Cinq mois. Cinq mois que tu avais travaillé sans répit, sans vacances. Tu avais eu des week-ends, et encore. Lorsque Robert était de bonne humeur. Il te faisait travailler le plus possible, dans la limite du légal. Jamais plus de douze heures d'affilée, ni de six jours consécutifs. Tu n'avais jamais vraiment osé demandé de jours de congés, d'une part parce que tu n'en avais pas réellement besoin, et d'autre part parce que tu avais affreusement peur qu'il te vire tout simplement. Il n'avait pas de raison de le faire, mais on ne savait jamais avec lui. Mais là, avec un bon sourire de papa poule, il t'avait presque obligé à prendre deux semaines de congé. Payées, en plus de ça. Génial. Tu comptais partir en voyage, peut-être avec Joey et Charlie. Tu n'en étais pas encore sûr, rien n'était planifié, mais elles rêvaient d'aller visiter le monde et toi, tu t'étais gentiment dévoué pour les accompagner et les guider. Tu connaissais le globe terrestre comme ta poche, après tout.

En ce premier jour de vacances bien mérité, tu avais donc décidé d'aller faire un tour à la piscine. Te rafraîchir un peu, bronzer aussi peut-être. Tu étais venu seul. Tu savais très bien qu'à peine cinq minutes après ton arrivée, tu trouverais de la compagnie. Un ami, une ancienne petite copine, ou une fille qui te trouves trop mignon, ça te dirai d'aller manger une glace ? Généralement, vous finissiez par vous embrasser dans une cabine d'essayage, et si elle était plutôt douée et pas trop coincée, l'histoire se finissait dans son lit, ou le tien. Avec toutes les filles que tu t'étais tapées, on aurait pu croire que tu avais fait le tour de celles de White Oak Station, mais pourtant, il y en avoir toujours des paquets que tu n'avais jamais vu.

Pour ton plus grand bonheur, il reste un transat de libre. Parfait. Tu installes ta serviette, et t'allonges, les doigts de pieds en éventail. Une tête rousse apparaît, repars. Dommage pour toi cocotte, j'étais là avant. Deux minutes plus tard, tu te retournes, la cherche des yeux. Mignon petit cul. Tu penses à Aubree, la chasse de ton esprit, et te lèves retrouver la jeune femme à la chevelure de feu. « Hé, salut toi. » Elle redresse la tête. « Oh, c'est toi. Enfin oui, bien sûr que c'est toi. » Décidément, à croire que tu as un faible pour les rousses. Tu avais, quelques jours plus tôt, pris la fille devant toi pour une ancienne petite amie. Et aujourd'hui, tu pensais que la rousse aux fesses rebondies serait ta compagne du reste de la journée. C'était sans compter le fait que, la rousse en question, tu la connaissais à présent. Tu lui souris, et t'assois en tailleur devant elle. « Alors, ça va comment depuis l'autre jour... Sasha ? »

La rousse relève la tête et te renvoie la question. Ça va aussi, merci, tu lâches, un peu refroidit. La fille ne se rappelle même plus de ton prénom, alors que vous aviez parlé dix bonnes minutes la dernière fois, dans le parc. Sasha t'avais paru sympathique, même si elle n'était pas celle que tu pensais. On t'avais plusieurs fois reproché de ne pas te rappeler du prénom des filles avec qui tu couchais, alors qu'au moins, tu avais l'excuse d'être saoul et de n'échanger que quelques bribes de paroles insignifiantes avec tes compagnes de soirées. La fille allongée devant toi ne pouvait pas en dire autant. Tu hausses les sourcils et lance, mauvais Ouais c'est ça. Tobias. T'as la mémoire courte. Tu n'avais même plus envie de lui parler. Autant rester seul sur ton transat, une autre, certainement mieux foutue et plus agréable viendrait te parler naturellement.

Tu comprenais que la plupart des filles, quand tu faisais mine d'être vexé et de rebrousser chemin, accourait et te prenait dans ses bras pour se faire pardonner. C'était visiblement ce que tu attendais à chaque fois, et le but d'ailleurs de cette petite manigance innocente. Mais tu ne comprenais pas que, pour une fois que tu étais vraiment vexé, et que tu comptais réellement rebrousser chemin, la fille ne se taise pas. Dans un cas comme celui-là, tu n'attendais pas d'excuses. Ecoute, c'est pas mon problème. Tu continuais d'être sec. Tu n'avais pas apprécié que Sasha ne se rappelle pas de toi, qui, quand même, ne passait pas aperçu, et tu ne te privais pas de lui signifier. Tu avais déjà fais quelques pas pour t'éloigner, quand elle posa une question qui t'étira un sourire. La rousse n'était peut-être pas aussi désagréable qu'elle en avait l'air, en fin de compte. Tu essayas de mettre ta rancune de côté, et lâchas Aller faire quelques longueurs avec moi, peut-être ?

La rousse te dépasse et plonge d'un coup, dans l'eau fraîche de la piscine. Tu la rejoins, saute d'une façon que beaucoup de filles trouverait sexy, et qui est en réalité des plus médiocres. Sasha nage à ta rencontre, et tu souris faiblement. Tu ne sais pas si c'était une très bonne idée de l'accoster, finalement. Tu ne sais pas trop quoi lui dire. Tu finis par lancer Ça va, tu me remets dans le tableau ? Un peu cynique, cependant. Elle n'avait qu'à pas oublier ton prénom. On n'oublie jamais, ton prénom.

Tu ne connais pas plus que ça la fille devant toi, et votre maigre discussion devient juste gênante. Tu n'as absolument aucune idée de quoi lui parler ; tu ne connais pas ses goûts, ses habitudes, son entourage, tu ne connais rien de sa vie sur quoi rebondir. En règle générale, tu n'as aucun mal à détendre l'atmosphère, à trouver des sujets de conversation, que ce soit avec une fille ou un garçon. Mais Sasha te rend mal à l'aise - cela vient peut-être de la façon dont vous vous étiez rencontrés. L'excitation d'avoir reconnu une de tes nombreuses compagnes de soirée, puis la déception de voir que ce n'était pas le cas, finalement. La question de la jeune femme te sort de tes pensées, et tu réponds, las. Oui, ça m'arrives de temps en temps. Tu ne développes pas trop - tu pourrais. Mais tu ne te sens pas d'épiloguer avec elle. Tu te contentes simplement de lui retourner la question. Et toi ? Tu attends sa réponse, hoche la tête, et t'élances dans l'eau, t'apprêtant à faire des longueurs.