théâtre de la vie, théâtre de sa mort (sarah)

› **inscription** : 19/05/2016

théâtre de la vie, théâtre de sa mort

Biddy serrait les dents, serrait les fesses, serrait son corps entier. Elle était tendue, et à raison. Elle avait devant elle une horde de gamins comme elle se plaisait à dire, alors même qu’ils n’avaient « que » cinq ans de moins qu’elle. Mais deux niveaux scolaires de plus. Ils en étaient à leur dernière année de licence, et préparaient donc leur diplôme. Chacun avait un projet différent, dans la promotion, mais parmi les étudiants réunis sur la scène de l’amphithéâtre, ceux qui avaient un rôle important étaient ceux pour qui cette pièce de théâtre faisait partie de leur projet final. Les « figurants », eux, faisaient ça uniquement pour le plaisir, et n’assistaient donc pas à tous les entraînements et répétitions. « En place ! » cria Biddy après s’être éclaircie la voix. Elle fit un geste de la main, en l’air, pour appuyer ses paroles. Elle avait les larmes aux yeux, Biddy, et une boule dans la gorge. Constamment. Cela faisait maintenant un mois qu’Adele était décédée, mais déjà trois semaines que sa grande sœur avait repris son rôle de metteur en scène. Le monde du théâtre était la chose la plus importante pour elle et Biddy ne pouvait pas laisser cette pièce, qui avait été si importante pour Adele, n’être rien d’autre qu’un mauvais souvenir pour tous ceux qui se basaient sur elle pour leur projet final. Biddy voulait rendre hommage à sa défunte petite sœur, et c’est en reprenant les rennes qu’elle le faisait. Elle n’avait aucune expérience en la matière, mais Adele lui avait tellement parlé de cette pièce qu’elle arrivait à se débrouiller ; et même si les acteurs principaux n’avaient pas le temps de faire le boulot de deux personnes, ils essayaient tout de même de l’aider du mieux qu’ils pouvaient. Ils étaient tous adorables, en réalité, du rôle principal au maquilleur, en passant par le technicien son et l’étudiante qui se contentait d’apparaître sur scène, sans même une ligne à dire. Tout le monde savait qui était Biddy, désormais, mais contrairement à la plupart des gens au courant de la tragique histoire, aucune des personnes présentes dans cet amphithéâtre ne lui donnait un regard de pitié. Cela l’aidait à ne pas se sentir trop mal, mais ce n’était pas suffisant. En jouant le rôle du metteur en scène, Biddy avait l’impression d’être encore avec Adele, d’une certaine manière. C’était à la fois positif, parce que c’était tout comme si sa petite sœur n’était pas encore vraiment partie, mais aussi terriblement négatif ; parce qu’elle avait régulièrement des éclairs de lucidité, où elle était pleinement consciente qu’Adele n’était plus de ce monde. Biddy était donc, perpétuellement, dans cette bulle où elle se sentait en présence d’Adele, tout en sachant qu’elle ne la reverrait jamais, jamais, jamais. Et c’était horrible. Elle avait envie de pleurer constamment, trouvait difficilement la force de diriger les étudiants. Mais elle faisait de son mieux, Biddy, pour ne pas montrer sa détresse. Et, aussi, elle avait une précieuse aide : Sarah, celle qui était l’auteur de la pièce. Elle était censée arriver d’une minute à l’autre, d’ailleurs. Le plus tôt sera le mieux, pensa Biddy. Au moins, avec elle à ses côtés, elle pourrait souffler un peu. Elle aurait tout autant de travail à faire, mais c’était psychologique ; elle aurait quelqu’un pour la soutenir. « Et c’est parti ! » Biddy frappa fort dans ses mains, avant de s’asseoir sur un siège du premier rang. La première scène de la dernière répétition avant la répétition générale venait de débuter. Il fallait que ça soit parfait.
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Tu regardais fixement depuis plusieurs minutes maintenant l'heure affichée sur le cadran de l'horloge placée à l'avant du bus. Un observateur externe se serait dit que cette fascination était probablement due au fait que tu étais en retard ou allait bientôt l'être, pourtant si ça avait été le cas des signes extérieures de nervosité auraient dus être visibles. Or, on n'en voyait aucun : tu n'étais pas par exemple en train de te ronger les ongles et tu ne triturais pas tes cheveux ou un bijou quelconque. La vérité Sarah, était que pour chaque minute qui se passait, tu te remémorais le jour de l'incendie, chaque fois avec plus de vivacité et de précision. Cela te rendait malade de penser à toutes ces vies que ce drame avait bouleversées ; à commencer par celle de ta meilleure amie qui s'était retrouvé sans lieu de travail, à tes collègues du café qui comme toi se retrouvaient temporairement sans travail mais aussi aux précieux élèves de l'atelier théâtre de l'Université de White Oak qui avait été privés en même temps que toi d'une amie et d'un metteur en scène.
C'était justement vers eux que tu te dirigeais aussi matinalement. Aujourd'hui avait lieu l'avant dernière répétition, celle qui permettrait de mette au point les derniers changements artistiques, de signaler les problèmes qui persistaient et bien sûr de rassurer la troupe.

Comme un automate, tu te dirigeas en direction de l'amphithéâtre où se déroulait vos réunions. Tu hésitas pourtant à franchir les immenses portes en bois massif. Tu pouvais presque te rappeler Adele t'attendant derrière avec une tasse de café ou de thé et surtout un sourire éblouissant. Posant ton front sur la porte, tu dus prendre quelques minutes pour combattre les larmes qui menaçaient de dévaler tes joues. Tu ne pouvais pas te permettre de paraître aussi faible à quelques jours du spectacle et pas après être parvenue avec le soutien de tout le monde – notamment de Biddy – à continuer votre projet à Adele et toi.
Biddy, la grande sœur de ton amie, qui était venue vers toi lors de l'enterrement de sa petite sœur pour te parler de la pièce de théâtre et de son souhait de la voir être jouée et même de t'y aider. Biddy qui avait été plus que courageuse et présente et que tu ne pouvais décemment pas accabler avec ta propre douleur. D'autant que le show devait continuer.

Une fois entrée, tu remarquas que les acteurs étaient déjà en place. Aussi discrètement que possible, tu avanças à pas de loup vers le premier rang, là où se trouvaient vos places attitrées. Quelques figurants t'aperçurent et te sourirent, soulagés peut-être de te savoir près d'eux. Sans bruit, tu t'installas à côté de la brunette dont tu effleuras légèrement le bras pour lui signaler ta présence dans le cas où son attention serait toute consacrée à la scène devant vos yeux. Tu en profitas pour sortir de ton sac le texte de la pièce dans sa forme quasiment finale. Tu l'avais énormément retravaillé depuis que tu l'avais soumis la première fois à Adele. Cela n'avait pas été une mince affaire mais à force de persuasion, de faits irréfutables comme l'incapacité à mettre en scène ce qui sortait tout droit de ton imagination, ou bien les erreurs que tu avais commises, vous étiez parvenues à pondre ce bébé : Voyage. La pièce parlait d'un groupe d'amis qui découvrait plusieurs civilisations passées, présentes et futures tout en apprenant également qui ils étaient.
Ta version avait cependant une particularité, elle comportait les dernières suggestions de ta camarade (Biddy) ainsi que des indications concernant les acteurs dont le jeu était à surveiller – soit qu'ils ne rentraient pas dans leur rôle ou avaient des problèmes à mémoriser leur texte. Ce fut d'ailleurs ce qui te poussa à déconcentrer l'étudiante en biologie.

« Est-ce que tu as pu parler à Ciara depuis la dernière fois ? » Tu lui montras le passage qui avait posé souci. « Elle n'était toujours pas parvenue à retenir son aparté et persistait à vouloir changer ses paroles, ici et ici », ajoutas-tu en lui montrant les passages soulignés. « Qu'est-ce que tu en penses ? J'ai des scrupules à changer cette partie car Adele l'aimait beaucoup mais peut-être que Ciara a raison et que... » Tu n'arrivais pas à continuer, incapable de trouver dans ton cœur la force de donner raison à l'actrice.

› **inscription** : 19/05/2016

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Prise dans la scène, qui avait débuté voilà quelques minutes, Biddy sursauta légèrement quand elle sentit quelque chose sur son bras. Elle tourna la tête et esquissa un sourire, faiblard, quand elle vit que c’était Sarah. Elle chuchota un « Ça va ? » avant de reporter son attention sur la scène qui se jouait. Il y avait un dialogue qui avait souvent du mal à passer parfaitement et Biddy voulait voir si, enfin, les comédiens y arrivaient. Des erreurs arrivaient, ils étaient humains, mais les premiers instants de la pièce étaient ce que voyait les spectateurs en premier, en toute logique ; il fallait que leur première impression soit bonne. Il n’y avait rien de pire qu’un spectateur qui avait des choses à redire au bout de deux minutes – cela voulait dire qu’il serait attentif à la moindre erreur durant tout le long de la pièce. Pour le plus grand bonheur de l’apprentie metteur en scène, cependant, le dialogue se déroula à la perfection et elle put relâcher un peu de pression. Elle savait qu’ils géraient plutôt bien la dizaine de minutes suivante ; les deux filles pouvaient donc parler problèmes techniques sans problème. Elle hocha la tête à la question de Sarah, avant de porter son regard sur la fameuse Ciara, qui était en train de livrer un monologue. Cette étudiante avait un talent indéniable, Biddy se souvenait même de la pointe de jalousie qu’elle entendait dans la voix de sa sœur, quand elle l’évoquait. « Je lui ai parlé ce matin, en arrivant. Je préférais t’attendre avant de donner une décision finale mais… » Biddy partageait le désarroi de Sarah, sa peine à l’idée de changer un passage cher à Adele. En réalité, chaque décision leur coûtait, même la plus minime. En plus des avis des uns et des autres, souvent divergents, s’ajoutait celui qu’Adele aurait peut-être eu. Si elle avait été là, qu’aurait-elle fait ? Qu’aurait-elle dit ? Et les deux jeunes femmes se mettaient une pression monstre, qui ne pouvaient qu’accentuer la tristesse qu’elles éprouvaient. C’était, en tout cas, l’effet que ces débats avaient sur Biddy. Elle ne pouvait pas s’empêcher de se demander si sa petite sœur aurait été en accord avec ce qu’elle décidait, mais le fait même de se demander ça lui broyait le cœur. Elle aurait voulu qu’Adele soit là pour décider elle-même de tout ça.

Après quelques longues secondes de silence et une profonde inspiration, Biddy reprit la parole. « Je pense que Ciara a… je crois qu’elle a raison. Je suis persuadée qu’Adele aurait adoré les modifications. » En réalité, elle n’était persuadée de rien du tout, mais elle savait que ce serait plus facile pour Sarah d’accepter, si elle disait ça. C’était même plus aisé pour elle de se convaincre que les modifications étaient une bonne idée, en partant du principe qu’Adele aurait approuvé. « Ciara joue son année, avec cette pièce, et ce serait dommage qu’elle ait une mauvaise note parce qu’elle a eu du mal à sortir quelques phrases. » Biddy pinça les lèvres, le regard plongé dans celui de l’auteur de la pièce. Elle tenta d’esquisser un sourire, puis tendit le bras pour voir la version finale, annotée des modifications que souhaitait la comédienne principale. « En réalité, je pense qu’avec les changements, cela ne s’éloigne pas tant de ce que vous aviez en tête, avec Adele. » Elle sourit plus sincèrement, cette fois-ci, convaincue par ce qu’elle venait de dire. « Si tu es d’accord, on lui dit à la fin de cette scène. Elle sera soulagée. Et elle pourra nous montrer ce que ça rend à la scène suivante. »
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Si ce que tu avais sous les yeux se reproduisait dans quelques jours, tu pouvais avoir l'esprit tranquille Sarah. Un lien de confiance s'était établi entre toi et les comédiens après tous ces mois passés à discuter avec eux de la pièce, de leur interprétation et puis de l'Art en général et les tracas de la vie quotidienne. Effectivement, lorsqu'on passait autant de temps avec un groupe de personnes, on apprenait à les connaître et il était possible de lier alors des liens d'amitié. Tu savais néanmoins que si tes relations avec l'ensemble du staff et des acteurs étaient affectueuses, c'était en grande partie grâce à Adele qui avait fait en sorte de montrer aux autres des qualités qu'ils ignoraient chez toi ainsi qu'arrondir les angles lorsque tu t'emballais ou restais muette.
Dans tous les cas, cela te permettait de te consacrer à l'aspect technique et notamment de régler les derniers soucis qui te tracassaient concernant Voyage. Le plus important étant Ciara ou plutôt les changements qu'elle voulait apporter à sa partie et ce qu'ils impliquaient moralement. Sachant maintenant que Biddy avait eu une conversation avec elle, tu étais curieuse de savoir ce que les deux jeunes femmes s'étaient dit. Bien souvent, ce n'était pas toi qui te chargeais de parler aux étudiants, n'étant soit pas assez franche, soit beaucoup trop. Tu avais été plus que ravie quand la brunette t'avait proposé son aide et tu t'étais empressée Sarah de la mettre au courant de tout ou plutôt de mettre un visage sur tout ce qu'elle connaissait déjà.

Cette décision vous coûterait quoique vous fassiez de toute façon. Bien que la grande sœur de ton amie remplissait à merveille sa fonction, le projet avait perdu de sa saveur initiale pour toi. C'était Adele qui était venue te chercher et qui avait su trouver les mots pour te convaincre d'exposer ta plume à un public. Elle avait ce pouvoir de faire ressortir le meilleur des autres, qu'ils le veuillent ou non ceci dit. Alors chaque changement était un crève-cœur. Tu espérais que l'avis de Biddy éclairerait le tien et apaiserait ton âme.

La surprise devait se lire clairement sur ton visage mais ce n'était pas forcément une mauvaise chose. C'était peut-être le signe qu'un mois après l'incendie, le temps était venu d'accepter le changement et le fait que vous ne pourriez jamais faire revivre Adele et ce peu importe vos efforts. Tu étais néanmoins troublée. « Si c'est ce que tu penses... » La mine triste tu regardais ses phrases pour lesquelles tu avais sué sang et eau mais qui ne méritait pas en effet de passer avant la réussite scolaire d'une camarade. « Oui... » Plus fermement. « Oui, tu as raison. » Tu échangeas un regard chargé d'émotion avec ta partenaire et poursuivis en la laissant prendre le texte. « Ce serait égoïste de ma part de vouloir préserver le texte plutôt que de mettre en avant le talent de Ciara. Ils ont après tout, plus besoin que moi de cette note. » Regardant un instant les acteurs évolués sur scène et se lancer dans un échange vif, tes traits s'adoucirent. « J'espère seulement que les spectateurs sauront voir tout le travail qu'il y a eu derrière. » Tu penchas la tête sur le côté et souris à ton tour. « Entendu, la scène suivante est en plus celle de ce fameux aparté. »

[…]

Quand les comédiens s'allongèrent au sol et que la nuit se fit sur scène, tu te levas et t'approchas de l'estrade sur laquelle tu frappas trois fois du poing, une manie que tu avais prise lorsque tu désirais l'attention des comédiens pendant qu'ils jouaient. « Hey ! C'était impeccable, surtout toi Rodrigue, tu as continué à pratiquer pour faire l'accent à la perfection. Vous pouvez prendre deux minutes de pause avant qu'on enchaîne sur la scène suivante. Mais avant, » tu fis signe à Ciara de descendre, « tu peux venir une minute ? On aimerait te parler de quelque chose. »

› **inscription** : 19/05/2016

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Sarah avait besoin d’être rassurée et Biddy le voyait bien. Elle lui serra l’avant-bras dans un élan d’empathie, et appuya un sourire forcé sur son visage. « Bien sûr que les spectateurs sauront voir tout le travail, je ne vois pas comment ils ne pourraient pas ! » Biddy le pensait vraiment. Elle n’y était pour pas grand-chose, elle avait repris les rênes de la mise en scène bien tardivement, mais il fallait être aveugle – et encore – pour ne pas se rendre compte de tout le lourd travail qui avait été effectué, que ce soit par Adele, Sarah ou même les acteurs. Tous se débrouillaient de manière quasi-professionnelle alors qu’ils n’étaient que des étudiants de premier cycle. Les spectateurs, qui ne seraient probablement d’abord que les parents et amis de ceux qui avaient participé à la pièce, de près ou de loin, ne pourraient être qu’épatés par le spectacle. Biddy en était convaincue. Les deux jeunes femmes terminèrent de regarder en silence la première scène. Biddy était absorbée par ce qui se passait, alors même que c’était certainement la quinzième fois qu’elle la voyait. Elle était toujours admirative devant tous ces jeunes gens, bourrés d’ambition et de talent. Elle comprenait pourquoi Adele avait toujours parlé avec passion de ce qu’elle faisait, et pourquoi elle s’impliquait autant dans ses cours et dans ses pièces – qu’elle soit metteur en scène ou actrice. Une fois la scène terminée, Sarah s’avança vers l'estrade pour féliciter les comédiens. Biddy la laissa faire, l’observant depuis son siège. Celle qui avait écrit la pièce était beaucoup plus douée qu’elle pour tout ça, quand il était question de dire ce qui allait ou n’allait pas, ou bien pour remotiver les troupes. Déjà, elle était là depuis le début et avait donc plus d’affinités avec les comédiens, forcément. Biddy aurait eu l’impression d’être un imposteur, si elle avait dû se plaindre du jeu des acteurs alors qu’elle n’avait aucune compétence en théâtre. D’un autre côté, son regard extérieur apportait un nouveau point de vue qui n’était pas à négliger. C’était pour cela qu’elle était conviée malgré tout lors des discussions importantes, comme celle que Sarah s’apprêtait à lancer avec Ciara. Lorsque la comédienne descendit de l’estrade, Biddy se leva et rejoignit les deux jeunes femmes. Elles se mirent un peu en retrait, afin que les autres comédiens ne viennent pas se mêler à leur conversation, mais pas trop loin non plus, pour qu’ils ne croient pas que l’on mettait Ciara dans la confidence et pas les autres. Biddy hocha la tête, un peu mal à l’aise. Elle pensait laisser Sarah parler tout du long, mais elle se rappela qu'en décidant de reprendre le rôle de sa petite sœur, elle avait accepté de prendre certaines responsabilités. Elle n’avait pas la même crédibilité mais, si elle voulait en avoir un peu tout de même, il fallait prendre les devants. « Alors voilà… On voulait voir avec toi pour les modifications dont tu parlais. » Biddy jaugea la réaction de Ciara, attisant le suspens. Elle y mit vite fin, cependant. « On est d’accord pour que tu changes les phrases que tu souhaitais modifier. » Biddy jeta un regard à Sarah, et reprit la parole. « Mais seulement celles-ci, n’est-ce pas ? On ne veut pas de mauvaises surprises sur d’autres passages. » Sa voix se fit plus ferme, afin que la comédienne comprenne qu’elles lui faisaient une faveur, mais qu’il ne fallait pas en demander trop non plus. « Tu peux changer directement pour la scène prochaine, du coup. On veut voir comment ça rend. » Elle pinça les lèvres, puis se tourna vers sa collègue. « Autre chose à rajouter ? » demanda-t-elle, puisqu’elle avait finalement fait tout le discours.
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C'était naturellement que tu vous entraînas à l'écart, loin de l'estrade et des éventuelles oreilles indiscrètes. Une troupe, comme une classe, était une micro-communauté à laquelle il était impossible de cacher quoique ce soit, aussi tu n'avais absolument aucun doute que dès que Biddy et toi auriez le dos tourné tout le monde serait au courant du sujet de votre conversation avec Ciara ; mais il n'y avait rien de mal à garder l'illusion d'un peu d'intimité, surtout si on souhaitait préserver sa santé mentale.
Seulement, maintenant que vous étiez toutes les trois réunies, tu ne parvenais pas Sarah à articuler la moindre phrase et à prononcer les mots qui permettraient à l'étudiante de se sentir libre. Tu avais pourtant accepté il y avait à peine quelques minutes d'accéder favorablement à la proposition de la comédienne mais rien ne sortait. Tu n'eus cependant pas le loisir de te pencher sur les raisons de ce blocage car déjà ta partenaire avait pris les devants et t’ôtait la lourde tâche d'entamer la conversation. Les lèvres serrées, ton regard naviguait entre les deux jeunes femmes et la salle de spectacle dans laquelle vous répétiez. Tu te sentais incapable de prendre part de façon active à la conversation, même si tu ne protestas pas devant l'utilisation du pronom « On » de la part de ta coéquipière. Oui, vous aviez décidé de lui permettre de modifier le texte et même si tu savais que c'était la décision raisonnable à prendre, tu ne parvenais pas à accorder ton cœur à ce choix.... Les mains croisées dans ton dos, tu offris un mince sourire à Biddy qui serait – tu l'espérais – suffisant pour la rassurer et l'inciter à continuer.
Il apparaissait cependant qu'elle ait perçu ton anxiété, et tu te sentis infiniment soulagée qu'elle lui fasse part de vos conditions et mette en garde Ciara. Le sourire un peu moins tiré, tu secouas la tête. « Non. » Tu fronças les sourcils et repris. « Enfin si mais je pense que c'est quelque chose que toute la troupe doit entendre alors... » Tu lui fis signer de vous précéder et de rejoindre la scène pour ce qui serait certainement le discours le plus dur qui te serait donné de faire. Tu la suivis sans te retourner, craignant de voir ta détermination s'ébranler si ton regard croisait celui de la grande sœur d'Adele. Tu frappas à nouveau sur la scène, laissant les yeux des étudiants se poser sur toi tandis que les amis de Ciara entouraient cette dernière – probablement en quête d'informations. « Vous allez pouvoir continuer à répéter, mais je tenais seulement à dire quelques mots à une semaine de votre spectacle. » Tu t'arrêtas et haussas la voix de façon à être entendu jusque dans les coulisses. « Est-ce que tout le monde peut être présent ? Augustin, Camille, Lucie, Mike et les autres, venez. » Tu attendis que les étudiants soient au complet avant de reprendre d'une voix que tu espérais solide. « Nous sommes dans la dernière ligne droite et je sais combien vous avez travaillé pour en arriver là, je sais également ce par quoi vous êtes passés. » Prenant une grande inspiration, tu continuas en refoulant les larmes qui naissaient. « La perte d'Adele... fut difficile, elle était notre amie et le cœur de ce spectacle. Fort heureusement, » tu te tournas vers Biddy et lui souris. « Nous avons pu trouver une âme charitable qui était prête à prendre la relève et ainsi nous permettre de réaliser notre rêve... son rêve. » Tu fermas les yeux quelques instants avant de regarder ces élèves à peine plus jeunes que toi, que tu avais appris à aimer, à diriger, à faire grandir. « Ce spectacle vous le faîtes pour vous, mais aussi pour les autres. Vous n'avez pas abandonner et je pense que c'est le moment de vous annoncer quelque chose que nous comptions vous révéler Adele et moi lors de la répétition finale. » Tu eus une pensée pour ta coéquipière que tu prenais de court, avant de continuer. « Vous savez que vos professeurs seront présents pour votre première apparition et que c'est de cette façon que vous serez évalués, mais en tant que metteur en scène et dramaturge, il revient aussi à nous, Biddy et moi, d'émettre une opinion à votre sujet et de vous noter également. » Tu t'arrêtas et souris. « Les résultats vous serons communiqués plus tard mais ne vous inquiétez pas. » Tu t'humectas les lèvres. « Ah et avant que j'oublie, des modifications ont été faites concernant la prochaine scène, cela ne concerne que les répliques de Ciara mais ses partenaires devront s'y accorder. » Jetant un regard humide à la metteur en scène, tu l'invitas à prononcer quelques mots qui scelleraient définitivement tout votre travail depuis la terrible catastrophe qui avait eu lieu à White Oak Station.

› **inscription** : 19/05/2016

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L’entretien avait Ciara se déroula à merveille et aucune larme ne fut versée. C’était certes difficile pour Biddy et Sarah de voir le texte d’Adele modifié, mais ce n’était pas insurmontable pour autant et il valait mieux que Ciara, dont la prestation était notée pour valider son diplôme, soit à l’aise avec son texte. Biddy avait mené la discussion de bout en bout, voyant que cela était trop difficile pour Sarah, et elle fut donc surprise lorsque la jeune femme reprit la parole. Lorsqu’elle avait demandé si elle n’avait pas quelque chose à rajouter, elle ne s’était pas attendue à un aussi long discours, et surtout pas à la nature de ce discours. Sarah révéla en effet à toute l’assemblée, elle y compris, une chose dont Biddy n’était pas au courant jusque-là. Peut-être aurait-elle aimé le savoir avant les autres, mais elle n’en tenait pas rigueur à l’étudiante en littérature pour autant ; l’effet de surprise était réussi. Biddy voyait bien les visages de tous les élèves s’illuminer, et après les cœurs serrés suite au discours émouvant de Sarah, les sourires s’étalèrent sur les visages et les commentaires joyeux fusèrent. Tous reboostés qu’ils étaient, ils se préparèrent à remonter sur scène. Biddy était contente de pouvoir participer à la note des comédiens. Elle avait entendu dire que certains professeurs pouvaient être très sévères, alors ça lui permettrait de remonter un peu la balance. Elle ne comptait mettre aucune mauvaise note, bien sûr ; elle n’était pas dans le métier depuis assez longtemps pour juger qui que ce soit négativement et puis, elle n’avait eu que des bonnes impressions. Sarah fit alors un petit geste en direction de Biddy, pour lui signaler de monter sur scène à son tour pour prononcer quelques mots. La gorge de Biddy se serra, effrayée à l’idée de parler devant tous les étudiants. Crier des ordres depuis la salle, c’était bien différent que de faire un discours – surtout lorsqu’il n’avait pas été préparé à l’avance – sur la scène ; scène sur laquelle elle n’était d’ailleurs jamais montée depuis qu’elle avait repris en main la pièce de théâtre. Elle avait du mal avec le fait d’être observée de toute part, d’être au centre de l’attention, et elle le serait à coup sûr d’ici quelques secondes. Elle prit donc une énorme inspiration, tenta de sourire sans y arriver, puis monta sur la scène. Elle s’éclaircit la gorge, incapable de fixer son regard sur un visage en particulier, les jambes tremblantes, la respiration accélérée. « Heum, je… vous… » Biddy bafouillait, avait du mal à trouver ses mots. Elle inspira une nouvelle fois profondément, souffla, et reprit la parole. « Déjà, hm, merci à tous d’être là et, hm, merci à tous d’avoir… d’avoir poursuivi la pièce même après la… le départ d’Adele. C’est ce qu’elle aurait voulu. » Elle tâchait de reprendre de l’assurance, en vain, et l’évocation de sa petite sœur n’aidait en rien. Elle sentait les larmes lui monter aux yeux, mais faisait tout pour que cela ne se remarque pas. Elle expédia les dernières phrases, pour redescendre au plus vite de la scène. « C’était son rêve de monter une pièce, et dans moins de deux semaines il sera réalisé. Merci à vous. Merci pour cette expérience qui, bien que brève, m’aura été très enrichissante. On ne se quitte pas encore, mais je tenais à vous le dire. Vous êtes des personnes en or. Merci. » Elle redescendit de la scène sous les timides applaudissements des étudiants, et se réfugia dans les rangées de siège pour observer la suite de la répétition. En passant près de Sarah, elle lui souffla un Merci bien mérité. Car sans elle, elle n’y serait jamais arrivée. Sans elle, la pièce se serait effondrée. Et le rêve d’Adele ne se serait jamais réalisé.
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