Tu aimais bien travailler à la bibliothèque sur Stanford Alley. C’était toujours la même routine, les mêmes choses à faire, et ça te permettait de vivre correctement avec ta sœur. Cette fois-ci, pourtant, c’était différent, dans le sens où on t’avait assignée une tâche que tu n’avais jamais réalisée auparavant. Apparemment, le Scrolls of Time avait emprunté une demi-douzaine de livres à la bibliothèque de l’université, probablement pour prendre quelques titres en note pour les ajouter à la collection toujours grandissante de leurs livres. C’était un peu stupide, mais la propriétaire avait dit qu’elle aimait bien lire un peu les livres avant de les acheter, histoire de s’assurer qu’ils étaient de qualité, et une des façons qu’elle avait trouvé était de les emprunter à quelqu’un qui les avait déjà, c’est-à-dire, l’université. Il y avait dans ton sac trois encyclopédies, deux livres sur les sciences, l’un sur la biochimie et l’autre sur la physique et un énorme dictionnaire. C’était ta dernière tâche à effectuer, et la propriétaire t’avait donné congé après ce dernier service rendu. Tu t’étais donc rendue à la bibliothèque de l’université, toujours aussi impressionnée par la grandeur de cette imposante bâtisse. Tu t’es perdue quelques fois, tu as dû demander ton chemin à des gens qui passaient par là, et tu as fini par te retrouver. Enfin.

Le sac était plutôt lourd, et tu le portais à ton épaule, le changeant périodiquement de côté pour littéralement changer le mal de place. La bibliothèque était elle aussi impressionnante, et tu ne savais pas trop où tu étais supposée aller pour rendre les livres que tu avais avec toi. Trouvant finalement un jeune homme plutôt mignon qui devait avoir la jeune vingtaine, tu t’es dirigée vers lui, traînant toujours ton sac avec toi. « J’peux vous aider ? » Tu lèves les yeux vers lui, tu lui souris d’un air contrit, et tu déposes ton sac de livre sur son chariot déjà bien remplie. « Si, en fait. Je travaille à la librairie sur Stanford Alley, et la propriétaire avait emprunté ces livres-là. Tu les désignes du doigt. Et je sais pas où ils vont. Petit silence. Tu te sentais quand même mal de lui rajouter du travail, et puis tu avais du temps devant toi, maintenant. J’ai congé pour le reste de l’après-midi, j’peux t’aider à tout replacer ça si tu veux. »

Tu lui parles, gentiment, poliment, enfin croyais-tu. Tu n’avais rien dit qui pouvait blesser, ce n’était que des banalités, des mots sans importance pour expliquer le pourquoi de ta présence. Tu le regardes s’appuyer sur le comptoir, fermer les yeux, inspirer profondément. Tu aurais voulu lui demander ce qui n’allait pas, mais tu te retiens à la dernière seconde. Ça ne te regarde pas. Tu ne le connais pas, il ne te connait pas non plus et tu ne tiendrais personnellement pas à raconter toute ton histoire à un inconnu. Tu as tes secrets et tu te doutes qu’il a probablement les siens et que tu lui rappelle un mauvais souvenir, c’est tout. Ça arrive. Tu ne dis rien, alors, et tu attends que ça passe. Il te fait un petit sourire d’excuse, et tu lui fais un bref hochement de tête. Tu ne peux pas vraiment lui dire que tu comprends. Tu n’as aucune idée de ce qui se passe dans ta vie. Tout ce que tu peux tenter de faire passer comme message, c’est que ça t’importe peu qu’il se soit passé quelque chose. « Je. Et bien je veux bien oui. On va y aller ensemble parce que tu risques de t'y perdre. Les livres sont vraiment mal classés. »

Tu souris et tu le suis alors qu’il se met à pousser son chariot et entrer dans un rayon. Tu observes rapidement, ne reconnaissant pas vraiment les titres ou les auteurs. Ce n’était pas vraiment quelque chose qui restait dans ta mémoire. Tu lisais tout ce qui te tombait sous la main, et les histoires qui te marquaient restaient gravée dans ta mémoire alors que tu oubliais toutes les autres. « Alors, dis-moi, quels sont tes auteurs préférés ? » La question préférée des bibliothécaires, apparemment. Ce qui était bien logique, puisque vous êtes entourés de livres. Sauf que cette question-là, tu ne pouvais pas vraiment y répondre, parce que tu ne lisais pas depuis assez longtemps pour avoir pu te faire une véritable opinion de tel ou de tel auteur. Mais ça, évidemment, tu n’allais pas lui sortir ça. Tu ne pouvais pas vraiment lui dire que tu avais appris miraculeusement à lire grâce à ton père, et que tu n’as pas eu beaucoup de livres à lire au Pakistan, et que tu ne t’y es vraiment mise qu’il y a trois mois, lors de ton arrivée ici. Ça se dit pas, ça, à une première rencontre. « Oh bah tu sais, j’en ai pas vraiment. J’y vais plus avec le genre littéraire et ce qui m’intéresse. Et toi ? T’en as des bons à me proposer ? »