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 ma petite couturière. (Q.)

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Message(#) Sujet: ma petite couturière. (Q.) ma petite couturière. (Q.) EmptyVen 13 Sep - 22:16

C'est dégueulasse de les voir pleurer. C'est dégueulasse de sentir leur cœur se serrer sans même être contre eux. La messe du curé aussi, elle est dégueulasse. Tout comme ce cercueil payé une fortune. Tout est dégueulasse. Les fleurs posées sur la tombe, c'est rien de plus qu'une putain d'illusion de vie. Dans deux jours, dans deux foutus jours, elles seront fanées. Aussi fanées que nos pensées. Plus personne ne viendra le pleurer. Sauf peut-être ma mère, lors des après midi trop grises. Ouais, elle viendra nettoyer l'ultime demeure de son mari. Tu parles d'un romantisme, tu parles de la beauté de la mort. Y a rien de plus écœurant. Rien de plus faux que toutes ces larmes qui coulent, encore, sur les joues ridées.

Et la musique résonne, comme pour accompagner les âmes en peine. Comme pour nous dire plus haut, plus fort 'c'est la fin, la fin de tout, dis lui au revoir, tu l'verras plus.' La main de ma mère, elle se resserre fermement contre mon bras. Mon regard sec croise le sien, aussi aride que le mien. Et je lui souris, peut-être pour la première depuis mon arrivée à Toronto. Peut-être même la première fois, tout court. La haine me ronge encore un peu, là, au fond de mes entrailles, elle est possédée par un désespoir naissant. Et ce sourire, ce mouvement de lèvres inutiles semble contracter une faille, perdue contre mon âme.
Le cercueil part sous terre, à cette ultime marque d'affection.
La terre s'empare de lui, là, indélicate.
La foule larmoyante se dissipe.
Les doigts quittent mon bras.
C'est le vide.
Face à face avec la mort.
Un fantôme. Ou peut-être juste mon père.

Et la tête, cette lourde tête au regard sombre, elle se dirige vers le sol. La terre est sèche ici. La terre est sale, certainement parce qu'elle absorbe le désespoir des autres. C'est un peu comme un mur des lamentations, au final. Un endroit où il est normal de craquer. Où les épaules s'effondrent sous le poids de la mort. Mais y a rien. Rien qui ne coule de mes paupières. J'ai juste le cœur qui bat trop vite et les jambes comparable à du coton. D'une douleur imprononçable, accablante. Perdu sous mes vêtements trop sombres, le long manteau acheté pour l'occasion me protège d'un vent glacial. Qui sait si son âme n'y vole pas. Mes doigts, un peu tremblants, attrapent mes lunettes de soleil pour les poser sur mon nez. Masquer ce regard désespérément vide. Peut-être pour dissimuler le manque de larmes. La culpabilité, au fond, de ne pas savoir s'effondrer physiquement pour la mort de son père. J'ai pourtant envie de leur montrer, à tous ces pleureurs, comme je suis détruit, là, sous ce masque de chair. Sous cette prison osseuse. Je n'ai plus rien, plus rien du tout. L'affection des amis, leur présence. Mais c'est quoi, au fond ? Des regards miséreux, juste de quoi t'enfoncer un peu plus. Tu parles des amis, je leur tirerais bien, moi, une balle dans la gueule, pour les perdre une bonne fois pour toute.
Parce que oui, devant cette tombe, le cerveau, égoïste, se surprend à vouloir nettoyer toutes traces de sentiments.
Après tout, pourquoi pas ? Pourquoi pas ne tous les envoyer se faire foutre ?

Mais qu'importe, qu'importe, parce que pour le moment, ce sont mes pieds, impétueux, qui traversent le froid de ce cimetière. Les mains dans les poches, une cigarette à la bouche. La fumée s'envole au dessus de ma tête. J'ai l'air d'un robot, impeccablement coiffé, lisse, fade. Je marche, le regard camouflé par des lunettes sombres. Et pourtant, à travers elles, je peux le voir, ce visage. Ou plutôt, le reconnaître. Ses longs cheveux roux, là, qui tombent sur ses épaules. Je la reconnais, ma douce. Un sourire naît même sur mes lèvres, mais il est fin, trop fin, et il se perd, à la caresse d'un coup de vent. Je reste planté contre le grand portail en féraille, à la fixer. Une minute, ou peut-être deux. Juste le temps de me remémorer nos souvenirs. Et puis ma connerie, certainement, de l'avoir abandonné pour un autre. Le mégot s'échoue au sol. Ma semelle l'écrase, nerveuse, elle l'écrase comme j'écrase son visage, dans ma tête. C'est pas le moment, oh non, pour aller la voir, à Waël. Parce qu'elle va gueuler, la jolie, qu'importe la situation. Qu'importe la mort de mon père. Elle en a dans le bide, la rousse. Et c'est pour ça, pour cette foutue raison que j'ai trouvé bon de l'abandonner. Elle avait pas besoin de moi, elle. Non c'était une battante, une vraie. Arseniy, lui, il était tout petit, tout faible. J'pouvais pas le laisser, lui, sur le bord de la route.
C'est comme ça, que, les pensées négatives, je lui passe une nouvelle fois sous le nez. Sans lui accorder le moindre regard. Non, juste une dose mal placée d'indifférence.
C'est ce que je suis, après tout : une putain de dose de superficialité.
Et puis surtout, une fierté de la taille de la tour Eiffel.
Alors, tant pis pour les souvenirs.
C'est mort, depuis trop longtemps.
Quand je vous disais que c'était dégueulasse, ça l'est, jusqu'au moindre détail.
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Message(#) Sujet: Re: ma petite couturière. (Q.) ma petite couturière. (Q.) EmptyMar 17 Sep - 0:41

Revenir à Toronto n'était pas vraiment dans mes plans. Cela ne m'avait même pas traversé l'esprit à vrai dire. J'étais bien trop embourbée dans ce déménagement qui commençait à bien trop s'étaler dans le temps à mon goût. Puis il y avait les travaux de mon nouveau chez moi qui battaient leur plein mais qui n'avançaient pas eux-aussi. Et pour couronner le tout, je devais trouver rapidement un local qui ferait office de boutique et d'atelier. Habituellement, je ne m'occupais pas de ces aspects-là du business. Je m'occupais de créer, de parler aux clients parfois et basta. Le reste, c'était Zéphir qui gérait et il faisait ça à la perfection. Mais bon, je l'ai évincé à contrecœur sur ce coup là. Je ne pouvais pas faire comme si de rien n'était après ce qu'il s'était passé. Je le fuyais comme la peste et je lui avais gentiment demandé de ne pas venir avec moi au Canada. Alors forcément, je passais mon temps à galérer. Je l'imagine en train de moquer de moi si seulement j'osais lui demander de l'aide... Ce qui n'arrivera évidemment jamais. Moi et ma fierté mal placée nous débrouillerons comme nous le pourrons.

Voilà donc à quoi je pensais pendant la cérémonie. A ça et au fait de savoir comment j'avais bien pu être si faible pour céder sous la pression de ma mère pour venir à un enterrement qui ne me concernait absolument pas. « Fais donc preuve de compassion ma fille » m'avait-elle demandé, agacée de m'entendre râler ou faire un commentaire toutes les deux secondes. Désolée Man', mais c'était mon unique moyen pour parer l'ennui. L'homme qu'on enterrait n'était pas exactement un vulgaire inconnu. C'était mon voisin de longue date. Le père de mon meilleur ami de l'époque. Monsieur Novotny... C'était un grand monsieur toujours propre sur lui quand il était au mieux de sa forme. Et c'est sur ce point que le prêtre insista. A croire que dire la vérité sur l’odieuse personnalité du mort qu'on allait enterrer était un péché en soi. Je n'étais pas pour enfoncer le couteau dans la plaie du peu de personnes qui pouvaient être réellement affectées par cette tragédie – parce que la mort d'un homme reste tout de même une tragédie – mais bon, vanter les louanges d'un homme bien qui n'était absolument pas un saint, c'était mentir. Moi, je l'ai vu le père Novotny tituber comme pas possible à cause d'un amour trop grand pour la bouteille. Pire, je l'ai vu tabasser sa femme dont les cris transperçaient les murs et secouaient la rue. Tout le monde passait son temps à se cacher les yeux, parce que ce n'était pas nos oignons après tout. Mais tout le monde savait ce que subissait la famille Novotny. Tout le monde savait que ça allait se solder par une mort. Par « chance », c'est le bourreau qui y est passé. Sa femme et son gosse – qui n'en était plus un – étaient les seuls à ne pas pleurer. Ils étaient les seuls à ne pas feindre une tristesse profonde par une ras de marrée de larmes de crocodiles. Eux, ils la vivaient la souffrance. Du moins, c'est ce que je me suis plus à croire.

C'était long. Beaucoup trop long. Pour moi, il s'agissait d'une perte de temps considérable. Ce n'était pas comme si j'avais quelqu'un à consoler. J'ai donc attendu sagement la fin de cette mascarade dans la voiture tout en croisant les doigts pour que ma mère ne passe pas une heure devant le cimetière pour nourrir sa caisse à ragots avec les autres dadames venues là pour se montrer. Elle a quand même fini par arriver, les yeux rougis par l'émotion – laquelle, je me le demande encore. Un sourire mesquin se dessina alors sur mes lèvres. « Je ne pensais pas que la mort d'un alcoolique qui battait sa femme te toucherait autant, Man ! » Mes propos n'étaient pas sans ironie, mais la réponse a été sans appel. Je me suis faite littéralement dégager du véhicule et ma charmante mère m'a gentiment ordonné de faire ma bonne action de l'année en allant parler à Julian avant de me laisser planter là.

1 – 0 pour la matriarche.

Dépourvue de mon sac à main – et donc de tout objet pouvant participer de près ou de loin à un quelconque divertissement – je me résignai à écouter ma mère. Au pire, je me prenais un regard dédaigneux dont Julian avait le secret et je serais condamnée à rentrer à pied à la maison. En résumé, j'étais chez moi dans une petite heure. Oui, j'aurais pu imaginer de magnifiques retrouvailles de deux amis qui s'étaient perdus de vue par la force des choses. L'un tombant dans les bras de l'autre, avec des larmes de joie évidemment – sinon, ce ne serait pas drôle. Sauf qu'il s'agissait de Novotny. Il n'avait même pas versé une micro larmichette pour le décès de son propre père, celui qui lui a donné la vie qu'il a, alors vous imaginez bien que des retrouvailles pleine de joie et de nostalgie n'arriverait pas – ou si ce n'est pas le cas, vous êtes foutrement naïfs et c'est bien triste pour vous. Je n'avais été que la gamine dont il avait fini par se lasser. Il n'a jamais cherché à avoir de mes nouvelles. Je me sentais bien conne à attendre une énième humiliation. Je n'étais pas venue pour ça et je ne le supporterai pas. Ce serait la fois de trop.

Qu'est-ce que j'ai ressenti quand Julian me passa devant sans même m'adresser un regard ? De la haine. Je parle pas de la petite haine qui finit par s'oublier à grands coups de cuillère à soupe de nutella, non. Je parle de la haine aussi ravageuse qu'une tornade. J'étais emplie de haine et de colère envers lui parce qu'il n'avait pas le droit de me rabaisser de la sorte. Ca faisait presque dix ans qu'on ne s'était pas vu, et quand bien même je comprenais le fait qu'il ne veuille pas m'adresser la parole parce que je n'étais qu'un fantôme du passé à ses yeux, je ne cautionnais pas son comportement. Il ne pouvait pas m'ignorer comme ça. Pas moi. Pas la fille qu'il a laissé sur le bas côté parce qu'elle était trop pauvre et qu'il a remballé alors qu'elle était au bord de la mort. Il ne pouvait pas me faire ça. Il n'en avait pas le droit et je comptais bien le lui faire savoir. Je me fichais bien de la situation actuelle. Je me fichais de tout en fait. Je ne répondais plus de moi-même. J'étais juste un taureau qui voyait rouge et qui ne se sentirait bien qu'après avoir explosé sa cible.

N'ayant rien à balancer sous la main, je me déchargeai d'une première chaussure que je lançai avec force sur Julian. Elle attérit dans son dos, mais moi, je voulais lui éclater la tête, ou lui arracher le cœur. Je jetai ma seconde chaussure qui toucha sa tête cette fois-ci. Et, pour une raison inconnue, je me suis mise à courir en direction de Julian et je le frappai de toutes mes forces, me déchargeant de quelques tonnes de rancœurs au passage.

Je finis par arrêter, même si je n'étais toujours pas calmée, mais j'avais compris que mes coups ne faisaient rien – c'était comme taper un mur de béton : inutile et douloureux. Alors je conclus la chose en tentant de pousser Julian. Je ne dis pas un seul mot et me contentai de récupérer mes chaussures. Je tournai les talons et, les regards insistants de certaines vieilles dames m'irritèrent vivement.

« Vous voulez ma photo peut-être ? J'ai le droit de le frapper, d'accord ? Rien à foutre que son père soit mort, ça reste un connard. Il n'a même pas été capable de me demander si j'allais bien parce que monsieur n'avait pas de temps à perdre avec une pauvre ! Hurlais-je sur la première vieille dame venue avant de me retourner vers Julian. J'étais en train de crever, espèce d'enflure ! Mais forcément, quand on n’a pas de cœur, on s'en bat les couilles de ce genre de truc, hein Julian ? Tu t'en bas les couilles de tout et de tout le monde. »

Je ne pris même pas le temps de quoi que ce soit, je voulais juste retourner chez moi et m'enfermer dans ma chambre.
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Message(#) Sujet: Re: ma petite couturière. (Q.) ma petite couturière. (Q.) EmptySam 28 Sep - 2:32

La première chaussure s'écrase contre mon dos, épouse ma peau à travers le manteau. Une grimace se dessine sur mon visage. J'ai même pas besoin de me retourner pour savoir ce qu'il m'arrive, d'où provient l'arme. Non, je le sais, parce que je l'ai vu, Waël, juste là. J'ai pu ressentir sa colère, sans avoir à lui parler. Elle a de quoi, au fond, me détester. Des tas de raisons plus valables les unes que les autres. Des putains de listes contre mon comportement. Même moi, j'parviendrais jamais à me souvenir de toutes mes saloperies. De toute façon, j'ai pas le temps, non, puisque la seconde chaussure, elle s'écrase contre ma tête, aussi violente que la première. Mes lunettes tombent au sol. Elles rencontrent le goudron dans un bruit désagréable. Le verre se brise, un peu comme mon âme, à ce moment là. Je me retourne, légèrement, pour lui apporter un premier regard. Le genre froid et foutument désagréable. Celui qu'on me ferait ravaler à coup d'aiguille dans les pupilles. Putain. Et ces ray ban qui gisent au sol. Qui crèvent à mes pieds, incapable de dissimuler mes iris défoncés. Un rail de coke, oui, pour trouver le courage d'aller dire adieu au père. Un rail de coke, mon respect pour lui se limite à ça. J'en prendrais bien un autre, maintenant, pour faire face à la rousse en furie. J'en prendrais toute une tonne, pour m'anesthésier de ce moment indélicat. Le passé refait surface, plus violent que jamais. Le duo de gamin inséparable. Du moins, c'est ce qu'on pensait à l'époque, en s'échangeant un bracelet de laine aussi solide que notre amitié.
Elle est belle, la naïveté d'un gosse.
Aussi belle que ses yeux brillants de colère.

Comme un putain de connard que je suis, un sourire se dessine sur mes lèvres. Un joli sourire qui lui prouve à quel point je peux n'en avoir rien à foutre de la douleur physique qu'elle tente de m'imprégner. Le plus dur, le plus douloureux, ce sont pas ses poings qui blessent ma peau, non, c'est plutôt sa façon de me regarder à cet instant. Mais j'apprends au moins, j'apprends ce que ça fait d'être délaissé à un moment douloureux de sa vie. Et si je lui souris aujourd'hui, c'est pour lui montrer que je n'ai pas changé. Pas d'un poil. Je suis le même con, la même tronche d'ordure d'il y a quelques années en arrière. Elle perd son temps, Waël, à me porter une quelconque attention. Lorsque ses mains me repoussent, enfin, y a comme un soupir qui quitte mes entrailles. Un soupir de soulagement, et un nouveau sourire. Dans la foulée un « Va te faire soigner » traverse l'air. J'ai besoin de la rejeter, encore. J'ai envie de me prouver à moi-même que je n'ai besoin de personne. J'ai soudainement la folie de vouloir tirer un trait sur le monde entier. Surtout sur Arseniy, Lupka, Victor, et puis tous les autres. Recommencer ailleurs, sans rien ni personne. Mourir dans d'autres draps, engrosser la première venue. Tout un tas de pensées qui ne ressemblent à rien, là, sous ma boîte crânienne. Un besoin de mâle dominant, peut-être. Ouais, une connerie dans le genre. Une merde à laquelle je me suis abonnée. Tu parles d'une fierté.

Mes yeux sombres caressent sa silhouette. Le sourire ne quitte pas mes lèvres asséchées. Elle est belle, la rousse, à remettre ses chaussures nerveusement. Elle va si vite qu'elle s'y mélangerait presque la gauche et la droite. Les regards posés sur Waël suffisent à la mettre en furie, encore plus. Sa rage est si forte qu'elle atteint mes poumons de plein fouet. Les premières secondes, j'ai même du mal à respirer correctement. Je me bas contre le passé pour ne pas perdre la face. Pour ne pas craquer devant ses mots, trop haineux. J'ai le cœur qui joue aux montagnes russes, pour la touche dramatique, certainement. « Vous voulez ma photo peut-être ? J'ai le droit de le frapper, d'accord ? Rien à foutre que son père soit mort, ça reste un connard. Il n'a même pas été capable de me demander si j'allais bien parce que monsieur n'avait pas de temps à perdre avec une pauvre ! » Gorge nouée, les mots se retrouvent brûlés dans l'acide de mon estomac douloureux. L'une de mes mains s'aventurent entre nous mais ne la touche pas. Non, par peur de rendre les choses encore plus moches, peut-être. J'donnerais pourtant tout ce que je possède pour la faire quitter cet endroit. Pour la dégager des yeux de ses vautours. Mais Waël, reine de la situation, continue, d'un ton toujours aussi blessé. Et elle se retourne vers moi, putain. Je baisse les yeux, incapables de supporter son regard chargé de haine. Je fixe le sol, mes lunettes, le verre rayé. Le fric envolé dans une simple chute. « J'étais en train de crever, espèce d'enflure ! Mais forcément, quand on n’a pas de cœur, on s'en bat les couilles de ce genre de truc, hein Julian ? » J'me contente d'accepter ses mots, d'un simple signe de la tête. Je reste lisse, face à la vérité qu'émerge de sa bouche. J'me sens moisir, là, contre ses pupilles trop profondes. « Tu t'en bas les couilles de tout et de tout le monde. » Triste fatalité, le monde se retourne contre moi. Y a quelque chose d'excitant là-dedans. Se dire que vous pouvez disparaître, sans jamais manquer à qui que ce soit.
C'est presque rassurant.
Finir seul, comme je l'ai toujours voulu.

Je me laisse quelques minutes pour réagir, reprendre un peu de puissance. J'prends même le temps de me baisser et attraper mes lunettes. Je me rapproche d'elle, la démarche un peu mal assurée. Je me plante à moins d'un mètre de son corps, pour affronter son regard, lui offrir la plus mauvaise facette de moi. Mes doigts resserrent la monture entre mes phalanges abîmées. Les battements du cœur ont du doubler. Comme ça, sans prévenir. « Tu m'dois une paire de lunettes. Tu sais combien ça coûte, putain ? » Y a presque un rire, là, caché derrière mes mots superficiels et inutiles. J'trouve rien de mieux que lui parler de fric pour mettre en place un dialogue. J'ai envie qu'elle m'en mette plein la gueule, qu'elle dégueule la douleur de ma lâcheté. Et pourtant, ses paroles résonnent encore en moi, me déstabilisent. Je baisse un instant le regard, cherche le bon timbre de voix, tente d'effacer le cynisme et revient à elle. « Non, sérieusement Waël. » Je sais à l'avance. Je l'sais, oui, que je vais jouer aux cons, détruire le peu d'espoir qu'il reste entre nous. Mais c'est trop tard, putain, les mots, je les dégueule, comme ça, sur un ton plus dégueulasse que jamais, limite fier. Regarde moi donc, Q, regarde moi comme j'suis fier de tout ça. « Tu croyais quoi ? J'allais pas m'emmerder avec une gamine sur le point de crever. T'avais pas besoin de moi pour combattre tes problèmes de santé, non ? La preuve t'es encore là et bien vivante. Alors, tu m'en veux pour quoi, hein ? Pour pas avoir su te tenir la main quand t'étais mal ? Et toi, t'étais là, avant ? Non. Putain. T'étais pas plus là que moi. T'avais juste l'illusion d'être dans ma vie. Mais c'était que de la connerie, tout ça. T'étais bonne qu'à m'offrir des cookies. Mais les cookies, ça suffit plus à un certain moment. On était des gamins Waël et toutes les amitiés finissent par périr. Viens pas me jeter tes chaussures à la gueule pour quelque chose dont je ne suis pas coupable. » J'ai la rage, au fond, dans les veines. La haine de la retrouver si longtemps après. « Tu sais ce qui me fend la poire, là ? C'est de voir comme t'as pas changé. T'as toujours eu besoin d'un public pour te faire plaindre. Alors c'est bon, t'as gagné. Va verser des larmes, elles te les essuieront. Maintenant, tu permets ? J'ai un deuil à essuyer. Si t'as autre chose à dire, la prochaine fois, prends un rendez-vous. » La dernière phrase n'est pas à la recherche d'une pitié quelconque, elle quitte mes lèvres, normalement. Comme pour mettre fin à la discussion, plus rapidement. J'pousse même le vice jusqu'à lui jeter l'une de mes cartes de visite au visage. J'ai du coton dans les jambes et le cœur qui se contorsionne.
Et une fierté, aussi, qui m'oblige à garder le menton relevé.
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Message(#) Sujet: Re: ma petite couturière. (Q.) ma petite couturière. (Q.) EmptyDim 13 Oct - 15:36

Je l’ai senti. Je l’ai beaucoup trop senti son indifférence. Les mots s’envolèrent dans l’air à peine les avais-je prononcés. La colère qui tapissait mon être a laissé place à de la déception. Peut-être même à de la honte. C’était comme une révélation pour moi. J’étais confrontée à une horrible réalité, celle que j’ai toujours refusé d’accepter. On a souvent tendance à me dire que je vis dans mon monde et il a fallu attendre aujourd’hui pour que j’en prenne pleinement conscience. Je n’avais pas honte d’être encore attachée à mon amitié avec Julian, même s’il y a eu beaucoup d’eau qui est passée sous les ponts depuis. Mais faut me comprendre, je n’avais pas fait le deuil de mon frère de cœur. Je suis fille unique et pourtant, je n’ai jamais été seule durant mon enfance. Il y avait Julian et… J’ai stupidement pensé que ce n’était pas qu’une histoire d’enfants tout ça. Qu’il pouvait voir les choses comme moi. Oui, c’était naïf de ma part mais c’est certainement ça qui a fait que je me sois déplacée jusqu’ici, à Toronto. Peut-être que dans le fond, je voulais être certaine que les choses soient définitivement mortes à ces yeux. Je voulais être certaine qu’il sache que la porte n’était pas encore tout à fait fermée. Mais tout ça, c’était vain. Clairement. Et c’est pour ça que je me sentais stupide à hurler devant un cimetière. C’était stupide de ma part de me battre pour une chose définitivement morte.

Du coup, je redoutais un peu le retour de flamme. Je ne pouvais pas affirmer connaitre le Julian d’aujourd’hui mais je sais que quelques années plus tôt, il m’aurait fait ravaler mes paroles avec un non-tact dont lui seul à le secret. Et je n’avais pas la force de le supporter. J’avais assez de mal à respirer. J’avais presque l’impression de courir un marathon tellement mon cœur battait fort et rapidement sous le coup d’une trop vive émotion. Peut-être bien que j’avais un peu peur de m’en prendre plein la tronche aussi. Julian allait forcément appuyer là où ça ferait mal. Forcément. Voilà une énième bonne raison de regretter ma venue ici.

Ça n’a pas manqué. Il ne m’a pas ménagé. Du tout. J’ai du tout encaissé, même les mensonges – ou sa vérité arrangée selon les points de vue. J’ai tout encaissé sans broncher. Je ne me suis pas écrasée pour autant. J’ai supporté son ironie, le ton extrêmement calme et dédaigneux qu’il employa. Son regard, je l’ai soutenu. Mais j’avais l’envie atroce de pleurer et de disparaitre. Retourner à ma vie, à mes petits tracas, à mon boulot. Je voulais être partout ailleurs sauf en face de Julian. Il était en train de me poignarder et de me lyncher en public et il en était fier. Il devait jubiler à l’intérieur de lui. « J’ai remis en place cette pauvre fille. De toute façon, c’est une merde comme les autres » qu’il devait penser. Plus les mots s’enchainèrent, plus je le haïssais. Plus je me haïssais d’avoir souffert pour rien. Il m’accusait de n’avoir rien fait pour lui, jamais, si ce n’est faire des cookies. Seulement j’avais supplié ma mère pour qu’elle adopte Julian – ça c’était quand j’étais toute petite. Et quand on se parlait plus au lycée, je le surveillais quand même, par le biais de telle ou telle personne. Je ne dis pas que ce fut des choses extraordinaires, mais merde, j’étais qu’une gamine. Je ne pouvais rien faire de plus que ça. Et ça me faisait mal qui me renvoie ça en pleine gueule. A croire que le fait que je sois là, dix ans après ces histoires d’enfants, ça ne lui faisait rien. Il pensait quoi au juste ? Que j’étais là pour le plaisir ? Quoi que non, il ne devait même pas prendre la peine de se poser des questions. Réfléchir était quelque chose d’inutile pour Julian. Et ça, ça n’a visiblement pas changé.

Je pensais avoir atteint le summum de l’humiliation entre ma présumée folie, ma culpabilité quant au fait que j’ai osé « vaincre » ma maladie sans lui et que je lui demande de rendre des comptes pour quelque chose qu’il n’a pas fait et mon côté Drama Queen. Mais ça, c’était sans compter sur Julian. Evidemment. Comme pour enfoncer le clou qui venait tout bonnement de me percer le cœur à vif, il trouva très intéressant de me jeter sa carte de visite en pleine figure. Je pouvais supporter son indifférence et sa condescendance envers moi, après tout il était libre de penser ce qu’il voulait de moi, seulement le manque de respect n’est pas vraiment une chose à laquelle j’adhère sans piper mot. A vrai dire, ça m’a fait monter en pression. Je me foutais bien de qui il était à présent. Il venait de mourir à mes yeux. Alors je me suis retournée brusquement avant d’attraper l’une de ses manches afin de l’attirer vers moi et ma main libre vint s’échouer avec force sur sa joue. Un claquement retenti dans l’air et je sentis une vive attention se poser sur nous. C’était comme si la terre vint à s’arrêter à cet instant. Tout était figé autour de nous. Tout et tout le monde. Mais qu’importe. J’aimais me donner en spectacle de toute façon.

« Tu as le droit de penser ce que bon te semble sur ma personne, Novotny. Tout et n’importe quoi, je n’en ai strictement rien à faire. Mais refais un geste du genre et je t’arrache les couilles avec mes dents et je te les fais bouffer, compris ? »

Ma voix était étonnement calme et posée, surtout quand on sait que j’étais un volcan en éruption au fond de moi. Mais je crois qu’en fait, je venais tout bonnement de me résigner. Oui, c’est ça. J’étais résignée. Je capitulais. J’avais passé l’âge de lui courir après, de le supplier pour que monsieur daigne parler un peu. Tout ça n’était plus dans mes habitudes. Il ne voulait plus de moi ? Très bien. C’est lui qui perdait le plus au change et il s’en foutait royalement. Alors je n’avais plus aucune raison de m’accrocher à lui comme un oursin accroché à son rocher. Il venait de m’écœuré en me stigmatisant comme il venait de le faire. Si je n’étais qu’une gamine aux cookies, soit. Mais je voulais quand même conclure cette histoire une bonne fois pour tout, manière d’avoir le dernier mot.

« Et t’en fais pas pour tes lunettes, je connais leur prix. Elles ne valent pas grand-chose. Comme toi. Crachais-je telle une vipère. Mais ne t’en fais pas, je te les rembourserai très vite, Julian. Promis, je ne le ferai pas en cookies. »

Et je commençai à m’en aller puisque j’avais une longue marche en douze centimètres qui m’attendait. Avoir les pieds réduis en miettes serait de toute façon bien moins désagréable que de rester ici, en compagnie d’un connard.
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