troubles du sommeil, de concentration. on t'avait prévenue, mais ce n'est pas comme si tu n'y étais pas habituée. de toutes manières, tu dors peu, ce n'est pas un problème. quant à la concentration, tu n'en as jamais été très forte pour ça. ensuite, ce n'était pas ta première commotion cérébrale, et probablement pas la dernière te connaissant. néanmoins, tu t'es moins bien remise de celle-ci; pas parce qu'elle était plus grave, mais bien car ton état psychologique influe sur ton état physique. si tu gardes quelques cicatrices de cette tragédie, elles sont principalement internes. psychologiques, c'est ce qui les rend si insupportables. tu avais les compétences pour aider les gens, et tu t'es bêtement retrouvée clouée au sol, suffoquant, paralysée et à moitié inconsciente. tu te rends malade depuis que tu as réalisé ton échec. ton inutilité alors que tu t'emploies, depuis des années, à sauver des vies. tu es à peine capable de garder la tienne, et tu n'as même pas été apte à venir en aide aux habitants de ta propre ville. tu te sens inutile. pour ne rien enlever à ta contrariété, tu fais face au deuil pour la première fois de ta vie. des hommes sont morts à tes côtés, des soldats avec qui tu avais l'habitude de vivre. mais tomber au combat est un concept que tu as depuis longtemps intégré. dû intégrer. tu es forcée de faire un deuil rapide de ces hommes et femmes que, au fond, tu ne connais pas vraiment. tu le réalises lors des enterrements, alors que tu écoutes des discours qui t'apprennent des tas de choses sur ces personnes que tu côtoies pourtant jour et nuit des mois durant. adèle, tu la connaissais vraiment. tu connais très bien sa soeur et, par son intermédiaire, tu as rencontré la jeune femme. vous vous entendiez parfaitement, sa maturité t'impressionnait d'ailleurs depuis toujours. elle faisait partie de ta vie, sa disparition laisse un indescriptible... vide. tu n'as pas les mots pour l'exprimer, sans doute ne les trouveras-tu jamais.
afin de palier à ton inefficacité sur le terrain, tu as mis sur pieds une cellule psychologique bénévole après avoir proposé d'accueillir deux à trois personnes dans ton appartement heureusement demeuré en parfait état. tu as l'habitude du bénévolat, tu es même un peu trop collante avec certains de tes "patients" de l'armée. pour leur bien, et cela fonctionne. ici, tu as plutôt l'intention de te reposer en partie sur l'aide que tu as reçue. oh, si tu avais été la seule à être volontaire, tu aurais tout de même agi, tu te serais démenée seule, et tu aurais monté cela. mais les bonnes âmes existent encore, et tu l'as constaté lorsque tu as lancé l'annonce dans le journal. tu profiteras donc d'avoir quelques psychologues improvisés avec toi pour te décharger du poids de la responsabilité. bien que tu comptes, évidemment, t'investir.
tu es chargée de paquets de chips lorsque tu arrives sur place car, avec la glace et le soda, c'est à peu près tout ce que contient ton garde-manger. tu t'installes et attends les autres, ravie que la propriétaire du chameleon ait eu la bonté de vous céder son bar pour votre réunion. ton contentement est de courte durée, comme toutes les émotions positives ces derniers jours, mais tu t'empresses d'afficher ton habituel sourire à l'arrivée des premières personnes. tu es là pour écouter, tu n'as absolument pas l'intention de décharger ton mal être sur les autres sachant que tu es bien incapable de l'expliquer. tu demeures fidèle à ta réputation d'optimiste inébranlable, bien que tu te sentes chanceler. tu demeures d'ailleurs dans un coin, évidemment à côté de la nourriture, en attendant l'arrivée des derniers. tu aperçois azel, l'une des premières à s'être proposée de t'aider. tu lui souris, plus sincèrement que précédemment. ton regard balaie la salle. « certains sont là pour se confier. je ne pensais pas que ça fonctionnerait aussi bien... je suis contente qu'on puisse aider. »

Le simple fait de fermer les yeux fait remonter le temps. Une semaine, déjà. Elle repense à ce son. Ce bruit sourd, le signal d'une catastrophe. Elle se souvient de cette peur qui avait serré son cœur. Le battement lourd dans sa poitrine, comme une alarme à la menace. Ce matin encore, elle s'était réveillée en sursaut en hurlant. Alaska, qu'elle hurlait Charlotte.. A peine le temps de fermé l’œil une heure. Et elle était là pourtant, sa fille. Vivante. Elle n'avait rien. Elle remerciait Enzo pour ça, de l'avoir emmené pour la journée. De lui avoir prise quelques heures. Charlotte avait été soulagé. Aujourd'hui, c'était différent. Charlotte ne parvient plus à dormir, à sortir ce dont elle se souvient de son esprit. Elle a peur, elle craint, elle tremble sans arrête au moindre bruit. Elle prend garde aux odeurs, à ce qu'elle voit. Charlotte semble être atteinte par la paranoïa. Il y a cette douleur qui reste. Cette douleur mentale, cette douleur physique. Elle a eu peur, tellement peur. Elle qui n'avait plus pleuré depuis l'enfance se surprend à sangloter. Elle sanglote à s'étouffer. Depuis qu'elle a quitté l'hôpital, elle vit dans l'insécurité. Loin de son appartement qu'elle a dû quitter le temps des expertises et des travaux. Les médecins lui avaient annoncé que ses poumons avaient été touchés. Il n'y avait rien à faire, juste suivre un traitement important. De l'oxygène en tube, des pilules colorées. Elle avait été gâtée Charlotte.
Elle avait poussé la porte du Chameleon ce jour-là. Sur les recommandations d'Azel. Celle d'Enzo aussi. Tu dois parler, t'en as besoin, qu'il lui avait dit. « Bonjour. » avait-elle dit faiblement. Charlotte est différente aujourd'hui. Pas de coquetterie. Son visage est terne, ses yeux sont tirés. Sa peau est blafarde dénuée de maquillage. Vêtue de son jogging préféré, elle cherchait simplement à parler. Il n'y avait pas à dire, devant elle se tenait des personnes plus souriantes. Elle est venue parler, ça se voit. Et même, ça s'entend dans sa voix. Elle salue sa meilleure amie d'un geste simple de la main. Au fond, si Charlotte s'en sort bien, elle n'est plus comme avant. La gaieté d'Azel ne l'atteint plus. Rien de va plus.

Micah avait longuement hésité avant de se rendre à cette réunion. Elle était toujours troublée par l'événement qui avait eu lieu la semaine dernière. Elle n'avait presque pas dormi depuis, des images de cette horrible soirée lui revenant dès qu'elle fermaitles yeux. Elle se disait que d'en parler avec d'autres personnes pourrait lui faire du bien. Pourtant, elle s'en était sortie indemne et personne de son entourage n'avait été blessé, alors elle se voyait mal aller se plaindre devant des personnes qui avaient peut-être perdu leur foyer et tout ce qu'ils possédaient ou vu un de leur proche gravement blessé par l'incendie. Ils se diraient probablement qu'elle n'a rien à faire là, qu'elle devrait plutôt se compter chanceuse de n'avoir rien eu. Elle avait alors passé un long moment à hésiter, se préparant à sortir puis se résignant. Finalement, elle avait pris son courage à deux mains et décidé d'y aller. Surtout que la rencontre avait lieu au Chameleon, un endroit familier. C'est cela qui l'avait convaincue d'y aller.

Elle avait hésité si longtemps que lorsqu'elle est arrivée, tout le monde était déjà installé et la discussion semblait entamée. Gênée, elle prit timidement place à une des chaises qui avaient été disposées en cercle pour l'occasion. Elle sentit les regards se poser sur elle, alors elle esquissa un léger sourire pour s'excuser de son retard. Celle qui semblait en charge de guider la discussion continua ses explications : Je pense qu’on peut parler tour à tour. À chacun de raconter ce qu’il a vécu, son ressenti. Et pour ceux qui n’ont pas été en contact avec l’explosion, vous n’avez qu’à raconter la vie de votre poney. Sa remarque fit sourire Micah. La jeune femme semblait si douce, si positive, que ce qu'elle dégageait suffisait à mettre les gens en confiance pour parler. Malgré tout, Micah ne se sentait encore pas suffisamment à l'aise pour prendre la parole en premier. Elle préférait d'abord écouter ce que les autres avaient à dire, alors elle jeta un coup d'oeil à ceux qui l'entouraient, en espérant que quelqu'un soit suffisamment courageux pour se lancer le premier.