Il avait encore du mal à en croire ses yeux. Il avait encore du mal à en croire ses yeux. Amy,
son Amy était là, devant lui. Comme si.. comme si rien n'avait changé, comme si elle ne l'avait pas laissée tomber du jour au lendemain, comme si elle n'avait pas disparu de sa vie après avoir fait ses valises et quitter White Oak Station. Amy. Amy était là, dans sa cuisine. «
Tu ne vis pas seul, c'est.. c'est bien, souffla t elle par dessus le café qu'il venait de lui servir, encore sous le choc de sa visite,
elle.. elle a l'air gentille » ajouta t elle après un coup d’œil. Skyler avait suivi son regard ; sur le frigidaire étaient accrochées plusieurs photos, dont une de Lula Mae et lui, souriants à s'en rompre les zygomatiques. Il se souvenait du soir où ce cliché avait été pris ; elle avait emménagé quelques jours auparavant et ils pendaient en quelque sorte la crémaillère. C'avait été une bonne soirée, une soirée où il n'avait pas pensé à Amy. «
J'imagine que tu es heureux maintenant, reprit elle à voix basse,
Skyler, je suis contente pour toi et— » «
Qu'est ce que tu fais ici Amy ? » l'interrompit il en reprenant ses esprits alors qu'elle avait tenté de prendre sa main. Bordel, que foutait elle là après tout ce temps ? Merde, il avait réussi à l'oublier, il était parvenu enfin à tourner la page et elle débarquait, comme ça, sans prévenir, elle déboulait à nouveau dans sa vie pour tout foutre en l'air ? Oh non, certainement pas, il ne la laisserait pas faire. «
Je.. Skyler, je te jure que si j'avais eu une autre solution, je.. » Elle se tut doucement, visiblement bien en peine de pouvoir s'expliquer et donner une raison à sa présence ici, dans son appartement. Sans un mot de plus, elle extirpa son portable de sa poche et, après avoir pianoté sur l'écran durant quelques secondes, elle le lui tendit. Un môme, petit blond aux joues roses et au sourire partiellement édenté, prenait toute la hauteur de la photo. Il ne devait pas avoir plus de deux ans et demi, trois ans peut être. Les yeux écarquillés, Skyler fixa un moment l'écran avant que la voix d'Amy ne le ramène sur terre. «
Je sais que j'aurais dû t'en parler, je n'avais pas le droit de.. de te cacher ça mais c'est.. Skyler, j'ai eu peur, bredouilla t elle,
jamais on avait parlé d'avoir des enfants, on avait même jamais parlé de se marier et je.. j'ai paniqué. J'ai eu peur que tu nous rejettes, ce bébé et moi, alors j'ai.. j'ai préféré te quitter et m'en aller. Je croyais.. Skyler, j'ai besoin de toi. Il a besoin de toi.. » Sa voix mourut lorsqu'elle croisa son regard. Jones ne voulait pas d'elle ici, il ne voulait plus d'elle ici et maintenant elle lui annonçait qu'il avait un fils ? A quoi jouait elle, bordel de merde ? «
Pourquoi maintenant ? cracha t il, véhément.
Pourquoi maintenant et pas avant ? Qu'est ce qu'il se passe, tu manques d'argent, c'est ça ? Alors tu t'es dit qu'il suffisait de débarquer ici ? » Livide, elle se leva, les poings serrés le long de son corps. «
Tu t'es dit que j'allais avaler cette histoire et te donner du pognon comme ça ? Alors que tu t'es tirée en piétinant notre histoire, en détruisant tout ce qu'on avait vécu ? Tu as vraiment cru que j'étais con à ce point ? » A son tour, Skyler s'était levé, la dominant de quelques centimètres. A la place de la culpabilité et de la honte qu'il s'était attendu à voir dans ses yeux se trouvait de la colère, pire, de la fureur. «
Tu n'es rien d'autre qu'une sale garce vénale, Amy, et si tu crois que je vais croire ta charmante petite histoire, tu es encore plus stupide que ce que j'imagine ! » Il ne vit pas sa main se lever et ne réalisa pas tout de suite qu'elle l'avait giflé. Toutefois les picotements sur sa joue étaient bien réels. «
Il est malade, Skyler » articula t elle avec difficulté. Malade ?
Malade ? Comment ça,
malade ? «
On l’a appris il y a quelques mois.. une leucémie,, reprit-elle, la voix blanche,
ça a expliqué beaucoup de choses. Pourquoi Sam était aussi fatigué, pourquoi il pleurait souvent en touchant ses petites jambes, pourquoi.. je te promets que je ne serais jamais revenue si j’avais une autre solution. Je t’ai caché son existence et c’est peut-être égoïste et dégueulasse mais j’avais prévu de continuer » Doucement, Skyler reprit place, un sourire triste sur les lèvres. Il la reconnaissait bien là, cachottière et aux commandes. Toujours. C’était elle qui décidait, elle et personne d’autre. Un moment passa avant que l’un d’entre eux ne reprennent la parole. «
Tu as conscience qu’il aurait fini par poser des questions ? » lança-t-il finalement, sans la regarder. Il avait encore du mal à y croire. Un fils, il avait.. un fils. C’était inouï. Skyler n’avait jamais vraiment réfléchi à l’éventualité d’avoir des enfants, pas sérieusement du moins mais il savait très bien qu’il en aurait voulu avec Amy si elle n’avait pas disparu du jour au lendemain. «
Je sais, murmura-t-elle, appuyée contre le plan de travail,
mais je saurai quoi lui dire en temps voulu, je— » «
Parce que tu penses que je ne veux pas avoir une place dans sa vie ? la coupa le jeune homme avec colère.
C’est mon fils ! Tu ne peux pas te pointer comme ça, me dire que tu as besoin de moi parce qu’il est malade puis repartir une fois que tu auras eu ce que tu veux en me plantant là comme un imbécile. Tu l’as fait une fois, pas deux Amelia » A la mention de leur rupture, elle avait baissé les yeux puis frissonné lorsqu’il avait employé son prénom. Jamais il ne l’appelait ainsi, sauf lorsqu’il lui en voulait. Et aujourd’hui, dire qu’il lui en voulait été un euphémisme. Se couvrant le visage de ses mains, Skyler soupira profondément. C’était trop pour une seule soirée, trop de nouvelles, trop d’émotions. Trop. C'était trop, alors que Chuck, sa frangine, venait de mettre les voiles sans vraiment d'explications. Trop. Pourtant, il ne flancherait pas. Il ne lui donnerait une seule raison de croire qu’il n’avait pas les épaules pour assurer son rôle de père. Merde, il avait quasiment élevé sa petite soeur. Hors de question de laisser Amy croire qu’il ne pourrait pas s’occuper de leur fils. «
Tu as dit que tu avais besoin de moi, dit-il, la gorge serrée,
pourquoi ? » Pour la première fois depuis de longues minutes, il leva la tête vers elle et croisa son regard. Elle semblait au bord des larmes ; il devait certainement lui en coûter de dire qu’elle avait
besoin de lui. Amy avait toujours été très fière, très orgueilleuse. Elle n’avait besoin de rien ni personne. La maternité l’avait sans doute changée. «
Ce n’est pas moi qui ai besoin de toi, c’est Sam.. c’est ton fils qui a besoin de toi, répondit-elle avec douceur, des larmes brillant dans ses grands yeux en amande,
il lui faut une greffe de moelle osseuse et je ne suis pas compatible. Toi, tu pourrais l’être. Bien sûr, ce n’est pas certain, il suffirait de quelques examens pour s’en assurer mais je comprendrais si tu ne veux pas, tu— » «
Amy, c’est aussi mon fils, fit-il, lui coupant encore une fois la parole,
je vais faire ces examens. Seulement il faut que tu me promettes de ne pas disparaître du jour au lendemain comme.. comme il y a trois ans » Une larme roula sur le satin de sa joue mais elle hocha la tête. «
Je veux faire partie de sa vie, continua Skyler d’une voix douce,
tu as grandi ici, tu sais combien on peut être heureux ici quand on est môme. Tu devrais peut-être t’installer ici avec lui.. non ? » Elle hocha lentement la tête, essuyant ses larmes. «
Je suis désolée » lui souffla-t-elle. Désolée, oui, elle pouvait l'être. Lui balancer ça, là, comme ça alors qu'elle lui avait brisé le cœur en se tirant sans un mot. Mais ça n'était pas d'eux qu'il s'agissait, c'était de la vie d'un petit garçon dont il était question, de
son petit garçon. Merde, il était père. La réalité était compliquée à encaisser quand elle vous tombe sur le coin de la gueule.