L'alcool et Ben n'avaient jamais fait très bon ménage. Enfin, pas très bon ménage, c'était vite dit. Ben Schneider avait l'alcool très cynique et ce, depuis l'adolescence. Il n'était, de toute manière, pas un grand fan des gueules de bois et autres lendemains difficiles, aussi buvait-il peu. En temps normal en tout cas. Et depuis la mort de Charlie, plus rien n'était normal, plus rien du tout. Depuis le suicide de son frère, il buvait plus et réfléchissait moins. Les barmans de White Oak Station étaient devenus des oreilles attentives et leurs bars, presque une deuxième maison pour Benjamin. Comment parvenait-il à rentrer chaque soir, mystère et boule de gommes. Toujours était-il que ce soir, comme chaque soir, il s'était retrouvé dans son lit sans savoir le pourquoi du comment, sans s'être défait de ses vêtements, la bouche un peu pâteuse et le crâne comme ceint dans un étau. Awe-fucking-some. N'eut-ce été pour le claquement de porte bizarre pour l'heure — et sachant qu'il vivait seul — il ne se serait pas réveillé avant le lendemain. Le sol n'était pas très stable lorsqu'il posa un pied nu sur le parquet et il lui fallut une bonne minute avant de se sentir capable de se lever. Avec un grognement, il se mit donc debout et, titubant, gagna le couloir. De toute évidence, il y avait quelqu'un dans la maison. Stupidement, il se prit à espérer voir la figure blafarde de Charlie. Il est mort. Cette voix, dans sa tête, ressemblait beaucoup trop à celle de Barbara à son goût. C'était tout bonnement horrible. Déglutissant avec difficultés, il s'engagea dans l'escalier. Peut-être ses parents avaient-ils décidé de rentrer ? Peut-être, oui. Ou était-ce— non, ça ne pouvait pas être Barbara. Elle l'évitait comme la peste depuis des mois, il était impossible qu'elle lui rende visite, surtout au beau milieu de la nuit. Mais c'est bien avec une fille qu'il tomba nez à nez. Une fille de l'âge de Barbara, certainement. Une fille qu'il avait déjà vu quelque part. « Attends voir, bredouilla-t-il, l'esprit embrumé, tu travailles dans ce.. ce bar, là et.. qu'est-ce qui tu fous là, bordel de merde ? » Aurait-il été sobre qu'il aurait compris immédiatement ; seulement dans l'état dans lequel il se trouvait, Ben était encore capable d'imaginer qu'il y avait une explication parfaitement logique et légale à la présence de cette fille chez lui, au beau milieu de la nuit.

Quelque chose clochait. En dehors de l'insupportable et si familière douleur qui lui ceignait le crâne, s'entendait. Il y avait quelque chose de faux dans le sourire de cette fille, dans sa manière de le regarder. C'était du toc. « Tu n'étais pas dans ton état normal » lança-t-elle. Waouh, quelle surprise ! Quand, récemment, avait-il été dans son état normal, hein ? Et qu'en savait-elle, hein, de son état normal, elle ? Il ne la connaissait que depuis peu de temps et ça faisait plus de six mois qu'il ressemblait à une épave. Une vraie loque. « Alors je t'ai raccompagné chez toi.. » Oui, ça paraissait logique. Wait, no ! Il était ivre. Si une fille dans son genre l'avait ramenée chez lui, il était peu probable qu'il n'ait pas tenté de la mettre dans son lit, Timothy ou pas Timothy. Tiens, il faudrait qu'il l'appelle d'ailleurs. Alors revenait donc cette fameuse question : que diable foutait cette nana chez lui, en plein milieu de la nuit ? « Je voulais m'assurer que tu allais bien » ajouta la jeune femme, se mordillant la lèvre. Benjamin ne put retenir un rictus moqueur, les yeux mi-clos par la fatigue et l'alcool ingurgité. Bourré, il l'était très certainement mais il était loin d'être con. « Très bien, très bien, marmotta-t-il en avançant, tu sais ce qu'on va faire ? Tu vas aller t'asseoir sur ce canapé bien gentiment et me dire la vérité, à moins que tu ne préfères que j'appelle les flics » Passant à côté d'elle, il l'empoigna par le bras, sans doute avec plus de force que nécessaire, et la tira jusqu'au salon où il l'abandonna devant ledit canapé afin d'aller se chercher un verre de jus de fruits — il avait eu son compte de whisky ce soir, il en était conscient. « Tu veux boire quelque chose ? s'enquit-il, en parfait hôte qui se respecte. D'ailleurs, c'est quoi ton nom ? Attends, attends, ne dis rien, laisse-moi deviner.. Amanda ? Vanessa ? Cindy ? Cassidy ? Ah ! Non, Cassie ! » Autant dire que les souvenirs qu'il avait de son nom, inscrit sur une petite plaquette, accrochée à son tee-shirt, étaient des plus flous. « J'imagine que tu dois en croiser pas mal, dans ton boulot, des pauvres bougres qui tètent la bouteille plus goulûment qu'un nouveau-né, hein ? reprit-il, en fouillant son réfrigérateur à la recherche d'une bouteille de jus de fruits. Ça se passe comment ? Ils te racontent leur vie comme j'ai dû le faire, et s'ils sont friqués, tu t'introduis chez eux comme tu t'es introduite chez moi ? Ou alors tu te fais sauter et tu attends qu'ils dorment pour pouvoir réellement les baiser ? » Sa voix avait pris un accent dur, méchant mais c'est le sourire aux lèvres, un sourire badin, celui qu'il affichait dans les soirées hollywoodiennes, qu'il revint au salon et prit place face à l'intruse, un verre de jus de pamplemousse à la main.

Spoiler:

Bien que j'étais parfaitement consciente de ne pas avoir choisis la meilleure maison, je plaidais non coupable. Si j'avouais réellement à cet homme que je m'étais introduis chez lui, pour lui voler quelques biens, je n'étais pas sûre de ressortir vivante après ça. Je ne le quittais pas des yeux, affichant mon sourire innocent que je savais si bien faire. Je replaçais une mèche de mes cheveux bruns derrière mon oreille, puis j'écoutais ses propos. « Très bien, très bien, marmotta-t-il en avançant, tu sais ce qu'on va faire ? Tu vas aller t'asseoir sur ce canapé bien gentiment et me dire la vérité, à moins que tu ne préfères que j'appelle les flics » Il saisissait rapidement mon bras avec une violence inexplicable, puis il m'entraînait jusqu'à son salon que je balayais d'un regard approbateur. Il y avait des tas de choses intéressantes dans cette pièce et je me dis que j'aurais dû commencer par celle-ci. Il me poussait violemment sur le canapé, je me ressaisissais puis-je roulais des yeux. « Qu'est-ce qui te faire croire que je mens ? Dit le moi. Après tout, j'aurais très bien pu venir chez toi pour te surprendre ou bien peut-être que j'attendais quelque chose de ta part. » Lâchais-je dignement, un sourire malicieux au coin des lèvres. Je voyais clair dans son jeu et je comprenais parfaitement sa colère. Cependant, si j'avouais, qu'est-ce qui me garantissait qu'il n'allait pas m'envoyer chez les flics ? Ce qui me crispait le plus, c'est qu'il savait pertinemment que je n'étais pas là par hasard, et pourtant, il me proposait à boire, comme si j'étais son invité. « Non, merci. » Prudemment, je jetais un coup d'oeil autour de moi afin d'effectuer quelques repérages. « A croire que tu n'étais pas indifférent. » Subtilement, j'insinuais presque le fait qu'il n'était pas indifférent aux sourires que je lui adressais. J'affichais un petit sourire, soutenant son regard. « Effectivement, déjà je te vois toi. » Je n'étais pas très fine dans mes propos et je savais pertinemment que cela allait lui déplaire. Il n'aimait pas se faire offenser et je pratiquais cet art parfaitement bien. « Généralement c'est un peu les deux, mais bon, ne va pas croire que je suis une fille facile Schneider, ce serait me sous-estimé. » Certes, il m'arrivait parfois de rentrer en compagnie d'un homme charmant que j'avais rencontré dans le bar où je bossais, mais cela n'arrivait pas chaque soir. Admirant son jus de fruit, je restais de marbre face à lui, jouant passivement avec une mèche de mes cheveux.

La pauvre petite. S'il fallait bien lui reconnaître son culot et sa vivacité, elle restait d'une banalité effarante. Effrayée par l'existence très certainement, lâche aussi, et menteuse. Elle était comme les autres, elle était comme tout le monde. « Que tu écartes les cuisses dans un but précis ne fait pas de toi une fille facile, lâcha-t-il, contemplant son verre de jus de fruit avec attention, juste une garce. D'autres emploieraient des expressions plus imagées mais je vais me contenter de celle-ci » précisa-t-il avant de porter son verre à ses lèvres. Puis il lui adressa un sourire moqueur. Qu'elle tente de se jouer d'une ribambelle d'imbéciles, il n'en avait rien à foutre, mais qu'on ne vienne pas jouer la comédie sous son toit. « Et n'essaye pas de me duper. Je sais reconnaître le mensonge. J'étais payé pour mentir » fit-il, presque plus pour lui-même que pour elle. Il avait aimé son boulot, énormément. Il avait aimé le théâtre, passionnément. Aujourd'hui, alors que Charlie était parti, plus rien ne semblait réellement intéressant. Surtout pas une petite dinde aspirant à le détrousser. « Soyons clair, Arsène Lupin, reprit-il, avec un sérieux presque douloureux après la soirée qu'il avait passé, je ne vais pas appeler les flics. Pas parce que tu as un joli petit cul ou parce que tu es innocente comme l'agneau qui vient de naître » Il marqua un temps d'arrêt pour boire une gorgée. Enfin, surtout pour la théâtralité de la chose. Les vieilles habitudes, hein. « Remets les pieds chez moi et je te promets que tu finiras au poste et pas forcément en qualité de suspecte » C'était dur, c'était brutal mais elle avait investi sa sphère privée. Elle avait pénétré en un lieu que nul n'avait visité depuis la mort de son frère. Elle n'en avait pas le droit, aussi mignonne fut-elle. « Dégage, avant de me sous-estimer encore une fois et me croire capable de sauter une nana dans ton.. genre » cracha-t-il avec un sourire dédaigneux. Qu'elle disparaisse, vite. Il aimait sa solitude, bien plus que les femmes d'ailleurs.

Son comportement m'exaspérait au plus haut point, mais je ne disais rien, le laissant parler parce que je savais très bien qu'il était beaucoup trop en colère pour supporter une telle désinvolture. Je le dévisageais, ayant presque envie de lui foutre mon poing dans sa gueule, c'était fou, il se prenait pour le roi du monde ou quoi ? Ce n'était qu'un pauvre professeur qui ne semblait pas vraiment fatigué de ces journées. « Oui je suis une garce, je ne le revendique pas, je l'assume complètement. » Je passais ma main dans mes cheveux, secouant doucement la tête d'un air agacé. « Mais au moins je ne me voile pas la face. » Il se cachait derrière des banalités, c'était fou. Je croisais les jambes, jouant avec les bagues qui se trouvaient sur mes doigts. Je trouvais si froid et arrogant, ça me glaçait le sang, fallait espérer qu'il n'accueillait pas ses invités de cette façon, ça les ferait certainement fuir. « Ça se voit, le mensonge semble être ton seul moyen pour fuir. » Effectivement, je ne faisais pas dans la dentelle et j'essayais de le toucher au plus profond de lui. Il y avait quelque chose chez lui qui m'intriguait, mais je ne saurais dire quoi. Je savais très bien qu'il ne m'aimais pas, je ne lui inspirais aucunement confiance et je l'avais perçu dès la première fois que je l'avais abordé. Il était déstabilisé par quelque chose et j'étais bien déterminée à deviner ce que c'était. « Très bien je vais m'en aller, après tout, rien n'a réellement de valeur chez toi, ça sent le cadavre à plein nez. » Je n'aimais pas l'odeur dont était imprégné la pièce, c'était comme s'il masquait quelque chose avec du désodorisant, mais que les odeurs n'arrivaient pas à se dissimuler. Je me levais d'un bond, frôlant le jeune homme pour rejoindre la porte d'entrée. « En fait, c'est quoi ton problème ? Tu es si arrogant et râleur que ça dissimule tout ton charme. »