La nuit est tombée, la pénombre a envahit le parc du campus, alors que je viens de quitter mon bâtiment. J'aime avoir cours le soir, ça va car je n'ai au final, qu'un seul cours à 19 heures, mais j'aime cette ambiance apaisante qu'offre la nuit. Je ferme mon manteau, le vent est glacial. Je n'ai pas très envie de rentrer chez moi, ma mère et son nouveau mari étant en voyage de noces, je me retrouve seul pour encore une semaine. Bien évidemment, ça n'est pas la meilleure période pour moi, étant donné ce qu'il s'est passé avec Vicki. Je m'en veux d'avoir été aussi naïf et stupide, d'avoir voulu y croire, d'avoir cru qu'elle était restée la même. Je ressens en moi, depuis ce matin là, une immense colère que je ne parviens pas à extérioriser, elle grandit en moi et la seule façon dont j'ai trouvé pour me sentir bien, c'est la weed. Grâce à elle, j'oublie ou plutôt, je ne pense pas. C'est donc plus facile de se dire que ça va, quand on ferme les yeux sur ses problèmes, ses regrets et sa colère mais je continue de les sentir en moi, quelque part. Je m'allume une clope dès ma sortie du bâtiment où j'avais mon cours, me mettant en route pour le parking, où ma voiture m'attend bien sagement depuis tout à l'heure. Je ne sais pas comment j'ai réussi à me motiver pour aller en cours, sûrement l'envie au fond de moi, de me sortir de cette situation dépressive. Mon pas est lent, alors que je croise très peu de personne. J'arrive finalement à ma voiture, il y a très peu de gens sur le parking, juste un couple, non loin de moi. Je ne les regarde pas, les couples me dégoûtent à vrai dire. Je n'ai plus envie de me confronter à leur amour, leur complicité et leur bonheur, j'ai plutôt envie de leur cracher dessus et leur jeter des oeufs, encore plus s'ils s'embrassent devant moi. Je ne les regarde pas. Je jette mon sac sur le dessus de ma voiture, alors que je fini ma clope et que je cherche mes clefs. Introuvables, bien evidemment. Je grogne. Je deviens impatient depuis quelques temps. Soudain, j'entends des voix qui s'élèvent. Cela vient du couple non loin de moi. Je me tourne pour jeter un coup d'oeil. La fille essaie de se dégager du mec, il a l'air de vouloir insister. Je pense dans ma tête : laisse tomber mec. Bien évidemment, à cause de ce que j'ai vécu avec Vicki, mais aussi par mon histoire vécue avec mon père et sa violence quotidienne, je déteste les mecs qui ne se contrôlent pas avec leur femme. Déjà que tu as de la chance d'être en couple avec une fille qui veut bien de toi, alors va pas tout gâcher pauvre type. Les voix se font entendre plus fort, ce qui me fait les regarder fixement. Je fini par comprendre qu'il ne s'agit peut être pas d'un couple, mais tout simplement d'une altercation. Dois-je intervenir ou pas? J'hésite. Je n'aime pas du tout me mêler de la vie des gens, leurs histoires les regarde. Mais je garde un oeil. Je fais bien, car peu de temps après, le mec lève son bras en direction de la jeune femme, qui finit par tomber sur le sol. Il est sérieux ce type? Je jete ma clope alors que j'avance en courant vers eux. Je me retrouve derrière le gars, je ne perds pas une seconde pour dire énervé « Mais ça va pas espèce d'enculé?! Tu te prends pour qui pour frapper une fille, t'es sérieux là?! » Il se retourne et cherche à me faire partir. Il me lance que ça ne me regarde pas, que c'est une allumeuse et que je dois me casser. La fille est toujours au sol. J'avance vers elle pour l'aider à se redresser, me plaçant ainsi entre eux. Je ne perds pas mon courage pour lui lancer « C'est pas à moi de bouger, toi par contre, tu te casses tout de suite tarlouze. » Je serre les dents. Il a l'air énervé et il est plus costaud que moi -ça n'est pas difficile en même temps- et m'attrape par le col de mon manteau pour me faire bouger, je trébuche sous la surprise mais je me reprends et je lui donne un coup de poing dans la gueule. Il est surprit que je réplique mais me rend mon coup. Je perds pieds et tombe, un genou au sol. Merde. Le coup m'assomme et il me par les cheveux pour décocher un autre pain, je prends son poignet et le tord, il se courbe sous la douleur, tandis que son bras se retrouve tordu dans son dos, je suis derrière lui. « Dégage » lancais-je les dents serrées. Finalement, il n'insiste pas et finit par partir, nous insultant tous les deux au passage. Ma main atterrit sur ma mâchoire, j'ai mal. J'ouvre la bouche instinctivement, comme pour voir si quelque chose coince, j'ai juste mal. Mon oeil me brûle aussi et je sens que ma peau est chaude. Je me tourne alors vers la jeune femme pour lui demander « ça va? »

Pour une obscure raison, son professeur de littérature médiévale avait déplacé son cours de deux heures et il faisait déjà nuit noire lorsque May-Line sorti de sa salle de cours. Le froid glacial de ce mois de novembre lui transperça les os et elle noua son écharpe autour de son cou avant de se diriger hâtivement en direction du parking. May ne conduisait pas et elle n'était d'ailleurs pas pressée de conduire un jour. Elle ne se sentait pas en sécurité dans une voiture et les seules fois où elle s'était autorisée à monter dedans, ses angoisses reprenaient le dessus et lui faisaient passer un sale quart d'heure. Dès que le temps le lui permettait, elle enfourchait son vélo pour se rendre là où elle le souhaitait et dans le cas contraire, le bus prenait la relève. Malgré les températures en chutes libres, la jeune fille préférait éviter encore pendant quelques jours les transports en commun, surtout depuis sa dernière soirée -assez mauvaise- avec ses deux amis. May n'arrivait toujours pas à se débarrasser de la honte qui l'habitait depuis ce jour et elle mettait tout en œuvre pour croiser aucun des deux. Peut-être plus par fierté que par honte, mais peut importe, tout ce qu'elle sait, c'est qu'il est hors de question de les croiser pour le moment. Elle a besoin de réfléchir et de prendre un peu de recul. Une fois devant le parking à vélo, elle déposa son sac sur le panier situé à l'arrière et s'agenouilla pour enlever son anti-vol. Évidemment, celui-ci fit des siennes et malgré ses plusieurs tentatives pour l'ouvrir, il resta fermé comme une huître. Elle et sa chance légendaire. Elle s'apprêtait à se relever, résigner à rentrer à pied lorsqu'une voix derrière elle la fait sursauter. « Salut bébé, tu as besoin d'aide ? » La jeune fille déglutit, se relève et s'éloigne de quelques pas de ce parfait inconnu. « Non… Non… Je… J'allais justement rentrer chez moi… » Sur ses mots, elle commence à s'éloigner, pressée de mettre fin à cette horrible situation. Mais, l'homme, lui, n'en a visiblement pas fini et l'attrape par le bras avant de la tirer contre lui. May lâcha un petit cri de surprise et se débat comme elle peut. Ce gars lui fiche la trouille. Elle sait très bien qu'il n'aura aucune limite et elle seule sur ce foutu parking. « Lâchez-moi ! » Mais il resserre son étreinte et commence à glisser ses mains baladeuses sous son manteau. Les larmes commencent à lui monter aux yeux, elle aimerait hurler, mais aucun son ne sort de sa bouche. Elle sait pourtant ce qui lui reste à faire, mais la peur la paralyse. Elle se débat une nouvelle fois et tente le coup pour le coup. Elle lui donne un coup de pied bien placé et réussit à se dégager en partie. Malheureusement, il est bien trop rapide pour elle et lorsqu'elle voit son bras se lever dans sa direction, elle trébuche sur un des supports à vélo et tombe au sol. Elle ferme alors les yeux, prête à subir le ou les coups, mais rien. Un étudiant, sans doute, se tient derrière son agresseur. Le reste, elle n'a pas la moindre idée de ce qui se passe ou se dit, elle sanglote en silence et tout passe trop vite. Ils se battent sans doute et au fond, elle ne veut même pas savoir. Après quelques minutes d’altercation, son agresseur met les voiles, ne se gênant pas pour les insulter de tous les noms. May-Line se relève tant bien que mal, croise ses bras sur sa poitrine et renifle. Elle dévisage discrètement celui à qui elle doit sans doute la vie et répond d'un simple hochement de tête lorsqu'il lui demande si ça va. Qu'aurait-elle pu répondre de toute façon ? Elle essuie d'un revers de manches ses yeux et prend une longue bouffée d'oxygène avant de lui retourner la question. « Et vous… ? Il ne vous a rien cassé au moins… ? »

Alors que le type s'en va, elle essaie de reprendre son souffle tout en essuyant ses larmes. Elle n'a pas l'air très bien ce que je comprends parfaitement, après ce qu'elle vient de vivre ou plutôt, subir. Néanmoins, elle me demande comment je vais. « Et vous… ? Il ne vous a rien cassé au moins… ? » Ma main se porte sur mon visage, ma mâchoire d'abord, puis mon oeil. A mon avis, je vais avoir la trace ce ce moment sur ma gueule pendant quelques jours. De bien longues journées... « Ca passera » rétorquais-je. Je regarde le gars s'éloigner lentement, il part en direction de la ville. Va t-il agresser d'autres filles ce soir? Que voulait-il? Le connaissait-elle? J'en savais rien et je ne voulais pas le savoir, le fait est que je suis intervenu parce que je me sentais obligé de le faire. J'ai vécu pendant six longues années auprès de mon père, un homme odieux qui s'amusait à passer ces jours -au lieu de travailler- à insulter, rabaisser, humilier, violer et frapper ma mère puis, quand ça ne lui suffisait plus, il s'en prenait à moi. Tout le monde déteste ce genre de personne, mais heureusement, peu y sont réellement confrontés. Enfin peu... peu admettent et peuvent en parler. Ce cas est bien trop fréquent, il y a bien trop de femmes qui sont seules dans cette situation sans pouvoir rien y faire. Ma mère a un jour, trouvé la force. J'ignore encore comment, car nous n'avons plus jamais reparlé de lui. Je ne sais pas ce qu'il devient, est-il encore en vie? Je l'ignore. Est-ce qu'un jour il me retrouvera? Nous sommes à des milliers de kilomètres de notre ancienne maison et pourtant, mon corps tout entier frissonne à l'idée qu'un jour je puisse tomber sur lui à nouveau. Je jette un coup d'oeil à la fille qui se tient près de moi. A ce que je vois, elle rentre en vélo. Est-elle en état de prendre la route? J'en doute. Alors instinctivement, je lui propose « tu veux que je te ramène? » tout en désignant son vélo d'un coup de menton. Je suis sûr qu'il tient dans le coffre. Et au moins, je serai rassuré de savoir qu'elle est rentrée saine et sauve. Malheureusement, après un tel évènement, la confiance envers les étrangers doit se faire prudence et surtout, bien rare.

May ne savait trop comment réagir. Elle aimerait fondre en larme et évacuer une bonne fois pour toute, tout le stress qui l'avait envahi en l'espace de quelques minutes, mais le peu de fierté qui lui restait l'en empêchait. Elle savait que dans ce genre de situation, il serait tout à faire normal qu'elle lâche prise, mais pleurer devant un inconnu, bien que ce soit en quelque sorte son sauveur ou un héros des temps modernes, elle s'y refusait. Juste le fait qu'il puisse la voir dans cet état ne l'enchantait guère et lui donnait envie de se terrer dans un trou à souris. Elle n'était pas du genre à se soucier de ce que les gens pouvaient bien penser d'elle, mais après s'être fait traiter d'allumeuse par son agresseur et ce devant lui, une petite angoisse commençait à naître en elle. La jeune fille n'ayant que très peu de caractère, elle avait plutôt tendance à passer inaperçus. On ne se souciait pas d'elle et c'est presque si on savait qu'elle existait. Timide et solitaire, elle passait la plupart de son temps seule, le nez fourré dans un bouquin. Alors au vu de ce qui venait de se passer, une multitude de questions se bousculaient dans son esprit. Qu'est-ce qu'il pouvait bien penser d'elle ? Croyait-il vraiment qu'elle était ainsi, ou avait-il su démener du vrai du faux ? Allait-il raconter à ses amis son acte héroïque et en profiter pour parler sur elle ? Elle ne le saurait sans doute jamais. Elle préférait croire qu'il savait pertinemment qu'elle n'était qu'une simple victime n'ayant cherché aucune embrouille. Elle s'apprêtait à le remercier lorsqu'il lui proposa de la ramener chez elle. C'est vrai que la proposition était particulièrement alléchante, mais vu ce qui venait de se produire, elle ne savait pas à qui elle devait réellement faire confiance. « Je… euh... » Elle ramassa sa besace d'une main tremblante et se mordit la lèvre inférieure. Sa mère lui avait toujours appris à se méfier des apparences et il était fort probable que ce soit plus que tout le bon moment de mettre en application cette recommandation, néanmoins, elle se sentait en confiance avec lui et sincèrement, elle ne se voyait pas prendre son vélo pour rentrer. Rien lui assurait qu'elle n'allait pas de nouveau se faire agresser par l'autre taré. Elle lui sourit timidement et hocha la tête. « Je veux bien, mais ne vo...ne te sent pas obligé de le faire… Puis je ne voudrais pas abuser de ton temps et de ta gentillesse... »

« Je veux bien, mais ne vo...ne te sent pas obligé de le faire… Puis je ne voudrais pas abuser de ton temps et de ta gentillesse... » Elle avait l'air vraiment déboussolée. Elle avait eu du mal à me donner une réponse alors soit elle était désorientée suite à son agression, soit je lui avais fait peur. J'espérais seulement que ça ne soit pas la seconde option, car si elle accepte de monter avec moi, tout de même, ça puait pour ma gueule. Mais la première option ne me satisfaisait pas non plus. Je n'aimais pas les hommes plus que misérables s'en prendre à des femmes vulnérables. J'étais bien placé pour savoir que ça n'est en rien la femme qui est coupable, ce n'est pas elle "la plus faible" ou autre. Non, c'est juste cet idiot manipulateur, vicieux et sans coeur. Bref, je ne veux pas penser à ça, cela me rappelle trop de mauvais souvenirs. J'attends qu'elle ramasse son sac et je lui lance doucement « ma voiture est juste là ». Elle a débloqué son vélo, je le prends donc avec nous, les mains sur le guidon, continuant de marcher près d'elle. Une fois arrivés à ma voiture, je lui tends son vélo pour déverrouiller ma voiture. Mon sac est toujours dessus, je le prends et je jette sur la plage arrière. On avance vers le coffre, je rabats les sièges arrières (écrasant donc mon sac au passage) et on essaie de faire rentrer son vélo. Au début, ça coince (ma voiture n'est pas un corbillard) mais ça fini par passer. Je lui souris, mais l'heure n'est pas à la fête, ce que je comprends. Je ferme la porte du coffre et je lui demande, alors qu'on s'apprête à entrer chacun de notre côté de la voiture « tu vis dans quel coin? » histoire que je sache vers où me diriger. Elle me répond et une fois à l'intérieur, je mets ma ceinture, allume le chauffage, la radio et le contact. Je sors du parking, pour prendre la route de la demeure de la jeune femme.

Une fois dans la voiture, après avoir réussi à mettre son vélo dans le coffre, ce qui, clairement, avait été une lourde épreuve, ils quittèrent le parking de l'université. La jeune fille qui, habituellement, ne se sentait absolument pas à l'aise dans un véhicule, était, pour une fois, bien ravie de se trouver dedans. Elle se sentait plus en sécurité. Ou presque. « Je vis à Downtown Area», fit-elle pour répondre à la question que le jeune homme venait de lui poser, tout en lui donnant l'adresse exact. Elle n'était pas très loin de l'université. En vélo, c'était l'affaire de seulement une petite vingtaine de minutes. Tout ce qu'elle espérait, c'est qu'il ne perde pas un temps fou en la ramenant chez elle. May-Line ferma les yeux et posa sa tête sur la fenêtre, essayant de retrouver un rythme cardiaque un tant soit peu correcte. Elle ne préférait pas s'imaginer ce qui aurait pu se passer s'il n'était pas venu l'aider. En parlant de ça, elle ne l'avait toujours pas remercier… Pas très sympathique tout ça. Il rouvrit les yeux, regarda pendant quelques secondes la route avant de se tourner vers lui. « Ehm, je ne t'ai pas remercié de m'avoir aidé. Alors, merci… Merci beaucoup. La plupart n'aurait pas prit la peine d'essayer de comprendre ce qui se passait et même s'ils s'en seraient douté, ils ne s'en seraient pas forcément mêlés. Merci, vraiment. » Elle lui adressa un faible sourire et reporta son regard sur la route. Ils étaient presque arrivés, elle pouvait voir son immeuble qu'elle pointa du doigt. « C'est juste là. » Un sentiment de légèreté la saisit. Chez elle, elle pourrait enfin se détendre et tenter d'oublier cet horrible début de soirée. Ou du moins, essayer.

PS: