~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
Nevaeh est arrivée au lycée avec l'étiquette de la fille orpheline et fragile. En quelques jours, elle s'était emparée de cette étiquette, l'avait ravagée pour en ressortir fichée comme une fille forte, inébranlable. Au lycée, Nevaeh était celle qui papillonnait entre les groupes d'amis, incapable de rester à sa place. Elle a toujours été dans les petits groupes les plus populaires, pas par souci d'image ou pour une quelconque gloire éphémère, mais parce que les gens populaires ne posent pas de questions, et c'était ce dont elle avait besoin. Les questions, les pensées, son histoire, Nev refusait de parler d'elle-même, et les rares conversations sur qui couche avec qui ou de quelle façon elles allaient s'habiller pour la prochaine soirée lui suffisaient, amplement.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Non. Nevaeh ne sait toujours pas qui elle est, où elle va, et sa relation avec ses parents est mélange d'affection et d'ignorance. Elle ne s'est jamais sentie à sa place dans sa famille adoptive, et aujourd'hui, ce poids lui pèse plus que jamais. Son frère est à peu près l'unique personne qui lui est proche, pour les autres, elle est cette petite pétasse emmerdeuse, et personne ne creuse plus loin. Non, elle n'est pas heureuse. Elle ne l'a jamais vraiment été, et ça lui convient comme ça. Sincèrement.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Dans dix ans... A la même place. Toujours dans le coin, non loin de son orphelinat, dans un appart qu'elle changera tous les cinq mois pour satisfaire son besoin de mouvement et de nouveauté. Ou peut-être qu'un jour, Nev aura craqué et payé un ticket d'aller simple pour l'autre bout du monde, comme si elle espérait trouver qui elle était dans les vagues d'une plage australienne. Seule, bien sûr, sans rien. Rien du tout. Juste elle.

PRÉNOM ET/OU PSEUDO: leah. ÂGE: dix-neuf ans.   PAYS: france. PRÉSENCE: tous les jours. COMMENT AVEZ-VOUS CONNU LE FORUM? ... je me souviens plus, bazzart je crois.    PERSONNAGE INVENTÉ OU SCÉNARIO? inventé. AUTRE CHOSE À AJOUTER? meow.

« Et si tu allais t’habiller, Nevaeh ? Les autres t’attendent dans la salle de jeu, et Amelia est très heureuse de te savoir de retour.  » « Je m’en fiche. » Les lèvres pincées de la petite brune, ses bras croisés et son visage fermé en disent aussi long que ses paroles. « J’aurais voulu ne jamais revenir ici. » « Je sais, ma chérie, mais ce n’est pas de notre faute. Tu ne peux pas nous en vouloir pour quelque chose que nous n’avons pas fait, pas vrai ? » Les yeux verts de la femme se posent sur la petite fille, dont les yeux hurlent l’incompréhension et la trahison qui l’habitent. Pauvre petite. Rejetant ses longs cheveux roux en arrière, elle avance de quelques pas et se baisse pour se retrouver accroupie devant l’enfant. « Allez, Nevaeh. Te morfondre ici n’arrangera pas les choses, au contraire. Profite de tes amies, tu n’as pas besoin de leur raconter ce qui est arrivé. Tu n’as pas besoin de raconter quoi que ce soit. » L’enfant hoche la tête, et les yeux brillants de larmes, laisse la femme lui enfiler ses quelques vêtements. « Est-ce que vous pouvez me faire deux tresses, comme le jour où je suis partie ? » « Bien sûr, ma chérie, viens avec moi. »
La salle de jeu est petite, mais suffisante pour les vingt-trois enfants que l’orphelinat Morrison abrite. Tous âgés entre trois et quatorze ans, les enfants restent calmes, assis dans un coin par petits groupes ou penchés sur des jeux de société. Un calme que la directrice, une grande femme rousse à l’allure souveraine, a su imposer au fil des années. Les enfants n’y sont pas malheureux, au contraire. Et là, entre les départs et les arrivées, il y a Nevaeh. Celle-ci est arrivée à l’âge de deux ans, et déjà quitté l’orphelinat trois fois.

« Pourquoi est-ce que tu as cassé cette ardoise, Nevaeh ? Je sais que tu es en colère, mais les autres enfants ne t’ont rien fait, et tu leur as fait peur. » La fillette pose un regard buté sur la porte. « Regarde-moi quand je te parle, Nevaeh. Il faut que tu comprennes qu’ici, personne n’est responsable de ce qui t’es arrivé. Personne. Ne te venge pas sur ceux qui ne t’ont rien fait. » C’est la phrase de trop, et du haut de ses neuf ans, l’enfant se redresse de toute sa hauteur, les yeux scintillants de colère et de larmes mêlées. Les poings serrés, elle passe une poignée de secondes à tenter de se calmer, de retrouver le silence têtu dans lequel elle était enfermée. Cela ne fonctionne pas. « C’est de ma faute, je sais, de toute façon ! » Elle élève la voix, pourtant la femme ne semble pas ébranlée. Elle attend la suite. Nevaeh se rassoit sur sa chaise, droite comme on le lui a apprit, et pose les mains sur ses genoux. Elle tremble légèrement, ses joues sont humides et elle renifle légèrement. Après de longues minutes, elle se tourne vers la directrice, et lui brise le cœur d’une simple phrase. « Pourquoi est-ce que personne ne veut jamais de moi, Madame ? »

La première fois que Nevaeh quitta l’orphelinat, elle avait trois ans. Un couple de jeunes mariés ne parvenait pas à avoir d’enfants, ils adoptèrent donc l’enfant, qui était calme et souriante. Sage, mignonne, ce que l’on attendait d’une enfant. Le nombre d’orphelins dans leur pensionnat lui avait apprit à partager et à comprendre qu’elle ne pouvait pas toujours disposer du temps des autres comme elle le souhaitait. Une enfant modèle, en somme… Et un an après, la jeune femme tomba enceinte. Le couple préféra leur enfant biologique à la petite, ils la ramenèrent à l’orphelinat. Déboussolée, Nevaeh mit plusieurs mois à saisir qu’ils n’avaient plus voulus d’elle.

La femme se penche doucement et lui caresse la joue par-dessus le bureau. « Personne ici ne t’a fait de mal, ma chérie, mais ces gens-là, eux, si. C’est à eux que tu devrais en vouloir, pas à nous, pas aux autres enfants, et surtout pas à toi. » Nevaeh hausse les épaules et se dégage de la caresse de la femme. « Ils m’aimaient pas. C’est parce que je ne suis pas assez bien, c’est ça ? »

La seconde fois où Nevaeh quitta l’orphelinat, elle avait six ans. Le couple qui l’adopta avait tout d’abord passé un après-midi complet avec l’enfant, et charmés, ils avaient signé le contrat d’adoption sans hésiter. Nevaeh adorait ses nouveaux parents, ses nouveaux parents l’adoraient. Mais il y avait Alexis, et Alexis était le fils biologique de la famille. Alexis avait onze ans, et n’avait pas apprécié qu’une étrangère se retrouve dans leur maison du jour au lendemain. Il n’avait pas apprécié qu’elle puisse prétendre aux mêmes droits que lui, et il n’avait pas du tout apprécié l’idée de partager ses parents avec Nevaeh. Il la supporta un an, et après cela, la situation fut si invivable que les parents adoptifs de la fillette n’eurent d’autre choix que de la retourner à l’orphelinat, comme un vulgaire paquet. La multitude d’excuses qu’ils prononcèrent n’eurent aucun effet.

« Et même quand je me faisais des amis, ils me détestaient. Ils se moquaient de moi. Madame, je crois que vous devriez arrêter de me faire adopter. Je crois que personne ne va m’aimer et que ce serait mieux si je restais ici toujours, plutôt que de partir et de revenir alors que je pensais que j’allais avoir une maman et un papa comme les autres enfants. »

La dernière fois où Nevaeh quitta l’orphelinat, elle avait sept ans et avait piqué une crise pour rester là-bas, refusant que cela se passe aussi difficilement que les fois précédentes. Finalement, ses parents adoptifs avaient su la raisonner, et lui avaient présenté sa sœur adoptive, âgée d’un an de plus, avant de signer le contrat d’adoption. Les deux enfants s’étaient bien entendues, le contrat avait été signé et validé. La famille était… bien. Nevaeh avait sa propre chambre, une nouvelle amie, et pendant un an et demi, tout se passa bien. Nevaeh aimait ses parents, aimait sa maison, sa vie, sa famille – puisqu’à présent, elle en avait une. Et puis, sa sœur adoptive, Noella, rencontra ses nouveaux amis. Elle les présenta rapidement à Nevaeh, qui s’entendit très peu avec eux, et préféra rester dans son coin les après-midi où Noella et ses amis étaient ensemble. Sauf cet après-midi de mai, où l’un des amis de Noella organisait son anniversaire et l’avait invitée. L’anniversaire se déroula sans accroches, et elle revint avec un paquet de bonbons qu’elle partagea avec sa mère adoptive. Jusqu’au coup de téléphone. Il avait sonné, sa mère s’était levée pour décrocher, et plus tard dans la soirée, ses parents avaient réuni les deux fillettes dans le salon. Apparemment, un bracelet de la mère du garçon avait été volé pendant la fête d’anniversaire, un bracelet de grande valeur. Quelques jours s’écoulèrent avant que le père adoptif de Nevaeh ne retrouve le bracelet dans sa chambre. Celle-ci hurla son innocence, et peu après, Noella lui avoua qu’elle l’avait volé. Mais qui allait croire la petite adoptée, plutôt que la réelle fille du couple ? Personne. Et en effet, le vol avait été « de trop », et Nevaeh fut réexpédiée en orphelinat après que son père adoptif n’ait joué de ses relations pour arranger l’affaire.

Et la voilà, de retour à la case départ. Personne ne veut d’elle. Même l’orphelinat. « On ne peut pas te garder ici, ma chérie. Un jour, une famille très bien t’adoptera et tu partiras. » Bien entendu. Elle n’est même pas assez bien pour être orpheline. Elle n’est assez bien pour rien.

∞

On a finalement voulu d’elle.
Mary, Arthur et leur fils Jackson. La famille Swann-Fawkes.
Ils sont aimables, la maison chaleureuse, Jackson est protecteur. Ils prennent soin d’elle, ils s’assurent qu’elle se sente chez elle.
Et elle est heureuse, autant qu’elle puisse l’être. Ils font tout pour elle, et elle leur en est reconnaissante.
C’est juste que… Chaque photographie au mur, chaque anecdote racontée par la famille, les multiples têtes blondes et les regards foncés. Tout le lui hurle, elle n’appartient pas à ces lieux, elle n’est pas d’ici, elle n’est pas à cette famille. Tout lui rappelle qu’elle n’est qu’une pièce rapportée.
Nevaeh n’est nulle part chez elle, parce qu’elle n’a pas de famille.
Nevaeh n’a personne, et ne sera jamais chez elle.