Les tableaux du paysage passaient, passaient, s'étalant devant lui sans même y prêter attention ; mais jamais il ne pouvait s’arrêter sur un détail précis sans y voir l’objet de ses tourments. Il pouvait à peine retenir les couleurs, pourtant merveilleuses en cette saison, la tête ailleurs et pleine de pensées détournées il se focalisait sur ce qu’il allait dire. Faire. Un an et demi c’était un laps de temps envisageable pour demander à une personne de sortir. Des fois il en venait à oublier qu’il était … lui. brisé, physiquement et mentalement ; il était un danger pour son compte et celui des autres. Il avait repoussé l’idée même d’intégrer un cercle social depuis bien trop longtemps.
Luam avait toujours pensé être le sujet d’une sorte de malédiction concernant ses aventures avec les femmes. La première était décédée, ç’avait été un coup dur pour son coeur encore adolescent, un coup qui l’avait amené à l’armée. La seconde fois, elle l’avait abandonné (il n’avait jamais trouvé d’autre terme pour formuler l’acte en lui-même : l’abandon dans toute sa cruauté et sa froideur).
Une personne normalement constituée serait passée outre ces deux mésaventures qui relevaient toutes deux d’un ordre « naturel » des choses : la mort était inévitable et les accidents étaient bien trop fréquents, la fuite entraînée par l’annonce de nouvelles horribles et le déni l’étaient encore plus. Lui aussi n’avait été qu’une victime de conséquences terribles qui influençaient encore sa vie … Mais il ne s’en était jamais remis. Il n’avait jamais eu la force de passer à autre chose, de tourner la page car il était bien le seul à n’avoir jamais eu de prise de décision sur son propre sort.
L’inattendu s’était pourtant produit.
Il était arrivé à reculons aux premières séances, raide et distant (comme à son habitude), rechignant dès qu’une question lui était posée ou qu’un mouvement lui était proposé. Ce sentiment étrange s’était incrusté petit à petit, il l’avait même pas vu venir. Dans les premiers temps il l’avait même détesté, ignorant ses bonnes volontés et tous ses efforts pour le remettre en état.
Le déclic s’était produit pendant une séance, elle avait posé les ains sur lui, doucement. Le contact lui avait procuré des frissons et il lui avait souri en retour … Il avait aimé son sourire, à elle. Eclatant, luminescent, il irradiait la pièce.
Sur le coup il aurait pu vomir à cause de toutes ses sensations. Il n’était pas vraiment fleur bleue et ça lui avait donné un coup de s’apercevoir que oui, il était bien vivant et non handicapé sentimentalement en plus des tares qu’il avait déjà acquises à la guerre. Il était vivant.

Ce jour il était arrivé en avance à son cabinet, nerveux. Ses tocs avaient refait surface mais la simple perspective de sa présence les avaient calmées. Elle l’avait appelé et il était rentré. « alors, comment ça va aujourd'hui, prêt pour ta séance de torture ? ». Non. « Hmmm, je commence à avoir l’habitude. Ca devient moins terrible de semaine en semaine. Je dois être maso ».
Tu fais pas si bien dire.
«tu veux boire quelque chose?». « Si tu as quelque chose de fort je ne dis pas non. », il en aurait honteusement besoin.
Sourire, sourire, sourire. Il essayait d’un un minimum avenant devant cette femme qu’il voyait ridiculeusement de haut. Il ne voulait pas être le type un peu trop grand avec elle, ni même le psychopathe au regard perçant (ouaip, il savait l’effet qu’il produisait généralement sur les gens). Il pris sa place habituelle, assis, prêt à commencer ses exercices. Il aimait sa proximité, ses gestes délicats. Elle dégageait une aura positive affreusement contagieuse mais qui le réconfortait. S’il avait une chance d’être un minimum guéri, elle viendrait d’elle. Alexie. Elle soignait son corps, mais aussi son esprit. Par sa présence, ses mots, ses attentions.
Jusque là il n’avait jamais compris à quel point une telle présence pourrait le sauver. [/color].