Impossible d'organiser une soirée dans mon petit appartement. Les voisins hurlent au moindre bruit et il y avait de toute manière trop de personnes présentes ce soir pour ne serait-ce qu'envisager le choix. Où alors ? Où accueillir tous ces gens assoiffés, hâtifs de se perdre un instant dans la débauche et oublier le temps. Tous ces gens éperdument enragés, insatiables de vivre leur existence dans un flou continu qui leur permettait d'être. Ne plus faire attention aux conventions sociales, perdre leur timidité, exhiber leur folie, danser jusqu'à l'épuisement de leurs rêves et jusqu'au bout d'une énième nuit inscrite dans le temps. Voyager vers l'inconscience, se noyer dans les étoiles d'une fureur nocturne enflammée et sentir l'engouement d'une révolte qui ne s'exprime aujourd'hui que par la drogue, le sexe et l'alcool. Au final, c'était beaucoup de responsabilité d'organiser une fête. D'endosser ce rôle de vendeur de rêve pour une nuit et recevoir les sourires de ces gens qui s'effaceront demain à force d'avoir trop exister ce soir. Par chance, par heureux hasard, j'avais l'endroit parfait. Sam n'était pas là, le bar était fermé avec les clés dans mes mains, ça semblait même trop beau pour être vrai. L'endroit idéal, un bar, avec son appartement à l'étage pour pouvoir dormir ailleurs que sur le sol. Le plan était parfait, j'avais dégagé toute culpabilité en me confortant dans l'idée que j'aurais terminé de tout ranger avant qu'elle ne rentre. Chaque personne viendrait avec son alcool, au pire il y aurait quelques petits détails mais rien d'insurmontable. Je me sentais grand et responsable, capable de veiller sur ce vieux taudis sans m'inquiéter de quoique ce soit. L'adresse envoyée, il n'y avait plus de retour en arrière possible. Ce soir, je mettais en place la scène pour le théâtre de la démence, l'ivresse, à son apogée, coulant dans le sang de tous ces acteurs d'un soir aux pupilles dilatées.

* * *

Il y eut d'abord le claquement de la porte qui vint fracasser mon état grommelant de sommeil. Les cris vinrent ensuite déclencher le deuxième râlement d'un réveil forcé. Puis, enfin, le retrait tactique des draps qui revenaient alors bien assez vite, fouettant mes jambes dans l'excès de rage de Sam. Les yeux à peine ouverts et le bruit de ses hurlements qui résonnait comme un écho dans le creux de mon mal de crâne massivement assommant. Je posais mon regard embrumé sur elle le temps d'un instant, puis, sans un mot, je laissais mon corps retomber sur son lit, enfouissant ma tête sous les oreillers.

« J'ai pas entendu le réveil. Je vais ranger, relax. Je finis ma nuit tranquille et après, au boulot. »

Grommelant quelques mots dans un bâillement incontrôlé, je sortais un œil dans le creux des oreillers. Elle criait à nouveau, elle ne semblait pas accepter ma requête alors je sortais la tête pour me redresser. Je grattais mon crâne, laissant mes cheveux s'égarer dans tous les sens dans des figures totalement libres. Je pouvais sentir l'alcool remuer dans mon ventre, la drogue s'abattre sur mon esprit encore dans le brouillard et tous mes membres semblaient refuser de se mouvoir. À nouveau mes yeux regardaient Sam, la demoiselle voulait des explications. Vraisemblablement, je n'avais pas prévu de la voir si tôt et c'était à peu près la seule chose qui me venait à l'esprit pour l'instant.

« Tu devais pas être chez tes parents ? Tu sais, normalement, j'aurais rangé avant que tu reviennes. T'en fais pas, je remplacerais les deux trois bouteilles qui manquent. »

Fouillant autour de moi pour attraper mon paquet de clope et m'en allumer une. Mes yeux voyageaient dans l'appartement et le chaos régnait en maître. Des fringues sur le sol, des bouteilles, des cendres, probablement du verre cassé et j'espérais pas trop d'objets cassés. Je grattais à nouveau mon crâne en inspectant l'étendue des dégâts et j'imaginais alors que le bar en bas ne devait pas être dans un meilleur état. J'essayais de refaire le fil de la soirée, tentant de trouver où ça avait pu déraper mais je me retrouvais incapable d'avoir des souvenirs clairs et précis de la veille. Une épiphanie s'éprenait de mon brouillard et je montrais les draps du doigt.

« Tu ferais mieux de me les passer, je vais les laver. » Une grimace d'enfant sur le visage, des yeux plein de douceur, une tentative probablement vaine de paraître trop mignon pour être éventré sur place. « Désolé, Sam. »

Elle avait tous les droits d'être en colère. J'avais merdé, mais ça n'était pas la première et sûrement pas la dernière fois. Je m'étais cru responsable, je ne l'avais pas été, obscurci par la débauche. Malgré tout, ce n'était pas si grave, je rangerais tout rapidement et ça ne sera qu'une anecdote amusante pour le futur. Je me redressais pour enfiler un pantalon et un t-shirt, ramassant quelques bouteilles de bières.

« Tu vois, tout s'arrange. Tu as été... Tu es jeune, tu sais ce que c'est. »

Il valait mieux que je ne dise plus rien peut-être. J'essayais de m'en échapper doucement, calmement mais je sentais que ça n'irait nulle part. Et je n'avais jamais réussi à bien réagir contre l'autorité, contre ma culpabilité, contre la colère. Je me défendais avec la légèreté et j'attaquais avec la colère. Maintenant, ça passait ou ça cassait.