre et qu’il ne pouvait pas venir. Bizarrement, il était beaucoup plus facile de trouver un photographe qu’un père noël à cette période. Je me retrouvais donc déguisé en un vieil homme barbu – si si, avec une longue barbe blanche – qui me grattait fortement. Dans ces moments-là, je comprenais enfin que certaines personnes n’aimaient pas vraiment cette fête mais je ne pouvais pas me plaindre. Après tout, le boss aurait très bien pu nous renvoyer – moi et les lutins du père noël – chez nous à cause de l’absence du dit père noël.

Soupirant entre deux enfants, je me remis à sourire lorsqu’une petite fille s’installa sur mes genoux. « Comment t’appelles-tu, jeune enfant ? » Lui demandai-je d’une voix grave assez caricaturale. « Lily ! » « Oh ! Et as-tu été sage cette année ? » « Oui très très sage ! » « Vraiment ? Comme une image ? » La petite fille aux cheveux couleur blé hocha vigoureusement de la tête. « Si c’est bien le cas, que souhaiterais-tu pour ton noël ? » Lily se mordit la lèvre avant de répondre avec une voix tremblante. « J’ai… Ma p’tite sœur a un gros bobo à son cœur et elle est à l’hôpital… Je voudrai qu’elle aille mieux… comme cadeau de noël. » Lorsqu’une perle salée roula le long de sa joue, je la lui essuyai doucement alors que j’étais moi-même triste pour cette enfant. Je ne savais pas vraiment quoi répondre, n’y étant pas vraiment préparé. Pourtant, elle me regardait les yeux brillants en attendant visiblement une réponse. « Tu sais Lily, c’est très gentil de ta part de vouloir cela comme cadeau de noël, malheureusement… J’ai bien peur de ne pas pouvoir faire grand-chose. Mais regarde… » Je lui fis un câlin, - même si cela aurait pu être mal interprété - et au bout d’une dizaine de seconde je me séparai de ses bras. « Tu vois ce câlin ? Et bien le plus beau cadeau que tu puisses toi-même faire à ta sœur c’est de la prendre dans tes bras et de lui faire un très gros câlin en lui disant que tu l’aimes ! Je lui sûr qu'elle sera très contente ! Tu ferras ça pour elle à noël ? » La petite se mit à hocher de la tête avant de me murmurer un léger « merci papa noël » et de s’en aller retrouver ses parents. Fermant lentement les yeux, j’essayai de me remettre de cette rencontre. Cette petite m’avait réellement bouleversé et j’espérai qu’une chose : être rapidement diverti pour ne pas avoir l’air triste en plein boulot. Après quelques enfants, je vis un groupe de trois filles s’approcher. Lorsque l’une d’elle me demanda si cela me déranger de les prendre sur mes genoux, je lui assurai que non. Vu leur enthousiasme, je n’allais pas m’ennuyer avec elles.          

Après quelques minutes, je compris que je ne m’étais pas trompé. Elles étaient très divertissantes. Alors que la dernière fut passé, je vis l’une d'entre elles trainer un jeune homme jusqu’à moi. Amusé malgré moi du pauvre sort du jeune homme, je perdis très rapidement mon sourire lorsque je compris à qui appartenait ses cheveux châtains si bien coiffés. Ruben. The Ruben. Alors qu’il m’adressait la parole, je ne savais que faire. Je n’arrivais même plus à parler, mes lèvres semblaient s’être collées entre elles. Puis je le vis s’assoir sur mes genoux. Sur mes genoux. Ruben Longchamp était sur mes genoux. Je respirai une goulée d’air qui était évidemment saturée de son odeur. Son si bon odeur… Je mis quelques secondes avant de comprendre la question qu’il me posait. Je hochai lentement de la tête tout en essayant de ne pas le regarder dans les yeux… Comme au bon vieux temps !

Je ne regardais pas Ruben dans les yeux, ce que j’aurai préféré faire parce qu’en plus d’être très beau, j’aimais faire ce que je m’étais empêché durant des années. Pourtant, à l’instant précis, je ne pouvais pas. Que serait sa réaction s’il voyait un père noël – ou un homme déguisé en gros bonhomme rouge – le regarder avec le même désir que j’éprouvais pour lui ? Il aurait probablement crié au vieux pervers. Je ne voulais pas cela. Égoïstement, je ne voulais pas qu’il découvre qui j’étais pour profiter de lui et notre position le plus longtemps possible. J’avais tellement rêvé de cette position, principalement lors de mon adolescence, lorsque mes hormones étaient en ébullition. Oh ! Je ne me faisais pas d’illusion, elles l'étaient encore comme à chaque fois que je voyais Ruben. La vie d’un jeune homme de vingt-et-un ans frustré était réellement pénible. Parce que oui, avoir la personne dont on était amoureux depuis des années sur les genoux sans perdre la tête était un réel défi. Je n’avais qu’une envie : enlever ma barbe et l’embrasser très très longtemps. Heureusement pour mon boulot, j’avais encore une pensée pour les enfants qui nous regardaient et qui auraient été perturbés de voir un père noël s’arracher la barbe et rouler un patin à un garçon. Vous imaginez ? Le père Bisexuel ? Le premier avril en fin décembre ! Voilà pourquoi je me répétais qu’il ne fallait pas que je me rapproche trop de Ruben : pour ma propre santé mentale et celle de ces gosses. C’était bien plus sûr ! « Voyons, tout le monde veut quelque chose pour noël, sinon tu es le jeune homme le plus chanceux du monde. » Ai-je déclarai avec une voix roque tout en essayant de ne pas prêter attention à la moue que faisait Ruben. Elle était vraiment trop craquante, comparable à celle d’un chat. Il aurait même été capable de faire passer le chat botté pour un amateur. Et Merlin savait qu’il était impossible de résister au regard du chat botté, sauf si bien sûr on était un sans-cœur ou que l’on s’appellait Zalla, mais cela était une toute autre histoire !

Alors que je voyais une fois de plus la moue de Ruben qui était quant à lui en pleine concentration, je me disais qu’il me fallait regarder un dessin animé en rentrant à la résidence parce que mine de rien, ça faisait un bail que je n’en avais pas regardé un. Ce qui était assez anormal, surtout en période de noël. « Quelle est cette chose ? » Je n’aurai pas dû. C’était une très mauvaise idée… P’t-être trop mauvaise ? Quoiqu’il en soit, c’était fait. Je savais qu’il était… qu’il était amoureux… Le fait que ça soit un garçon n’était pas étonnant mais qu’il en soit amoureux, c’était comme si une chape de plomb était tombée dans mon estomac. Ça me laissait un arrière-goût amer dans la bouche. Je.. Je me doutais qu'une réaction comme celle-ci arriverait un jour, après tout nous devenions de plus en plus proches – amicalement s’entend – mais cela ne réduisait pas la douleur. Pas du tout même. J’avais une boule en travers de la gorge alors qu’il m’en faisait la description. Il était parfait à ses yeux, en tout cas pour lui. Plus les compliments pleuvaient, plus j’avais envie de pleurer. De me rouler en boule dans mon lit comme lorsqu’il avait quitté White Oak Station quelques années auparavant. Je pensais avoir évolué depuis, mais j’avais toujours les mêmes réactions au final, principalement en face de Ruben. Qu’est-ce qui pouvait faire plus mal que d’entendre son amour faire l’éloge du sien sans pouvoir lui dire d’arrêter ? Quel être cruel pouvait-il inventer une torture plus douloureuse que celle-ci en cet instant ? Alors que Ruben semblait être dans un autre monde, une larme silencieuse roula le long de ma joue pour se perdre dans ma barbe synthétique. Pouvais-je faire plus pitié que cela ? Assurément. Une fois de plus, ma curiosité m’avait joué un tour. Après tout, ne disait-on pas que celle-ci tuait le chat ? Je comprenais une fois de plus le sens de ce proverbe.

Qu’il arrête, s’il vous plait. N’importe qui mais qu’il y ait quelqu'un pour l’arrêter car je n’en pouvais plus. Je… Je.. Fermant les yeux à cause d’une lassitude soudaine, j'essayais de ne pas écouter Ruben parler d’amitié ou de mariage. Pourtant, tel un masochiste, je le faisais tout de même sans pour autant savoir pourquoi. Qu’avait ce gars de plus que moi ? Cela faisait des années que je me consumais d’amour et de désir pour mon ancien demi-frère. Il serait donc logique… ou même… ainsi... Je ne savais même plus ce que je disais. Totalement confus, je ne savais même plus ce que je voulais. D’un côté je voulais qu’il se taise et parte mais de l’autre, je voulais le garder pour moi et avoir une chance qu’il oublie le mec dont il était amoureux et qu’il s’intéresse à moi. L’écoutant toujours, je compris qu’il avait prononcé mon prénom quelques instants avant la fin de son discourt. Je ne savais pas quoi faire ni comment l’interpréter. Il voulait que j’arrête d’être parfait ? Moi ? Je n’étais pas parfait, loin de là ! Je pensais qu’il l’avait compris lors de notre cohabitation. Pourtant… Il disait aussi vouloir m’embrasser ! Et son amoureux ? Y avait-il pensé ? Peut-être bien que oui et si c’était le cas cela voulait dire que… ? « T’aider Rub..Ruben ? Je ne… sais pas quoi dire… » Je n’avais même pas prit la peine de prendre la « voix du père noël ». Tellement d’émotions tourbillonnaient en moi que je ne savais plus quoi dire. J’en étais soufflé.