He's not the messiah. He's a very naughty boy.
« T’as perdu, Lu’, c’est toi qui t’y colle. » Pourquoi s’obstiner à me faire remarquer l’évidence ? Je perdais toujours, de toute façon. La courte paille, c’était toujours pour ma gueule. La chance semblait m’éviter comme la peste. Et ce, même quand mon pied gauche marchait accidentellement dans une merde de chien. Sachant que la poisse et moi, on était comme cul et chemise, je savais même pas pourquoi j’avais accepté de participer à leurs plans foireux. Pour leur montrer ce que mon jeune âge n’était pas un obstacle, sans doute. C’était tout moi, ça. Je me serais jeté dans la gueule du loup en m’assaisonnant au préalable si ça m’avait permis d’obtenir l’estime de mes camarades plus vieux que moi. Je n’étais pas obligé de le faire, il n’y avait aucun enjeu mais pourtant, je répondais présent. Kazran avait eu l’infortune de tomber sur un propriétaire véreux qui n’acceptait aucun retard de loyer. L’argent était sa religion, et contrairement aux chrétiens, il ne s’accordait pas de jour de repos. Résultat des courses, ce bailleur s’était permis une petite virée dans l’appartement de mon pote pour prendre sa télé en otage. Sauf que Kazran n’avait pas le portefeuille assez renflé pour payer la demande de rançon. Ma mission de ce soir était donc de récupérer son bien sans faire de vague. Heureusement pour moi, le système d’alarme avait l’air relativement simple. Dans le pire des cas, je n’aurais qu’à montrer que j’étais digne de mon titre de champion d’athlétisme.
« Compte pas sur nous pour te sortir de ton merdier si tu te fais choper. Balance nos noms et t’as plus de langue, petit. » C’est sur ces paroles encourageantes que mes compagnons m’avaient largué sur le seuil de la maison à cambrioler. Comme prévu, je n’avais éprouvé aucune difficulté à m’immiscer à l’intérieur du domicile. Faut dire qu’ouvrir une porte de l’intérieur en passant son bras par une chatière était à la porte de n’importe qui. Un vrai jeu d’enfant. C’était hallucinant cette manie qu’avaient les gens de penser que le simple fait d’habiter un quartier tranquille les mettait hors d’atteinte du danger. Quoi, parce que leur pelouse était bien entretenue, les emmerdes ne frapperaient jamais à leur porte ? Ridicule. Je me rappelle m’être engouffré dans leur salon. Ca puait tellement le pognon que j’avais dû froncer les narines. Note à moi-même : devenir logeur et détrousser ses locataires permettaient de mener une vie luxueuse et confortable. La première chose qui avait accroché mon regard n’était pas l’écran plat que j’étais supposé récupérer. Non, c’était les flammes d’abord timides d’un feu de cheminée qui finirent par montrer de l’assurance. J’aurais pu passer des journées entières à regarder le papier journal se recroqueviller sur lui-même avant de céder sa place aux cendres. C’est presque tout naturellement que j’avais sorti mon paquet d’allumette de ma poche pour en allumer une et la jeter au sol. La pièce n’avait pas tardé à se transformer en véritable four. Et moi, je me tenais au milieu de ce brasier, riant aux éclats. Je me sentais l’âme d’un Néron qui regarde son empire brûler d’une colline. A la différence que moi, je me trouvais au cœur de l’incendie. C’était à peine si j’osais cligner des yeux par peur de manquer un bout de ce spectacle d’une beauté destructrice. J’y fus néanmoins contraint, quand mes poumons décidèrent d’abandonner la bataille acharnée qu’ils menaient contre le dioxyde de carbone contenu dans la fumée que j’inhalais.
Well, call the assassin : the orgasm, a spasm of love and rage.
« Heureusement, il n’y a pas eu mort d’homme. Les habitants ont pu être évacués à temps grâce à l’intervention rapide des pompiers, ce qui allège considérablement les charges retenues contre toi. Faudra quand même que tu me dises ce qu’il t’est passé par la tête, gamin. » Je ne répondis rien. Cela faisait des heures que ces officiers me faisaient mariner en salle d’interrogatoire, des heures qu’il se heurtait à un bloc de glace. Je restais fermé comme une huitre. Je n’étais qu’une affaire à leurs yeux. Un dossier parmi tant d’autres. Je n’avais aucune précision supplémentaire à leur apporter. J’avais merdé, c’était tout ce qu’il y avait à savoir. Rien de tout ça n’était prémédité. Alors que j’étais occupé à regarder mes geôliers dans le blanc des yeux, enfermé dans ma cage de silence, mon avocat fit son entrée en scène. Mon attention fut directement retenue par ce qui semblait être son stagiaire. Il apportait un peu de jeunesse à cette pièce dont la moyenne d’âge dépassait largement la barre des cinquante ans. Son visage était un plaisir pour les yeux. Ses traits n’étaient pas aussi tirés que ceux de ses collègues. Il n’avait pas encore été plongé dans les arcanes de la justice. Il n’était pas encore détruit par des années de carrière dévouées à défendre les criminels ayant commis d’innommables atrocités. Du début de la séance jusqu’à ce qu’elle soit levée, je ne l’avais pas lâché du regard. Mon cœur avait failli cesser de battre lorsqu’il était venu me voir en privé, pendant que son boss se mettaient d’accord sur la meilleure chose à faire à l’extérieur de la pièce, là où je ne pouvais les entendre. J’étais persuadé qu’ils l’avaient envoyé pour me mettre en confiance et franchement, ils n’auraient pas pu choisir meilleur plan d’attaque. Je lui dirais tout ce qu’il voulait savoir si ça pouvait permettre de me rincer l’œil un peu plus longtemps. A ma grande surprise, il m’avait tendu sa carte de visite. L’incompréhension me submergea.
« Rejoins-moi demain à cette adresse, j'ai besoin de toi pour approfondir certaines choses. Sois pas en retard où je te laisse dans ta merde. C'est compris ? » Je m’étais contenté d’opiner du chef pour lui faire comprendre que je répondrais au rendez-vous. J’étais juste incapable de parler. Comme si quelqu’un avait fait un nœud dans mes cordes vocales.
Le temps ne m’avait jamais semblé aussi long que ce jour-là. J’avais passé des heures devant le miroir au saut du lit. J’avais l’impression qu’aucune fringue n’était à la hauteur de cette entrevue. J’avais finalement opté pour la chemise et le traditionnel nœud papier. J’avais l’air d’un vieux nerd vêtu de la sorte, mais c’était ce que j’avais de mieux. J’étais débarqué chez lui les mains dans les poches. J’avais mal aux épaules tellement celles-ci étaient tendues. J’voyais pas ce qui pouvait mal se passer mais pourtant, je m’imaginais les pires scénarios. Mes fesses s’étaient posées sur le bord de son canapé, comme si j’avais peur de m’installer confortablement. Sans même qu’il ne me donne son feu vert, je lui avais raconté toute l’histoire. Etrangement, il ne prenait pas de notes. J’aurais même juré le voir baillé une fois ou deux lors de mon récit.
« … Vous pensez que c’est important ? » C’était la question qui revenait le plus souvent, quand je butais sur un détail. La plupart du temps, il hochait simplement la tête. Son attitude laissait supposer qu’il n’en avait absolument rien à foutre. Il avait probablement dû entendre cette histoire, sortant de plusieurs bouches différentes, remaniée en fonction de son interlocuteur. Si j’avais pas été persuadé qu’un délinquant juvénile comme moi n’était pas susceptible d’intéresser un mec de sa trempe, j’aurais pu croire qu’il me déshabillait du regard. A plusieurs reprises, il m’avait semblé voir ses yeux lorgner ma poitrine que ma chemise entrouverte laissait apercevoir.
« Est-ce que je vais aller en prison ? » Prison. Ces six lettes suffirent à faire monter la panique. Mes doigts allèrent jusqu’à lâcher mon verre sous l’effet de la pression. Confus, je m’abaissai pour ramasser les débris, me confondant en excuses auprès de Julian.
« Tu parles trop. » Julian se glissa alors derrière moi. Son sexe en érection contre mon dos avait suffi à balayer le chaos de mon âme. Pendant un instant, je réfléchis aux conséquences que cela pourrait avoir par la suite, et la minute d’après, je me retrouvais couché sur le ventre, le cul à l’air. Il allait pas tarder à passer à la vitesse supérieure. J’hésitais à lui préciser qu’il allait passer par un chemin inexploré. Ouais, j’avais eu plusieurs mecs par le passé, mais jamais ça n’avait été jusque-là. Généralement, je tombais sur des lopettes qui refusaient de coucher avant le mariage, même en sachant pertinemment bien que Dieu en avait rien à foutre que des connasses de pédales dans leur genre se préservent ou pas.
« Je préférerais vous faire face. Si ça vous dérange pas. » Je voulais pas passer pour le mec chiant, mais j’avais pas envie de me faire un torticolis à force de vouloir regarder tout ce qu’il faisait par-dessus mon épaule. J’étais un peu comme un vieux canasson de ce côté-là. Si on passait trop près de ma croupe sans prendre la peine de prévenir, je menaçais de ruer dans les brancards. Sans même attendre sa réponse, je m’étais laissé rouler sur le dos. Je savais plus ou moins comment ça allait se passer. Les pornos, ça aidait, quoiqu’on en dise. Je l’avais aidé à mettre un bonnet à son grand chauve au col roulé avant de spontanément poser mes jambes sur ses épaules, comme si j’avais été programmé pour me faire prendre en cette belle soirée de mars. Le premier coup de rein fut le plus dur à encaisser. Parce que c’était douloureux. Et froid. J’avais la désagréable sensation de me faire violer par un Mr. Freeze géant. Les joies du lubrifiant. Mais comme pour tout, on s’y habitue. Je gémissais comme la digne pucelle que j’étais. Dès qu’il ralentissait le rythme, j’augmentais le nombre de décibels. J’en redemandais toujours plus. Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin. Ce n'est qu'au moment de me laisser choir à ses côtés que je m'etais rendu compte que je m'etais ejaculé dessus, ce qui trahissait mon cruel manque d'experience et de controle de mon corp.Quand ma respiration avait finalement retrouvé une cadence normale, je m’étais redressé avant de reprendre mon récit là où je l’avais abandonné, comme s’il ne s’était jamais rien passé.
Would you stand by me or bury me ?
« Où est-ce qu’on va ? » Je n’obtins pas de réponse. Julian était trop occupé à regarder la route pour se préoccuper de ma question. Mais merde quoi, tout ce qu’on risquait de croiser sur ce vieux chemin de campagne, c’était un tracteur en excès de vitesse, c’était pas une seconde d’inattention qui allait nous tuer.
« Julian ? » Ca ne faisait que peu de temps que je m’autorisais à l’appeler par son prénom, même si je n’étais toujours pas parvenu à le tutoyer. J’avais pas tenu à prendre cette mauvaise habitude. Cette familiarité qui s’était installée entre lui et moi aurait plus que probablement sonné faux aux oreilles de son supérieur. Agacé par son indifférence, je soupirai. Pour une raison ou pour une autre, Julian était décidé à ne pas m’adresser la parole de tout le voyage. Très bien. Il s’avérait que moi aussi, j’étais doué à ce petit jeu. Je lui tournai donc le dos, préférant de loin admirer le paysage que sa gueule de pince-sans-rire. Bercé par le ronronnement du moteur, j’avais fini par m’endormir comme un bébé. Le réveil fut violent. La graine d’avocat avait freiné si brusquement que j’avais été à deux doigts de me manger le tableau de bord.
« C’est quoi votre problème, au juste ? » Je n’avais pas pu retenir cette phrase emplie de haine. La vérité, c’est que je supportais pas de le voir comme ça. J’avais l’impression d’avoir fait quelque chose de mal. D’un geste de la main, Julian me désigna le nom de l’institution devant laquelle nous nous étions arrêtés. Mon cœur loupa un battement. L’asile.
« Sors de la voiture, Lupka. » Mon regard s’ancra dans le sien, le défiant de se répéter en me regardant dans les yeux cette fois.
« Me regarde pas comme ça, j’y suis pour rien. Ca va bien se passer. Allez. » S’il comptait sur moi pour lui faire des adieux larmoyants, il pouvait se les mettre bien profond. J’avais choisi d’économiser mes mots, tout comme lui. C’est dans un silence de mort que j’avais quitté le cocon sécurisant de sa bagnole de richou pour m’engouffrer dans les entrailles de l’enfer. Et si mes mains ne tremblaient pas, c'était uniquement parce que Julian m'avait assuré que tout irait bien. C'est vrai, après tout, j'avais un avocat à ma botte. Il allait me sortir de là. J'aurais même pas le temps de défaire mes bagages que je serais déjà dehors. Ouais, c'était ça. Les choses ne pouvaient pas aller en empirant, de toute façon.
« Ca sert à rien de l’attendre, il reviendra pas. T’as bien failli être sa dernière affaire, il va pas prendre le risque de remettre les pieds ici. » Mes yeux fusillèrent le pion du regard. De quoi il se mêlait, au juste ? On était dans un pays libre, je faisais encore ce que je voulais. De plus, il connaissait absolument rien de Julian. De quel droit il se permettait de faire des déductions hâtives à son sujet ? Je grinçai des dents. Et s’il avait raison ? Ca faisait des semaines maintenant que Julian n’avait plus pointé le bout de son nez. Chaque jour, à l’heure des visites, je me postais devant le portail, réglé comme une horloge. Généralement, quand il prenait le temps de passer, il venait entre son rendez-vous de midi et de quatorze heures. J’aurais pu passer le peu de temps qu’on passait ensemble à me plaindre de la bouffe et des conditions de vie déplorables, mais au lieu de ça, je me collais à lui à un tel point qu’on aurait pu nous prendre pour des frères siamois. Je m’accrochais à ses fringues comme s’il allait se volatiliser entre mes doigts. J’évitais de penser au moment où j’allais devoir le laisser partir. Revivre l’abandon à chaque fois, c’était ça le plus dur. Surtout que Julian, c’était un peu mon seul point de repère. Mes proches m’avaient radié du cercle familial à l’instant même où j’avais été diagnostiqué instable. Pas une seule fois ils ne m’avaient fait honneur de leur présence. Ils étaient morts et enterrés pour moi. Je n’avais plus de famille. Mon attention se reporta sur le gardien. Faute de pouvoir déverser ma frustration sur le réel coupable, j’allais devoir me contenter de ce gros tas de graisse payé à ne rien foutre de sa vie.
« C’est pas comme si j’en avais encore quelque chose à foutre de sa gueule. Y a que sa queue qui m’intéresse. » C'est ça Lupka, voile toi la face. Dis toi que l'attirance que tu ressens envers ce mec depuis que ton regard a croisé le sien dans cette salle d'interrogatoire est uniquement à caractère sexuelle. C'est tellement plus facile. Sidéré, Roger de son petit nom papillonna des cils, feignant avoir mal compris. J’avais presque envie de lui proposer un coton-tige histoire qu’il se débouche les oreilles.
« Et vous savez pourquoi ? Parce que je suis qu’un putain de gay en manque de testostérone. »Le soir même, je m’étais retrouvé fermement ficelé à une table d’opération, des électrodes scotchées aux tempes. Visiblement, le fait que j’assumais entièrement mon attirance pour les hommes était resté en travers de l’estomac de ces grenouilles de bénitier. Je ne savais pas qu’au 21ème siècle, l’homosexualité était toujours considérée comme maladie. Je n’eus pas le temps de me lancer dans un débat philosophique avec moi-même que déjà, le psychiatre m’envoya la première décharge. Mes dents se resserrèrent sur la serviette qu’on m’avait enfoncée dans la bouche pour éviter que je me blesse tandis que mon dos se cambra violemment. Le jus n’était pas assez puissant pour me faire oublier ces souvenirs qui faisaient partie de moi. Ils n’avaient pas l’intention de me rendre amnésique. Je n’y croyais pas une seule seconde. Leur seul but était de me dégouter des hommes en faisant en sorte que j’assimile les électrochocs à mon amour des bites. Leur tentative avait été un échec cuisant. Si seulement ils savaient qu’ils venaient de m’offrir mon ticket de sortie. Si j’avais bien compris, il me suffisait d’agir comme un parfait petit hétéro pour pouvoir quitter cet endroit. C’était dans mes cordes. J’avais juste à cesser d’attendre le prince charmant. Me faire à l’idée que son cheval avait dû se casser la jambe en chemin. Pour accélérer ma libération, j’avais réussi à me procurer un magazine porno et quelques pilules de viagra. Comme quoi avec de l’argent, même en hôpital psychiatrique, il est possible d’obtenir n’importe quoi. Après avoir avalé quelques un de ces médicaments miracles, je m’étais retrouvé avec une trique d’enfer. J’aurais pu soulever des haltères avec la seule force de mon érection. Je n’avais eu qu’à me laisser prendre en train de me masturber devant ces mannequins dénudées pour qu’on accepte de me sortir. J’avais juste eu à promettre de me faire suivre psychologiquement. C’est comme ça qu’après avoir passé deux ans enfermé entre ces murs, je regagnai enfin ma vie normale.
The city looks so pretty, do you wanna burn it with me?
Quelques mois après ma réinsertion dans la vie sociale, j’avais pris la décision de déménager à white oak. Bien sûr, je n’avais pas choisi cette destination par hasard. Disons que je m’étais rendu à l’appartement de Julian dans l’optique de prendre de ses nouvelles et qu’on m’avait appris qu’il avait migré dans un autre Etat. Ca tombait bien, j’avais justement besoin de m’éloigner de ce petit bout de passé douloureux. Je nourrissais l’espoir de le revoir un jour, même si j’étais prêt à prendre un nouveau départ de mon côté si je m’y voyais obligé. Certes, il m’avait beaucoup apporté, mais ma vie ne tournait pas autour de lui pour la cause. En aucun cas je n’avais été amené à regretter mon choix, que du contraire. Il ne m’avait pas fallu plus de dix jours pour trouver un job de soirée, histoire d’avoir un revenu aussi maigre soit-il pour ne pas avoir à vivre dans la misère. Le cirque local de white oak avait été plus que satisfait que je vienne garnir ses rangs. C’est que les dompteurs de feu expérimentés ne couraient pas les rues. Le public m’avait immédiatement adopté. C’est ainsi que je m’étais retrouvé à donner des représentations deux soirs par semaine sous les yeux ébahis des spectateurs qui avaient sacrifié 5$ de leur salaire pour voir des artistes réaliser leurs prouesses. Aujourd’hui encore, je vis de ma passion, tout en poursuivant mes études en double file. Que demander de mieux ?