When something bothered me, I didn’t talk with anyone about it.
   second-hand heart

« Certainement » - des roses ou des hortensias, pourquoi pas, pour lui, cela pourrait tout aussi bien être des fougères ou de la moisissure, il s’en fiche complètement. Ce n’est pas comme si la vision d’une fleur titillait la moindre fibre sentimentale chez lui, d’ailleurs, l’arbre dont les branches viennent souvent frapper contre sa fenêtre pendant les nuits d’orage, quelqu’un peut bien s’armer d’une scie ou d’une tronçonneuse et venir l’abattre le plus rapidement possible ? « Bien entendu » - ajoute-t-il, l’écoute prétendument active : tout, un, art. Prétendre être inclus dans une conversation barbante à propos d’une variété de plante ou de la prochaine pleine lune – un exercice auquel il se prête approximativement cent fois par semaine ( et qui le fatigue, jusqu’à la substance profonde). Alix fronce les sourcils, arrête ses gesticulations (Dieu merci, il commençait à sentir le vertige) pour l’observer, paupières plissées, l’air d’analyser le cas Freudien assis face à elle. Moriah = cas freudien, même si vous l’auriez deviné tout seul. Il inspire, expire – donc, il respire, c’est bien. Embrassant toutes les nuances de la célèbre politique de l’autruche, il met la tête dans le sable et fait semblant de montrer de l’intérêt – à grand renfort d’hochements de tête, de « hmm, hmm » et autres démonstrations inutiles – à tout ce que les autres colocataires lui débitent comme connerie à la seconde ( c’est vraiment prodigieux). Parce qu’entre un artiste complètement paumé et une photographe de club med qui revend ses œuvres pour se faire , disons, de l’argent de poche, les conneries pullulent. Il se passe une main dans les cheveux, tire sur la mèche qui devient un poil trop longue ( note à lui même : se couper les tifs, un de ces quatre) et entreprend de se re-servir un verre de vin rouge ( le numéro quatre ou cinq, peut-être) ...putain, il a presque fini la bouteille à lui seul, misère. Y’en a plus, en plus. Comment il va faire pour supporter cette discussion et ce diner à la con, sérieusement ? Le vin ça anesthésie, ça hydrate, ça injecte de l’entrain, le vin c’est la vie et la vie c’est essentiel, vous comprenez ? « Peut-être qu’on devrait plutôt installer des balconnières, avec des géraniums » (la fleur des vieux) – ça pourrait être une illustration du vieil adage, vous savez : couper la poire en deux. Seulement, vu les grimaces qui viennent aussitôt mettre à feu et à sang leurs moues juvéniles, il peut toujours aller se faire mettre.

« Si tu veux mon avis, ce mec n’est surement pas devenu con, tu comprends ? Il ne peut qu’être né avec »- si c’est là une façon de remonter le moral, il est grand temps d’écrire un bouquin de développement personnel axé autour de cette phrase superbement bien tournée ( sans se vanter). Moriah se trouvait en plein boulot  ( des heures supplémentaires payées ? Bien sur que non, monsieur Thielsen – mais, toujours pas mal de dossiers non traités embarqués le weekend, parce que monsieur Thielsen (Moriah, en l’occurrence) adore s’amuser à niquer son vendredi soir ET son samedi soir à abattre de la paperasserie ) - lorsque qu’un truc d’un mètre cinquante les bras levés, doté d’une chevelure et d’une passion pour les paysages bucoliques est venu spoiler son rituel (cette phrase est décidément trop longue et incompréhensible par les profanes). « C’est une histoire d’inné ou d’acquis, purement et simplement scientifique. Ne t’embête pas à comprendre la psychologie masculine, elle repose sur deux choses : la masturbation et la chasse » - le sexe, grosso modo. Jouer les confidents, l’papa (et parfois, la maman aussi), c’est un pain quotidien assez rassi qu’il consomme sans modération. « Maintenant, tu peux disposer steuplait, l’adulte a besoin de bosser pour payer son loyer ». L'adulte a besoin de solitude, d'investir son espace et d'invoquer toute la concentration dont il peut faire preuve. C'est surement sans compter les goûts musicaux démoniaques de sa voisine de chambre et de ses prouesses vocales digne d'un abattoir. Quitter New York, se retrouver à vivre dans une baraque avec une bande de noobs, après avoir essuyé les éloges au Carnegie Hall, c'est ce que l'on appelle communément dégringoler de l'échelle sociale. Il imagine déjà les remarques acerbes de sa grand-mère - si elle avait  été en vie ou encore les sermons que son père lui aurait servi  (s'il avait encore fait partie du décor). Tout ce qu'il sait, tout ce dont il se souvient, c'est des encouragements de sa mère, la dernière fois qu'il l'a eu au téléphone. Avec le décalage horaire, elle n'y avait plus que des voyelles dans son charabia : "a e i o u y, mon fils", "a e i o u y, d'accord ?". Il ne se souvient pas de la minute où tout à coup, il s'est mis à jouer les frondeurs, défendant ses camarades à la moindre critique - même justifiée. La vieille crotte qui vit en face peut toujours se plaindre du bruit, lui n'entend rien. Le gars qui livre les pizzas peut toujours dire qu'il ne reçoit jamais de pourboire ? Alors quoi ? Il livre des pizzas, il s'attend à ce qu'on lui offre une médaille ?

La porte claque.
Sa porte, celle de sa chambre. La seule de toute cette maison qui lui appartient. Il a le droit de la fermer avec douceur, d’y coller des pense-bête, des photos, des posters si ça lui chante. Il peut la sortir de ses gonds et décider qu’il ne veut pas d’intimité. Il en fait ce qu’il veut et à cet instant, la colère qui se distille insidieusement à travers ses veines, lui dicte d’attraper une hache et de la réduire en copeaux pour évacuer toutes les frustrations emmagasinées ces quatre dernières années. Elles prennent diverses formes, divers traits : ceux d’un père qui passe un coup de fil, de manière aussi stupéfiante qu’inopinée, ceux d’une petite amie qui le fait cocu, de manière aussi stupéfiante qu’inopinée, ceux d’une grand-mère à laquelle il aurait aimé dire « adieu », ceux de toutes les arrivistes qui ont traversé son cœur, sa vie et avec lesquelles il n’a réglé aucun compte. Alors, lorsqu’il s’enferme, tous les jeunes savent qu’il  est préférable de le laisser broyer du noir, en se bourrant la fiole quitte à tomber dans l'coma. « Hey, on t’a préparé ton plat préféré » - même s’il est touché par l’attention, Moriah se mure dans ce mutisme qu’il affectionne tant. Il restera peut-être cloîtré quelques jours et reprendra le cours de sa vie.
Pour l’heure, il met son casque, prêt à écouter tous les grands classiques du duo Simon & Garfunkel jusqu’à ce qu’il se sente mieux. Jusqu'à ce qu'il ne sente plus rien du tout.

En tout cas, ça lui apprendra à s'intéresser aux plans d'une totale inconnue.

Moriah Thielsen a écrit:

Alix, je suis ta commode, alors ? c'est adjugé vendu, hein ? Pas de retour en arrière ? Parce que, sache que si j'éclaire ta lumière ( je suis sûre que dans une dimension c'est une figure de style) et pas ta lanterne, c'est que je suis indispensable à cette coloc, vraiment. merci, petit scarabée