u’est-ce que c’est qu’ce… » J’allais me saisir de deux barres de fer pour une sculpture commandée par un client. Dayton, le collègue de mon père m’avait chargé de la faire pour relever un peu le niveau habituel. Au moment où je posais la main sur le matériel, une masse sombre se faufila ailleurs à toute vitesse en traversant l’atelier aussi bien rangé qu’une ville bombardée. Cette fois-ci, j’étais armé de mes barres de fer et je me dirigeais vers le meuble où la "chose" s’était faufilée. Je me penchais et regardais sous l’immense plan de travail. « …Ça a des yeux… » Quatre mots de trop, la créature me fonça dessus « OH PUTAIN ! » Je me reculais à toute vitesse sans me rendre compte des obstacles incalculables autour de moi, je rentrais dans une table et tout ce qu’il y avait dessus s’écroula. Dayton entra dans l’atelier, soupirant fortement, l’animal dans les bras. « Dis-moi, Charlie… Tu as peur des écureuils ? » Je me relevais pour le regarder, des étoiles virevoltaient partout autour de moi. « Je ne pensais pas que les affaires marchaient si mal au point de faire un élevage ! » Je perçu un sourire sur son visage et ce fut le blackout. Dayton n’a pas voulu signaler ma migraine comme étant un accident de travail, il m’avait dit que c’était un accident animal et qu’il n’était donc pas responsable. Non, vous ne rêvez pas, mon employeur a vraiment voulu me prendre pour une chèvre en se justifiant ainsi. Je me demandais souvent s’il n’était pas un peu Roumain ou Gitan sur les bords. J’avais néanmoins presque achevé le travail, il m’avait demandé de rentrer chez moi pour me reposer prétextant que le lendemain allait être mouvementé : le maire nous avait commandé personnellement un portail de plusieurs mètres de long et nous avions peu de temps pour l’achever. Je voyais déjà une bonne douzaine d’heures de travail sans presque aucune pause m’attendre tranquillement sur mon plan de travail à l’atelier dès demain. Mais voilà, qui disait repos, disait détente ! Et suite à une douche rapide chez moi, j’avais décidé d’aller arpenter un peu les rues de la ville. D’accord, je suis un sale menteur : arpenter veut aussi dire aller au bar et ne plus sortir avant la fermeture. A peine avais-je franchis le pas de la porte que mon regard se cala sur une personnalité assez connue de mon entourage. Newton, soit, mon meilleur ami que je n’avais plus revu depuis… mon départ en road trip. Je me mordillais l’intérieur de la lèvre inférieure. « Y’avait comme un relent de vieux tacos dehors alors j’ai vu de la lumière et je suis entré. »
On va pas se mentir White Oak Station c'est une super ville, mais quand on est jeune, c'est pas non plus l'eldorado quoi, parce que bon entre-nous y a rien à faire ici, c'est pas comme-ci c'était Tijuana, ou une plage du Brésil. Non là c'est plutôt bar country, et restaurant miteux. Bon peut-être, je dis bien peut être que j'accentue un peu la chose, il y a bien la discothèque et deux ou trois bars qui sont sympas, mais bon. Toujours est-il le meilleur bar de la ville était un bon vieux pub irlandais, un établissement où dès qu'on rentrait on changeait totalement de continent, et en plus la population de roux, et de leprechauns augmentait en un clin d’œil ! The eagle and child n'était pas encore très fréquenté à cette heure-ci, simplement des vieilles chanteuses de country ridées, et quelques vieux qui passent leurs journées assis devant le bar. Ah et aussi du coup bah y a moi -et je n'entre dans aucune des catégories précédentes.-, l'ambiance du bar allait se métamorphoser dans les quelques prochaines heures c'était sûres, mais pour l'instant ce n'était que moi et ma bière, la plus longue histoire d'amour que j'ai jamais eu ! Soudain une voix -non pas celle de dieu venu m'apporter la lumière divine-, et je manquai de me casser la gueule de mon vieux tabouret. Je me retournais et aperçu, Charlie, le meilleur de tous, mon meilleur ami, et franchement à cet instant je lui aurais bien sauter dans les bras, mais le problème c'est que j'aurais bien aussi voulu lui foutre mon poing dans la tronche. Bah ouais quand même c'était le meilleur de tous, mais en même temps cet adorable abruti s'était barré faire le tour du monde sans moi. Bon après j'pouvais pas non plus lui en vouloir, j'avais fait la même chose quelques années auparavant, et on en avait pas fait tout une histoire. Bref je me levai afin de reprendre mon équilibre, et éviter de m'étaler à même le sol, sans avoir bu une goutte. « putain mec, t'as grandi, t'arriveras peut être à me rattraper un jour. » Ces Irlandais ils sont intelligents n'empêchent, rien besoin de demander, et une bière est déjà posée, on pouvait que boire maintenant, c'était inévitable, dommage, hein. « Alors tu reviens d'où? » , j'savais pas quoi dire d'autres, même mes vannes pourries avaient l'air de se faire la malle.
i tu me parles du quotient intellectuel, j’suis pas certain d’avoir beaucoup de choses à rattraper ! » Un sourire forcé, cette grimace habituelle que j’avais l’habitude d’afficher lorsque je n’étais pas sérieux ou aussi lorsque je cherchais la bagarre…amicalement, soyons précis ! Je ne m’étais pas encore assis aux côtés de Newton qu’une pinte avait déjà élue domicile à côté de celle de mon ami. A croire que le barman lisait dans mes pensées ou qu’il n’avait pas oublié mes divers états euphoriques de jadis. « Je reviens de vingt-sept Etats Américains, très exactement. D’un road trip des US qui s’est organisé tout seul. Au moment où j’ai quitté White Oak, le conducteur de la voiture qui m’a pris en stop a suivi le même délire que moi, du coup on est resté ensemble pendant un an à écumer diverses villes et humeurs. » Je me souvenais que la dernière fois que j’avais vu Newton, c’était pendant ses heures de travail. J’étais extrêmement perturbé par ce qu’il venait de m’arriver –c’était d’ailleurs cette perturbation qui m’avait donné l’idée folle de quitter la ville au triple galop- et mise à part lui répéter sans cesse « Mec, faut que je me casse, ici ça ne va plus. Faut que je me tire vite, genre demain maxi », je n’avais pas été capable de lui expliquer la véritable raison de mon au revoir. D’accord, j’avais aussi pris la fuite assez rapidement parce qu’il était armé d’un tacos et je le connais si bien qu’il aurait été capable de me le mettre dans la gueule sans trop réfléchir. « Maintenant que je me suis remis de mes émotions, je pense que je te dois des explications. » Première grosse lampée de bière. Ouais, j’avais vraiment honte de lui dire ce que j’avais fait, je ne savais absolument pas comment il allait réagir. Si c’est façon Morgan, ça ira. Sinon, j’aurais qu’à bien m’accrocher. « Deux Bloody Mary, s’teu’plait. » Le barman me lança un coup d’œil mais ne broncha pas alors qu’il essuyait des verres. Il avait cet espèce de regard super aimable qui voulait véritablement dire « Toi, mon gars, si tu finis encore dans tes vieux états, j’peux te dire que tu vas rapidement te rappeler de la sortie et de la difficulté de s’asseoir pendant une semaine. » C’est vrai qu’oublier le duo Newton-Charlie, ce n’était pas facile. Mais qu’allait-il en être du nouveau duo Newton-Simon ?
On s'ressemblait quand même pas mal avec Charlie, des envies de grandeurs, d'escapades et de se tirer de nos vies ennuyeuses, j'pouvais pas lui reprocher de s'être tiré de White Oak Station comme ça, j'avais fais la même chose en plus. Toujours est-il, il aurait pu me jeter dans un sac et m'emmener hein. Ah ouais non, j'vendais des tacos, et j'étais trop occupé à reluquer la glacière en face, on m'changera pas. Nos pinte se vidaient petit à petit, au fur et à mesure de nos échanges, de vrais meufs quand on s'y mettait, quoi que là, j'aurais préféré parler voyages et beaux temps. Bref, ça m'tracassait ce que mon meilleur ami voulait me dire quoi ; aussi loin que je me souvenais on s'était toujours tout dis, de nos emmerdes avec les flics jusqu'à la dernière barquette de frites achetées. « Allez Morris, déballe ce que t'as à dire, j'suis ton pote quand même, merde. » Je finis ma bière d'une traite, la première d'une longue ligné, si l'on en croyait nos nombreuses soirées passées ici. En fait, à quelques détails près -les sourires, et les conneries par exemple-, on pourrait même se retrouver quelques années en arrière. Charlie, moi et nos meilleures accompagnatrices : nos fausses cartes d'identités, c'était un peu notre habitude, dire à nos parents qu'on allait chez l'autre, et pof on finissait toujours dans les bars de WOS -souvent les plus miteux-. De vrais délinquants j'vous dis, ouais ou pas. On finissait juste la plupart du temps allongés par terre, à ne plus se souvenirs de nos faux noms marqués sur nos fausses cartes, pour finalement se faire traîner jusqu'à la sortie par un videur. Ouais les sorties de bars ça nous connaissait, on les avait toutes faites : allongées à se faire tirer sur le sol, à coups de pieds au cul, sous menace de la vieille carabine de chasse au caribou, à coup de tongs.. Et la liste était longue, ouais avec Charlie on avait tout partagé, et cette situation de 'sourires forcés, fausses blagues et gêne qui s'installe', c'était vraiment pas nous (bon dis comme ça, ça fait un peu vieux couple quand même, mais bon hein). « Même si t'as tué quelqu'un gars j't'aiderais à l'enterrer au fond du jardin, ou le fouttra dans les tacos, alors raconte. », un sourire en coin, tentative inespérée de détendre l'atmosphère, Charlie avait l'air de galérer à vouloir parler, s'il a juste écraser un chat, ou s'est juste tapé un travesti, j'crois que je le tue, rien que parce qu'il osait pas le dire.
vec Newton c’était simple, il ne fallait absolument pas lui dire qu’on vous avait confié un secret et qu’il vous est impossible de lui dire sans trahir votre confident du moment, parce que le jeune homme avait tendance à vous faire cracher le morceau bien avant que vous n’ayez conscience d’être une sale balance en qui personne ne peut avoir confiance. Maintenant que j’avais passé la première marche, il fallait que je passe la deuxième, il m’en restait deux avant d’atteindre la porte qui me mènera soit vers la perte de mon meilleur ami, soit en justice parce que le bar aura été mis sur écoute spécialement pour nous (avec de telles appréhensions, j’avais l’impression d’être atteint de paranoïa ou plus faible que je ne l’aurais imaginé sous l’emprise de l’alcool). « Selon toi, est-ce que je dois me tenir à distance pour t’entendre me gueuler dessus de loin, ou est-ce que je devrais me cacher dans les toilettes et t’appeler depuis ma cabine verrouillée ? » Je tapotais mes dix doigts sur le comptoir du bar, inclinant et redressant sans cesse mes pieds appuyés sur la barre du grand tabouret sur lequel j’étais assis. Newton me regardait avec cet air mi- menaçant, mi- grotesque qui voulait dire "accouche ou je lance mon attaque hydrocanons." « Bon ok. » Je prenais une grande inspiration, buvait le shooter de Newton sans lui laisser son mot à dire. « La veille de mon départ en road trip, juste avant que je vienne te retrouver dans ton coin de graisse plein de tacos… » Je baissais le son de ma voix. « J’ai… euhm… Couché avec Rowan. » Instant de tapotage de doigts intensifs sur le comptoir. Je croyais même trembler. J’aurais aimé avoir tué quelqu’un, ça aurait été moins scandaleux que de coucher avec sa sœur par adoption. Non ? Bon, ce n’était pas comparable, mais tout de même ! J’avais envie de sauter de ma chaise et de gesticuler dans tous les sens, j’avais vraiment trop honte. « Et promets-moi de garder ça pour toi parce que la honte pourrait être un cavalier de l’apocalypse, je la sens bien passer là ! Genre, juste derrière moi. ». Je soupirais en m’étirant, jetant tout de même un regard derrière. « Ça fait du bien ! … De s’être donné aux révélations. » Eh oui, pas de coucher avec sa soeur. La suite de l’addition n’était constituée que de doubles alcool (comme un double cheese, mais sans cheese), pinte et shooters pour se nettoyer l’œsophage. Je tournais un regard de phoque triste en direction de Newton. « A l’ancienne, je serais capable de chasser les fantômes dans ce bar, passé vingt-trois heures, quand les gens viendront remplir l’endroit. » Je m’étais assuré que le barman était rendu dans l’arrière-boutique pour sortir cette réplique sans rapport avec le contenu de mes ennuis passés. Chasser les fantômes dans le Eagle avait déjà eu une première partie quelques années auparavant. Au final, on avait fini tricards pendant deux mois.
« Tu ferais mieux simplement mieux de l’ouvrir plutôt que de fuir, ou sinon t’auras de quoi courir ! » , trop de rimes, dans une même phrase, ça en devient même lourd. Je regardai mon meilleur ami, il savait pas comment s’y prendre, et moi je savais pas quoi à m’attendre, en fait avec Charlie on pouvait s’attendre à tout et là j’avais vraiment peur qu’il commence à me dire qu’il voulait aller élever des pingouins en Nouvelle-Zélande pour pouvoir rester en slip toute l’année. Charlie bu mon verre, est d’un geste rapide, voir même furtif, le barman en remis deux et s’éclipsa, il avait compris que valait mieux s’éloigner un peu, et aussi il se soulageait les oreilles parce que bon écouter nos conneries ça pouvait être chiant, pour les plus de cinquante ans. Il me faisait peur le ‘petit’ là, je l’avais jamais sentis aussi nerveux, et c’était contagieux, j’avais l’impression d’être une boule de nerf, ou dans d’autres termes, d’être tendu du string, fin bon. Il bougea nerveusement, et commença à parler, ça n’avait pas l’air scandaleux jusqu’à ce qu’il baisse la voix, pour être sûr que ça ne s’entende pas. A tout, à tout, j’aurais vraiment pu m’attendre à tout avec lui, mais ça, jamais je l’aurais imaginé, je me laissai le temps d’intégrer, j’dirais bien aussi de réfléchir, mais je crois que dans ces moments on réfléchit pas. Alors avant de dire n’importe quoi, je pris mon verre, le descendu d’un trait, fis de même avec celui de Charlie, allait un par tout. Bref clignements d’yeux intense, et je dis d’une voix plutôt forte avant de me raviser. « BORDEL DE MERDE » , coup d’œil de la vieille du fond, je baissai la voix pour que notre conversation ne s’ébruite pas.« Mec, t’as pas géré, quand même, c’est ta sœur quoi, même si c’est d’adoption. » Je respirai, c’était pas son genre en plus, ok, ils étaient proches avec sa sœur mais je pensais pas à ce point là, quoi que lui non plus à la base pensait sûrement pas qu’il était si proche. « Et gars, t’inquiète, j’suis une tombe tu me connais, j’en parlerais même pas à mes tacos ! » Un sourire perça sur mon visage, ça faisait du bien quand même, que tout soit à plat, ok c’était bizarre, et j’approuvai pas ce qu’il avait fait, mais c’était mon meilleur pote, celui qui avait toujours été là, mais quand il a fallu enlever mon appareil dentaire à huit ans, toujours à mes côtés, alors j’allais pas le laisser tomber pour ça. L’alcool commençait à couler (mais attention, on en perdait pas une miette non mais oh.), l’addition s’allongeait, j’espérais pour le barman qu’il avait beaucoup de papiers pour noter, et une calculatrice pour faire le total, lorsqu’on aurait –ou que lui aurait décidé- que la soirée était terminée. « Bon allez mec, c’pas le moment pour philosopher dessus, je te propose de faire ce qu’on fait le mieux : la fête, et on en reparlera sobrement. » J’accompagnai mes paroles, en lui posant devant lui des shots de tequila.
a réaction de Newton fut tellement brutale –aussi brutale que ce à quoi je m’attendais, en réalité – que je manquais de me casser la gueule avec mon tabouret en sursautant. « Pas si fort, espèce d’animal ! » Je tapotais de nouveau des doigts sur le comptoir. « Je savais que j’aurais dû me raviser et te parler d’un élevage de pingouins en Nouvelle-Zélande qui recrute actuellement. » Petit regard furtif dans la direction de mon meilleur ami qui paraissait encore déconcerté face à mes réactions idiotes. « Je sais. Mais tu étais déjà au courant de cette attirance super bizarre. Elle a pété un câble un soir et dans les minutes qui ont suivi on… Bref, le lendemain je me suis tiré. Ça date en tous cas et je peux te dire que malgré ça, j’ai encore du mal à la regarder dans les yeux. » Je reprenais mon souffle, un nouveau silence s’était installé, je rejetais un nouveau regard furtif vers Newton. « Bon d’accord, je ne l’ai pas encore revue. Je l’évite. Je dors chez le mec qui m’a conduit pendant un an, actuellement. » C’est alors que les sous-entendus de mon vendeur de tacos préféré en ce qui concernait une vaste cuite à venir survint à travers le silence comme l’apparition du saint Graal. « ‘Clair, on se la colle de suite. De un, parce que j’en ai grand besoin et de deux, parce que on s’en doit une depuis le temps. » Et c’est ainsi que je vidais le shooter fraîchement payé d’une seule traite sans secouer la tête comme j’en avais l’habitude lorsque l’alcool salua gaiement mon œsophage. « Et toi sinon, raconte-moi un peu ce que tu as foutu pendant mon absence. Une meuf ? Des bêtises ? Un Charlie-bis ? J’espère que t’as pas vendu des tacos pendant une année complète, sinon je t’envoie en stage chez les Inuits si t’as réellement envie de te faire chier constamment ! » En effet, j’espérais ne pas avoir été le seul à avoir vécu des choses tous les jours pendant un an. « Et quitte à oublier le problème Rowan, je dois t’avouer que je me suis quand même casé quand je suis parti. Ha et, je le suis encore. » Je lui envoyais un battement de cils et un coup de coude. « Si j’ai réussi, t’as forcément pu le faire aussi. Raconte-toi à tonton Simon. Oui parce que, Charlie c’est du passé. Mon conducteur m’a surnommé Simon juste parce que ça lui était passé par la tête. » Petit instant de réflexion avant de poursuivre. « Tu m’as manqué, bro. La prochaine fois, on se tire ensemble. »