EFFET PAPILLON
des fois je me demande pourquoi on a quitté le monde de martine.

“le temps marche ainsi. ce n’est pas seulement une fuite vers l’avant. c’est à la fois un retour en arrière et une fuite vers l’avant.”
j'ai six ans du matin. le soleil dort encore et les étoiles brillent, les étoiles c'est comme la petite guirlande au dessus de mon lit, les étoiles c'est comme les paillettes sur ma robe de carnaval qui est devenu ma robe de tous les soirs. parce que tous les soirs je me déguise en fée, pas en princesse parce que les princesses c'est nul. c'est rose, ça fait des chichis, ça fait des chignons et ça met du gloss. moi je suis une fée, une fée comme clochette. je fais chier mon monde mais j'aime ça, et on m'aime comme ça aussi. j'ai six ans du matin on est en hiver et la maison dort encore. j'entends rafa qui bouge dans son lit à côté de ma chambre, j'imagine maman qui dort à la place de papa, puis je pense à mia. est-ce qu'elle pense aux étoiles, elle aussi? mia c'est une princesse, elle. elle n'a pas besoin de gloss, elle n'a pas besoin de chignon, elle n'a pas besoin de chichis. et feliks est un prince, je dis que c'est un prince juste pour l'embêter. feliks c'est pas un prince en principe, mais c'est un peu notre prince quand même. j'ai six ans du matin, ça fait un an que mia est là, quelques mois que feliks nous a rejoint. j'ai six ans du matin, papa me manque. à l'heure qu'il est il doit déjà être levé aussi, lui. j'ai six ans du matin et je n'ai plus envie d'être une fée maintenant, je veux être une pirate. je veux être pirate, guerrière, vampire, homme, sorcière. je veux être maman, je veux être pompier, écrivain, je veux dessiner, jouer. jouer tout le monde. une gentille fille ou une méchante, je veux être triste, heureuse, rêveuse et amoureuse en même temps. je ne veux pas être une, je veux être tout ça. je veux être un gros bordel. je veux jouer du théâtre.
je veux être l'arbre dans le fond de la scène ou la fleur sur le devant, je veux imaginer ce que se dit un arbre quand il est tout derrière, caché. qu'est-ce qu'il se dit l'arbre au printemps? il doit être fier et heureux avec toutes ses fleurs. en été, il est tout vert. le vert c'est beau, c'est paisible. un arbre en été c'est paisible. un arbre en automne c'est stressé, mais en même temps j'aimerais bien être un arbre en automne. les arbres en automne deviennent roux, moi j'aimerais bien devenir rousse aussi en automne. en automne les arbres doivent être tristes, de perdre leurs feuilles. leurs jolies feuilles. alors je les ramasse. j'ai sept ans du matin. je suis avec mia et feliks, c'est l'automne et je ramasse une feuille. la feuille c'est nous, c'est ce jour et ce souvenir. c'est le playmobil perdu et les larmes de rires, c'est la chute en vélo, le bobo sur mon genou. je collectionne les souvenirs d'automne, je me demande quel souvenir se cache derrière le drapeau rouge et blanc. et puis vient l'arbre en hiver, en hiver l'arbre est seul, en hiver l'arbre est nu, mais l'arbre n'est pas triste. l'arbre devient blanc grâce à la neige, l'arbre est majestueux. je suis un arbre en hiver.


“je sais pas pourquoi d'une façon générale le monde est devenu un tel bordel. je sais pas si c'était obligatoire que le monde devienne ça. tout est compliqué, mal foutu, pas rangé.”
j'ai quinze ans du soir je pense à louys. c'est un gentil gars. j'ai quinze ans du soir je pense à cette fille aussi. j'ai quinze ans du soir et je ne sais plus quoi penser à force de penser. courbes féminines, nouveau pote, potes depuis toujours, être moi ou être belle et appréciée, l'avouer, ne pas avouer? feliks n'a pas peur lui, moi j'ai peur. peur d'avouer que j'aime bien les parfums-fleurs et les rires timides, les jolies courbes et les jolies poitrines. je repense à cette fille qui a dix-sept ans, elle s'appelle lolita et elle est belle. elle est grande, immense, elle a les cheveux blond foncé ou châtain clair, elle a des yeux bleu et ne met jamais de maquillage. elle est maladroite, souvent elle fait tomber son tabac par terre au coin fumeur ou craque sa feuille quand elle roule au dernier moment. ce matin elle a fait tomber mon briquet, ce matin on s'est toute les deux penchées, ce matin ça ressemblait à un film américain niais sauf que je ne suis pas un garçon, je suis une fille. ce matin on s'est relevées, on s'est cognées la tête, et on est devenues toutes rouges. la honte. là, ça se transforme un peu en comédie française. ça aurait pu être simple mais j'ai l'impression que je foire tout, c'est comme si j'étais une énorme tâche, une tâche géante de bordel qui engloutit tout sur son passage. et au final, ça forme un casse-tête de fou, un casse-tête, un gribouillis d'enfant, une pelote de laine toute emmêlée, bref. un truc impossible à trier, impossible à démêler. alors je continue le théâtre. au théâtre je suis plus stable parce qu'au théâtre je ne suis pas moi. moi c'est la fille qui prend toujours son parapluie puis le jour où elle l'oublie il pleut à verse. au théâtre je suis mille mais une. c'est drôle. on forme une minie troupe avec le club théâtre au lycée, on est tous cons, on est tous un gros bordel, on est tous du genre à oublier de répondre aux messages, on est tous du genre à oublier de rejoindre intel à telle heure alors on s'en fout. on est tous du genre à savoir qu'on est trop perdus dans nos vies pour se promettre d'être là pour la vie. on sait que ça ne va pas durer mais on n'a pas envie de se le répéter, alors on vit à fond ensemble quelques heures par semaine. et ça rit, ça hurle, ça pleure et ça gueule. on est tous faux, on ne sait pas qui on est. on ne sait que rire, on ne sait que faire les idiots et ça nous va. ma vie est un bordel, je ne sais plus où donner de la tête. quand on m'entend parler tout va bien, quand on me lit j'ai l'air perdue et heureuse. en réalité je suis morte de trouille. morte de trouille morte de trouille morte de trouille. mais ils sont là. ils sont trois et toujours là. et sans eux je ne sais pas ce que je serais moi.
parce que je ne fais pas que rire, parce que je suis sans filtre, parce que quand je suis triste je pleure n'importe où et n'importe quand. quand j'ai peur je panique et quand je suis en colère je gueule. je suis chiante, je suis amoureuse, je ne sais plus. lolita. elle me rend folle. croiser son cul à chaque coin de rue. elle connaît à peine mon nom. j'ai seize ans du matin, c'est mon anniversaire. alors je ris, je danse et je chante. et puis je sors, première sortie en bar le soir. et bam, lolita en pleine gueule. elle est belle, elle n'est toujours pas maquillée et elle boit une despe. je ne lui parle pas, je la regarde de loin, j'observe chaque trait de son visage et je baisse inconsciemment le regard et bam, bam bam bam, roulée. elle m'a vue et même dans l'obscurité du bar elle doit voir le rouge sur mes joues, le temps est sur pause alors que les copains chantent mon anniversaire. je n'entends plus, je ne vois qu'elle. elle sourit, elle sort son pot de tabac alors je m'excuse et je quitte les potos pour lui demander une clope. gentiment. j'ai seize ans du matin je n'ai jamais autant aimé. alors on sort, on a un peu trop bu, on s'éclipse comme des voleuses, on lève la tête le ciel est étoilée et puis moi je me mets à regarder les étoiles dans ses yeux à elle. et c'est arrivé. le baiser le plus timide jamais recensé, un truc qui fait pousser des forêts de montagnes sur la peau, qui fait exploser la bombe mécanique dans la cage thoracique. un truc qu'aucun film ne pourra jamais montrer. un truc impensable. on avait un peu trop bu, on a oublié de s'échanger nos numéros. mais le lundi, c'est pas mon briquet qu'elle a demandé, c'était si je l'avais oubliée. voilà, j'ai seize ans et trois jours, je suis en couple pour la première fois et personne ne s'est opposé à ma bisexualité. ou alors on fait des doigts aux cons dans les couloirs qui nous traitent de sales gouines et on rigole. des gamines. puis elle est partie en france pour ses études, on s'est dit adieu. j'ai pensé à tout ce qu'on avait vécu jusqu'à aujourd'hui. aujourd'hui j'ai dix-sept ans elle en a presque dix-neuf. on a vécu un an ensemble, à s'écrire des mots sur les tables de cours, à glisser des papiers dans le casier de l'autre, à s'attendre dans les couloirs et à sécher en riant. il fait froid, on est en automne-presque-hiver et je caille, j'ai des larmes et du rimmel plein la gueule, je renifle toutes les cinq secondes et elle s'en va en me tournant le dos. j'peux même pas voir son cul avec son gros manteau. j'ai mis mes écouteurs, j'écoute no surprises de radiohead, je m'imagine qu'elle s'appelle martine et que je suis xavier, je me remémore toutes les rues qu'on a fait et notre premier baiser. je dois partir. un pas en arrière. un déchirement. deux pas en arrière, un séisme. trois, quatre et puis cinq pas, un torrent de larmes. je me retourne, je ne la vois pas se retourner, je cours vers la sortie. adieu lolita.

“pourtant on peut pas dire qu’on y connaît rien, on est préparés putain : quand on est petit on lit des livres d’amours, on lit des contes, on lit des histoires d’amours, on voit des films d’amour! l’amour, l’amour, l’amour!”
j'en ai mis du temps à l'oublier ma lola, et par tous les moyens possibles. j'ai essayé de retomber amoureuse et ça a été un énorme désastre, on peut pas se forcer à tomber amoureux. alors j'ai vu des filles, j'ai vu des mecs, j'ai vu des seins et des pecs, tout ça vous voyez. et puis après, au bout d'un moment, je n'avais plus envie. l'amour ça ressemble à ça, tu tombes dedant et t'es accro et puis un jour en te réveillant tu te dis que t'as plus envie. je me suis dit que j'avais mia, que j'avais feliks et louys, que je n'avais pas besoin de ça. que c'était bientôt la fin du lycée et que moi aussi j'allais suivre ma route. mais j'ai reçu un truc sur le coin de la gueule un jour comme ça sans prévenir, un putain de pion. un pion c'est sensé t'engueuler quand tu dépasses la zone fumeur, qui doit t'faire la morale et qui d'annonces tes colles, qui vient te chercher quand tu sèches. un pion c'est sensé être plus vieux, pas attirant, pas intéressant. ce pion il s'appelle manu, il a vingt-trois ans, il a juste cinq piges et six mois de plus que moi. il fait de la guitare, il est vachement intelligent et impliqué, il a des yeux pires que ceux de lolita, il a un rire qui te fait louper un battement de cœur. manu il connaissait lolita, ils étaient potes et tout, elle lui a parlé de moi. alors dans les couloirs on se sourit, quand un pion frappe à la porte pendant un court je prie pour que ça soit lui. manu. j'ai dix-huit ans maintenant, je ne vois toujours pas clair dans ce qui ressemble à une vie, la mienne. je ne mets plus de rimmel, jamais de rouge à lèvres, j'ai l'air d'un sac h24 et pourtant il me regarde. il me regarde et j'ai l'impression qu'il me trouve pas moche. se serait prétentieux de dire que je crois qu'il me trouve belle alors je dis pas moche, dans ma tête j'espère qu'il se dit que je suis magnifique. parce que moi je le trouve magnifique. ouah. c'est son sourire, ce sont ses yeux. truc de fou. comment tu tombes amoureux quand tu croisés ses yeux quand il sourit. ça a commencé par un truc tout con. il aimait bien une musique que j'écoutais un peu trop fort dans mon casque, il m'a dit de baisser le son mais m'a demandé le titre en même temps. j'ai paniqué, je ne savais plus rien orthographier, plus rien écrire, plus rien penser. alors sur facebook (ouaah comment c'est nul) je lui ai donné le nom. c'était con, on était con, il est un aussi gros bordel que moi. on se parle EN MAJUSCULES PARCE QUE ÇA FAIT GENRE ON CRIT alors qu'on est parfaitement calme. lui, c'est un copié collé d'un personnage de klapisch, malzieu, et gavalda en même temps. moi au début je me suis dit que c'était pas possible, que je ne pouvais pas tomber amoureuse. mais si, mais si je suis tombée amoureuse. il l'a su, j'ai écrit un truc pour lui dire sans dire je t'aime et tout et j'ai espéré un truc comme dans un film à la con. encore. j'oublie tout le temps que je ne vis pas dans un film. ni dans un livre. ni dans une pièce de théâtre. j'oublie que je suis un bordel, que je suis une tâche de bordel. alors on se parle. j'avais dix-huit ans j'ai quitté le lycée j'en ai dix-neuf, je suis en formation pour le théâtre on est toujours amis. il a commencé le théâtre lui aussi, c'est une plutôt bonne thérapie.
j'ai presque vingt ans, je suis presque en pleurs je le regarde il est sur scène il est beau et grand, j'ai l'impression de n'être rien. je suis toute petite dans mon siège et il m'écrase. il joue l'amoureux, je ne peux pas rester. j'ai quitté mon siège, je quitte ensuite la salle, je pleure dans la rue et en plus il pleut. il pleut sur mes pleurs et sur min visage maquillé comme celui d'une femme, parce que j'ai essayé d'être plus femme pour lui plaire. mais c'est pas moi. au final je suis là, sous la pluie, j'ai mal au cœur et je fais mal au cœur.je ne sais pas si je dois l'attendre, alors je l'attends. le temps est long, je marche, j'hésite à aller acheter un paquet de cigarettes mais j'ai dis que j'arrêtais. je me blottie dans un coin, sur le seuil d'une porte, j'écoute no surprises en boucle. je ne sais plus combien de temps j'ai attendu mais c'était comme une éternité. alors j'ai joué l'aveugle. on pense plus dans le noir en fait. et puis il est arrivé. il est sorti, il a regardé à droite sans me voir et puis il est parti à gauche, rapidement. j'ai crié son prénom dans la rue, et là je ne savais plus si c'était la pluie ou les larmes sur ma joues. les mots n'arrivent pas à sortir et quand ils sortent il n'arrive pas à comprendre parce que c'est imperceptible et saccadé, horrible. j'étais trempée et lui un peu moins, il m'a prise dans ses bras le temps s'est arrêté et j'ai pleuré tout mon stock de larmes de tristesse, de larmes de joie, de larmes de rage et de honte et de tout ce que vous voulez. et puis il a joué l'amoureux sous la pluie, je tremblais et j'étais vraiment moche, alors j'me suis dit qu'il ne jouait pas vraiment.
j'ai actuellement vingt-et-un an et bientôt vingt-deux. je souris sans vraiment sourire et je refuse de ne plus être un bordel. je suis comédienne, ça y est. j'ai un appartement que je partageais avec manu mais il est parti un moment, on fait ce qu'on appelle une pause. parce qu'il estime sue je suis trop gentille et il a plutôt raison. parce que je pardonne trop vite. parce qu'à force d'être amoureuse j'ai oublié d'être moi. alors je souffle, je ne sais pas quand il va revenir mais c'est pas grave. on n'y pense pas, on s'accroche et on souffle. puis mia, feliks, louys, maman et rafa sont là. tout va bien, je suis toujours un bordel, je ne me comprends toujours pas et c'est mieux comme ça.

Spoiler:

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Sasha Malzieu a écrit:

merci à vous tous!
c'est vrai qu'alice ressemble assez à sasha sur les photos. vous êtes vraiment tous adorables, encore merci.