Un week-end en famille, cette blague. De base il ne pouvait que mal se passer puisque son cher père était de la partie mais si on rajoutait en plus de cela le contexte familial actuel, ça ne pouvait que dégénérer. Valentine, sa jeune sœur, n'allait plus tarder à devenir une vraie femme avec son mariage qui approchait à grands pas. Bientôt elle ne serait plus une Kingsley – plus vraiment – et laisserait tomber son nom de famille pour adopter celui tout aussi clinquant de Benjamin. Valentine Benjamin… Non, Chance ne pourrait pas s'y faire. Imaginer sa petite sœur adorer porter le nom de son petit-ami à lui était à peu près aussi improbable qu'épouvantable. Mais Wayne Kingsley avait trouvé le moyen de régler tous ses problèmes par cette simple union. Sa fille épousait le fils d'un homme très bien et son fils aîné arrêtait ainsi de faire le con. Quand on savait qu'en plus le père n'avait pas la moindre preuve de ce qu'il imaginait (à raison, certes), on croyait rêver. Après tous ces événements il allait de soi que le week-end ne pouvait que mal se passer mais aussi mal se terminer. Père et mère tentaient bien de faire comme si tout allait bien et qu'ils ne voyaient absolument pas pourquoi leur fils aîné prenait ce mariage aussi mal. Peut-être même que madame Kingsley était de bonne fois d'ailleurs. Une discussion simple avec les grands-parents sur les tenues des jeunes mariés s'était embrasée de par la faute de Chance qui s'était barré sans crier gare pour revenir en ville. Il valait mieux, il le sentait bien. S'enfermer chez lui, dans sa chambre, jouer aux Sims ou à n'importe quoi d'autre en essayant de penser à autre chose… quitte à enchaîner quelques joints. Bonne option. Et les Sims seraient idéaux aussi. Il avait donc pris le premier taxis.

D'un œil morne, Chance regarda le type monter à bord du taxis et s'asseoir à côté de lui. Il était presque arrivé à destination de toute façon et heureusement, il n'avait absolument pas la tête à faire la discussion avec un inconnu simplement parce qu'il s'agissait de « courtoisie élémentaire ». Au fond tous se foutaient de ce qui pouvait bien se dire dans de tels bavardages. Quelle importance de dire à son voisin de taxis qu'il allait faire sacrément beau ce soir et que c'était tant mieux puisqu'il comptait sortir ? L'autre ne le connaissait pas de toute façon alors qu'importe. Chance repartit dans sa contemplation de la route qui défilait de l'autre côté de la vitre. En plus il ne faisait même pas beau.

« Vous êtes quasiment à destination, monsieur. » Le chauffeur s'adressait à lui aussi Chance se redressa-t-il pour farfouiller dans son sac à dos. Il n'avait presque rien pris en partant de chez ses grands-parents à part sa Nintendo DS et ce qui ne sortait de toute façon jamais de la poche avant : ses papiers, son argent, et toutes ces petites choses nécessaires. Mais là… Il eut beau s'y reprendre à plusieurs fois, vider encore et encore la petite poche carrée du sac Eastpack, il dut bien se rendre à l'évidence… Son porte-feuille et toute la petite richesse qu'il contenait n'y était pas. Il avait seulement sa carte de bus locale, un vieux stylo et un Mars proche de la fossilisation. « Hum... » Coincé. Il était coincé. Il n'avait aucune idée de ce qui se passait s'il ne pouvait pas payer le chauffeur mais rien de bon sans doute. « Je... » Il avait encore quelques instants : le chauffeur n'était pas exactement à l'endroit indiqué. Chance se tourna vivement vers son voisin, le rouge aux joues, pour chuchoter. « Excusez-moi, c-c'est vraiment gênant mais j'ai perdu mon porte-feuille et... » En parallèle, la panique d'avoir égaré ses papiers, carte d'identité, permis de conduire… « Pourriez-vous m'avancer par le plus grand des hasards ? Je… Enfin je peux vous donner mon numéro de téléphone et mon adresse pour pouvoir vous rendre ça le plus rapidement possible ? » La gêne la plus totale vibrait en lui, Chance ne supportait pas de devoir quoi que ce quoi à qui que ce soit, d'autant plus lorsqu'il s'agissait d'un parfait inconnu.