~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
Au lycée, j'étais le mouton noir. Ou plutôt, disons que justement, j'étais la seule qui n'en était pas un. Je n'ai jamais aimé les cercles d'amis ou on ne se fréquente que par intérêt, ou bien ceux où on prétend avoir des amis mais on ne les voit jamais ou ce genre de chose. Je n'étais pas populaire, mais je n'étais pas transparente non plus. On me disait trop froide, trop distante. J'avais beau avoir des amis, je me foutais de ce que les gens pouvaient bien dire sur moi et je n'hésitais pas à dire aux gens ce que je pensais d'eux, quand vraiment j'avais des choses à dire. Je n'ai jamais eu envie de garder les choses pour moi, de cacher mes émotions quand je pouvais les balancer à la gueule des gens. Je suis franche, et mon père m'a toujours dit que c'était une grande qualité. Je n'ai pas changé, en réalité, je suis toujours restée la même, cette gamine qui faisait tout son possible pour aider les gens, pour protéger le monde et pour militer dès que quelque chose ne lui plaisait pas. Il m'est déjà arrivé de m'enchaîner à un arbre pour empêcher qu'on le coupe, le plus drôle étant qu'à l'heure actuelle, il existe toujours et mon nom est gravé dessus. J'ai toujours fait les choses qui me semblent juste et je suis même devenue végétarienne pour suivre mes convictions. Je ne peux pas vraiment dire que j'étais la fille que je voulais être. Parfois, je me prenais à vouloir plus d'amis, à vouloir une autre vie, mais je me réveillais bien vite, il ne faut pas se leurrer. Ma vie m'allait et ce n'est pas moi qui vais revenir en arrière, sur toute cette histoire. J'aime la fille que j'étais au lycée. Et je suis toujours cette fille, bien que je sois un peu plus vieille maintenant. Mais pas de beaucoup. Et c'est cette fille et pas une autre, qui a su attirer Eziel.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
L'amour est un sentiment étrange. Ca rend heureux, triste parfois mais dans tous les cas, notre cœur bat continuellement la chamade. On a beau être avec la personne, dès qu'elle s'absente, on a hâte de la voir revenir et de pouvoir à nouveau la prendre dans nos bras. C'est comme ça que je me sens, en ce moment. Dès que Eziel quitte la pièce, j'ai envie de le voir revenir. C'est fou que ce soit encore comme ça après quatre ans. Mais les choses sont comme ça et il n'y a rien que je puisse y faire. C'est une affaire qui roule et qui, chaque jour, me rend plus heureuse encore. Je n'irais pas dire que ma vie avant lui était monotone et ennuyeuse, ce n'est pas le cas. Je ne dis pas que ma vie a toujours été formidable, il y a eu des hauts et des bas, mais ça a toujours été correct. Mais maintenant, je me sens bien, je suis chez moi, avec l'homme que j'aime et qui partagera ma vie pour le reste de mes jours, j'en suis consciente. Je suis heureuse parce que je suis, à mon tour, devenue une personne guimauve. L'adolescence ne remonte pas à si loin que ça, je ne peux pas nier, en plus de ça, le fait que je me sente toujours un peu enfant dans ma tête. Et de ce fait, ce n'est certainement pas moi qui irait me prendre la tête, je me sens bien, d'une certaine manière. Et je n'ai pas la moindre raison de changer ma façon de vivre. Je ne compte pas le faire, de toute façon. J'ai mes amis, mon père.. Et j'ai Eziel. Bordel, je suis bien et rien ne semble pouvoir changer ça. Comment se plaindre hein ?

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Je n'ai jamais aimé me propulser dans le futur. Perdre ma mère quand j'étais bébé m'a poussé à me rendre compte du fait que la vie ne tient qu'à un fil. Je n'aime pas m'imaginer dans le futur, et j'en ai peur. J'ai peur de faire des erreurs et de ne pas pouvoir les réparer avant de disparaître. Je suis un peu trop pessimiste je crois, et du coup, je n'arrive pas à imaginer une vie parfaite. Je ne suis pas de ce genre là, de toute façon. Je ne sais pas où je serais, je ne sais même pas si je ferais encore ce boulot, je ne sais pas si je serais capable de me motiver à continuer ou un truc comme ça. Je suis paumée par rapport à ma vie parce que j'ai peur de demain, en fin de compte. Je n'ai pas envie d'imaginer de quoi sera fait ma vie dans dix ans, pour la simple et bonne raison que j'ai peur de l'avenir, peur de ne pas en avoir. Ce n'est pas pour rien que j'ai toujours fui les gens, ou en tout cas, que j'ai toujours fait en sorte de ne pas être entourée d'un million de personnes et ce genre de chose. Je n'ai pas envie de croire que ma vie va prendre une tournure particulière, surtout si ça vient à ne pas arriver. Je sais que quoi qu'il se passera, Eziel sera toujours à mes côtés, je sais que je pourrais toujours compter sur cet homme qui partage ma vie en chaque instant et que sans lui, je ne serais plus grand chose. Une petite merde dans un coin, un tout petit truc à ramasser à la petite cuillère et même mon père, l'homme le plus génial du monde entier, ne pourrait pas recoller les morceaux.

IL ETAIT UNE ENFANCE
 « Emy, c'est l'heure de manger ! ». Une petite tête rousse se précipite à la suite de son père dans la salle à manger, manquant de faire tomber le plat de pâte qu'il tient entre les mains. Il sourit, amusé par le comporter de l'enfant et surtout par sa joie de vivre. Elle a huit ans, elle grandit vite et il a déjà peur de ses questions ou même de ce qu'elle fera quand elle s'intéressera aux garçons. Il n'est qu'un homme, il ne saura même pas quoi lui conseiller. Sa femme est décédée, cela fait déjà sept ans. Sept longues années pendant lesquelles il n'a pas cessé de penser à elle. Son absence continue de lui faire du mal et elle, elle fait de son mieux pour que les choses s'arrangent. Un soupir s'échappe de ses lèvres quand elle grimace en voyant les pâtes.  « Mais je n'aime pas les spaghettis moi ! ». Il lève doucement les yeux au ciel, c'est improbable quand même, comment peut-on faire une différence sur les pâtes, n'ont-elles pas toutes le même goût ?  « Tu sais bien qu'elles ont toutes le même goût ». Il rit quand, une fois qu'elle est servie, elle refuse d'y toucher, en croisant les bras sur son torse. Et dire qu'elle n'est encore qu'une enfant, comment va-t-elle se comporter quand elle sera plus vieille ? Quand elle fera le même caprice pour le film à la télévision tiens ? Là, elle se couche tôt mais qu'est-ce que ça donnera hein ? Bon, d'accord, ce ne sera clairement pas le seule problème de la soirée, elle n'en doute pas une seule seconde.  « Non, c'est pas vrai ! Pis en plus, tu sais pas faire à manger ». Elle fait une moue boudeuse alors qu'il continue de rire et qu'il ne comprend rien aux femmes. Bientôt, elle ressemblera encore plus à sa mère alors que déjà maintenant, c'en est risible et incroyable. Il suffit de voir la couleur de ses cheveux, celle de ses yeux. Elle est magnifique. Quand il pose son regard sur elle, c'est déjà bien assez difficile et bientôt.. Ce le sera encore plus. Comment imaginer une seule seconde que les choses puissent être aussi simples que ça hein ? Non, les choses ne sont clairement pas simples.  « Tu sais ma chérie, ta mère aurait été très fière de toi.. Dans ta lutte contre les spaghettis je veux dire. Elle ne les aimait pas non plus ». Timidement, l'enfant lève les yeux vers lui. Il ne parle presque jamais de sa mère ou alors, il lâche une petite anecdote là, comme ça, juste une fois de temps en temps. Et elle prend chacun de ces instants comme des petits trésors, comme quelque chose de vraiment important et qui compte, pour elle. Parce que sa maman est partie alors qu'elle n'était qu'un bébé, et elle ne pourra jamais avoir une relation proche avec elle. Une enfant a besoin de sa mère et même s'il fera de son mieux, il sait qu'il devra redoubler d'effort pour que ça se passe au mieux. Il n'a pas vraiment le choix, de toute façon.

IL ETAIT UNE REVOLUTION
 « Vous êtes ridicule mademoiselle ». Elle le fusille du regard, il est hors de question pour elle de bouger. La chaîne lui brûle les bras, elle aurait peut être dû penser à enfiler un haut un peu plus épais, pour ne pas sentir le froid sur ses bras, là, elle ne se sent pas forcément très à l'aise et ça commence un peu à lui faire mal. Aucun doute, elle gardera des marques pour quelques jours. Mais c'est important et il est hors de question pour elle de partir.  « C'est vous qui l'êtes. N'allez pas me faire croire que cet arbre perturbe la ville. Il ne dérange personne et il est centenaire. Il est hors de question pour moi de vous laisser le couper sans vous montrer que je ne vous laisserais pas faire ! ». L'homme lève les yeux au ciel. Il n'est clairement pas suffisamment payé pour avoir à faire face à des gamines qui pensent être en droit de l'empêcher de faire son travail. Faire un bordel pareil pour un simple arbre, non, il n'y comprend absolument rien et la seule chose qu'il sache, c'est que parti comme ça, il ne risque pas de faire son boulot. Sauf qu'il n'est pas payé à l'heure et que ça risque donc de vraiment lui taper sur les nerfs. Si ça ne tenait qu'à lui et s'il pouvait oublier les conséquences d'un meurtre, il l'aurait découpé avec l'arbre. Mais le sang que ça aurait mis partout.. Il est évident que ce n'est pas du tout le bon plan. Autant évider, du coup, de faire un truc pareil. Elle, elle ne bouge pas, persuadée que ce qu'elle fait EST ce qu'il FAUT faire. Ses amis la regardent d'un peu plus loin, partagés par l'amusement et l'envie de la rejoindre. Mais personne ne bouge parce qu'ils pensent que ce n'est pas une cause à suivre. Elle, elle y croit, un arbre qui est là depuis aussi longtemps, on ne le coupe pas. C'est un symbole de la ville ! Et puis zut, c'est bon la déforestation, pas la peine de continuer comme ça, ça devient ridicule.  « Je vais couper cet arbre, vous savez ? Quitte à attendre ici que vous finissiez par céder, parce que oui, vous le ferez ». Non, je ne le ferais pas, pensa-t-elle de toutes ses forces. Hors de question de céder alors que cela faisait déjà trois heures qu'elle était là. Et cet homme.. A coup sûr, il céderait en premier. Elle avait tout son temps alors que lui, il faisait juste son boulot, comment imaginer une seule seconde qu'elle pourrait partir aussi vite ? Cette année, elle redouble. Ce qui n'a rien d'un bon truc, bien sûr, mais bon, elle a quelques problèmes à l'école. Cette journée n'a pas été la meilleure de sa vie, entre l'annonce du redoublement et son père qui promet d'être déçu. Il fait tout pour qu'elle ait la meilleure éducation du monde et pourtant, l'école, ça n'a vraiment jamais été son fort. Non pas qu'elle soit nulle, mais disons qu'elle fait de son mieux et que ça ne marche pas vraiment. Étudier à la maison, elle n'y arrive jamais, en fait.  « J'ai le temps, je redouble, je suis là pour encore toute une année ». Elle se met à rire, tout ça est réellement ridicule, en fait. Mais ce n'est certainement pas elle qui ira en faire toute une histoire, c'est parfaitement impossible, en fin de compte. Ils ne couperont pas cet arbre.

IL ETAIT UN RENDEZ-VOUS
 « Il ne faut pas mon accord pour sortir avec un garçon ? ». La jeune femme lève les yeux au ciel alors qu'elle écoute son père se mettre à rire. Elle n'a même pas envie de lui parler, elle n'a pas non plus envie d'avoir une réelle conversation avec lui, si ce n'est qu'elle voudrait comprendre pourquoi est-ce qu'il vient de la vendre. Non mais c'est vrai, il y a forcément une raison à son comportement non ? A sa façon d'agir qui est parfaitement ridicule. Son père vient d'accepter, pour elle, un rendez-vous. C'est improbable, venant de l'homme qui faisait tout son possible pour l'empêcher de sortir, certains soirs, alors que déjà, de base, elle ne sortait pas souvent. Ce mec n'est pas probable n'empêche, il se pointe, dans sa maison, à elle, et il parle à son père comme si elle n'était pas là. Et impuissante, elle voit son père lui dire « d'accord mais ne la ramène pas trop tard ». Elle n'en revient toujours pas, surtout que maintenant, elle est coincée, cela faisait partie de ses excuses pour refuser de le voir. Au moins, quand on dit que c'est le paternel qui ne veut pas, ça a tendance à le repousser, à lui faire comprendre qu'il n'y a absolument pas de solution et la page se tourne, on oublie tout et voilà. Mais non, il fallait que les choses soient un peu plus compliqué, il fallait, qu'en plus du reste, il accepte. Elle n'y aurait jamais cru, en plus, mais maintenant, elle est coincée et elle sait qu'il n'y a absolument rien qu'elle puisse faire. Le garçon en question, il fait partie de ce type de personnes qu'elle ne supporte pas au lycée. Populaire, toujours entouré, sportif.. Bon, il a peut être l'air un peu plus intelligent qu'il ne semble vouloir le dire, mais c'est encore un point qu'elle n'aime pas chez lui, il ne fait rien pour appuyer sur ce point de sa vie, il ne fait rien pour montrer aux gens qu'il est plus que ce qu'il ne semble être. Autant le dire, il est paresseux et ce genre de personne, ça ne l'intéresse pas du tout. Alors.. Elle préfère ne pas avoir à réfléchir à propos de lui et elle a réellement l'impression que rester loin, ça rend les choses bien plus simples. Sauf que.. Bah ouais, lui, il persiste. A croire qu'il la prend pour un jeu et qu'il s'amuse de la situation. Et là, en plus, il a gagné, alors elle l'imagine déjà s'en vanter devant les copains. Elle l'imagine leurs dire qu'il y a eu plus que prévu. Elle soupire et finit par capituler. De toute façon, son père insiste pour qu'elle lui donne une chance.  « Je vais me changer. Et papa.. T'es gentil, mais tu ne lui donnes pas ma main pendant mon absence. Merci ». Elle plaisante, bien sûr, mais elle aimerait qu'il n'en fasse rien. Là, elle se demande jusqu'où il pourrait aller pour qu'elle trouve quelqu'un à fréquenter. Oui, elle a dix-sept ans. Et oui, elle n'a jamais eu un homme dans sa vie, et alors, en quoi est-ce que ça pourrait être un problème ? Un père ne devrait-il pas en être content ? Et non, celui-là, il faut qu'il accepte des rendez-vous. Pendant qu'elle rumine, elle enfile une tenue décontracté. Non, pas de robe, elle n'a pas pour intention de le draguer, faut pas rêver non plus. Quand elle redescend, elle passe juste une main dans ses cheveux et lève une nouvelle fois les yeux au ciel.  « Juste un rendez-vous ». Si seulement elle savait..

IL ETAIT UNE DEMANDE
Encore une demande en mariage. Et elle reste là, à le fixer tout en essayant de trouver quelque chose à lui dire alors qu'elle vient tout juste de se réveiller. Non, elle ne sait pas quoi balancer, elle ne sait pas non plus comment lui faire comprendre qu'elle doute qu'un jour, elle puisse se décider à accepter ça. C'est tellement impossible pour elle, et elle a peur, d'une certaine manière. Elle a toujours fait de son mieux pour ne rien lui cacher mais de ce côté là, sa peur n'est pas capable de trouver les mots pour parler. Elle a peur et d'une certaine manière, ça ne risque pas de rendre les choses plus simples. Quatre années se sont écoulées depuis ce fameux jour où son père a accepté un rendez-vous pour elle et après avoir découvert quel type d'homme il peut bien être, il était impossible pour elle de s'éloigner de lui. L'amour est un sentiment si étrange qu'il était absolument impossible pour elle de faire demi tour, de le laisser de côté et de ne plus revenir vers lui. Ca lui est tombé dessus, d'un coup, et tellement vite, en plus de ça, qu'il n'y avait absolument rien qu'elle puisse y faire, autant dire qu'elle était parfaitement foutue, et mordue surtout. Mais bon... Et là, dans ce restaurant, voilà qu'il tentait une nouvelle fois, une demande en mariage. Elle avait déjà refusé deux fois, comment pouvait-il imaginer que ce serait différent ?  « Je t'aime Eziel, mais non. ». Un soupir s'échappe de ses lèvres à lui, forcément qu'il est déçu, elle n'ose même pas lui dire qu'elle refuse à cause de son père. Il rêverait de la voir se marier, de la savoir heureuse. Enfin.. Elle l'est déjà, bien sûr, mais on ne pouvait pas nier le fait que cela ne rendait pas les choses plus simples, en fait. Mais elle ne veut pas qu'il souffre, elle ne veut simplement pas qu'il souffre, pour la simple et bonne raison qu'elle a perdu son père et qu'encore maintenant, lorsqu'il lui parle de sa mère, on sent toute la souffrance et toute la peine dans sa voix. Elle ne veut pas qu'il souffre, s'il lui arrive quelque chose, parce qu'à ce que l'on dit, le cancer, c'est génétique ou un truc comme ça. Peut être que ça sonne une génération, peut être pas, mais une chose est sûre, par contre, c'est qu'il n'y a rien que l'on puisse faire pour savoir à l'avance. Et elle a peur de mourir, peur de le laisser tomber. Peut être que l'idéal aurait été de ne jamais entrer dans sa vie, oui, peut être, mais ça ne voulait pas dire que ça aurait rendu les choses plus simples. Oui, elle aurait aimé qu'aucun homme n'entre dans sa vie, mais c'était arrivé, et pour cette raison.. Enfin oui.. Il y avait aussi la peur de l'engagement et tout ça. Elle ne savait pas pourquoi elle refusait en fait. Son esprit était embrouillé, à chaque fois qu'elle lui posait la question et parfois, elle avait juste l'impression que refuser rendrait les choses plus faciles.