« J'espère que c'était une bonne idée. » Le sourire de Jo se veut rassurant. Comme toujours. De toute façon, il est trop tard pour reculer. Jo, petite princesse de la ville, est aujourd'hui les pieds dans la boue et le crottin de cheval. Et Matilda, dont la carrière sportive passait avant tout, se retrouve désormais monitrice entourée de shetlands. Qui l'aurait cru ? « Au pire, c'était la tienne. » Jo lève les yeux au ciel, attrape le bras de sa meilleure amie. « Arrête de t'inquiéter, veux-tu ? C'est le début d'une nouvelle aventure, on devrait plutôt célébrer ! » Elle disparaît alors, pour revenir avec une bouteille de champagne à la main. Toujours fidèle à elle-même, en soit. « À toi et moi ! ». Du portable de Jo est lancée leur chanson préférée. Voilà les deux amies qui dansent, les pieds dans le foin, où elles finiront par se laisser tomber. Allongées, là, côte-à-côte, elles ne peuvent s'empêcher de sourire. Il y a comme une impression de déjà-vu. C'est que, gamines, on les a déjà trouvées ici. À rire jusqu'à en pleurer. Aujourd'hui, le temps est passé, certaines choses ont changé mais rien n'est venu abîmer leur amitié. Elles sont là, ensemble. Encore et toujours. Ce ne serait que folie d'essayer de les séparer.

Elle va le tuer. Lui et son air hautain, ses chemises trouées et sa gueule d'ange. Ou bien le plaquer contre un mur et l'embrasser. Mais ça, Matilda se gardera bien de le dire. C'est qu'il n'y a pas de juste milieu avec cet imbécile d'éleveur de chèvres. Seulement des engueulades, entrecoupées d'oeillades. « Tu vas quand même pas me dire que je fabule si je te dis que j'ai trouvé ta chèvre entrain de dévorer le grain entreposé dans mon hangar ? » Matilda commençait à en avoir assez. À chaque fois, c'est la même chose. Cette foutue chèvre profite de la nuit pour s'introduire dans les écuries et au petit matin, c'est tout un paquet de grains qui s'est envolé, englouti par cette vorace. « C'est impossible qu'elle ait quitté son enclos, je le ferme tous les soirs. Ce doit être un parasite ou quelque chose du genre. Un rat, peut-être ? À moins qu'elle aussi, ne s'essaye au saut d'obstacles, qui sait. » Il fait le malin, l'insolence venant peindre ses lèvres en un grand sourire. Matilda, elle, tente de contenir sa colère. Elle lâche un soupir, serre ses poings.  « À moins qu'elle aussi, ne s'essaye au saut d'obstacles, qui sait. » Encore une remarque de ce style et Matilda va perdre ses moyens. Définitivement. « C'est que la vie de fermier ne doit pas tant te réussir, si tu as besoin de faire chier ton monde pour t'amuser un peu... » Pas un mot ne semble faire flancher cet Elliott Coppens tandis que Matilda, elle, perd visiblement son sens de la répartie. « C'est vrai que te voir ainsi énervée est presque hilarant. » Deux ans, que ce manège dure. Elliott est arrivé aux abords des écuries quelques semaines seulement après que la brune et son acolyte de toujours ne s'y soient installées. Ce nouveau venu a évidemment fait parler de lui, venant tout droit d'un monde aux antipodes de la campagne. Tant de rumeurs viennent entachées son nom mais Matilda n'y accorde guère d'importance. Elle ne croit que ce qu'elle voit et l'homme se présentant sous ses yeux, n'est qu'un idiot fini. Elle le déteste. Avec ferveur. Ou du moins, en apparence.

« J'ai réalisé un truc, hier. » Ce n'était qu'une remarque innocente, lancée en plein repas. « Tu sais la fille qui monte souvent Bright ? Lia ? Non, Lila. Oui, c'est ça. Bref. » Un avis peu objectif, démontrant bien l'éternel problème de Jo avec les prénoms d'autrui. « Elle te ressemble vraiment. » Pourtant, cette simple phrase, est restée. «? « Oh, elle est brune et a des yeux noisettes. Si on part de cela, beaucoup de personnes me ressemblent. » » Matilda n'avait jamais accordé à ce point beaucoup de temps. Lila attirait principalement son attention par sa manie perpétuelle d'aller à l'encontre de ses conseils et sa recherche d'action, en voulant monter les chevaux les moins commodes des écuries. Elle avait quelque chose de spécial, cette fille, Matilda l'avait vite compris. Pourtant, rien lui demandant plus de réflexion que nécessaire. « Oui je sais mais c'est quelque chose de plus complexe... Je ne sais pas comment expliquer mais c'est là. » Les mots de Jo avait disparu de l'esprit de son amie, jusqu'à ce que que Lila ne revienne aux écuries, quelques jours plus tard.« J'ai une soeur. Biologique, je veux dire. (...) Elle est à White Oak, d'après ce que j'ai compris. », qu'elle lui a dit, avec la même nonchalance que Jo. Une autre remarque innocente, qui pourtant a fait germé une idée dans l'esprit de Matilda. Pensée avortée, cependant. Les coïncidences n'ont jamais fait partie des croyances de la jeune femme. Et le destin, encore moins.